En faculté de sciences économiques, bof !
Avec la scolarisation, il s’agit d’enfermer les enfants entre les quatre murs d’un établissement scolaire, il s’agit de passer des centaines d’heures à entrer avec toute une classe d’âge dans la routine d’un programme pour recevoir un diplôme en fonction de sa capacité à se soumettre. Selon le même modèle que la formation des scribes autrefois, on croit que le passage par plusieurs stades d’apprentissage théoriques et livresques, l’école élémentaire, puis le collège, le lycée, la faculté (ou ses équivalents ) permet de progresser continûment dans une chaîne du savoir. Ainsi parlait Ivan Illich.
Car qu’apprend-on vraiment à l’école ? On y apprend que plus on y passe d’heures, plus on vaut cher sur le marché. Penser librement, c’est aussi de débarrasser de cette fabrique à institutionnaliser les inégalités.
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Il y a la vie en classe. Plus de vingt ans de vie assise pour les plus malchanceux. J’ai eu la chance de rester jusqu’à cinq ans à la maison, ma mère s’occupant de mon frère et moi. Fondements d’une vie plus active quand le milieu est favorable, merci maman. Je ne me rappelle rien de ma scolarité primaire. Oubli volontaire ou amnésie générale ? Nous apprenions par cœur. La première interrogation écrite a porté sur les tables de multiplication. Je les connais toujours ! Quel intérêt de calculer ? Ah, oui, pour subir le marché et sa comptabilité !
Je me demande encore comment j’ai survécu aux années de lycée (Michel Montaigne à Bordeaux) : salle de classe fermée, tableau noir et saleté, grillage aux fenêtres, pas de nature, bureau surélevé comme preuve d’autorité. Comment oser encore se rebeller ! Un jour j’étais dans la cour avec des copains. Niveau première je crois. Le censeur nous demande ce que nous faisions là. Moi, serviable, de répondre qu’Untel (nom du prof) est absent. Le kapo me fait répéter, je m’exécute : « Untel est absent. » Je reçois une gifle ! Je n’avais pas dit « Monsieur » Untel. Autorité au lycée, autorité à la maison, société autoritaire. Mais j’essayais de comprendre. Je faisais de la philo en première, j’ai occulté tout le reste. Comme il n’y avait pas encore de philo cette année-là, i’ai redoublé ma première. L’année suivante un prof de philo sympa. On ne prenait en note que ce qu’on jugeait nécessaire. J’ai donc croisé les bras, au premier rang, définitivement. Au bout d’une semaine, le prof de philo s’est fâché, j’avais respecté ses consignes à la lettre. La philo est tombée de son piédestal. Où donc était la vérité ? Entre le ça, le moi et le surmoi nous expliquait un professeur stagiaire. Ah bon ! Freud faisait une entrée dans ma vie.
En mai 1968, je terminais ma première année de sciences économiques en fac. Je n’ai rien compris à la révolte étudiante. J’étais plongé dans le droit, le marginalisme et les exercices de math, je n’avais pas du tout la tête révolutionnaire. J’étais presque d’accord avec Sanguinetti : « La jeunesse n’existe pas, c’est une invention des adultes. Mai 1968, c’est la condamnation du monde moderne, mais c’est surtout une crise d’infantilisme. La jeunesse veut les droits de l’adulte et les privilèges de l’enfance. Le pouvoir étudiant, c’est une farce ! » Des phrases sur les murs bordelais m’ont cependant marqué, par exemple « L’ennui suinte de ces murs où le cadavre du militantisme se putréfie », « La cohérence du mythe bolchevique a fait place au mythe de la cohérence bolchevique. » Je suis resté pendant les grandes vacances discuter de la réforme de l’enseignement universitaire. La presque totalité des manifestants était aux abonnés absents. Manifester, c’est bien, discuter et construire, c’est pas leur truc, aux agitateurs. Mai 68 fut une fête qui arracha ses participants à la quotidienneté, leur donna l’illusion d’une liberté absolue et d’une totale communion. Une illusion. Les mouvements de masse n’ont pas de prise sur une réalité complexe.
