Gandhi (1869-1948) est souvent cité, mais il manque un portrait d’ensemble. Or Gandhi a lui-même rédigé une autobiographie publiée dans son journal Navjivan de 1925 à 1929. Cependant cette autobiographie s’arrête en 1921, Gandhi estimant que sa vie était devenue si publique que ses détails en étaient connus de tous.
Cette autobiographie montre que son personnage est vraiment en phase avec sa légende. On l’a comparé à juste titre à Diogène, avec son mode de vie le plus simple possible : un pagne autour des reins, l’écuelle du prisonnier, la hutte de torchis, et aussi ce silence hebdomadaire du lundi que même un roi ne pouvait troubler. Mais, contrairement à Diogène, Gandhi était aussi un politique, agissant pour le bien de la cité. L’écologie politique pourrait aussi voir en lui un précurseur. Gandhi pratiquait un modèle de simplicité volontaire, moyen de lutte contre la surconsommation. De même la formation de communauté (l’âshram comme précurseur des communautés de résilience), la recherche de la Vérité (l’écologie scientifique aujourd’hui) et la pratique de la non-violence devraient être des fondamentaux de l’écologie. Voici quelques extraits de son autobiographie, en reprenant ses propres phrases, avec ce préalable :
« Je voudrais simplement conter l’histoire de mes nombreuses expériences de vérité ; et comme ma vie consiste exclusivement en expériences de cette nature, il est vrai que ce récit prendra forme d’autobiographie. Ce compte-rendu ne sera pas sans profit pour le lecteur. Je dois cependant un mot d’avertissement au lecteur. Presque toujours, l’auteur d’un livre ne présente qu’un seul aspect de la question, alors que n’importe quelle question peut être examinée de sept points de vue au moins, tous exacts en soi, mais non dans le même temps ni dans les mêmes circonstances. Le lecteur devra donc se garder de prendre mon ouvrage pour parole sacrée… Puisse cependant le lecteur m’accorder l’Ahimsâ en pensée, en parole et en acte. »
1/11) Quelques éléments de la vie de Gandhi
« J’étais poltron, toujours hanté par la peur des voleurs, des fantômes, des serpents. L’obscurité me terrifiait. De la caste des Baniya (les marchands, Gandhi signifie « épicier »), ma famille a fourni des Premiers ministres à plusieurs états du Kâthiyâvâr. Issue d’une famille vichnouite et d’une mère qui était portée à tenir toute sorte de vœux extrêmement durs, j’avais moi-même observé le jeûne. Mais je ne croyais pas à l’efficacité du jeûne. Pourtant, avec le jeûne, naît une atmosphère de retenue. Comme toute discipline semblable, il ne suffit pas à tout ; si le jeûne du corps ne s’accompagne pas de celui de l’esprit, il n’aboutit, nécessairement, qu’à l’hypocrisie et à la défaite.
Je croyais comme le disait un ami qu’il était bon de manger de la viande, que j’en tirerais force et audace. Mais je savais que si mes parents venaient à apprendre que j’étais devenu carnivore, ils en seraient bouleversés. C’est le très pur désir de ne pas mentir à mes parents qui m’a conduit à abjurer la viande. J’ai toujours tenu le fait de fumer comme une habitude répugnante et nocive. Je n’ai jamais compris pourquoi le monde entier était possédé par une telle rage de fumer. Forcé de me marier à l’âge de treize ans, je ne vois pas un seul argument moral en faveur de mariages aussi ridiculement précoces. J’avais 16 ans, ma femme attendait un enfant, circonstance qui pour moi signifiait la honte : le désir charnel l’avait emporté sur mon devoir d’étudier. Ma mère me donna l’autorisation de partir en Angleterre en 1888. Car son conseiller, un moine jaïn, me fit prêter serment de ne toucher ni au vin, ni à la femme, ni à la viande. Il m’a fallu longtemps pour me libérer des chaînes du désir charnel et j’ai du, avant de la vaincre, passer par maintes épreuves. L’homme est-il libre, et dans quelles limites n’est-il que le fait des circonstances ? C’est là le mystère.
