Cinquante ans à l’heure de la société thermo-industrielle ont conduit à une sédentarité en totale contradiction avec l’héritage évolutif : 200 000 ans de sélection d’un primate marcheur et coureur. La chimie du corps humain est celle d’un être en mouvement qui utilise l’oxygène pour produire de l’énergie cellulaire à partir des glucides. La marche de déplacement allie une intensité modérée mais durable et une dépense énergétique modeste, donc économe en aliments (autour de 200 kcal par heure en terrain plat, c’est-à-dire l’équivalent énergétique de deux pommes).
Selon l’OMS dans son rapport 2006 sur Activité physique et santé en Europe, le manque d’activité physique est à l’origine d’environ 600 000 décès annuels. Sans surprise, la marche est placée en premier choix d’activité. L’expertise 2006 de l’INSERM a abouti à une recommandation très modérée : 30 minutes de marche rapide par jour, une heure pour les enfants. L’idéal est de pousser un peu la machine en résistance. L’adjonction de la montée des escaliers, par exemple, est fortement souhaitable car elle élève la consommation en oxygène. Ceux qui, dans les salles de gym ou chez eux marchent ou courent « sur place » font peut-être un effort physique, mais ils ne le font pas dans, sur ni avec le monde. Ils remplacent le temps ET l’espace par le temps seul. Ils se déconnectent du monde comme nous y entraînent toutes les machines. Marcher, c’est échapper aux prothèses de notre corps. Marcher, c’est se rapprocher des rythmes naturels du corps, notre respiration, les battements de notre cœur. Marcher, c’est retrouver la liberté, la lenteur, la solitude, le silence. Le marcheur disparaît dans la marche, le marcheur ne foule plus la nature, il est la nature. Le vrai miracle n’est pas de marcher sur les eaux ni de voler dans les airs : il est de marcher sur la terre.
(Silence n° 388, mars 2011)