On ne naît pas avec des courbes d’offre et de demande dans la tête. Tout s’apprend, même l’incompréhensible. Je recherchais la réalité dans les détails de mes cours. Ricardo était « un esprit puissant mais obscur qui, il en fait d’ailleurs l’aveu, ne s’est pas toujours compris lui-même ». Stuart Mill a écrit des choses sublimes, genre : « L’appréciation comparative du moraliste n’a rien à faire en économie politique. Mais s’il n’y avait pas d’autre alternative, on choisirait le communisme avec tous ses risques plutôt que l’état présent où le produit du travail est distribué en raison inverse de la peine prise (…) La concurrence est pour le présent une nécessité indispensable au progrès, mais la coopération est le plus noble idéal, l’émulation fraternelle pour la poursuite du bien de tous. » La concurrence qui s’effectue entre entreprises privées serait-elle une aberration ? J’apprends que l’union des hommes fait toujours plus que leurs rivalités, que ce soit pour dresser l’obélisque ou pour aller sur la Lune. Pourtant nous rivalisons de plus belle, compétitivité exige. Il me faut ingérer la loi de la rente foncière et celle des avantages comparatifs, le prix naturel du travail et autres fadaises ! Les concepts que nous utilisons en fac de sciences éco me semblent frelatés, contradictoires, indécis.
Il m’a fallu pourtant longtemps pour commencer à contester les enseignants. Il me fallait une volonté anti-autoritaire, acquise dans mon milieu familial, nourrie par ma critique de la religion. Mon premier exploit ? Il fut symbolique. En décembre 1969, troisième année de fac, le professeur Ghestin s’attendait à ce qu’on se lève à son entrée. C’était dans un amphi de sciences po., je suis resté assis, tout l’amphi était debout. J’étais tout seul au milieu d’un cercle vide, aucun de mes copains n’avait voulu s’asseoir à côté de moi. Ils savaient ce que je voulais faire, ils n’étaient pas solidaires. Les étudiants attendent, moi assis, eux debout. Une minute, deux minutes, trois… Le prof s’interroge, il m’interpelle. Je lui explique que nous nous levions seulement devant lui, pas avec les autres profs… donc ! Il s’est assis, les étudiants se sont assis, le rituel du salut debout a été définitivement abandonné. Je contestais une autorité de droit divin pour laquelle il n’y a pas lieu de comprendre, mais d’obéir. Mon acte a été individuel et solitaire, mais il me remettait en harmonie avec moi-même. Ce fut ma première révolte publique.
C’est à partir de 1970 que je me forge mes propres convictions économiques. Comment les suppôts de l’utilité marginale pourraient-ils expliquer l’unicité du prix sur le marché pour différentes personnes qui sont dans des conditions tout à fait dissemblables, par exemple l’affamé et le rassasié ? Quelle est la valeur de ces néoclassiques extrémistes qui refusent à l’autorité publique le droit de décider si la circulation automobile doit se tenir à droite ou à gauche ? Il est presque tragique que Walras s’imagine qu’il avait découvert la preuve rigoureuse qui manquait aux défenseurs contemporains du dogme du libre-échange simplement parce qu’il revêtait de formules mathématiques les arguments même qu’il considérait comme insuffisants quand ils étaient exprimés en langage ordinaire ! Même la célèbre phrase d’Adam Smith me paraît contestable : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais de leur propre intérêt. Nous nous adressons non pas à leur humanité, mais à leur égoïsme et ne leur parlons jamais de nos propres besoins, mais de leur avantage. » Pourtant une relation interpersonnelle ne peut pas s’analyser seulement du point de vue des individus impliqués dans cette relation, toute la société est concernée par ce que fait le moindre de ses membres. Un boucher ou un charcutier est sous contrôle social. Je pense qu’un véritable entrepreneur se serait depuis longtemps barré de la fac ! Je n’avais pas l’esprit d’entreprise… je ne savais pas encore quelle était ma voie.
