2027, ministère des Techniques appropriées

Extraits du livre de Michel SOURROUILLE, « L’écologie à l’épreuve du pouvoir ».

Voici nos deux propositions pour des techniques douces aux humains et à la nature :

  • changer les objectifs de la recherche scientifique ;
  • généraliser un savoir technique au sein de la population.

Ministre des Techniques douces et appropriées

Dès la campagne de René Dumont pour la présidentielle en 1974, le ton était donné. La technoscience nous amène à une impasse.

« On nous dit que la technologie permettra de résoudre tous les problèmes. C’est faux dans l’état actuel des choses car la technologie et la recherche sont tournées, presque entièrement, vers l’expansion de leurs applications. L’écart ne fait que se creuser entre les techniques de lutte contre les nuisances et la technologie génératrice de nuisances. La technique sécrète des produits de plus en plus dangereux pour l’avenir, comme le plutonium. Les produits dangereux n’apparaissent comme tels qu’après plusieurs années d’utilisation : mercure, DDT, PCB… quand le mal est fait. Nos machines, esclaves invisibles, polluent et sont consommatrices d’énergie, de matières première et d’espace : l’automobile, la machine à laver la vaisselle, etc. Les chèques en blanc tirés sur les générations futures sont de plus en plus élevés. »1

Aujourd’hui la situation est comparable, mais en pire. Le corps de chacun d’entre nous devient une véritable pharmacopée chimique. Certes la science et la technique ont permis des progrès « miraculeux », mais ce sont bien ces progrès qui conduisent à la destruction accélérée des ressources naturelles. Les bateaux de pêche moderne sont par exemple de véritables machines de guerre. Les filets peuvent mesurer 50 kilomètres de long, un chalut de pêche à la crevette ratisse une zone d’environ 25 à 35 mètres de large. Les technologies militaires ont été systématiquement appliquées à la pêche : radars, sonars, systèmes électroniques de navigation, localisation par satellites. Nous sommes « technologiquement surpuissants, mais culturellement impotents », constate Nicolas Hulot.

1. Changer les objectifs de la recherche scientifique

Les applications industrielles de la recherche technoscientifique ont permis un développement considérable des forces productives, entraînant désastres écologiques et décomposition sociale. La conception d’une science neutre, motivée par la saine curiosité intellectuelle et la passion de la découverte, a dorénavant cédé le pas à la recherche appliquée qui alimente l’industrie. Les scientifiques deviennent trop souvent des fondamentalistes de la croissance : l’énorme préférence pour le développement technologique plutôt que pour l’utilisation raisonnable du savoir est un problème majeur. On connaît déjà la solution à l’obésité, au diabète et aux maladies cardiovasculaires : un meilleur régime alimentaire et davantage d’exercices physiques. Mais au lieu de modifier les structures sociétales, on investit massivement dans la recherche moléculaire et pharmacologique pour trouver des solutions technologiques. N’est-il pas temps de maîtriser la recherche scientifique ?

« La technologie, liée aux secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes, de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en en créant un autre »2.

La différenciation entre techniques appropriées et technologie trop complexe mérite d’être politiquement diffusée. Il n’y a pas les technophiles d’un côté et les technophobes de l’autre. Il y a différentes techniques entre lesquelles nous devons faire des choix. Ce dualisme de la technique a été abordé par certains auteurs. Les appellations diffèrent, mais il y a la même idée directrice, « techniques conviviales » contre « technologie non durable ». Lewis Mumford distingue technique démocratique et technique autoritaire (1962). Ivan Illich parle d’outil convivial ou non. Teddy Goldsmith, qui s’appuie sur Wolfgang Sax, utilise d’autres termes, techniques « enchâssées » contre techniques « branchées ». Ted Kaczynski parle de technologie cloisonnée et de technologie systémique. En termes plus simples, on peut parler de techniques douces et de techniques dures. Depuis Marx, il est habituel de faire des luddites3 les premiers technophobes. Tout au contraire, le luddite campe sur une position résolument technophile puisqu’il revendique la destruction des machines au nom de son propre savoir-faire, c’est-à-dire au nom de la technique dont il est le dépositaire. Nous pourrions favoriser politiquement des techniques durables qui nous permettraient de résister localement aux crises socio-économiques comme aux chocs écologiques.

