Alarmisme versus Catastrophisme à Momentum

Momentum avait organisé son 65ème séminaire le 12 octobre 2018. Plusieurs visions du monde à venir s’y opposaient, la synthèse est-elle possible ?

Yves Cochet  : Sans remonter aux appels du premier sommet de la Terre à Stockholm en 1972, nous observons que de nombreux papiers, appels, tribunes et pétitions sont apparus depuis un an : « cri d’alarme » des quinze mille scientifiques sur l’état de la planète en novembre 2017, appel en France de deux cent personnalités pour sauver la planète le 3 septembre 2018 ou manifestations pour « sauver la Terre » dans les rues de dizaines de villes. La structure commune à tous ces événements est constituée d’un constat alarmiste de l’état du monde. En résumé, depuis près de quarante ans, les écologistes ont tout perdu (ou presque) devant le triomphalisme croissant du libéral-productivisme, de ses serviteurs, et de leur indifférence au Système-Terre. Mais nos amis alarmistes pensent encore que l’effondrement systémique planétaire n’aura pas lieu. « Nous  » (ma ville, ma région, mon pays, l’Europe, le globe) saurons éviter la catastrophe par des réformes volontaristes, des accords graduels mais décidés, des initiatives incrémentales tant publiques que privées. Tel est le credo maintes fois réaffirmé depuis plus de quarante ans, malgré une réalité géobiophysique qui ne cesse de se dégrader. Tous les scénarios alarmistes prévoit le développement des véhicules autonomes, électriques, intelligents. En 2050, zéro énergies fossiles, et même zéro nucléaire pour les plus radicaux, mais nous roulerons électriques, renouvelables, et « smart » – avec l’intelligence artificielle et le monde numérique qui va avec. Autrement dit, il y aura de l’électricité en 2050. Je suis (presque) certain que non.

Les « catastrophistes » – ou « collapsologues » estiment de leur côté que l’effondrement mondial est désormais inévitable, et que l’on peut simplement en réduire les effets funestes, « minimiser le nombre de morts » qui se chiffreraient en centaines de millions en quelques années, par les voies traditionnelles dans l’histoire que sont les famines, les épidémies et les guerres. Dès aujourd’hui, donc, je propose une tout autre politique des transports dont le mode principal dès 2035 devrait être le cheval. Je planifie la disparition en cinq ans de Renault et de PSA et, parallèlement, j’étends considérablement les haras nationaux. À supposer que la Terre soit encore habitable dans le chaos mondial des années 2030, il sera plus résilient d’avoir un cheval qu’une automobile (électrique). Telle est la piste d’orientation que je propose pour Momentum.

Alice Canabate : Une grande ambivalence nous caractérise – que nous soyons collapsologues, effondrementiens, anthroposceneux, alarmistes, décroissancistes, ou que sais-je encore. Yves Cochet a suggéré de trancher qui de l’alarmisme et du catastrophisme constitue l’attitude adéquate et la « rationalité ». La question qui se pose est alors la suivante : A quel type de rationalité souscrivons-nous ? Une rationalité en valeur (guidée par une certaine conception de notre « devoir ») catastrophée, alarmiste, morbide ? Ne devrions-nous pas défendre et suggérer une rationalité en finalité qui, reliant les moyens et l’objectif poursuivi, distingue « l’amour de la vie » comme étant le principe nodal de toute position collective comme individuelle ? Sommes-nous véritablement sommés de choisir entre le pessimisme du déjà-trop-tard voire le nihilisme quasi- suicidaire, et l’optimisme béat des Colibris qui, à coup d’éco-gestes se pensent capables d’inverser le cours du monde ? Je doute que cet affrontement binaire – que je vois pourtant prospérer et clore toute possibilité de débat – soit notre salut.

Peut-on souhaiter porter et défendre la vie dans un monde qui s’effondre ? J’assume pour ma part, totalement, ma pulsion de vie et suggère que ce champ soit mis à l’étude, dans les pistes d’orientation à venir de Momentum.

