Faut-il décroître pour sauver le climat ?

Les journées d’été d’EELV (Europe Ecologie Les Verts), c’est en fait une université temporaire qui a rassemblé et formé cette année près de 2000 participants du 20 au 22 août à Lille. Du matin au soir se succèdent les plénières et s’enchevêtrent forums, ateliers, réunion de commissions thématiques, etc. Tout citoyen voulant progresser dans sa conception de l’écologie pouvait venir, ces journées sont ouvertes à tous.

Dans ce BIOSPHERE-INFO, nous vous présentons une intervention lors d’un atelier qui fait le point sur ce qui devrait résulter d’une conférence internationale sur le climat. Michel Sourrouille s’exprimait au nom de l’association Démographie Responsable. Cet atelier a été organisé en collaboration entre deux groupes de travail EELV, « imaginez une économie écologiste » et « démographie ».

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Faut-il décroître pour sauver le climat ?

BIOSPHERE-INFO n°355 (1er au 15 septembre 2015)

Je m’exprime au nom de l’association « Démographie responsable ». Elle a été fondée en 2008 et reste la seule en France sur la question malthusienne. Il s’agit de militer pour que la question démographique ait toute sa place au sein des débats liés à la protection de l’environnement. DR a d’ailleurs préparé deux conférences à Paris en vue de la COP21 le 19 et 21 novembre 2015. Je vais m’appuyer sur deux équations qui montrent qu’il y a interdépendance absolue entre croissance démographique et croissance économique dans le réchauffement climatique.

On peut d’abord exprimer les interrelations sous la forme de l’équation I = PAT. Quand une automobile A brûle des combustibles fossiles, il y a émission de gaz à effet de serre I (impact écologique). Or elle ne roule pas sans un automobiliste P au volant. On ne peut donc pas  dire qu’il y a trop d’automobiles, peu importe le nombre d’automobilistes. La population des pays émergents rêve de rouler en voiture et un Iranien, dans la perspective de la libéralisation du commerce, exprimait récemment à la radio française son souhait d’acheter une automobile allemande. Il faut aussi considérer le niveau technique T, c’est-à-dire la puissance du moteur, sa consommation, son mode de fonctionnement électrique, hybride, etc. Si on bride les moteurs mais qu’il y a augmentation du nombre d’automobilistes, il n’y a pas d’avantage conséquent. L’inventeur de la formule IPAT, Paul Ehrlich, avait publié en 1968 The Population Bomb (la bombe P). Il plaçait l’expansion de la population comme la menace écologique prioritaire : « Trop de voitures, trop d’usines, trop de pesticides. Pas assez d’eau, trop de dioxyde de carbone, tout peut être attribué à une cause unique : trop de personnes sur Terre. » L’expression est un peu trop radicale, il y a forcément responsabilité conjointe dans le réchauffement climatique de P, A et T et il faut agir sur ces trois variables en même temps.

Une autre manière d’exprimer la multiplicité des causes du réchauffement climatique se retrouve dans l’équation de KAYA.
CO2 = (CO2 : TEP) x (TEP : PIB) x (PIB : POP) x POP => CO2
(CO2 : TEP) : contenu carbone d’une unité d’énergie (qui peut s’exprimer en TEP, tonnes d’équivalent pétrole)
Cela correspond à un choix de ressources naturelles, charbon ou gaz, électricité, énergie renouvelable ou non, nucléaire…
(TEP : PIB) : quantité d’énergie requise à la création d’une unité monétaire (qui peut correspondre au PIB)
C’est l’intensité énergétique de l’économie ou inverse de l’efficacité énergétique (qui serait PIB : TEP)
(PIB : POP) : production par personne ou niveau de vie moyen
POP : nombre d’habitants.

Notons la ressemblance avec l’équation I = PAT. L’impact écologique I se mesure ici en terme d’équivalent CO2. La population P est toujours présente. Le rapport PIB/POP est en fait le niveau de vie moyen, c’est-à-dire le facteur A comme abondance ou niveau de consommation. La technologie employée T se retrouve dans le rapport TEP/PIB. Reste le rapport CO2/TEP, non pris en compte par IPAT, mais qui va à l’essentiel. Sans ressources naturelles, en l’occurrence ici les énergies fossiles, l’humanité ne pourrait pas assurer son mode de vie actuel : on prend à la nature et on retourne cela sous forme de pollution ! Interprétons maintenant l’équation de KAYA.

