Le plafonnement des hauts revenus est une manière indirecte de poser la question des limites biophysiques : combien la Terre peut-elle supporter de personnes d’un niveau de vie donné ? Déjà le pouvoir d’achat des Français, s’il était mondialement généralisé, nécessiterait plusieurs planètes, ce qui est déjà impossible. A plus forte raison si certains peuvent gagner chaque mois des dizaines de milliers d’euros. Mais dans la tête de nos dirigeants trop bien payés, il n’y a nulle place pour les limites de la planète : « Plafonnement des revenus : les PDG se rebiffent »*. Analysons les arguments patronaux qui justifient l’injustifiable.
Le respect du patron qui passe par des salaires élevés ? Un système de rémunération qui survalorise certains n’est basé que sur le statut juridique du poste occupé, pas sur le mérite. Nous respectons normalement les personnes respectables, ce qui n’a rien à voir avec la hauteur des émoluments. L’argent est une mesure de la valeur qui n’a aucun fondement objectif et surtout pas dans les grandes entreprises. Les comités de rémunérations qui se chargent d’éclairer les Conseils d’administration pour fixer le salaire du patron en font à leur guise. Car comment justifier que la compétence du patron soit supérieure à la compétence d’un technicien confirmé. L’entreprise est un groupe de travail dont la performance résulte des efforts de tous, du plus mal payé au mieux considéré. L’éventail des rémunérations résulte en fait d’une conception hiérarchique de la société, les « honneurs » étant de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu’on grimpe dans cette hiérarchie. Les 16 millions de « rémunération différée » accordés au patron de Publicis ne récompense pas le fruit de neuf années de travail, mais témoigne de la puissance de la publicité qui fait payer aux consommateurs la cause de leur servitude. N’oublions jamais que la valeur ajoutée d’une entreprise, et donc la rémunération de ses travailleurs, résulte des clients de cette entreprise.
Les postes à responsabilité occupés par les meilleurs, attirés par des hauts salaires ? L’efficacité d’un dirigeant ne résulte pas de son salaire, mais de son sens des affaires. Un bon patron peut un temps augmenter le chiffre d’affaires de l’entreprise grâce à ses choix stratégiques comme il peut provoquer un fiasco quand il y a retournement du marché. D’autre part, la multiplication des diplômés des écoles de management offre un tel vivier de compétence que la forte concurrence qui en résulte devrait faire baisser le prix des managers. Mais ce n’est pas le jeu du marché qui provoque la nomination de telle ou telle personne à un poste, mais plutôt le carnet d’adresse de cette personne. Dans ce contexte, que les « meilleurs », affolés par les mesures socialistes de plafonnement, partent à l’étranger, ils verront assez vite que les meilleurs postes ne seront pas pour eux.
La question de fond est l’usage que font tous ces surpayés de leurs indemnités. Les dirigeants n’ont besoin que d’un lit pour dormir et un toit pour s’abriter… comme n’importe quel travailleur. Ils n’ont qu’un estomac, dont la capacité est très limitée, comme celui des autres travailleurs. S’ils prennent plus souvent l’avion, c’est pris en charge par l’entreprise. S’ils prennent l’avion pour leurs loisirs, s’ils vont dans les restaurants gastronomiques, s’ils ont une demeure immense et des résidences secondaires, tout cela peut s’exprimer en termes d’émissions de gaz à effet de serre. L’argent ne compte pas, ce qui importe, c’est la capacité de charge de la planète. Les riches, et pas seulement les plus riches, ont oublié les limites de notre planète. Une autre conception de la vie professionnelle est possible, qui valorise l’esprit d’équipe, l’égalité et le sens des limites. Le gouvernemtn socialiste a voulu instaurer un plafonnement à 450 000 euros par an. Gagner au maximum 37 500 euros par mois, chiffre qui ne considère d’ailleurs que le salaire et non la rémunération totale, nous paraît exorbitant. Comme l’exprime Hervé Kempf**, « Nous voulons vivre dans une société qui suive d’autres règles que le capitalisme : qui veuille le bien commun plutôt que le profit, la coopération plutôt que la compétition, l’écologie plutôt que l’économie ». Les objecteurs de croissance travaillent moins, gagnent moins, adoptent un mode de vie frugal, cela ne les empêche pas d’être heureux. La qualité des hommes et des femmes découle de la conformité de leurs actions avec les possibilités de la planète, pas d’un « jeu » économique complètement faussé.
* LE MONDE du 16 juin 2012, page 12
** Pour sauver la planète, sortez du capitalisme (Seuil, 2009)
« les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Comparant un pompier lambda et le patron de Publicis, force est de constater l’échec de nos grandes idées.
« les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Comparant un pompier lambda et le patron de Publicis, force est de constater l’échec de nos grandes idées.