JP Bouillon, 93 ans : « Né en 1926, mon expérience n’est pas livresque mais profondément vécue. J’appartiens à une autre civilisation : supériorité des hommes sur les femmes « inaptes à penser », voitures à cheval à la place des taxis, seuls les riches possédaient une auto. Puis écrasement en 8 jours de notre armée, imaginée la plus forte du monde. A partir du 10 mai 1940, un quart des Français sont sur les routes, j’ai faim pendant plus de 4 ans, je découvre l’horreur de la Shoah à la Libération. J’achète aujourdhui des produits écolos. Ça m’amuse parce que tous les épiciers ne vendaient que ça jusqu’à la guerre alors qu’on doit aujourd’hui s’adresser à des marchands spécialisés. Quelle régression au nom du progrès ! Nous sommes de pauvres animaux perdus dans le vide. Notre étoile est à 8 mn-lumière et la suivante à 4,2 années-lumière. Les cosmonautes voient ce minuscule bateau bleu et blanc solitaire dans le noir. Et nous allons le faire couler ! Aucun animal n’a jamais été aussi suicidaire. A 93 ans je me désespère pour mes petits enfants. Bientôt je serai bien tranquille, au cimetière, mais mes petits connaîtront pire que ce que j’ai vécu. L’aveuglement à l’égard de l’écologie m’inquiète pour mes descendants mais ne m’étonne pas. En 1939 presque personne ne voyait en Hitler ou en Staline des fous criminels. La conséquence doit avoisiner la centaine de millions de morts. Je compare avec la prudence animale des relations proies et prédateurs et je conclus que ma propre espèce est trop inadaptée au réel pour oser espérer survivre encore longtemps. Mais j’espère me tromper. Bravo aux jeunes qui se révoltent contre notre incurie destructrice, comme en 1917 les « poilus » français refusant l’abattoir organisé par les vieux généraux à l’abri dans leurs châteaux à l’arrière du front. »
Garance, 14 ans, activiste du climat : « Née en 2005, j ‘ai créé un cercle de réflexion dans mon collège, manifesté pour le climat, j’ai eu les honneurs de la presse locale, j’ai été reçue par un adjoint municipal, on nous a dit de ne pas nous inquiéter ! Le déclencheur de ma prise de conscience, c’est la grève pour le climat de Greta Thunberg, plus de 3 millions de followers. Je faisais le tri des déchets, je ne pensais pas que la situation était si grave. Alors j’ai eu plein de contacts sur instagram. En particulier avec l’alarme verte, « la larme verte », celle qu’on se met au coin de l’œil pour exprimer notre chagrin devant l’état de la planète. Et il y a plein de raisons de pleurer. Nous sommes 57 700 abonnés, ce n’est pas beaucoup, mais il y a bien d’autres mouvements en marche, on ramasse les mégots car la clop c’est pas clean, Youth for the climate c’est à la fois français et internationalisé, on attaque même l’État en justice à cause de son inertie. Et dans mon collège, on va faire plein de trucs, le compostage, le changement de régime alimentaire…
Mais c’est pas encore gagné, certains camarades de classe me traitent avec ironie, « ta crème solaire bio, ça ne sauvegardera pas les tortues ». Je suis soutenu par ma famille du côté de ma mère. Mais ma belle-mère, plutôt climato-sceptique, traite avec dédain mon « écoresponsabilité », comme elle dit. Elle ne croit pas que l’activité humaine est responsable du réchauffement climatique. « C’est pas des lubies d’adolescente qui vont contrôler ma vie, je préfère la viande à tous les repas ». Je ne suis donc pour elle qu’une « bobo-capricieuse », mon engagement ne serait que passager, c’est à la mode ! Moi, pour me défendre, je cultive cette phrase : « On va tous finir comme des merguez sur un barbe-cul parce qu’en 2019 on pense toujours que l’écologie c’est une affaire de bobo-capricieuse ». Malgré l’inertie politique et les résistances de tous ordres, je reste optimiste, nous sommes de plus en plus de nombreux à être inquiet et à vouloir changer les choses. Ma jeune sœur Edwige pense déjà que l’écologie c’est important, il faut sauver la plante, abandonner le luxe… »
D’un côté la force de l’âge, l’expérience, la lucidité, disons même la sagesse … d’un JP Bouillon (93 ans) ou d’un Alain Rey (91 ans).
De l’autre la prise de conscience, l’optimisme, voire le pessimisme, et l’engagement (avec ou sans guillemets ?) d’une certaine jeunesse.