Prenons le débat « amis des pêcheurs » versus « amis des poissons ». LE MONDE du 11 septembre nous présente une formidable illustration de l’impossibilité pour le lecteur moyen de se forger une opinion fiable. Tout est fait dans les médias pour noyer le poisson. A force de présenter des points de vue contradictoires, on en perd la boussole.
La journaliste Martine Valo* nous présente surtout le point de vue des pêcheurs, ardemment soutenus par leur ministre de tutelle. Ils ne peuvent qu’être contre l’interdiction du chalutage en eau profonde proposée par la commissaire européenne à la pêche, c’est leur gagne-pain. Une dizaine de navires et trois groupes industriels seulement se partagent le marché, mais les professionnels de la désinformation savent multiplier le nombre de personnes concernées : marins embarqués, + ceux dont le chalutage en eau profonde n’est pas l’activité première, + les pêcheurs bretons de langouste, + la réparation navale, + les mareyeurs, + les transporteurs, etc. Le ministre opine : « La fin de ce type de pêche aurait de très lourdes conséquences socio-économiques… Les ports de Lorient, de Concarneau, du Guilvinec et de Boulogne-sur-Mer sont totalement dépendants de ce combat majeur… » La bataille médiatique contre les associations de défense de l’environnement est donc ouverte.
Le journaliste Stéphane Foucart** nous présente de son côté l’imbroglio scientifique. De récents travaux accablent les chaluts et les filets maillants de fond en Atlantique du Nord-Est. En raclant les fonds marins, les chaluts terrassent les talus continentaux et déplacent des millions de tonnes de sédiments. L’essentiel des études publiées dans les revues scientifiques suggèrent que les cycles reproductifs des espèces profondes sont trop longs pour que celles-ci puissent être exploitées de manière à la fois durable et rentable. Nous ne pouvons en prélever qu’une très petite fraction chaque année. Pourtant l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) affirme que la proposition d’interdiction de Bruxelles est infondée. Un chercheur à l’Ifremer déclare : « Jusqu’en 2003, les taux de capture d’espèces profondes étaient clairement non durables dans cette zone, mais depuis, l’effort de pêche y a été divisé par quatre. » L’Ifremer s’appuie sur le CIEM (Centre international pour l’exploration de la mer), l’organisme chargé de prodiguer aux Etats des recommandations scientifiques sur les niveaux de prises à ne pas dépasser : « Pour certaines espèces, nous avons de bons indices que les taux d’exploitation actuels sont au niveau, ou bien au-dessous des niveaux durables... Dans les zones travaillées par les armements français, le CIEM recommande ainsi pour 2013 une augmentation des prises pour le grenadier et le sabre noir. »
Mais un biologiste estime au contraire qu’« en appliquant les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), certaines espèces profondes de l’Atlantique du Nord-Est, comme le sabre noir ou la lingue bleue, devraient être considérées comme en danger d’extinction… S’il y a eu stabilisation de certains stocks au cours des dernières années, celle-ci s’est faite à des niveaux très bas, par rapport au stock initial « . Un responsable associatif : « On ne tient pas compte de la destruction de l’ensemble de l’écosystème alors que l’approche écosystémique est théoriquement une obligation du droit européen. » De plus les données utilisées par le CIEM, ainsi que sa méthodologie, sont contestées. La « règle d’exploitation » utilisée n’a pas encore été soumise à la communauté scientifique, pas plus qu’elle n’a été confrontée à des simulations. De toute façon, les quotas recommandés par le CIEM ne sont que lettre morte. « Dans 50 % des cas, les quotas ont été dépassés au cours de la période 2002-2011… Les prises déclarées étaient en moyenne 3,5 fois supérieures pour les espèces profondes et, dans certains cas, elles ont été 10 à 28 fois supérieures à ce qui était convenu. »
Changeons de cap, appliquons le principe de précaution. Les consommateurs doivent apprendre qu’il ne faut pas manger le Grenadier de roche, le Flétan noir et l’Empereur, la Lingue bleue et le Sabre noir.
* LE MONDE du 11 septembre 2012, Pêche : six cents emplois concernés dans le sud de la Bretagne
** LE MONDE du 11 septembre 2012, Bataille scientifique autour de la pêche profonde
Le point de vue du court terme est ce qui nous détruira.
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Le débat sur ce type de pêche n’est pas nouveau, lire sur ce blog :
23.07.2012 Les socialistes amis des pêcheurs, pas des poissons
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