Chouette, les Français vont s’écharper. Pour les uns, mourir dans des draps de tôle froissée est un risque calculé, pour les autres 3 477 décès sur les routes en 2016, c’est toujours trop. Les uns glorifient la liberté procurée par la bagnole, la griserie de la vitesse et les problème des rurbains sans transports en commun. Les autres comme le premier ministre Edouard Philippe s’appuient sur les nécessités de la sécurité routière, sans peur des populistes. Le Front national va lancer sa pétition contre le décret gouvernemental ; l’association 40 Millions d’automobilistes dénonce un « discours de culpabilisation moralisatrice ». Pourtant le rapport avantage/coût conforte la mesure de réduction de la vitesse. Si l’on considère le kilométrage moyen parcouru chaque année par les Français (environ 17 000 km), soit 46 km par jour, le passage de 90 km/h à 80 km/h rallonge leur trajet quotidien de quatre minutes. En prenant en considération le kilométrage moyen domicile-travail (25 km, selon l’Insee), le temps supplémentaire de parcours ne dépasse pas deux minutes.*
Mais la sécurité routière ne devrait pas être un élément déterminant du raisonnement. Bien sûr faire passer le nombre de victimes de la route de 18 000 morts en 1972 à moins de 4000 aujourd’hui importe. Bien sûr le dernier ajustement de la vitesse réglementaire avec l’instauration en 1990 du 50 km/h en ville avait rassuré les piétons. Mais l’essentiel, comme en toute choses, est écologique. Les vitesses de 90 km/sur toute, 100 sur les doubles voies et 130 sur les autoroutes perdurent depuis novembre 1973. Alors qu’auparavant on roulait comme on voulait, l’acceptation d’un contrôle des vitesses résulte du quadruplement du prix du pétrole en 1973. Au nom des économies d’énergie imposées à l’ensemble du pays, le premier ministre Pierre Messmer gagne l’assentiment**. Le prix de l’essence fait accepter des dispositions coercitives. L’écologie peut devenir punitive quand nécessité fait loi. Allons encore plus loin.
L’automobiliste n’a pas encore compris qu’il est plus rapide de rouler en vélo. Considérer 80 km/h ou 200 km/h, c’est un calcul superficiel de la vitesse de déplacement. On ne prend en compte que la distance parcourue et le temps resté au volant. Mais pour avoir le droit de s’installer sur son confortable siège, il a fallu consacrer un grand nombre d’heures de travail pour amortir l’achat de son véhicule et payer tous les frais inhérents à son fonctionnement (plein d’essence, réparations …). Si on divise le nombre moyen de kilomètre parcourue dans l’année par la durée réelle qui permet de couvrir le coût total (les heures de travail qui s’ajoutent au temps de déplacement), on obtient la vitesse généralisée, et non l’apparence de la performance. Un tel calcul qui met en relation le salaire horaire d’une personne et le modèle de véhicule qu’elle utilise permet de montrer que la voiture va moins vite qu’une bicyclette : Jean-Pierre Dupuy a calculé que la vitesse généralisée d’un automobiliste est de 7 kilomètres à l’heure, soit un peu plus que celle d’un piéton. Si l’absurdité de la condition d’automobiliste n’apparaît pas aux yeux de la classe globale, c’est qu’on valorise le sentiment de vitesse sans faire de lien avec le temps de travail nécessaire pour jouir de sa voiture. De plus la possession d’une voiture entraîne l’éloignement croissant entre les lieux de travail et les lieux de vie, ce qui entraîne l’allongement des distances ; un cercle vicieux s’installe, on travaille en ville et on vit à la campagne, on fait ses courses au loin, les nécessités de la vie familiale et sociale multiplient les déplacements, il faut donc une (ou plusieurs) voiture. Bien plus, il faudrait ajouter à ces coûts personnellement assumés l’épuisement des ressources non renouvelables qui n’est pas encore comptabilisé dans le prix du pétrole et l’augmentation de l’effet de serre qui va pénaliser les générations futures. Que ce soit en argent, en énergie physique, en usure de matériaux, en risques et dégâts écologiques, le coût des incréments de vitesse croissent plus rapidement que la vitesse elle-même. Notre avenir, c’est de rouler en vélo à 20 km/h sur route et chemins.
