1968-2018, plus de consommations, moins de durabilité

En cinquante ans beaucoup de choses ont changé : plus de consommations, plus de pollutions, moins de bonheur. Analysons les donnés statistiques*.

Les faits : Le parc de logement a augmenté trois fois plus vite (+ 76 % entre 1968 et 2013, selon l’Insee) que la croissance de la population (+ 28 %).

Le point de vue écolo : Quand le logement va, tout va, disait-on autrefois. En réalité c’est une vraie catastrophe, il y a artificialisation accélérée des sols. Le mitage résidentiel est déraisonnable, les logements occupés par une seule personne après divorces ou retraites sont une absurdité, chaque enfant du foyer avec sa propre chambre est une aberration,,. La part des résidences secondaires dans le parc des logements est passée de 6,8 % en 1968 à près 10 %, soit trois millions de logement inoccupés une partie du temps. Nous pouvons vivre autrement, le bâtiment a déjà construit beaucoup trop de logements, il faut dorénavant apprendre à les partager.

Les faits : Chaque Français dispose aujourd’hui en moyenne de 40 m2, contre 23 m2 en 1970. Le nombre de personnes au sein de chaque ménage a diminué.

Le point de vue écolo : Avec mes parents, on habitait dans 35 m², les WC étaient sur le palier – donc- partagés avec les voisins. Mon père avait bricolé un bac à douche dans la cuisine. On n’avait évidemment pas de voiture. Ma mère avait une lessiveuse. La voisine avait le téléphone, on allait parfois chez elle. Dingue, je n’étais même pas malheureuse.

Les faits : En 1968, un logement sur dix était encore dépourvu d’eau courante et plus de la moitié n’avaient pas de salle de bain – des situations qui ont quasi disparu.

Le point de vue écolo : Aujourd’hui, c’est la planète entière qui désire l’eau courante avec chasse d’eau incorporée dans chaque WC. Toute les eaux des nappes phréatiques ne suffiront pas à emplir les chasses d’eau des habitants des pays émergents. Et dire que chez nous il faut maintenant supplier les gens pour qu’ils prennent des douches et non des bains !

Les faits : En cinquante ans, la quasi-totalité des Français se sont dotés d’un réfrigérateur, d’un lave-linge, d’une télévision et d’une voiture.

Le point de vue écolo : Grâce aux biens durables, au moteur à combustion et au libre-échange généralisé, nous avons pu connaître les Trente Glorieuses. Mais ces innovations sont gourmandes en énergie, et c’est le blocage énergétique qui va prochainement faire basculer notre société, de gré ou de force. Vers 2025, nous connaîtrons un pic énergétique général toutes ressources confondues : il faudra repenser entièrement notre équipement en biens durables, par exemple en lavant son linge ou en regardant la télé dans un lieu collectif, comme autrefois !

Les faits : L’alimentation, principale charge des ménages en 1968, est passée de 21 % du budget à seulement 13 % en 2014, en raison de l’industrialisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Le point de vue écolo : Au fur et à mesure que le revenu augmente, la part des dépenses alimentaires diminue (loi d’Engel). Historiquement, c’est plutôt l’augmentation du pouvoir d’achat qui permet de consacrer son budget à des dépenses secondaires plutôt que les errements de l’agro-industrie. De plus l’agriculture, le fondement même de notre survie, est paradoxalement subventionnée par l’Union européenne (la PAZ) ; on ne paye pas le vrai prix de notre alimentation. Enfin la pression à la base des prix concédés aux agriculteurs par les grands distributeurs met une partie du monde paysan au bord de la faillite. Dans l’avenir, la crise économique inversera la loi d’Engel et nous reviendrons à une situation plus normale, moins de gadgets et plus d’argent consacré à notre alimentation.

Les faits : Depuis les années 2000, de nouveaux équipements technologiques sont apparus et se sont généralisés : téléphone mobile, ordinateur… Les dépenses de télécommunications, quasi inexistantes en 1968, représentent aujourd’hui plus de 4 % de leur budget.