« La technologie est l’exact inverse de la technique. Là où la technique présuppose une expérience humaine riche de sens, des rapports communautaires de taille restreinte fondés sur un mode de vie ménageant des espaces de solidarité ainsi qu’une orientation du travail selon les besoins et les nécessités du moment, la technologie implique le triple désœuvrement auquel les luddites se sont opposés ; chômage rendu inéluctable en raison du remplacement du travail vivant par le travail mort (capital technique), perte de sens généralisé produite par un travail mécanique indépendant de toute finalité autre que financière ou politique, et finalement disparition des modes de vie impliquant proximité et communauté pour les remplacer par des organisations sociales fondées sur une stricte division hiérarchisée des tâches et des fonctions… »4

En raison de son extrême gravité, la crise écologique s’impose aujourd’hui à la science et devrait déterminer ses priorités. La recherche sur les innovations technologiques devrait être mieux orientée pour permettre d’économiser l’énergie, pour favoriser l’émergence de sources d’énergie sans CO2, pour réduire la production de déchets, pour mettre au point des produits réutilisables, pour restaurer les écosystèmes dégradés, etc. L’effort nécessaire concerne toutes les disciplines scientifiques, aussi bien l’innovation que la recherche fondamentale. Une rupture est donc nécessaire dans le mode de distribution du soutien à la recherche, que ce soit à travers l’Agence nationale de la recherche ou dans la répartition des moyens au sein des établissement publics. Un programme national doit être mis en place aussi bien pour la recherche sur la biodiversité et le biomimétisme que sur toutes les autres questions d’écologie scientifique. L’enjeu étant planétaire, cet effort doit évidemment s’intégrer dans un cadre international. Le politique ne peut plus se contenter d’attendre passivement les propositions. Il faudra changer les critères d’évaluation : minimiser l’utilisation des ressources naturelles devrait être un critère primordial et l’innovation ne devrait plus être qu’un critère secondaire.

Le progrès technique n’a aucun sens intrinsèque ; il n’a de sens que par rapport à la société qui le réalise. Nos pans de béton indestructibles, nos satellites espions et nos voitures de course paraîtront certainement sans le moindre intérêt pratique pour les générations futures qui vivront autrement que nous.

2. Généraliser un savoir technique au sein de la population

L’État doit réorienter les sciences et les techniques vers la création d’outils adaptés à l’action autonome des gens. Chacun d’entre nous pourrait rechercher toutes les occasions pour rééquiper peu à peu son environnement en outils simples grâce auxquels il pourrait faire de plus en plus de choses par lui-même et réduire d’autant son temps de travail professionnel et son revenu. Le revenu monétaire se mettrait à baisser, mais non pas le niveau ni la qualité de la vie. Pour un nombre croissant de produits courants, 80 % du prix payé par le consommateur final sert en réalité à rémunérer les fabricants d’emballages et de palettes, les transporteurs, les magasins de gros, les détaillants, les assureurs, bref tous les intermédiaires. Il faut se dégager par étape de la dichotomie producteur/consommateur.

« Cela suppose de réorienter les sciences et les techniques vers la création d’outils adaptés à l’action autonome des gens. C’est l’exemple de la machine à coudre, à opposer à l’usine de confection. Même notre petite énergie corporelle pourrait suffire si l’on modernisait le bon vieux pédalier à volant. À la place de l’usine de charcuterie, c’est le cochon qu’on tue et sale avec l’aide des voisins selon des règles de réciprocité, ce qui signifie bien plus qu’une simple collaboration technique. Ne peut-on imaginer des formules d’achat direct chez le paysan, à plusieurs, d’un porc ou d’un mouton ? Des associations de quartier, des municipalités peuvent prendre l’initiative de mettre à la disposition des habitants des instruments et des machines dans des ateliers ouverts à tous. Chacun n’a besoin de ces ateliers que de temps en temps. Il en faut de plusieurs sortes, menuiserie, travail des métaux, réparation d’objets… Au fur et à mesure que l’on étend le domaine vernaculaire, l’outillage devient de plus en plus compatible avec les sources d’énergie proches et renouvelables. Il y a des domaines où la technicité du travail exige évidemment une spécialisation professionnelle. Mais chaque îlot d’autonomie voit s’élever peu à peu le niveau de sa culture pratique, celle que tous les participants partagent pour assumer leur subsistance et qui leur permettra plus tard de faire d’autres technologies, plus complexes. Le but est de contester le préjugé qui nous pousse à croire que tous les biens ne peuvent pas être produits autrement que sur le mode industriel« 5.