En février 1970, je commence avec Einstein à percevoir ce que relativiser veut dire: « Si ma théorie de la relativité est prouvée, l’Allemagne me revendiquera comme Allemand et la France déclarera que je suis citoyen du monde. Mais si ma théorie est fausse, la France dira que je suis Allemand et l’Allemagne déclarera que je suis juif. » Je m’informe toujours et encore. A cette époque, Nixon remplace par l’armée les postiers en grève au nom de l’intérêt général, le directeur de la Cause du peuple, Jean-Pierre Le Dantec, est arrêté pour apologie de meurtre, les gardes mobiles chargent les honnêtes commerçants qui soutiennent Nicoud. La paix est assurée par l’Etat et les marchés. Je suis les cours de la fac de sciences économiques avec un chapeau haut de forme. Les études universitaires m’ennuient, je ne peux plus supporter les profs, je passe le permis poids lourds en mars 1970. Ma décision est prise, je veux faire chauffeur routier. Mon père m’en a dissuadé, disant très justement que s’il avait payé mes études jusque là, ce n’était pas pour que j’abandonne en route. J’ai trouvé cela logique, va pour la maîtrise en quatre ans.
Je note : « On oublie trop souvent le long terme pour le court terme, on oublie trop souvent de placer l’intérêt de l’espèce avant celui de la nation, d’une classe, de l’individu. Le fonctionnement réel de l’économie étouffe la clairvoyance sociale. » Je progresse dans ma réflexion. Je m’insurge contre les connaissances théoriques, la concurrence « pure et parfaite », le noumène opposé au phénomène quand des gens crèvent de faim, quand le canon sert encore à rectifier les frontières. Je m’insurge contre les courbes sans fondement statistique, pour des équations sans rime ni raison. Poser I = S (Investissement = épargne), c’est par exemple attribuer sa raison d’être à la distinction épargnant-entrepreneur, c’est justifier la préférence pour la liquidité des classes pauvres et les encaisses monétaires du gratin financier. La bourse me semble un marché de dupes, le taux d’intérêt n’a pas de fondement autre que le coût de transaction.
Octobre 1970, je commence ma quatrième année de sciences économiques, option économétrie. Planification indicative à la française, planification impérative à la soviétique, autogestion yougoslave, tout est possible. Les pratiques gouvernementales testent toutes les options. Que choisir ? Je distribue en TP un hebdo qui vient d’être interdit par le ministre Marcellin (Hara-Kiri du 16 novembre 1970 avec en couverture « Bal tragique à Colombey : 1 mort »… De Gaulle vient de mourir). Chaque membre du groupe en a un exemplaire, je soutiens Hara-Kiri à fonds perdu. De là je débouche sur une critique de la planification : parler de planification est un acte politique… Or à l’heure actuelle les politiciens ne savent plus où aller… La preuve, Hara-Kiri qui est interdit. Plutôt que d’interdire une revue, ne vaut-il pas mieux interdire par exemple la discrimination des salaires ? Avant de parler de planification économique, ne vaudrait-il pas mieux aborder la planification de la pensée, etc. J’invente la dynamique de groupe sans en avoir les rudiments. N’importe quoi sans doute, mais au moins je m’implique collectivement.
L’idiotie de la croissance économique n’est encore perceptible par personne. Pourtant Pierre Massé, du commissariat au plan, nous explique que si la production continue de progresser à son rythme actuel, elle conduirait à doter en 2070 chaque Français d’une centaine d’automobiles et à fabriquer avant l’an 3000 un volume de produits manufacturés dépassant celui de la Terre, de la Lune et de Vénus réunis. Sur le taux d’intérêt, ma conviction est faite. Dans notre manuel d’économie de Raymond Barre, « L’économiste n’a pas pour sa part à résoudre le problème de la moralité de l’intérêt : il constate l’existence de l’intérêt et sa tâche est d’en fournir l’explication ». Qu’en termes immoraux ces choses-là sont dites ! Car j’ai une explication non conventionnelle, mais qui me semble irréfutable. Le taux d’intérêt ne représente que le coût qu’implique le fonctionnement centralisé du système monétaire. Il se résume aux coûts bancaires de paiement de la main d’œuvre nécessaire et du matériel utilisé. Pas besoin de l’argent des rentiers, la banque peut créer de l’argent ex nihilo, c’est d’ailleurs son rôle principal. Pas besoins de prime de risques, les contrevenants peuvent être repérés facilement. Quant au fait de rémunérer celui qui renonce temporairement par le prêt à l’usage de son propre argent, laissez-moi rigoler. Toute accumulation de fric résulte de l’exploitation d’autres personnes dont on a retiré des subsides illégitimes. L’appropriation privée du capital financier est une absurdité, il n’y a aucune explication raisonnable au fait de retirer un bénéfice de la monnaie : l’argent ne peut pas faire de petits : du catholicisme sans le savoir. Tout cela pour dire qu’à la fac, je ne fais plus grand chose à part expliquer que l’inflation résulte de la lutte des classes et de la taille de mes WC. En termes clairs, il y a spirale salaire-prix à cause des revendications syndicales et pression à la hausse sur le prix à cause de l’expansion de la demande.