Michel Sourrouille : En fait le débat Cochet/Canabate recouvre l’opposition classique optimisme/pessimisme. Rappelons ce fait trivial que notre seule certitude, c’est que nous allons tous mourir un jour et qu’un tel dénouement ne nous rend pas en soi neurasthénique ou euphorique. Tout dépend de notre capacité personnelle à faire preuve de résilience face aux réalités. Nicolas Hulot avait fait sienne cette pensée de David Brower : « L’optimisme et le pessimisme expriment sous des formes différentes la même capitulation face au futur ; car tous les deux le traitent comme une fatalité et non comme un choix. » En s’engageant dans un gouvernement pas vraiment écolo, il avait tenté de rendre possible l’impossible. Quant aux colibris et toute la mouvance de la sobriété volontaire, ils tentent concrètement de faire basculer les comportements collectifs en montrant qu’une autre manière de vivre est possible. Tous les cris d’alarme quels qu’ils soient modifient les consciences d’une manière ou d’une autre. Les médias nous présentent presque tous les jours telle ou telle catastrophe, reliée aux perturbations climatiques ou à d’autres phénomènes biophysiques. Dans ce contexte, opposer alarmisme et catastrophisme est un faux débat puisque le ressenti collectif a déjà évolué. L’opinion publique est maintenant convaincue que demain ne sera pas du tout comme hier et que ce sera très dur pour nos générations futures. Il se forme un peuple écolo qui ressent les menaces et la possibilité d’un changement brutal qui ne s’apparentera pas à une transition douce et verte. Que pour nous, analystes collapsologues, nous pensions que les jeux sont faits car les changement socioculturels sont trop lents pour nous permettre de faire face à des périls imminents ne changent rien à l’histoire qui, de toute façon, se fera sans nous. Que nous gardions dans une évolution socio-économique morbide le sourire aux lèvres ne peut qu’être un atout pour affronter sereinement l’effondrement. De toute façon la « pulsion de vie » nous incitera à faire des enfants même dans les détritus ou sous les bombes. Loin de ces considérations, je pense que Momentum devrait maintenant penser le temps long comme piste d’orientation.

L’objet de notre association, après avoir soutenu le concept « anthropocène » et analysé les mécanismes de l’effondrement civilisationnel pourrait (si vous le voulez bien) passer à une autre étape, envisager ce qui se déroulera sur une très longue période : la modification de nos fondements culturels. Pour moi le XXIe siècle sera à la fois le théâtre d’affrontements multiples autant que meurtriers, mais aussi l’origine d’une nouvelle mentalité généralisée. Nous souffrons aujourd’hui d’un anthropocentrisme exacerbé qui nous a délié de notre lien naturel avec la Terre. « L’homme doit dominer la planète », c’était à la fois le message de la religion des livres, du capitalisme croissanciste et de la technologisation de notre existence. Cette impasse économique et culturelle sera sans doute remplacée (si tout se passe bien) par une vision biocentrique, ou plus globalement un écocentrisme. Momentum devrait donner un sens médiatisé à l’opposition « écologie superficielle » et « écologie profonde » mis en évidence par le philosophe et écologiste Arne Naess : aménagement à la marge de notre système d’un côté (moteur propre, croissance verte et algorithmes) ou bien redonner à tous les êtres vivants, humains et non humains, une valeur intrinsèque. En d’autres termes, au-delà du constat d’effondrement de notre civilisation, il faudrait dévoiler qu’une nouvelle architecture spirituelle pour l’humanité est possible.

8 réflexions sur “Alarmisme versus Catastrophisme à Momentum”

  1. Alors… Bga80 n’a t-il rien à rajouter ?
    Tant mieux, j’en profite pour rajouter que vous vous gourrez complètement sur votre analyse. Je ne parle pas seulement de votre analyse du monde et du Système qui ne semble pas trop vous déranger, ni de votre analyse simpliste au sujet des fonctionnaires, mais de celle que vous balancez à mon encontre.

    « Tu sais tout le monde a compris votre manège depuis bien longtemps ! Pour défendre la fonction publique, vous montrez toujours des médecins, des infirmières, des enseignants, des policiers des pompiers en photo ou video, mais jamais vous ne voulez montrer vos réunions petits fours et café croissant de tous les planqués dans les administrations. »

    Eh ben non mon pauvre Bga80, vous avez tout faux !

  2. @Bga80
    Le problème Bga80, ce sont tous les métiers inutiles. Biosphère a abordé ce sujet (énorme problème) il n’y a pas très longtemps, et j’ai commenté. Je vous laisse le soin de chercher, de lire et de faire l’effort d’essayer de comprendre.

    Mais je voulais vous dire aussi que … j’ai bien compris que les tenants du Système se servaient des fonctionnaires pour justifier tantôt leurs problèmes, tantôt telle ou telle politique libérale.
    Les derniers sont évidemment tous ceux qui s’appliquent à réduire le nombre de fonctionnaires, qui prêchent les baisses d’impôts, qui font des cadeaux aux riches etc.
    Les premiers sont des petits, de pauvres couillons qui croient à la mouche qui pète et qui n’ont peut-être pas eu la chance d’entrer dans la fonction publique ou territoriale.