Ce que je fais chez moi, avec les miens, pour vivre à ma manière, tu peux aussi le faire chez toi, avec les tiens, pour vivre à ta manière. Il nous est possible ici et maintenant de retrouver, à travers l’autonomie personnelles des activités vernaculaires reconquises, le visage des autres, la saveur des gestes dans des relations face à face, le goût de la présence mutuelle à travers tous les actes de la vie, à commencer par ceux qui sont liés aux nécessités même de l’existence. L’action de l’État n’est efficace que si elle est relayée par la population.

1. René Dumont, À vous de choisir : l’écologie ou la mort – La campagne de René Dumont, op. cit.

2. Pape François, Loué sois-Tu [Laudato si’] : sur la sauvegarde de la maison commune, lettre encyclique du souverain pontife, Paris, Éditions Salvator, 2015.

3. À l’origine, le terme « luddites » renvoie aux membres d’une des bandes d’ouvriers du textile anglais, menés par Ned Ludd, qui, de 1811 à 1813 et en 1816, s’organisèrent pour détruire les machines, accusées de provoquer le chômage.

4. Cédric Biagini, Guillaume Carnino, Les luddites en France : résistance à l’industrialisation et à l’information, Paris, Éditions L’Échappée, 2010.

5. Ingmar Granstedt, Du chômage à l’autonomie conviviale [1982 pour la 1re édition], La Bauche, Éditions À plus d’un titre, 2012.

9 réflexions sur “2027, ministère des Techniques appropriées”

  1. Esprit critique

    – « Changer les objectifs de la recherche scientifique » (Programme Sourrouille)

    Avant de s’attaquer à ce chantier, faisons déjà un état des lieux. Ces derniers temps ont mis en évidence un phénomène particulièrement inquiétant, à savoir la défiance envers la Science et la communauté scientifique. Ce problème s’inscrit évidemment dans ce problème encore plus grave, la Grande Confusion. Pour y voir un peu plus clair, je vous propose donc de commencer par lire ces deux articles de PLAST MAGAZINE ( plastgrandouest.net ) :

    1 : « Quels sont les principaux objectifs de la recherche ?
    => L’objectif principal de la recherche est d’explorer l’inconnu et d’ouvrir de nouvelles possibilités. […] Il existe deux types d’objectifs de recherche; objectifs généraux et objectifs spécifiques [etc.] »
    2 : « Quels sont les quatre principaux objectifs de la recherche scientifique ?
    => description, prédiction, explication et contrôle »

    1. Disons que ça c’est la théorie. A priori, les objectifs de la recherche scientifique sont aussi clairs que louables. Pourquoi alors vouloir les changer ?
      Essayons maintenant de voir comment tout ça se traduit dans les faits, la pratique
      Et/ou la politique.

    2. Cet article (universalis.fr) nous donne une toute autre idée de la Chose :

      – « Les objectifs des politiques de la recherche
      Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la quasi-totalité des pays développés ont été conduits à mettre en œuvre des politiques de la recherche avec trois objectifs : développer les activités scientifiques et technologiques ; mobiliser le potentiel public et privé à des fins économiques et sociales mais aussi militaires ; et répartir les ressources en fonction de priorités.
      […] L’application des connaissances scientifiques et des techniques aux processus de production est devenue une arme dans la compétition économique et la mondialisation, ou plus largement la « globalisation » des économies fait de la recherche un élément clé de la stratégie de développement des entreprises.»

    3. Comme c’est souvent le cas, on voit là encore qu’il y a un certain décalage entre la théorie et la pratique. Entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, entre l’emballage ou l’étiquette et le produit etc.
      D’un côté la Connaissance, dans le but d’être moins cons… Et de l’autre le Pognon, dans le but d’en engranger toujours plus. Et d’être de plus en plus cons et en même temps ! Moralité : Business as usual !