Mes lectures annexes sont toujours très loin de ce que j’apprends en cours ! Début 1971, j’étudie Hegel et Marcuse. Hegel avait écrit que « le pouvoir du négatif est le principe qui préside au développement des concepts : la contradiction est la qualité distinctive de la raison. C’est seulement à travers une rationalité qui admet la contradiction que se constitue vraiment le mouvement du réel et même le concept de réel ». Il s’agit d’un mouvement dialectique, thèse, anti-thèse, synthèse. Hegel explicite ma conviction, il faut savoir intégrer dans sa pensée un raisonnement contraire au sien. De son côté Marcuse oppose deux argumentations : « Ce qui est ne peut pas être vrai » d’une part, « Ce qui est réel et rationnel » d’autre part. Marcuse estime que « la logique mathématique et symbolique contemporaine s’oppose radicalement à la logique dialectique par élimination du négatif. La tension entre ce qui est et ce qui devrait être disparaît. De cette manière on prétend à la pensée objective, exacte et scientifique alors qu’on a éliminé tout jugement qui puisse condamner la réalité établie. On peut conclure que le fait que l’opposition négative se soit transformé en opposition positive empêche tout changement qualitatif ». J’ai un cousin matheux qui m’avait dit plus simplement que la nature était mathématisable mais n’était pas mathématique. Je comprends Marcuse, il n’y a pas de lois économiques immuables mais seulement une organisation afférente à un état de conscience donné. Or l’enseignement de sciences économiques nous transformait en lignes géométriques reproduisant la parole des soi-disant grands maîtres. Notre rôle d’économiste sera de maintenir l’ordre, devenir expert-comptable ou économètre d’Etat, matricule untel au poste numéro tant. Contre cette police facultérale de la pensée, tout est bon pour moi pour contester, discuter, agiter.
Février 1971, je me fâche avec mon groupe de travaux pratiques. Je voulais faire la simulation d’une prise de décision : le transport domicile-travail et ses améliorations possibles vues par la municipalité d’une grande ville. Mes camarades préfèrent un exposé magistral sur les critères de rationalité en Union soviétique : ils veulent exploiter leur travail réalisé depuis deux mois, « tel théoricien pense, tel autre croit… » Ils pouvaient très bien suivre à l’oral mon projet et rendre par écrit leur synthèse. Ils ne veulent pas ! Ils restent des techniciens de l’économie, pas des sociologues engagés. Et quand on sait ce qu’est devenue depuis la « rationalité soviétique » ! J’ai quand même réussi à organiser quelques débats, mais je me suis aperçu que les membres de mon TP d’analyse économique étaient inaptes à une participation active. Je discutais plutôt avec les assistants qui dirigeaient nos travaux. J’en conclus que notre enseignement nous rendait incapable de discuter des problèmes contemporains. Nous avons été enfermés dans des querelles de concepts sans intérêt et les étudiants ont perdu leur sens de l’autonomie intellectuelle. L’idéal de l’enseignement supérieur semble être de formater de parfaits abrutis qui ne pensent qu’à une chose, avoir leur examen pour gagner plus de fric que d’autres. Peu leur importe leur utilité sociale du moment qu’ils pourront fréquenter leur cercle de bridge. Triste.
Mars 1971, je note : Le loyer d’habitation est au sens économique une somme qui est affectée à l’amortissement de l’appartement occupé et à l’investissement nécessaire à loger l’augmentation de la population ou aux désirs d’accroître les m2 disponibles. Or cette somme va la plupart du temps à un propriétaire qui l’affecte à une résidence secondaire d’utilité sociale inexistante ou à un fonds de placement qui servira à l’enrichir encore plus. Une véritable rationalité ne sera atteinte que si tous les membres d’une collectivité ont pleinement conscience des répercussions globales des inégalités sociales et de leur injustice.
