A-t-on vraiment le droit de saboter un chantier de TGV ?

Chantier titanesque, le TGV Lyon-Turin suscite la colère des écologiste. L’écrivain italien Erri De Luca a déclaré: « Le TGV doit être saboté », les actes de sabotage « sont nécessaires pour faire comprendre que le TGV est un chantier inutile et nocif (1er septembre 2013 sur le Huffington Post)». Une plainte a été déposée par LTF, qui a abouti à la mise en examen de l’écrivain pour « incitation à la violence » le 24 janvier.

1/2) Déclaration (résumée) d’Erri De Luca dans LE MONDE* :

« Je suis très sensible au droit à la parole. Comme écrivain, c’est par l’écrit que je m’engage. C’est un engagement évident, élémentaire. Mais mes propos sur le Huffington Post ne sont qu’une opinion. Ce n’est que mon point de vue sur ce projet, et sur ce qu’il serait bon de faire : saboter ces travaux. Il ne s’agit donc pas d’un acte. Les magistrats ont pris mes phrases et ils les ont mises entre guillemets, ils les ont interprétées pour les censurer. C’est comme de mettre des menottes à mes mots. Le sabotage est une forme de résistance politique qui ne peut s’entendre seulement au sens matériel. Ce mot a un sens plus large, un sens politique. Quand des députés s’opposent à une loi, au Parlement, ils la sabotent à leur manière. L’Italie est pleine de chantiers abandonnés, des ponts, des routes, des hôpitaux… Il y en a des centaines. D’une certaine façon, ces chantiers-là se sont autosabotés. Partout où il y a de grandes industries, il y a des tragédies écologiques. La défense de l’air, du sol, de l’eau, ça, c’est révolutionnaire. Le devoir moral de désobéissance existe. Le pouvoir est immobile, donc il faut parfois des activistes pour mener le combat, au nom du plus grand nombre. Je risque la prison. Si je suis condamné, je ne ferai pas appel. »

2/2) commentaires de Biosphere

Erri De Luca cite des actions de sabotage comme « couper des filets de protection d’un chantier » ou « endommager un compresseur ». Il ne s’agit donc pas d’atteinte directe aux personnes. On se place dans le cadre de l’action non-violente puisque c’est fait à usage découvert, avec l’espoir qu’une poursuite judiciaire fera connaître ses idées. Erri De Luca accepte la prison. Nous avons déjà traité de cette problématique dans un article précédent, agir contre les TGV, est-ce terrorisme ou bon sens. Mais Erri ne peut se défendre en justifiant du simple usage de sa libre parole, il y a bien dans ses propos « incitation à la violence ». Il lui faudrait assumer la liaison directe qui existe entre les mots et l’action, même si des personnes différentes sont concernées par la parole et l’acte.

                Ce qui nous semble plus intéressant dans le discours d’Erri De Luca, c’est la dénonciation du « sabotage » systématique par la civilisation thermo-industrielle de ses propres productions (chantiers surdimensionnés, friches industrielles, aéroports sans passagers, etc.), ce qu’il faut appeler à juste titre les Grands travaux inutiles. Il faut ajouter que la croissance économique s’est accompagnée non seulement par des tragédies écologiques, mais aussi par la détérioration des relations sociales (marchandisation des rapports humains) et la disparition forcée des métiers d’antan (exode rural, disparition de l’artisanat et du petit commerce…). Le problème, c’est que l’Etat a favorisé ce sabotage en règle au nom du soi-disant progrès social et du soi-disant progrès technique. En fait cela n’était que fuite en avant vers l’effondrement prévisible de notre civilisation basée sur des ressources rares et souvent non renouvelables. En ce sens le sabotage d’une ligne à grande vitesse s’apparente à un acte de résistance au rouleau compresseur de la « modernité », comme faisaient contre un système totalitaire quelques cheminots français lors de l’occupation allemande. Pour un écologiste, le sabotage de la ligne TGV Lyon-Turin ne devrait être qu’une manifestation parcellaire d’une révolte globale contre le système technicien.

* LE MONDE Culture&idées du 12 avril 2014, « Le devoir moral de désobéissance existe »