Paulette : Est-ce qu’on peut imaginer que la croissance démographique va se stabiliser d’elle-même, sans l’utilisation de politiques anti-natalistes ?
Réponse : C’est la baisse de fécondité de la transition démographique qui fait tenir par les démographes de l’INED ce genre de discours mystificateur. L’analyse précédente de Pablo Servigne montre pourquoi ce ne sera pas le cas. On peut aussi lire dans la biographie d’un agronome de renom et candidat écolo aux présidentielles de 1974 (René Dumont, une vie saisie par l’écologie de Jean-Paul Besset) l’analyse suivante : « Le développement est la meilleure des pilules, s’accorde-t-on à dire à la conférence mondiale de Bucarest sur la population (1974). René Dumont estime que les conditions actuelles de dénuement économique et de crises écologiques posent le problème démographique dans des termes différents de ceux qu’a connus l’Europe : « C’est quand la population s’emballe que s’amplifient les dégâts du productivisme, compromettant les moyens mêmes de production ». On n’a plus les capacités d’assurer les conditions du décollage économique. La vérité oblige aujourd’hui à reconnaître que la natalité n’appelle pas la richesse et le développement n’est pas au rendez-vous pour contenir la natalité. Dans un contexte de baisse de la mortalité et de pénurie économique, la croissance de la population resserre les mailles du sous-développement et aggrave la destruction de l’environnement. Depuis 1975, l’agronome estime qu’après examen de nos potentialités agricole, il ne faudrait jamais dépasser 7 ou 8 milliards d’habitants au total. »
Gaëtan R : Peut-on estimer un nombre d’individus pour lequel notre pression sur l’environnement serait soutenable ? Si oui, combien ?
Réponse : Tout au cours du livre « Moins nombreux, plus heureux », la question du maximum de population soutenable est abordée … avec des réponses multiples. Voici trois évaluations dans ce livre :
Alain Gras : Paul Chefurka met en évidence la corrélation très forte entre énergie et population : « Une des deux options de son modèle mathématique prend non seulement en compte la raréfaction des ressources, mais aussi l’hypothèse Lotka-Volterra qu’il nomme « excès de capacité de charge » dans l’écosystème. Entre autres : déficits alimentaires régionaux massifs, maladies non soignées en raison du démantèlement des services médicaux et sanitaires dans les villes, mortalité accrue due aux aléas climatiques, affaissement de la durée de vie, etc. Dans ce cas, les chiffres de la population mondiale sont de 4 milliards en 2050 et 1 milliard en 2100. »
Pablo Servigne : « En l’espace de quelques décennies, l’humanité a de fortes chances de faire face à un pic de la population, un pic énergétique, un pic de l’eau disponible, un pic des terres arables, et très probablement un pic des rendements agricoles. Ainsi, il est désormais réaliste de penser que nous redescendions au cours des prochaines décennies à des niveaux de population proches de l’ère pré-industrielle : un à deux milliards d’êtres humains sur terre. »
Michel Tarrier : « Il semblerait que pour s’inscrire dans un réel équilibre naturel et pérenne, l’effectif humain ne devrait pas dépasser tout au plus un milliard, voire seulement 300 millions selon d’autres points de vue. Nous sommes bien loin du chiffre des 2 ou 3 milliards que l’on avance souvent prudemment, sans doute inconsciemment pour ne pas provoquer la pénible levée des boucliers pro-natalistes. Comme nous n’étions que 250 millions en l’an 1, ce qui est proposé n’est qu’un retour « à la normale »! Qu’en serait-il ? Notre espèce vivrait naturellement, écologiquement, ne serait plus mise en danger. La biodiversité serait respectée. Les pollutions biologiques seraient absorbées et neutralisées… »
Pauline C : Quel serait selon vous le niveau de population acceptable pour la planète ?
Réponse : Mon point de vue personnel est qu’il faudrait revenir dans un avenir très lointain à un niveau de population compatible avec une vie de cueilleurs-chasseurs, laissant à l’exubérance des différentes formes du vivant le droit de s’exprimer pleinement. La paléontologie nous apprend que l’humanité a failli s’éteindre il y a 70 000 ans en Afrique de l’Est, à cause de sécheresses récurrentes qui auraient réduit la population humaine à environ deux mille individus, probablement scindés en petits groupes. Est-ce la population minimum viable ? Des chercheurs ont défini ce concept et estimé à 50 femelles l’assurance de ne pas voir l’espèce s’éteindre à moyen terme, à 500 femelles la garantie que l’espèce soit protégée à long terme. Donc quelques milliers de représentants de l’espèce homo sapiens devraient suffire à peupler la terre… sans penser à croître et multiplier !
Carine : Comment peut-on gérer l’augmentation de la proportion des personnes âgées ?