* LE MONDE du 14-15 janvier 2018, La voiture, un sujet épidermique pour les Français
** LE MONDE l’époque du 14-15 janvier 2018, « La voiture est le dernier bastion des libertés individuelles »
On ne peut pas juger de l’automobile indépendamment des conditions de son usage.
Dans un pays très peu densément peuplé où la population urbaine serait très minoritaire, l »automobile peut paraitre une bonne solution (à condition de ne pas y consacrer trop de ressources avec des modèles trop lourds, trop sophistiqués, trop puissants et qu’on change bien trop souvent) L’automobile apporte une souplesse qu’aucun moyen collectif ne peut offrir. Pour les petits déplacements, il faut bien sûr favoriser la marche et le vélo qui sont sans pareils pour la santé, le coût et l’écologie.
Il est certain par contre que dans des grandes agglomérations c’est une aberration.
@Michel C, votre proposition de prendre le temps et ma proposition de réduire sans perte de salaire le travail n’ont pas à être mise en concurrence. Elles sont complémentaires : ma proposition (laquelle est absolument légitime et nécessaire) permet de rendre la vôtre possible, et cette dernière donne un sens supplémentaire à la mienne.
Vous me répondrez peut-être que vous n’avez pas dit que ces deux propositions étaient à mettre en concurrence, mais il demeure étrange que vous vous soyez adressé(e) spécifiquement à moi.
@Invite2018
Vous ne comprenez pas, c’est pourtant simple. S’il dispose de plus de temps libre et autant de pouvoir d’achat … à quoi donc le travailleur-con-sommateur et automobiliste de surcroît, passera t-il ce temps ? Pour moi c’est tout vu.
Donc, en réponse à votre idée fixe ( « il est impératif que sans perte de salaire le temps de travail soit très fortement réduit ») , je voulais seulement rappeler l’urgence de ralentir et de prendre le temps. Le temps déjà, pour repenser notre rapport au temps. Ainsi que notre rapport au travail, à l’argent, au (sacro-saint) pouvoir d’achat, à la (sacro-sainte) consommation, etc.
J’essaie seulement de remettre à sa juste place l’urgence de décoloniser nos imaginaires.
Bonjour @Michel C.
Il faut en effet qu’afin de réduire la vitesse et de réduire fortement l’usage de la voiture, cesser de soutenir le culte de la vitesse et arrêter de soutenir celui de la bagnole.
Mais je ne comprends pas bien pourquoi vous vous adressez à moi. En effet, mon commentaire allait justement dans le sens du fait de prôner l’arrêt du culte de la bagnole et de la vitesse.
Bonjour Invite2018
Afin de réduire la vitesse, afin de réduire fortement l’usage de la voiture individuelle, il est impératif d’en finir avec le culte de la Vitesse ainsi qu’avec celui de la Bagnole. L’Absurdie est incompatible avec l’écologie. Et ce n’est pas plus compliqué que ça ! Le sacro-saint Pouvoir d’Achat , c’est une autre histoire.
Il y a des sujets sensibles, des sujets avec lesquels on ne plaisante pas !
Et le sacré en fait partie. Dieu étant mort depuis belle lurette, du moins sous nos latitudes, le Sapiens dit moderne (civilisé, développé, libéré etc. ) est redevenu polythéiste. Il adore Mammon comme il adore Coca-Cola, Loréal, Rolex, Appel et Cons-orts. Les objets de culte sont légion, en tous cas le travailleur-con-sommateur voue désormais un véritable culte à sa sacro-sainte Bagnole. Tellement qu’il L’adore, il La ressent comme un besoin vital. En Absurdie la Bagnole est indispensable !
Même pour parcourir 500 mètres ! Même pour se déplacer moins vite qu’à vélo, même pour ne plus se déplacer du tout, dans les embouteillages.
La preuve, en France la circulation en ville représente la moitié des kilomètres parcourus, soit 398 milliards de km par an ! La moitié de ces trajets en ville faisant moins de 3 km ! Et 15% moins de 500 m !