  2. Généraliser un savoir technique au sein de la population serait bien sûr une bonne chose.
    Oui mais, que feraient les plombiers, si tout le monde savait changer un joint de robinet ? Et encore mieux, un robinet ! Que feraient les marchands de fringues si les gens reprenaient eux-mêmes le petit accroc, ou la couture qui fout le camp ? Et pire, s’ils tricotaient eux-mêmes leurs chaussettes ! Que feraient les fabricants et les marchands de gadgets si les gens étaient capables de se débrouiller avec la B… et le Couteau ?
    Autrement dit et poliment, que deviendrait le Système si on apprenait aux gens à faire au plus simple, avec deux fois rien ?

    1. Business as usual !

      Ce qui compte aujourd’hui ce n’est pas de savoir se servir d’une aiguille, d’un marteau, d’une chignole etc. Ce qui compte c’est de savoir se servir d’un ordinateur et d’un smartphone. Le reste c’est juste bon pour les neuneus, et les gueux.
      Avec un ordi on peut TOUT FAIRE ! Ouvrir et fermer les volets de la maison, régler la température de la douche, les courses, les comptes, TOUT !
      Et surtout n’importe quoi ! Vous avez un problème, technique ou autre, en deux clics vous trouvez le spécialiste ou le champion qui va vous le résoudre. Alors pourquoi s’emmerder ? De toutes façons aujourd’hui tout est tellement devenu compliqué qu’on ne peut presque plus rien faire soi même. Même changer une ampoule sur une bagnole. Quant à réparer la bagnole, ou la machine à laver, faire son pâté ou son boudin, tuer soi même son cochon, mieux vaut ne pas y penser.

  3. Reprenant avec son autorisation les écrits de Michel SOURROUILLE, notre blog biosphere présente pendant quelques jours des textes préparatoires à la présidentielle 2027. En effet les résultats de l’épisode 2022 montrent que cinquante ans après la publication du rapport Meadows sur les limites à la croissance, en 1972, l’écologie politique stagne électoralement. La simple idée qu’il puisse exister des limites écologiques à la croissance économique est restée minoritaire dans l’opinion publique, et carrément hérétique parmi les décideurs. L’idée de décroissance y est au mieux ignorée, au pire utilisée comme une invective facile pour disqualifier l’ensemble des écologistes.
    Or le dernier rapport du GIEC est plus alarmant que jamais, une guerre en Ukraine fait craindre pour la sûreté des centrales nucléaires, la hausse des prix de l’énergie préfigure un choc pétrolier et gazier…

  4. Le Pire c'est le graphite !

    – « La technique sécrète des produits de plus en plus dangereux pour l’avenir, comme le plutonium. Les produits dangereux n’apparaissent comme tels qu’après plusieurs années d’utilisation [etc.] »

    Eh oui, beurk le plutonium ! Et toutes ces saloperies qui font tourner nos magnifiques centrales nucléaires. Belles, sûres, propres, vertes, écologiques et tout et tout ! C’est fou comme on peut produire de si belles choses avec de la merde.
    Mais aussi bizarre que ça puisse paraître, la Pire des pires c’est sans conteste le graphite.
    BEURK le graphite ! Qui eut cru que l’un des minéraux les plus doux au monde puisse être aussi pourri, qui l’eut deviné, hein ? Pas moi en tous cas.
    Mais heureusement en France nous pouvons dormir tranquille. C’est d’ailleurs ce que je fais, depuis qu’On m’a dit que «chez nous» nous étions à l’abri.

    1. LE PIRE C'EST LA GRAPHITOSE !

      À l’abri de cette terrible maladie qui vous détruit tout jusqu’au dernier neurone.
      BEURK la graphitose ! Heureusement que nos jolis coeurs bien verts ne carburent pas avec cette saloperie de graphite ! Et que partant de là rien de fâcheux ne peut nous arriver…
      Et qu’on ne vienne surtout pas me dire le contraire ! 🙂 🙂 🙂

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