Si je me suis trouvé entièrement absorbé par le service de la communauté, la raison profonde en a été mon désir d’accomplissement de l’être. Servir est une religion ; et j’avais embrassé cette foi, dans le sentiment que ce n’était qu’en servant que l’on pouvait atteindre à Dieu.
2/11) La nécessaire éducation
« Jamais l’enfant n’apprendra plus par la suite que ce que lui apportent ses cinq premières années. L’éducation de l’enfant commence avec la conception. L’état physique et mental des parents, au moment de la conception, se reproduit dans l’enfant. Ensuite il continue à subir les effets des humeurs et du tempérament de sa mère, ainsi que de son mode de vie. Après sa naissance, l’enfant imite ses parents. Mais il est vain d’espérer, de nos enfants ou de ceux dont on a la tutelle, que leur évolution suivra nécessairement la nôtre.
Je suis convaincu que l’on ne doit pas séparer les jeunes enfants de leurs parents. L’éducation dont s’imprègnent les enfants, dans une maisonnée bien ordonnée, n’a d’équivalent dans aucune pension. Je gardai donc mes enfants auprès de moi. L’éducation artificielle qu’ils auraient pu recevoir en Angleterre, aux prix d’une séparation douloureuse, ne leur aurait jamais conféré cette simplicité et cette volonté de servir dont ils sont le vivant témoignage à l’heure actuelle. Et lorsqu’il faut choisir entre liberté et érudition, qui ne dira que l’on doit mille fois préférer la première à la seconde. Les jeunes gens que j’ai invités à sortir, en 1920, de ces citadelles de l’esclavage qu’étaient leurs écoles et leurs universités seront probablement à même de remonter aux sources du conseil que je leur ai donné : mieux valait demeurer illettré et casser des cailloux pour l’amour de la liberté que de chercher à acquérir une culture littéraire sans cesser d’être enchaîné comme un esclave.
Ce n’était pas par les livres que l’on pouvait pourvoir à la formation de l’esprit. La formation n’est possible qu’en forçant l’esprit à s’exercer. Et l’exercice de l’esprit dépendait entièrement du mode de vie et du caractère moral du maître. A quoi me servirait-il, si j’étais menteur, d’enseigner à des enfants l’art de dire la vérité ?
3/11) Satyâgraha, la recherche de la vérité
« Le principe, qui porte le nom de Satyâgraha connut le jour avant même que l’on eût trouvé un nom qui le désignerait. En goujrâti, nous nous servons de l’expression anglaise de « résistance passive » pour décrire ce principe. Lorsque je me rendis compte que cette expression anglaise était censée désigner en Europe l’arme des faibles, qu’il pouvait se caractériser par la haine, il était clair qu’il fallait aux Indiens frapper un mot nouveau pour désigner leur lutte. J’offris donc une prime pour la forme au lecteur d’Indian Opinion qui apporterait la meilleure suggestion. En définitive, ce fut Maganlâl Gandhi qui forgea le mot de sadâgraha ( de sat = vérité, et âgraha = fermeté). Mais pour plus de clarté, je changeai le terme en Satyâgraha pour désigner notre lutte. Réussir dans la quête de la Vérité, signifie se délivrer entièrement de telles dualités innombrables que : amour et haine, bonheur et malheur, etc.
Celui qui s’est voué à la vérité ne peut faire autrement, souvent, que de tâtonner dans le noir. Il peut arriver, à qui s’est voué à la Vérité, de ne pas conformer tous ses actes au respect des conventions. Mais toujours, il doit être prêt à corriger ses fautes. J’ai toujours tenu que ce n’est que lorsque l’on voit ses propres fautes à travers un verre convexe et que l’on fait exactement l’inverse dans le cas des autres, que l’on est capable d’arriver à une juste estimation des premières comme des secondes.