En Absurdie on fabrique et on vend des bagnoles faites pour rouler à 200. Et en même temps … on demande à ceux qui les achètent de ne pas dépasser 80.
En Absurdie on cogite à des bagnoles de plus en plus « intelligentes » … et en même temps on n’est pas fichu d’imaginer un dispositif qui les empêcherait de dépasser les vitesses autorisées. En Absurdie on baigne en pleine hypocrisie, en Absurdie on prétend vouloir sauver des vies sur les routes … et en même temps on laisse crever les SDF et les migrants, en Absurdie on prétend vouloir sauver la planète… et en même temps on applaudit les J.O et le Dakar. etc. etc. Hi-han hi-han !
Afin de réduire la vitesse, voire afin de fortement réduire l’usage de la voiture individuelle, il est impératif que sans perte de salaire le temps de travail soit très fortement réduit.
Il n’est pas acceptable que le mode de déplacement demeure tout ce qu’actuellement ce même mode est. Le « tout-bagnole » est incompatible avec l’écologie », et est donc non-éthique!
N’importe quel outil peut croître en efficacité jusqu’à franchir certains seuils au-delà desquels il détruit inévitablement toute possibilité de survie. Un outil peut croître jusqu’à priver les hommes d’une capacité naturelle. Dans ce cas il exerce un monopole naturel ; Los Angeles est construit autour de la voiture, ce qui rend impraticable la marche à pied. Que les gens deviennent impuissants à circuler sans moteur, voilà le monopole radical.
Ivan Illich, La convivialité (1973)
http://biosphere.ouvaton.org/de-1970-a-1979/490-1973-la-convivialite-divan-illich
La vélocité du vélo peut servir de critère à la détermination du seuil critique de vitesse. Cette considération nous conduira peur-être à proscrire tous les transports publics à vitesse supérieure à celle de la bicyclette.
Ivan Illich, La convivialité (1973)
http://biosphere.ouvaton.org/de-1970-a-1979/490-1973-la-convivialite-divan-illich
L’Américain type consacre plus de 1500 heures par an à sa voiture : il y est assis, il travaille pour la payer, pour acquitter l’essence, les péages, l’assurance, les contraventions et les impôts. Il consacre donc 4 heures par jour à sa voiture, qu’il s’en serve, s’en occupe ou travaille pour elle. A cet Américain, il faut donc 1500 heures pour faire 10 000 kilomètres de route ; environ 6 kilomètres lui prennent une heure. Et encore ne sont pas prises en compte toutes ces activités orientées par le transport : le temps passé à l’hôpital, au tribunal ou au garage, etc.
Ivan Illich, La convivialité (1973)
http://biosphere.ouvaton.org/de-1970-a-1979/490-1973-la-convivialite-divan-illich
Pour moi qui suis pro-biodiversité et pas du tout naturaliste, il m’est évident que l’homme seul n’ira jamais plus vite qu’à pied. Utiliser une technologie pour accélérer n’est pas du tout une progression mais une évidente régression, une vulgaire poudre aux yeux pour les crédules (ou au nez pour les adeptes de drogue).
Comment expliquer cette évidence aux personnes d’opinions naturalistes… Rentrer dans une voiture, c’est comme s’enfermer dans une grotte, ou s’asseoir autour d’un feu et s’en trouver obnubilé (cela est d’ailleurs littéralement vrai puisque le moteur d’une voiture est un foyer). C’est comme si l’homme avait pris sa grotte, l’avait démonter en tous petits atomes et avait réorganisé ces atomes de façon à construire sa voiture (cela est encore d’ailleurs littéralement vrai puisque une voiture est issue de carrières). La voiture n’est qu’une grotte réorganisée, de la nature primitive réorganisée. L’homme ne change pas la nature de la nature de la grotte en la transformant en voiture. Cette voiture reste toujours nature stupide, un peu plus costumisée c’est tout (et encore). Et chez moi, l’inerte se développe au dépens du vide et non en symbiose avec, la vie en fait de même l’inerte. Elle se développe à son dépens, contre l’inerte (la nature) et non en symbiose avec. Proposer des voitures, c’est simplement être traite envers le vivant.