Wiktor Stoczkowski. Dans Diogène 2012/2 (n° 238),
pages 106 à 126, extraits :
Lorsqu’en mars 2003 Claude Lévi-Strauss m’a reçu, il m’a demandé si je devinais quelle fut la plus grande catastrophe dont il avait été témoin durant sa vie. J’ai préféré attendre la réponse… Lévi-Strauss n’a suspendu sa voix qu’un court instant, pour reprendre aussitôt :
« À ma naissance, la population mondiale comptait un milliard et demi d’habitants. Quand je suis entré dans la vie active, vers 1930, ce nombre atteignait déjà deux milliards. Il est de six milliards aujourd’hui, et il atteindra neuf milliards dans quelques décennies, à croire les prévisions des démographes. Cette croissance a exercé d’énormes ravages sur le monde. Ce fut la plus grande catastrophe dont j’ai eu la malchance d’être témoin. »
Bon nombre de lecteurs de Lévi-Strauss s’avouaient incapables de comprendre cette prise de position qui, à leurs yeux, constituait une espèce d’aberration. Comme je vais essayer de le montrer, c’est tout le contraire. En premier lieu, l’intérêt de Claude Lévi-Strauss pour le problème de la croissance démographique a été précoce. Ensuite, sa vision de la surpopulation était, dès les prémisses, étayée par de solides et savantes connaissances. Enfin, loin d’être une extravagance idiosyncrasique, cette vision correspondait à des préoccupations largement partagées dans les années 1950-1960 : elle se trouvait alors au centre de l’intérêt des organisations internationales au sein desquelles Lévi-Strauss participait en tant que Secrétaire général du Conseil International des Sciences Sociales
La mise en œuvre internationale des idées malthusiennes
Depuis la publication, en 1798, de l’Essai sur le principe de la population, par Thomas Robert Malthus, le problème de la croissance de la population et les rapports que celle-ci entretient avec les questions des ressources et du bien et du mal, constituent un thème récurent de la pensée occidentale. Dans l’institutionnalisation de la science démographique, les propagandistes du contrôle des naissances jouèrent un rôle non négligeable. Ce sont eux qui inspirèrent la première réunion en 1927 du Congrès international de la Population, organisé par Margaret Sanger, l’une des dirigeantes du mouvement pour le contrôle des naissances. La notion d’optimum de population, proposée en 1910 par le Suédois Knut Wicksell et promise à une longue postérité, y donna lieu à une discussion passionnée. En 1931, au deuxième Congrès International de la Population, cette question fut à nouveau au cœur des délibérations. Les écarts par rapport à cet équilibre idéal, que personne ne parvenait d’ailleurs à définir, alarmaient les savants et les hommes politiques.
La publication des chiffres de l’Indian Census de l’année 1951 fit une forte impression, en montrant qu’après avoir connu une troisième décennie de croissance vigoureuse, de l’ordre de 14 %, la population du pays venait d’atteindre 362 millions. Dans la veine malthusienne, les démographes craignaient que la production de nourriture ne puisse s’aligner sur une telle augmentation de la population et que le déséquilibre qui en résulterait conduise à une véritable catastrophe à l’échelle planétaire. Bien que minoritaires, certains démographes restaient sceptiques et dénonçaient une psychose occidentale ; incidemment, ils trouvèrent leur principal allié dans la propagande soviétique qui voyait dans le malthusianisme l’instrument du capitalisme incapable de trouver une autre solution aux problèmes du chômage et de la malnutrition.
La dramatisation du discours démographique dans les années 1945-1955 tenait surtout à de sombres prévisions sur l’avenir. En 1944, Kingsley Davis avertissait que le subcontinent indien (Inde, Pakistan et Bangladesh), atteindrait, en 2024, 750 millions d’habitants. On trouva ce chiffre extrêmement préoccupant. bien qu’il fût largement en deçà de la réalité à venir (en 2021 on arrive à 1,8 milliards, soit 1,4 milliards pour l’Inde, 231 millions pour le Pakistan et 171 millions pour le Bangladesh)
Lévi-Strauss découvre la surpopulation en Inde
Il est donc utile de garder à l’esprit ces quelques faits historiques pour mieux comprendre le climat d’opinion qui dominait en Occident au moment où Claude Lévi-Strauss, mandaté par l’unesco, effectua un long voyage au Pakistan et en Inde. On se souvient des suffocantes images de la saturation humaine et de la misère, que Lévi-Strauss a retenues et dont Tristes Tropiques livre un témoignage poignant. Ces « tropiques bondés », mises en contraste avec les « tropiques vacants » des Amériques, n’étaient pour lui qu’« ordure, désordre, promiscuité, frôlements ; ruines, cabanes, boue, immondices ; humeurs, fiente, urine, pus, sécrétions, suintements. » Il décrit des villes encombrées de vaches, de charognards et d’humains faméliques à la démarche grimaçante qui formaient un ballet macabre en lequel il voulait voir avant tout la hantise de la faim et « les symptômes cliniques d’une agonie » (Lévi-Strauss 1976 ). Il ne résistait pas à l’impression que, de cette densité même, résultait une profonde altération des relations humaines, qui contraignait chacun à dénier à l’autre l’humanité qu’il voudrait tant lui reconnaître. Dans ces régions où la densité dépassait parfois mille habitants au kilomètre carré, Lévi-Strauss découvrit une société qui, à ses yeux et selon la métaphore qu’il reprendra plus tard dans Race et culture, s’empoisonne « de cette densité, comme ces parasites de la farine qui réussissent à s’exterminer à distance par leurs toxines, avant même que la matière nutritive ne fasse défaut » .
