Les valeurs écologistes vont dessiner de nouvelles normes sociales en passe de se substituer à celles de la civilisation thermo-industrielle. Ce que je propose à titre de sociologue, c’est de voir comment le discours éco-environnementaliste est en train de se constituer comme fait social total, c’est-à-dire comment il est en mesure de mobiliser à la fois les individus et les institutions afin de réguler les comportements. Le discours écologiste a toutes les caractéristiques d’un discours mythique au sens où l’entend Claude Lévi-Strauss, c’est-à-dire qu’il permet à toute société humaine de construire du sens à propos de l’univers dans lequel elle évolue. Le mythe fabrique du lien social et des objectifs. L’anthropologue souligne que « la substance du mythe ne se trouve ni dans le style, ni dans le mode de narration, ni dans la syntaxe, mais dans l’histoire qui y est racontée ». Le mythe codifie les interdits moraux et sociaux, mobilise dans un but donné par l’effet de croyances partagées par l’individu et le collectif. Rare sont les mythes qui sont en mesure comme l’Écologisme de mobiliser en l’espace de deux générations seulement autant de gens et de politiques. La promesse faite par l’écologisme est celle d’un avenir radieux pour la planète, où l’empreinte de l’être humain sur la planète serait limitée au maximum, où la décroissance économique et démographique serait à l’ordre du jour, où le climat serait revenu à ce qu’il était avant la révolution industrielle, où la pollution serait quasi-inexistente, où l’autosuffisance alimentaire deviendrait chose courante, où la consommation de viande ne serait le fait que de quelques irréductibles, où toute production industrielle serait soumise au principe de précaution… L’Écologisme se veut essentiellement une déconstruction de la révolution industrielle, une remise en question de toutes les valeurs capitalistes. Elle remplace par une nouvelle perception des réalités biophysiques l’idée que la croissance économique est source de progrès et que la technologie reste la seule solution pour résoudre les problèmes qu’elle a créé.
La construction de ce mythe se dessine sur un fond d’incertitudes multiples et inquiétantes, c’est ce qui fait sa force. Greta Thunberg ne dit-elle pas : : « Je ne veux pas que vous soyez plein d’espoir. Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours. Et ensuite, je veux que vous agissiez. » Quand bien même l’American psychological association (APA) n’a pas intégrée cette peur à sa bible des maladies mentales, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V), elle l’officialise peu à peu, évoquant l’éco-anxiété dans son rapport de mars 2017 consacré aux conséquences des changements climatiques sur la santé mentale. Sa définition : « peur chronique d’un environnement condamné ».
Nous prenons conscience avec l’Écologisme que l’être humain est fondamentalement un prédateur de la nature, une espèce envahissante, en quelque sorte un cancer à la surface de la planète. Et les penseurs de la nature sauvage ainsi que les néo-malthusiens peuvent en conclure à juste titre que moins il y aurait de gens sur la planète, plus nombreux seraient le milieux naturels protégés et plus les humains bénéficieraient d’une meilleure qualité de vie. D’autre part, si nous considérons les humains comme un chancre destructeur, il est de peu d’intérêt de prendre position contre le génocide au Darfour, la guerre en Irak ou la pauvreté, parce que ces préoccupations particulières relèvent du militantisme socio-culturel et non du combat environnemental.
Concluons avec Greta Thunberg : « Je me fiche de savoir si ce que je fais – ce que nous faisons – est ou non plein d’espoir. On doit le faire de toute façon. Même s’il n’y a plus d’espoir et que tout est sans espoir, nous devons faire ce que nous pouvons. »
NB : libre reconstitution de l’idée générale du livre de Pierre Fraser,
L’écologisme ou le succès d’une idéologie politique (éditions Liber, 2021)
La grosse différence entre le mythe écologique et les croyances anciennes, c’est qu’elle ne repose plus sur des présupposés strictement humains comme les croyances à une ou plusieurs divinités, ou l’assujettissement à des traditions institutionnelles du type royauté ou « nations ».