Réponse : Cette question pose la problématique du vieillissement de la population. Dans la préface du livre « Moins nombreux, plus heureux », le député Yves Cochet répond ainsi :
« La solution à un vieillissement de la population ne peut pas être l’augmentation de la proportion de jeunes, car ces derniers seraient vieux à leur tour un jour et réclameraient donc encore plus de jeunes : c’est la fuite en avant, la situation ne ferait que s’aggraver. Nous croyons, au contraire, que la peur occidentale du vieillissement de la population doit être affrontée aujourd’hui. Une société âgée possède des qualités économiques, sociales et écologiques comparables, voire meilleures, qu’une société plus jeune. Même à la retraite, les personnes âgées contribuent de façon appréciable à la prospérité de la société, par tout le travail bénévole qu’elles assument, auquel il faut ajouter les contributions intellectuelles de la sagesse de l’âge. Les grands-parents européens assurent les deux-tiers des services de garde informels des enfants. La grande majorité des personnes âgées sont auto-suffisantes, elles ne sont pas un fardeau financier pour leurs enfants. C’est plutôt elles qui, bien souvent, soutiennent les jeunes générations, notamment les chômeurs. Tout compte fait, les jeunes sont plus coûteux pour l’économie, en temps et en argent pour leur entretien et leur éducation, que les vieux pour leurs pensions… »
Simon : Comment concilier les attentes sociales de procréation pour tous (PMA, GPA…) et l’incitation à une réduction du taux des naissances ?
Réponse : Nous abordons ainsi le débat contemporain autour du « mariage pour tous ». Notons que l’évolution législative n’a pas été jusqu’à permettre PMA et GPA aux couples homosexuels. D’un point de vue d’écologiste, prenant à la fois en compte les données physiologiques des personnes (ici la stérilité) et la nécessité de réduire la population humaine (en montrant particulièrement l’exemple dans les pays développés), il y a bien contradiction entre le fait de ne pas pouvoir faire d’enfant et celui d’en vouloir un à n’importe quel prix. Il arrive un moment ou le désir personnel doit s’effacer devant le bien commun, la stérilité doit être acceptée pour ce qu’elle est, le signe d’une limitation de notre capacité reproductive. Le besoin d’enfant créé de façon non conventionnelle peut être amplement remplacé par l’adoption d’un enfant qui existe déjà et qui n’espère que cela, trouver une famille.
Elsa C : Comment, dans un contexte de consommation toujours plus importante, peut-on faire accepter l’idée qu’il faut consommer de manière plus durable pour répondre aux besoins de tous ?
Réponse : Après la décroissance malthusienne, nous abordons avec cette question l’idée (juste) de décroissance économique. Je réponds au travers de la personne à bien connaître si on veut être écolo, René Dumont. A propos du programme commun de gouvernement en 1972, il écrivait : « Quand je pense aux affamés du Sahel, je trouve certaines revendications grotesques… Cet objectif de croissance de 8 %, croissance pour qui, croissance pour quoi faire ? Proposer une hausse générale du niveau de vie, c’est oublier que ce niveau de vie résulte en partie du pillage du tiers-monde, du sous-paiement de ses ressources rares. Pour ma part, je crois qu’il faut viser une hausse du niveau de vie limité aux tranches les plus basses de revenus. Et poser comme objectif la diminution de la consommation du tiers le plus riche de la population française. »
Sa conception générale tenait en une phrase que j’ai fait mienne : « L’espèce humaine doit savoir se limiter. » Sans doute que la pression du confort empêche les gens d’accéder au sens des limites, mais ils agissent ainsi par pur égoïsme, sans penser aux générations futures ni aux autres espèces vivantes. Ils ont tort, et il faut leur expliquer cela inlassablement…
NB : un livre complémentaire de ce questionnaire : Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie à acheter chez votre libraire local ou (à la rigueur) dans une librairie en ligne : Amazon ; Decitre ; FNAC
Bonjour,
vous écrivez « Sans doute que la pression du confort empêche les gens d’accéder au sens des limites, mais ils agissent ainsi par pur égoïsme, sans penser aux générations futures ni aux autres espèces vivantes. »
Pas d’accord: ils y pensent tout le temps, et tous, avec la meilleure bonne foi, défendent l’avenir des jeunes générations et de la biodiversité. Et c’est bien cette dissonance cognitive qui est la plus choquante; ça veut dire qu’à peu près personne n’est capable de s’observer et de se comparer à ses idéaux, ou qu’à chaque fois qu’il s’en écarte, il y trouve une justification. La vie de beaucoup de nos concitoyens est ainsi entièrement tissée de contradictions, et la société consumériste n’est certainement pas pour rien dans cette nouvelle mentalité qui a exclu la contrition.
Ego, ego, toujours ego.