Je connais bien cette superstition, qui veut que l’accomplissement de l’être ne soit possible qu’au quatrième stade de la vie : celui du renoncement (sannyâsa), mais n’importe qui sait parfaitement que ceux qui remettent leur préparation à cette inestimable vérité au dernier stade de la vie, parviennent non pas à l’accomplissement de soi, mais à la vieillesse.
4/11) La vie en âshram
« L’âshram (communauté) du Satyâgraha fut fondée le 25 mai 1915. Le travail de l’homme de loi ne vaut ni plus ni moins que celui du barbier, dans la mesure où tout le monde a également droit à gagner sa vie par son travail. Une vie de labeur, celle du laboureur ou de l’artisan par exemple, est la seule qui vaille la peine d’être vécue. Tout le monde prenait ses repas en commun et faisait de son mieux pour que la vie fût celle d’une grande famille. Au début, la principale activité de l’âshram était le tissage.
Je ne crois pas que j’avais jamais vu un métier à la main, ni un rouet, quand, en 1908, je les décrivais comme la panacée du paupérisme grandissant en Inde. Même en 1915, lors de mon retour d’Afrique du sud, je n’avais encore jamais vu de mes yeux un vrai rouet. A l’âshram du Satyâgraha, nous nous étions donnés comme but d’arriver à nous vêtir entièrement de tissu fabriqué par nos mains exclusivement tissés de fil indien. Nous renonçâmes à l’utilisation de tissus industriels. Après maintes recherches, on se mît à l’âshram à fabriquer rouets et accessoires. Je n’avais plus désormais qu’une impatience : adopter exclusivement le khâdi, tissu de coton fait à la main, pour mes vêtements. Je ne jure que par cette forme de Svadeshi, parce qu’elle peut fournir du travail aux femmes de l’Inde qui meurent de faim. Mon idée est d’amener ces femmes à filer et à vêtir le peuple de khâdi. Ce mouvement suscita de nombreuses critiques de la part des patrons filateurs.
Mon goût pour le travail manuel personnellement exécuté allait croissant. Au lieu d’acheter le pain chez le boulanger, nous nous mîmes à préparer à la maison du pain complet non levé. J’achetai un moulin à bras pour moudre la farine. L’exercice se révéla un exercice excellent pour les enfants. C’était pour eux un passe-temps que de venir prêter la main, jamais on ne leur imposait ce travail.
5/11) L’arme de la non-violence
« J’ai lu le livre de la genèse dans l’Ancien Testament ; les chapitres suivants m’endormaient invariablement. Le livre des Nombres me déplut profondément. Mais le nouveau Testament, notamment le Sermon de la Montagne, m’alla droit au cœur : « Et moi je vous dis de ne point résister à celui qui vous maltraite… » Cela me rappela le « Pour de l’eau, donne un bon repas… » de Shâmal Bhatt ou la Gîtâ.
Jusqu’au Congrès pan-indien de septembre 1920, j’avais évité de me servir du mot de « non-violence » dans mes textes, si je l’employais invariablement dans mes discours. Mon vocabulaire, sur ce point, était encore en formation. Je préparai dans le train un texte de résolution sur la non-coopération. Cette session adopta également des résolutions sur l’unité entre Hindous et Musulmans, l’abolition du statut d’intouchable et le khâdi. L’ahimsâ (non-violence) est le fondement de la quête de vérité.