Le bureau de la société des agrégés (Sud-Ouest du 8 mars 1971) dénonce publiquement l’ouvrage : « Le petit livre rouge des écoliers et lycéens ». C’était à les en croire une œuvre ni littéraire ni idéologique mais de destruction et de démoralisation qui, de plus, « porte une grave atteinte à l’immense majorité des élèves et des maîtres ». Je me suis empressé de me procurer ce livre rouge. On y trouve des choses très intéressantes : « Suivant les directives ministérielles, les professeurs doivent faire participer activement leurs élèves à l’enseignement. Vous (les lycéens) devez donc être actifs, c’est-à-dire agir et parler pendant la classe. Si vous ne faites qu’écouter le professeur et si vous vous ennuyez, vous ne respectez donc pas les directives ministérielles. Essayez d’expliquer tout cela à votre prof. ». Le Petit Livre Rouge a été interdit par le ministre de l’intérieur Marcellin, « Raymond la matraque » ! Je fournis à qui veut la bonne adresse pour se le procurer illégalement (Etienne Bolo, Paris 15ème). J’en achète en nombre, je diffuse.
Un assistant de fac me trouve inclassable, échappant totalement à la grille de notation ordinaire. Dans les devoirs que je lui remets, j’exprime mon approche personnelle des choses et non l’idéologie théorisée d’Hicks ou d’Untel. Quand je fais un exposé oral, j’instaure tout de suite débat et non-directivité. Quand je ne suis pas d’accord, je le dis, même dans un amphi de 200 étudiants ! Avril 1971, je pose la question à mon professeur Merigot : « La majorité de l’auditoire, me semble-t-il, trouve votre cours profondément ennuyeux. Que pensez-vous de votre propre cours ? » A l’économètre Lagoueyte : « Que pensez-vous de la phrase de Sauvy : la poussée actuelle d’économétrie est une fuite devant la réalité de notre temps. » A Robine : « Que faut-il faire devant la non prise en compte par les entreprises privées de la détérioration de l’environnement ? ». L’enseignement ne fait que perpétuer un ordre établi sur des bases fausses. Petit Livre Rouge p.12 : « Quand on n’a qu’un droit, celui d’obéir, on apprend inévitablement à ne jamais chercher à savoir pourquoi on fait ce qu’on fait. On apprend à ne jamais se poser de questions, on apprend à ne plus penser. » Face à cela, notre esprit critique ne vient pas spontanément, il faut le cultiver, il faut s’entraîner, il faut changer de comportement.
La mode est alors au short pour les filles. Très peu en portent dans ma fac. Faut pas nous confondre avec la fac de socio ! J’ai mis plusieurs mois à me convaincre à partir en short à la fac, j’y vais souvent en vélo. Le 8 juin 1971, c’est fait : un garçon en short à la fac de sciences éco, un seul, c’est moi ! En fin d’année estudiantine, un assistant de fac m’a asséné : « On peut te prendre pour le meilleur élève d’une classe Freinet, mais tu n’as strictement rien à faire en éco ». Ainsi donc dans notre société policée, la pédagogie s’arrêterait à 10-11 ans, toute participation active à son enseignement étant interdite au-delà ? Mais le blocage ne vient pas seulement des instances officielles. Ceux qui distribuent Rouge et LO ne comprennent pas plus les avantages de l’apprentissage permanent, celui qu’on apprend en marchant de ses propres jambes. Notre liberté d’agir ne vient pas spontanément, il faut résister, il faut s’entraîner. C’est à ce prix qu’on obtient son autonomie.
10 juin 1971. Je loupe la première session de l’examen de fin d’année. Normal, vu mon état d’esprit. J’ai acquis un tempérament si critique que je suis en perpétuel déphasage avec ce qui m’est scolairement demandé. J’ai pu me débrouiller en TP parce que les assistants pouvaient tester mon niveau de sincérité ; il ne peut en être de même dans une copie d’examen. Mais je réussis la deuxième session de rentrée. Il suffit d’apprendre par cœur et de réciter : le prof est content. Ce n’est plus l’économie qui va motiver mon existence, c’est l’écologie et l’enseignement.
Pour aller au chapitre de ton choix :
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde