LE MONDE, « et toc dans les dents des décroissants »

Un article du MONDE* se termine par cet acte de foi : « Avant de pouvoir parler bonheur, il faut d’abord parler croissance. » Mais une croyance ne fait pas une réalité objective. Normalement le sentiment de bonheur n’a rien à voir avec le niveau du PIB.

C’est la société de consommation qui fait croire au plus grand nombre que le bonheur va avec les gadgets qu’on nous incite à acheter (donc avec la croissance du PIB). Mais notre réalité sociale montre que le consumérisme s’accompagne aussi d’insatisfaction permanente ; c’est un bonheur factice. Le sentiment d’abondance ne tient pas spécifiquement à l’accumulation de marchandises et de services, mais au niveau de nos besoins ressentis. Il faut que la journaliste Marie de Vergès se procure le livre de Marshall Sahlins « âge de pierre, âge d’abondance ». L’âge de pierre (les sociétés archaïques) était aussi l’âge d’abondance puisqu’on limitait les besoins… et donc le travail… pour avoir plus de loisirs… et être heureux. Sir Richard Layard, dans son livre « Le prix du bonheur »  cite Epicure : « De tous les biens que la sagesse procure  pour le bonheur de notre vie, celui de l’amitié est de beaucoup le plus grand ». Sir Richard estime aussi que si nous voulons être heureux, il nous faut pouvoir disposer d’un concept de bien commun auquel chacun puisse contribuer. Cet idéal requiert de chacun qu’il se soucie des autres autant que de lui-même.

L’article de Marie de Vergès veut nous faire croire que le bonheur croit avec le niveau de vie (et donc le PIB). Or il s’appuie sur Ruut Veenhoven qui reconnaissait que la compréhension du bonheur demeurait spéculative et incertaine. Il préférait parler de « qualité de vie », ce qui est tout autre chose. On croit invalider le paradoxe d’Easterlin avec la corrélation entre revenu et bonheur trouvée par Wolfers et Stevenson. Mais d’autres variables, omises par cette étude, seraient tout aussi positivement reliées à leur indice de bonheur. Plus fondamentalement, il faut s’interroger sur la validité d’indices de bonheur construits à partir de sondages, qui ne font que refléter la psychologie ambiante.

Enfin l’article de Marie de Vergès est explicitement construit contre les objecteurs de croissance : « Et toc dans les dents des décroissants ». Mais là aussi c’est tout faux. Les avocats de la décroissance ne sont pas « confortés » par la crise actuelle, ils sont inquiets. En effet, il s’agit actuellement d’une politique de désendettement subie et non d’une société de décroissance voulue. Or, comme la journaliste le remarque elle-même, « le taux de production ne peut être indéfiniment accru ». Notre rythme de croissance va en effet se heurter à des blocages énergétiques et autres épuisements des capacités de la biosphère à soutenir notre activité productive. La politique de rigueur des gouvernements risque fort de se transformer en récession, si ce n’est en dépression. Que va devenir alors notre niveau de bonheur ressenti ? Si, comme Marie de Vergès et les médias en diffusent l’idée, le bonheur ne peut qu’augmenter avec le PIB, à l’inverse, en cas de crise prolongée, il y aura effondrement de notre niveau de satisfaction, avec tous les désagréments d’ordre socio-politiques qui vont s’ensuivre. Ce n’est pas la psychologie du bonheur par le revenu qu’il faut propager. En effet, une telle attitude ne nous prépare pas au courage et au sens de la responsabilité. LE MONDE ne nous prépare pas au monde qui vient.

* LE MONDE du 26 février 2013, parlons bonheur, parlons croissance (Marie de Vergès)

2 réflexions sur “LE MONDE, « et toc dans les dents des décroissants »”

  1.  » L’âge de pierre [..]était aussi l’âge d’abondance [..] pour avoir plus de loisirs.  » Non ??!! Ecoutez les gars…serieusement? C’est ca votre projet?
    « Votez EELV, vous serez heureux comme a l’age de pierre » ????
    Ben heureusement que vous avez le PS pour vous avoir deputes, senateurs et ministres…

    1. Bonjour Coq au Vin
      Inutile de hérisser vos plumes, « âge de pierre, âge d’abondance », est une enquête ethnologique et non un projet EELV. La référence à ce livre était juste faite pour indiquer que la croissance par l’expansion illimitée des besoins était une course vaine au bonheur, bonheur qui peut au contraire être trouvé en limitant ses besoins.
      Centrez vos remarques sur le fond des articles et nous pourrons mieux progresser dans notre réflexion commune…

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