L’expérience m’a montré que le moyen le plus rapide d’obtenir justice, c’est de rendre justice à l’adversaire. L’homme et ses actes sont deux choses distinctes. Alors qu’une bonne action doit appeler l’approbation, et une mauvaise, la réprobation, le fauteur de l’acte, qu’il soit bon ou mauvais, mérite toujours respect ou pitié, selon le cas. « Haïs le péché, non le pécheur » - c’est là un précepte que l’on applique rarement et c’est pourquoi le venin de la haine se répand si vite dans le monde. S’opposer à un système, l’attaquer, c’est bien ; mais s’opposer à son auteur, et l’attaquer, cela revient à s’opposer à soi-même, à devenir son propre assaillant. Car la même brosse nous a peints (le Créateur, Dieu), mon adversaire et moi. Je n’ai jamais fait de distinction entre parents et inconnus, compatriotes et étrangers, blancs et hommes de couleur, Hindous et Indiens, Musulmans ou Juifs.
6/11) La désobéissance civile
« Avant d’être apte à pratiquer la désobéissance civile, l’on doit avoir fait volontairement obédience aux lois de l’Etat. La plupart d’entre nous obéissent à ces lois par peur des sanctions qu’entraîne la contravention. Se plier de la sorte n’a rien en commun avec l’obéissance consentie et spontanée que l’on exige d’un satyâgrahi. Ce n’est que lorsque l’on a scrupuleusement obéi aux lois de la société, que l’on est en mesure de faire le partage entre règles bonnes et juste et règles injustes et iniques. Alors seulement entre-t-on en possession du droit de désobéissance civile à certaines lois, dans des circonstances bien définies.
Avant qu’un peuple fût en mesure de pratiquer la désobéissance civile, il devrait au préalable en comprendre la signification la plus intime. Il fallait donc former un groupe de volontaires bien éprouvés comprenant parfaitement les rigueurs du Satyâgraha. Eux pourraient expliquer ces rigueurs au peuple. Mais c’est une tâche bien difficile que d’intéresser des volontaires à l’aspect pacifique du Satyâgraha.
Lors de la conférence du Califat en novembre 1919, une des résolutions appelait Hindous et Musulmans à prononcer le vœu de Svadeshi, ne pas acheter de produits étrangers. C’est en partie en vue de cette autarcie que j’avais lancé le khâdi, tissu de coton fait à la main. Mais je visais plus haut et plus loin que le boycott des textiles étrangers. Je trouvai, pour rendre cette idée, le mot de « non-coopération ». Le seul mode de résistance véritable au gouvernement (anglais) était, me semble-t-il, de cesser de coopérer avec lui. Il fallut des mois avant que le mot de non-coopération devînt monnaie courante.
7/11) Les moyens de l’action
« Je me rendis compte que le seul et unique but du journalisme doit être se servir. Nous avons lancé le journal Indian Opinion en 1904. Dès le départ, je décidai une fois pour toutes qu’il n’y aurait pas place pour la publicité dans mes journaux. Je suis convaincu que cette décision a fortement aidé à garder leur indépendance.
La presse est une force énorme ; mais tout comme le torrent déchaîné recouvre de ses eaux des campagnes entières et dévaste les récoltes, de même la plume sans contrôle ne sert qu’à détruire. Si le contrôle s’exerce du dehors, l’expérience montre qu’il est encore plus nocif que l’absence de contrôle. Ce n’est que lorsqu’il s’exerce de l’intérieur, que le contrôle peut être bénéfique. Combien de journaux pourraient-ils résister à l’épreuve ?
L’utile et l’inutile, comme, en règle générale, le bien et le mal, vont nécessairement de pair ; et c’est à l’homme de faire le choix. Je me rendis à Paris lors de l’Exposition universelle de 1890. Pour Tolstoï, la Tour Eiffel était un monument de folie, non de sagesse humaine. C’était pourtant le jouet de l’Exposition. Pour autant que persiste en nous l’enfant, nous subissons l’attrait des jouets ; et la Tour état une excellent preuve de ce que nous sommes tous des enfants, que séduisent les hochets. Telle est, peut-on dire, la fin que servait la Tour Eiffel. Je ne sais quelle est son utilité réelle.
8/11) Quelques pratiques de simplicité
« L’idée que le renoncement était la forme suprême de toute religion exerçait un grand attrait sur moi. C’est l’aparigraha (non-possession). En 1912, je fis serment d’abjurer le lait. Mais ce reniement ne pouvait me suffire. Peu après, je me décidai de me mettre au seul régime des fruits – et encore : en ne recourant qu’aux fruits les moins chers possibles. Mon ambition était de mener la vie des gens les plus pauvres qui fussent. A l’expérience, ce régime se révélait extrêmement commode. Finie la cuisine ou presque. Arachides crues, bananes, dattes, citrons et huile d’olive – tel était couramment notre menu.
J’avais lu dans les livres le bénéfice que l’on tire de longues marches en plein air. J’ai toujours gardé l’habitude de la marche. C’est la marche qui m’a valu une assez solide constitution. J’ai choisi en Angleterre un logement qui me permît d’arriver à pied d’œuvre (études de droit) en une demi-heure de marche. J’épargnais ainsi les frais de transport. Je tombai sur des livres traitant de la simplicité de la vie. Je renonçai à mon appartement, m’installai dans une seule pièce et me mis à faire moi-même mon petit déjeuner. Convaincu que l’on ne devait consommer que les articles nécessaires à la sustentation du corps, j’abandonnai le thé et le café pour leur substituer le cacao. Le jeûne est aussi nécessaire que le choix rigoureux des aliments. Ma passion de l’autarcie et de la simplicité finit par emprunter des formes extrêmes. Je préfère blanchir mon linge par moi-même et je refusai de dépendre du coiffeur. Au fur et à mesure que grandissaient l’esprit de sacrifice et la simplicité, l’aspect missionnaire de ma passion pour le végétarisme se développait. Telle est la toute-puissance des sens, qu’on ne peut s’en rendre maître qu’après les avoir bornés de toute part.
Je suis convaincu que l’homme n’a que faire des médicaments. 999 fois sur 1000, le malade peut se remettre sur pied au moyen d’un régime bien réglé, de traitements par la terre et l’eau, et autres remèdes élémentaires. Celui qui court chez le docteur au moindre petit malaise, et qui avale toute sorte de drogues, non seulement abrège sa vie mais, en devenant esclave de son corps au lieu d’en demeurer le maître, perd la maîtrise de soi et cesse d’être un homme. Cependant l’expérience m’a montré que la médecine empirique ou médication domestique comporte des risques évidents.
Nous allâmes un jour chez un cardinal. Nârâyan Hemchandra n’avait rien changé à sa personne, même paletot, même pantalon. J’essayai de l’en plaisanter. Mais ce fut lui qui se moqua de moi : « Vous autres, civilisés, vous n’êtes que des lâches. Un grand homme n’arrête pas son regard à l’apparence des gens. C’est au cœur qu’il songe. »
9/11) Sur la régulation des naissances
« J’acquis la conviction que la procréation et, par voie de conséquence, le souci des enfants sont incompatibles avec le dévouement à l’intérêt public
Je faisais partie du Comité exécutif de la Société végétarienne. Le Dr. Allinson était un partisan du contrôle des naissances, il en prêchait les méthodes parmi les classes laborieuses. Le président de la société, Mr. Hill, était un puritain qui tenait que ces méthodes s’attaquaient aux racines mêmes de la morale. Il demanda une motion demandant l’exclusion du Dr. Allinson. L’affaire me passionna. Je considérais les méthodes artificielles de contrôle des naissances comme dangereuses. Mais je me disais qu’il était contraire à toute décence d’exclure quelqu’un d’une association végétarienne sous le simple prétexte qu’il refusait de regarder la morale puritaine comme l’un des buts de cette association. Le Dr. Allinson fut exclu, je démissionnai du comité.