Le point de vue écolo : les articles se multiplient dénonçant les méfaits de la surexposition des enfants aux écrans. On nous annonce la fin de l’enseignement présentiel, les professeurs  directement face à leur élèves. Plus généralement, les rapports de proximité, même entre parents et enfants, sont occultés par l’intermédiation des télécommunications. Intoxiqués par la société numérisée, nous donnons de l’argent à ce qui nous rend toujours plus esclave.

Les faits : En 1968, le baccalauréat était encore un diplôme rare et précieux : cette année-là, seuls 19 % des jeunes Français l’ont obtenu – et encore, ce chiffre est plus élevé que les années précédentes, car l’examen ne s’est déroulé qu’à l’oral, en raison des grèves de mai 68. Désormais, toutes filières confondues, près de 80 % d’une classe d’âge décrochent le bac.

Le point de vue écolo : La multiplication des bacheliers implique la dévalorisation de ce diplôme. Sans le bac tu n’es rien, avec le bac tu ne vaux pas mieux. Une petite anecdote relatée par Ivan Illich : « Il y a vingt ans, quand j’écrivais les essais réunis dans Une société sans école, j’ai appris avec stupéfaction que la direction sanitaire de la ville de New York excluait les boueux qui n’avaient pas leur baccalauréat ! »

Les faits : Le nombre d’étudiants a quadruplé en dix ans, passant de 227 000 en 1958 à 695 000 à la rentrée 1968, ils étaient plus de 2,5 millions à la rentrée 2017-2018.

Le point de vue écolo : Si le fait de devenir étudiant en masse voulait dire augmentation de l’intelligence collective, ça se saurait. A l’encontre d’une politique d’allongement constant des études, il faudrait opposer l’apprentissage court du savoir être et du savoir faire. Ce n’est pas parce que notre société se vante d’une « abondance » dans tous les domaines qu’il s’agit d’une progression dans le bon sens de l’histoire.

* LE MONDE du 22 mai 2018, 1968-2018 : logement, consommation, études… comment la France a changé en cinquante ans

3 réflexions sur “1968-2018, plus de consommations, moins de durabilité”

  1. Quand je pense qu’on faisait alors la mayonnaise au fouet (et encore, le fouet était un luxe, chez moi c’était à la fourchette), et qu’aujourd’hui ils ont tous un fouet électrique, tout ça pour acheter de la « mayo » en pot! Beurk…

  2. Je partage ce point de vue d’écolo. Le moins qu’on puisse dire c’est que depuis 50 ans (1968) le cap n’a pas changé. C’est encore le Toujours Plus ! Il serait peut-être intéressant de voir à quel moment de notre histoire ce cap a été défini, et pour quelles raisons. Partant de là nous pourrions peut-être comprendre pourquoi ce vent de révolte qui a marqué les années 68 n’a finalement rien changé du tout. Et au passage, comprendre pourquoi certains révolutionnaires de 68 se retrouvent 50 ans plus tard en position de défenseurs du Système.

    1. A quel moment de notre histoire le « toujours plus » a-t-il été défini ? Bonne question de Michel C.
      C’est la grande crise de 1929 qui a changé la manière de voir des politiques économiques. Le marché s’est retrouvé incapable de relancer la machine à faire du fric. Keynes en 1936 a donc prôné l’intervention de l’État par une politique monétaire et budgétaire extensive, planche à billets et déficit de l’État. Ce qui a été fait au sortir de la dernière guerre mondiale, on a commencé à vivre à crédit. Au même moment, pour faire face aux crises de surproduction, la publicité a été inventée et a manipulé les besoins du consommateur à la hausse. Enfin la sécurité sociale en France a amplifié la hausse du pouvoir d’achat, donc des consommations. Nous ne sommes pas sortis de cette période de laxisme financier parce qu’il est plus facile de vivre dans l’abondance à court terme que d’envisager de se serrer la ceinture pour préserver les générations futures…

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