Ce n’est pas par hasard si le livre retentissant de Paul R. Ehrlich qui, dans l’arsenal des instruments potentiels de l’apocalypse, a placé la bombe P (comme Population) à côté des bombes A et H, s’ouvre sur la description d’une traversée hallucinante de Delhi, dans un poussiéreux taxi infesté de puces, se frayant péniblement un chemin au milieu de rues grouillantes d’une masse d’hommes qui mangent, dorment, défèquent et urinent publiquement, réduits par leur indigence – ou peut-être seulement par le regard de l’Occidental – à une physiologie bestiale, et dont la misère semble être la principale caractéristique sociale (Ehrlich 1968).
L’action internationale de Lévi-Strauss
Claude Lévi-Strauss avait l’habitude de filtrer les leçons que l’expérience vécue lui procurait grâce au prisme d’une longue élaboration intellectuelle. Sans sous-estimer l’impact, sur sa vision du monde, des tribulations dans le subcontinent indien, il est nécessaire d’ajouter un nouvel élément au dossier, afin de mieux comprendre l’intérêt de Lévi-Strauss pour la démographie.
On oublie trop souvent que Claude Lévi-Strauss a occupé, de 1952 à 1961, la fonction de Secrétaire général du Conseil International des Sciences Sociales. Le ciss devait jouer un rôle consultatif auprès de l’unesco dont la mission est d’assurer « la paix mondiale dans la justice et la liberté ». Le 27 février 1953, Lévi-Strauss indiqua plusieurs projets de recherche à entreprendre. Premièrement, il proposa que la science économique, le droit, la sociologie, l’anthropologie sociale et la psychologie analysent ensemble les problèmes de la surpopulation en tant qu’ils relèvent non seulement de la démographie, mais aussi de la psychologie, de la communication et de la représentation que les sociétés se font de leur propre démographie, chacune réagissant différemment au même phénomène numérique en fonction de la conscience subjective qu’elle possède de sa densité objective. Deuxièmement, le ciss fut invité à soutenir des recherches pluridisciplinaires sur les conséquences politiques, juridiques, économiques et sociales qu’entraîne un changement d’échelle des pays, avec l’éventuelle possibilité de se prononcer sur la taille optimum des groupements nationaux, problème qui avait déjà préoccupé Auguste Comte.
Lévi-Strauss augurait que les résultats de ces recherches « sidéreraient les hommes d’État, surtout en Europe, en leur permettant de prévoir les conséquences de leurs efforts vers une fédération ou une unification » (Lévi-Strauss 1953). Selon lui, le mouvement d’unification européenne était tributaire de la conviction que les « super États » représentaient un type de structure normale pour le monde moderne ; les enquêtes lancées par le ciss pourraient remettre en question cette certitude arbitraire et néfaste. Ainsi Lévi-Strauss déclarait que les organisations internationales feraient mieux de se pencher sur les questions démographiques, dont la surpopulation, car les conflits idéologiques qui opposaient les États et menaçaient la paix, pouvaient être ramenés à des forces objectives et inconscientes qui modèlent les populations humaines. Pour lui, cette cause se situait non pas dans le domaine des idées, mais dans celui de la démographie. Désormais, il ne variera plus sur ce point essentiel. Si, dans ce même mémorandum, Lévi-Strauss s’intéressait aux idées, c’était pour autant que la réaction des sociétés humaines à leur propre saturation démographique lui semblait médiatisée par la représentation subjective qu’elles possèdent de la surpopulation. L’étude de l’articulation entre les phénomènes objectifs et subjectifs, entre ce qui est inconsciemment ignoré et ce qui est sciemment admis, devrait aider les hommes à mesurer les dangers auxquels ils s’exposent en oubliant la menace démographique.
en guise de conclusion
Si Lévi-Strauss ne tient pas la Shoah pour la plus grande tragédie dont il fut témoin, c’est parce que les camps d’extermination ne lui paraissent pas comme « l’aberration d’un peuple, d’une doctrine ou d’un groupe d’hommes », mais comme « un signe annonciateur d’une évolution vers le monde fini » qui est en train de naître sous nos yeux et qui transformera la planète entière en un vaste camp d’extermination où agonisera lentement une « humanité inconcevable » (Lévi-Strauss 1976).
Wiktor Stoczkowski est chercheur au laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris
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I was curious to know what was the biggest catastrophe that Claude Lévi-Strauss experienced during his life. I waited until he had finished answering my question, but then he resumed: « When I entered into active life, in 1930, the world population was already two billion ». I wasn’t sure whether he was joking or not, so I asked him again. He said that the figure had already reached two billion by the time he was born.
» Parce que les minus-habens sont légion, que le QI régresse. Parce que la peur et les idées pourries progressent, toujours plus, etc. etc. »
Drelin , drelin ,le gourou des Pyrénées armé de ses conviction morales de gauche bien sûr , a parlé : les malthusiens sont des minus habens et ce plus habens contemple avec mépris vu son immense supériorité intellectuelle😁😁 et morale .
Rappelons – lui que la nature , référence suprème, est malthusienne par essence .
Il me semble que les vraies idées pourries (pestilentielles) viennent de la gauche (ou fausse droite) : il suffit de voir dans quel merdier social , économique et politique , ces marchands d’ illusion laissent les pays dont ils ont eu la gestion .
il ne déplairait pas à ce cher gourou d’ associer malthusianisme et camp d’ extermination
car on ne peut trouver plus malhonnête t hypocrite que les gens de gauche sans parler pour beaucoup d’ entre eux de crétinisme congénital (cfr LFI / NUPES(te)
Pour changer, sur fond d’Histoire et de petites histoires (storytelling), aujourd’hui une brève éloge du célèbre Claude. Et au passage un petit coup de brosse à reluire à ce nettement moins brillant prédicateur, vendeur de la fameuse Bombe, le fumeux Paul. Et toujours la même idée derrière là tête, celle de faire progresser certaines idées. Celles de son vieux curé de gourou, un certain Thomas Robert. Bref, comme tous les jours Biosphère cherche à vendre son produit.
Oh pas n’importe quelle camelote, non. La sienne c’est de la bonne. Que dis-je, la meilleure ! Comme les œillets d’Ugolin, celui de Jean, de Florette, c’est de l’Authentique. Plus vert que Biosphère tu meurs ! Biosphère s’est même vu auto-décerné la Palme IC.
Avec ça plus intelligent que lui tu meurs ! L’IC («intelligence collective») ce sont ces idées remplies d’humanisme (cherchez pas, c’est comme écologisme, ça veut plus rien dire).
L’IC c’est cette façon de raisonner (résonner) avec une calculette en guise de cerveau. Et un tourne disque à la place du bec. L’IC c’est en boucle et en mode binaire.
Ainsi les amis de Claude sont nos amis. Et ses ennemis sont nos ennemis !
Attention camarade, si t’es pas POUR c’est que t’es CONTRE. Et vice versa.
Et sache que si Lévi-Strauss ne tient pas la Shoah pour la plus grande tragédie dont il fut témoin, c’est parce que les camps d’extermination (sic)… ne sont qu’ «un point de détail de l’Histoire». Ben oui. Alors, t’es POUR ou t’es CONTRE ? Choisis ton camp camarade !
– Claude Lévi-Strauss : grandeurs et limites d’un humanisme
( Par Paul-François Paoli – 15 NOV 2021 – revuedesdeuxmondes.fr )
– Questions à l’anti-humanisme de Claude Lévi-Strauss
( François Jacquet-Francillon – cairn.info )
N’importe quel minus-habens pourra récupérer les idées de Pierre Paul ou Jacques, les bricoler et les accommoder à sa sauce. On sait que la pensée de Nietzsche a été récupérée par les nazis et les fascistes italiens, que le célèbre Propaganda d’Edward Bernays était le livre de chevet du sinistre Goebbels. Les exemples de ce genre sont légion. Et on sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
– « La pensée écofasciste est le fruit d’un bricolage idéologique qui trouve ses fondements dès le XIXe siècle. Elle reprend à son compte les analyses de l’économiste Thomas Malthus […] L’écofascisme puise aussi sa source dans le folklore du mouvement völkisch en Allemagne, qui mêlait environnementalisme et nationalisme xénophobe. […] La France n’est pas épargnée par ces liens nauséabonds. [etc. etc.] »
( Du XIXe siècle à Zemmour, l’écofascisme contamine le débat politique
– Reporterre – 2 février 2022 )
Aillez tu n’as aucun argument pour expliquer et surtout prouver avec quelles ressources tu comptes faire vivre 10 à 12 milliards d’hbts, bref tu veux des pontes encore plus massives en Afrique pour faire des quantitative easing de migrants en France, alors tu nous sors ton vieux disque rayé des heures sombres de notre histoire. Bref il n’y a pas plus binaire que toi ! Il y a les méchants malthusiens qui veulent contrôler la natalité et sont des nazis qui avancent masqués puis il ya les gens gauchistes communistes qui veulent un taux de natalité de 8 enfants par femme minimum pour l’éternité, évidemment pour subvenir aux besoins alimentaires de cette population croissante, il suffit juste de couper la tête de quelques milliardaires sur la place publique chaque année et le problème serait réglé.
D’où, je le re-redis… l’intérêt de faire très ATTENTION ! Parce que notre époque baigne dans la Grande Confusion. Parce que les minus-habens sont légion, que le QI régresse. Parce que la peur et les idées pourries progressent, toujours plus, etc. etc. Alors surtout, n’en rajoutons pas !
Et plutôt que de lui (leur) donner raison à la moindre occasion (misère misère !) mobilisons notre énergie (et notre intelligence) à combattre la Bêtise. Et surtout la Pourriture, véritable Cancer de nos sociétés. Pire, de notre humanité.
Seulement voilà… les liens entre malthusianisme et eugénisme, et écofascisme, les liens avec El Paso… les amis peu fréquentables etc. etc. tout ça faut pas le dire. Non, parce que ça c’est Tabou ! Misère misère !
« Si Lévi-Strauss ne tient pas la Shoah pour la plus grande tragédie dont il fut témoin, c’est parce que les camps d’extermination ne lui paraissent pas comme « l’aberration d’un peuple, d’une doctrine ou d’un groupe d’hommes », mais comme « un signe annonciateur d’une évolution vers le monde fini » qui est en train de naître sous nos yeux et qui transformera la planète entière en un vaste camp d’extermination où agonisera lentement une « humanité inconcevable » (Lévi-Strauss 1976) »
Et oui, toutes les guerres prennent pour source le manque de ressources pour tous ! Toutes ces bêtises d’histoires de racisme, de religions, de doctrines et d’idéologies sont le cache-minou des prétextes à la guerre ! Mais au fond des choses, la véritable cause de toutes les guerres étant toujours le manque de ressources et il est normal à ce que l’on privilégie les siens sur les ressources restantes disponibles.
Lors de la première moitié du 20 ème siècle nous avons accompli 2 guerres mondiales à 21ans d’intervalle alors que toutes les ressources naturelles étaient en pleine croissance d’exploitation pour une population mondiale autour de 2 milliards d’habitants. Alors il est évident de déduire que les conflits seront plus meurtriers dans les décennies à venir quand les ressources sont en décroissance et même en voie d’épuisement pour une population mondiale de 8 à 11 milliards d’hbts ! D’autant plus que les pollutions et les sécheresses vont accentuer les pénuries de ressources naturelles et réduire l’autonomie alimentaire de bien des pays, alors que cette autonomie est déjà bien faible pour la plupart des pays !
Les 2 guerres mondiales que nous avons déjà vécues vont paraître anecdotiques et bénignes comparativement aux nouvelles guerres mondiales à venir, des milliards de gens vont longuement souffrir dans la durée et/ou mourir dans l’agonie ! Les croissantistes et les lapinistes sont grandement responsables de cette situation car ils ne cessent de saboter les plans de contrôle de natalité ! Ils ne cessent de faire croire que la plupart des gens aspirent à vivre dans la précarité pour pouvoir être plus nombreux, ce qui est complétement faux, personne n’a envie de vivre dans la précarité. Tous les individus aspirent à avoir plus de ressources et ne renonceront pas à son pouvoir d’achat et son rythme de consommation pour sauver la planète… Les zinzins des pontes excessives peuvent baratiner autant qu’ils veulent, les faits prouvent le contraire de leurs dire…
Assez d’accord hélas avec votre analyse BGA 80, tout à fait d’accord sur la cause et je juge assez plausible le futur que vous imaginez.
Quand les gens comprendront-ils qu’il n’y a pas de paix à 8 milliards, pas plus qu’il n’y a de paix dans n’importe quel territoire surpeuplé, pas plus qu’il n’y a de bonheur sur une terre dévastée ?
Cette négation des réalités physiques est une tragédie.
J’aime toujours à rappeler à tous ceux qui accusent les malthusiens d’avoir un raisonnement simpliste en privilégiant un facteur particulier comme cause principale de la crise environnementale que, parmi ceux qui ont défendu cette position, se trouvent, Einstein, Lévi-Strauss, Bergson…
… Des personnalités dont ont sait bien que le quotient intellectuel était sans doute un peu faible.