Que devaient être mes rapports sexuels avec ma femme ? Ce que je voulais surtout, c’était ne plus avoir d’enfants. En Angleterre, j’avais lu des textes se rapportant à l’usage de produits anticonceptionnels. Si cette propagande a exercé sur moi une influence passagère, le plaidoyer de Mr Hill pour l’effort intérieur (opposé aux moyens extérieurs) a fait sur moi un effet beaucoup plus grand. Le couple qui comprend parfaitement ce genre de chose n’accomplira jamais l’acte d’union sexuelle pour satisfaire le désir charnel, mais dans les seuls moments où il désire un enfant.
L’acte de procréation doit être contrôlé pour que la croissance du monde s’effectue dans l’ordre. Qui comprend cela se nantira de la connaissance nécessaire au bien être physique, mental et spirituel de sa progéniture. Je me mis à lutter désespérément pour atteindre au contrôle de moi-même sur le plan sexuel. C’était une tâche hérissée de difficultés sans fin. Nous commençâmes par dormir dans des lits séparés. Désormais le vœu était un bouclier sûr contre la tentation. Je prononçai le vœu de brahmacharya (chasteté) en 1906. Ma femme n’éleva aucune objection. Les fondations du Satyâgraha étaient jetées.
10/11) Une ébauche de biocentrisme
« De mes lectures, mon respect pour l’hindouisme grandit, sans, cependant, susciter en moi aucun préjugé défavorable aux autres religions. Je me livrai à une étude très attentive des livres de Tolstoï. Je me rendais de plus en plus compte des possibilités de l’amour universel. Mais l’amour pour toute créature vivante n’apparaît pas dans la vie de Jésus.
L’uniformité de mon expérience m’a convaincu qu’il n’est d’autre Dieu que la Vérité. Pour voir face à face l’Esprit de Vérité, dans son universalité et son imprégnation de toutes choses, il faut être en mesure d’aimer comme soi-même la plus chétive des créatures. Et qui aspire à cela, ne peut se permettre de s’exclure d’aucun domaine où se manifeste la vie. On ne saurait s’identifier avec tout ce qui vit sans pratiquer la purification de soi.
Et la purification de soi conduit nécessairement à la purification de ce qui est autour de soi. Mais le chemin de la purification de soi est âpre et raide… il faut libérer la pensée, la parole et l’acte de toute passion, surplomber les courants contraires de la haine et de l’amour, de la répulsion et de l’attachement. La conquête des passions subtiles me paraît entreprise infiniment plus dure que la conquête physique du monde par la force des armes. L’Ahimsâ, c’est l’extrême confins de l’humilité. Ce que j’ai tenté laborieusement de mener à bien, c’est d’atteindre à l’accomplissement de soi, de parvenir au moksha (délivrance). »
(éditions quadrige/PUF, 2004 – traduction revisitée de l’édition anglaise, Ahmedâbâd, 1940)
11/11) lexique et implications contemporaines
aparigraha : non-possession (a privatif et parigraha : propriété, biens... .)… objection de croissance ?
Ahimsa : non-violence ou respect de la vie (a privatif et himsā action de causer du dommage, blessure)… biocentrisme ?
âshram : à l’origine ermitage, loin de l'agitation du monde… précurseur des communautés de résilience ?
brahmacharya : premier stade de la vie brahmanique, impliquant le célibat, la chasteté… malthusianisme ?
khâdi : tissu de coton fait à la main… relocalisation des activités ?
moksha : libération finale de l'âme individuelle, accomplissement de soi… accession à la sagesse ?
sannyâsa : de sam = complet et nyasa = soumission ou abandon, renoncement extrême… simplicité volontaire ?
Satyâgraha : étreinte de la vérité (sat = vérité, et âgraha = saisie). Revendication de la vérité, c’est-à-dire acceptation d’une possible souffrance de soi (non-violence, non-coopération) et non-souffrance infligée à un adversaire.
Satyâgrahi : celui qui pratique le satyâgraha
Svadeshi : ne pas acheter de produits étrangers, recherche de l’autosuffisance… protectionnisme ?