Au niveau mondial il faudrait diviser par 3 d’ici 2050 les émissions de gaz à effet de serre (CO2) si on ne veut pas dépasse le seuil de 2°C de réchauffement. En fait ce seuil n’est qu’un élément de langage politique. Les dernières indications scientifiques montrent qu’il ne faudrait pas dépasser le seuil de 1,5°C, soit une division par 4 (c’est-à-dire – 75%). Mais quand on divise par 3 ou 4 les émissions de CO2, cela implique qu’il faut diviser par 3 ou 4 tous les autres membres de l’équation. Quand Bush avait annoncé qu’il allait diminuer l’intensité énergétique de l’économie américaine de 18 % en 10 ans, il est facile de voir que cela ne porte que sur l’un des termes de cette égalité (TEP/PIB). Et le reste ? Si la production économique par personne (PIB/POP) augmente de 25 % dans le même temps (ce qui représente une croissance de 2,5 % par an, soit un objectif conservateur pour n’importe quel gouvernement), le résultat sera une hausse des émissions de CO2, pas une diminution ! D’autant plus que l’évolution démographique sera de son côté positive.

On ne peut agir dans le court terme sur l’évolution démographique étant donné son inertie. La tendance moyenne d’augmentation démographique est de 30 % d’ici 2050, pour arriver à un peu plus de 9 milliards d’habitants. Il faudrait donc diviser les autres indicateurs par 4 et non par 3 en moyenne, ce qui veut dire par beaucoup plus que 4 pour les pays les plus émetteurs. Si on ajoute l’hypothèse d’une croissance annuelle du PIB mondial de 2 % moyenne (2,3 % est atteint en 2012 et 2013) sur 40 ans, soit une multiplication de 2,2 et une population multipliée par 1,33, il faudrait alors diviser les autres indicateurs par 9. Or le « contenu en gaz carbonique de l’énergie » a juste diminué de 10 % sur les 40 dernières années. Ce qui implique que la diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES) est à trouver presque exclusivement dans le rapport CO2/TEP, ce qui est irréaliste. Etant donné ce qui précède, les négociations lors de la COP21 à Paris ne devrait pas porter essentiellement sur un chiffre mythique de division des GES, mais sur les moyens de programmer une décroissance économique et une décroissance malthusienne. La démographie est un multiplicateur des risques, cela est bien démontré depuis le rapport au club de Rome de 1972 sur les limites de la croissance.

S’il n’y a pas diminution drastique de nos GES, la violence des changements climatiques aura des effets délétères sur les moyens de nourrir l’humanité et sur la stabilité socioéconomique. Cela entraînera des récessions économiques et une limitation démographique par des moyens non contrôlés (épidémies, guerres et famine). L’organisatrice EELV de ces journées d’été a demandé à notre atelier de permettre l’expression des différents points de vue sur la problématique posée. Mais à cette question « Faut-il décroître pour sauver le climat ? », il n’y a qu’une réponse possible, c’est OUI. Notons qu’une division par 4 des émission de GES équivaut à diviser par deux notre consommation d’énergie. Il serait donc politiquement absurde d’ignorer la pensée malthusienne de maîtrise de la fécondité et le concept de décroissance économique. Le problème, c’est comment arriver, dans une société qui reste profondément croissanciste, de porter ce message. Ce n’est plus la responsabilité d’une association comme Démographie Responsable), c’est une responsabilité politique, et pas seulement celle d’EELV. Maintenant il faudrait décider pour agir, ne pas se contenter de « YAKA » (y’a qu’à) financer l’adaptation, (y’a qu’à) organiser une autre conférence, (y’a qu’à) attendre que les autres agissent … La conférence au sommet de Copenhague en 2009 a été un échec, mais faute de considérer les équations IPAT et KAYA, celle de la COP21 à Paris a de fortes chances d’arriver au même résultat.

Pour prolonger cet exposé
www.demographie-responsable.org pour s’inscrire à l’association ou en savoir plus
michelsourrouille@gmail.com pour s’inscrire au groupe de travail EELV « démographie »
www.biosphere.ouvaton.org réseau de documentation des écologistes
livre : Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie) aux éditions Sang de la Terre

2 réflexions sur “Faut-il décroître pour sauver le climat ?”

  1. Le pire c’est que nous allons décroître par force et que pour autant, nous n’aurons pas sauvé le climat (ni rien d’autres des équilibres de la biosphère d’ailleurs).

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