En effet la base qui a fondé l’écologie politique, c’est l’écologie scientifique, au départ les naturalistes puis toutes les autres branches de la science, climatologique (réchauffement), géologique (pic pétrolier), agronomique (durabilité des sols), etc. Notre appartenance au monde du vivant et notre dépendance absolue en tant que prédateur deviennent alors des références communes sur une planète dont nous avons outrepassé.
Il ne nous reste plus en tant qu’écologiste qu’à définir la meilleur façon d’obtenir une planète viable et vivable pour nos générations futures. Ce n’est pas le plus simple, mais c’est réalisable.
Le capitalisme ne pourra pas récupérer l’écologisme. Il repose sur le marché, la concurrence et surtout la croissance économique, trois domaines où écologisme prône l’inverse : les rapports de proximité, la coopération et la décroissance à la fois économique et démographique.
A l’heure actuelle, le capitalisme productiviste fait certes de la récupération, mais il s’agit de greenwashing, de l’écoblanchiment, donc une écologie superficielle qui dupe déjà de moins en moins de personnes. Un McDo qui utilise des produis bio reste un McDo, une voiture qui fonctionne à l’électrique reste un véhicule inadapté à un monde durable, etc….
– « A l’heure actuelle, le capitalisme productiviste fait certes de la récupération […] »
De mon côté je disais «l’Écologisme est en train de se faire récupérer […] par le Capitalisme». Jusque là nous sommes d’accord. A l’heure actuelle, ce processus de récupération est en train (ou en-cours), greenwashing, novlangue etc.
Par contre je ne dirais pas «Le capitalisme ne pourra pas récupérer l’écologisme.» Parce que ça c’est l’avenir qui le dira. On verra bien comment le Capitalisme va supporter ce nouvel ingrédient. Va t-il en sortir renforcé, plus dynamique etc. ou pas ? C’est pour ça que j’évoquais la digestion.
(suite) Pour se sauver le Capitalisme devrait logiquement vomir l’Écologisme. Or ce n’est pas le cas. A l’heure actuelle, on peut dire que le Capitalisme supporte parfaitement l’Écologisme, qu’il s’en accommode à la perfection.
Ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il l’accommode à sa sauce. Rien d’étonnant non plus puisqu’il existe plusieurs écologismes, incapables de fusionner pour ne faire qu’un.
Le Capitalisme semble donc destiné à gagner encore une fois ce nouveau combat des idées. Tout ce qui ne le tue pas le rend plus fort. Seulement tout a un début et une fin, le Capitalisme n’est pas éternel. Pour quelles raisons l’Écologisme le serait ?
L’Écologisme devient-il un mythe fédérateur ?
Avant d’être un mythe l’Écologisme est une idéologie (système d’idées). Une idéologie est un discours dont les croyances, les valeurs et les normes se fondent sur diverses constructions imaginaires. Parmi lesquelles des récits, des fables. On parle alors du mythe.
D’après le Dictionnaire de l’Académie française le sens premier du mot mythe (apparu au XIX siècle) est un récit fabuleux pouvant contenir une morale plus ou moins implicite. Par définition un mythe se veut fédérateur, rassembleur.
Tous ensemble, tous ensemble !? Sauf que l’Écologisme est une idéologie qui repose non pas sur un mythe, mais sur plusieurs. Ce qui peut être, explique qu’il n’y a pas un écologisme mais plusieurs. Peut-être autant qu’il existe d’écologistes.
(suite) Toutefois, dans le sens où il est désormais dans l’air du temps (comme le CO2 dans l’atmosphère), qu’il est devenu une sorte de mode, voire une religion (Prions ensemble avec Greta), qu’il se conjugue désormais à toutes les sauces (etc. etc.) on peut en effet dire que l’Écologisme est devenu un mythe.
Les valeurs écologistes vont-elles dessiner de nouvelles normes sociales qui vont se substituer à celles de la civilisation thermo-industrielle ?
Je ne le crois pas. Je crois plutôt que l’Écologisme est en train de se faire récupérer, avaler et même digérer par le Capitalisme. D’un point de vue légèrement différent on peut dire que l’Écologisme est en train de fusionner avec le Capitalisme. Et plus largement avec le Système, indissociable de cette civilisation thermo-industrielle.