  3. @ Michel C

    Le problème Michel C, ce ne sont pas les fonctionnaires vraiment utiles à la population (policiers, infirmiers, médecins, facteurs, instituteurs etc), mais le problème étant tous les planqués des administrations ! Genre agents de communication de la Mairie qui publie un magazine de 8 pages toutes les semaines, et dont chaque agent n’écrit qu’une seule colonne par semaine, parce qu’en plus ils sont à plusieurs pour publier un magazine aussi pauvre en information (plus de photos que d’infos d’ailleurs, comme genre le JDA à Amiens), bon puis je ne parlerai pas des conseils régionaux, beaucoup de planqués qui se payent des mercedès juste à produire des réunions café croissant ou toast et petits fours)….

    Mais j’ai bien compris que les planqués de fonctionnaires se servaient des fonctionnaires vraiment en vitrine (infirmiers, docteurs, instituteurs, policiers, pompiers, etc) pour justifier leurs planques dans les administrations.

    Lorsque les gens ont une dent contre les fonctionnaires, ils n’ont pas une dent contre les fonctionnaires vraiment utiles, mais ils ont une dent contre les planqués de fonctionnaires inutiles qui se cachent derrière la vitrine des fonctionnaires vraiment utiles ! Tu sais tout le monde a compris votre manège depuis bien longtemps ! Pour défendre la fonction publique, vous montrez toujours des médecins, des infirmières, des enseignants, des policiers des pompiers en photo ou video, mais jamais vous ne voulez montrer vos réunions petits fours et café croissant de tous les planqués dans les administrations.

  4. Et allez, on ressort la vieille rengaine : Si tout va mal, si tout fout le camp, si tout est bloqué et patati et patata, c’est qu’« il y a trop de fonctionnaires ! »
    C’est bien connu, c’est écrit dans le Figaro, les fonctionnaires sont des privilégiés, de gros fainéants qui côutent cher à la collectivité alors qu’ils ne produisent rien, amen. Hi han hi han !!
    On croit qu’on pourrait avoir toujours plus de services, tout en payant toujours moins d’impôts et de taxes. C’est c’là, oui.
    On voudrait un max de sécurité, mais sans avoir à payer trop de flics. On voudrait de nouvelles lois sur ceci ou cela, mais sans personne pour les faire appliquer, on voudrait un système de santé qui ne ferait pas de différence entre les Rotschild et les Dupond, mais pas ces infirmières qui touchent même pas 2000 euros avec 20 ans d’expérience, on voudrait une école qui fasse de nos gosses autre chose que des crétins, mais avec toujours moins de profs. Ben oui, au stade où nous en sommes, on peut très bien remplacer les flics par des RoboCop et les profs par Google-Wikipedia-Facedebouc et Compagnie. Hi han !

    En fait c’est toujours pareil, de tous côtés nous retrouvons la même incohérence et la même hypocrisie. On veut le beurre et l’argent du beurre et plus si possible. On braille ici après les fonctionnaires, ailleurs après tels autres. On les accuse, ce sont eux les responsables, les coupables ! Et en même temps, on n’est pas fichu de voir qu’on vit et qu’on pense comme un petit-bourgeois, « comme un porc » , comme l’écrivait Gilles Châtelet, que son seul mérite a été celui de naître au bon moment et au bon endroit. Cet état d’esprit est caractéristique de la misère actuelle.

  5. « Mais si le gouvernement est bloqué, c’est le fait qu’il a trop de fonctionnaires à charge, il y a trop de coûts d’entretien pour entretenir tout ce monde de la fonction publique,  »

    Le constat est bien entendu exact mais n’ oublions pas que les taxes et surtaxes actuelles sont justifiées aussi par la surprésence de parasites étrangers légaux ou non issus ou non du regroupement familial « les fameux (im) migrants » soi diant si utiles pour notre économie et de culture si enrichannate , qui, pour la plupart palpent des alllocations et envoient une partie au bled : coût estimé lu sur FDS : 65 milliards € par an (hypothèse modérée) , excusez du peu .

    Merci, les esclavagistes du nouvel ordre mondial pour accueillir tous ces gibiers de potence au détriment de la population de souche .

    Il se trouvera sur ce site un comique pour s’ étouffer d’ indignation (simulée ) lorsque j’ évoque le pire fléau auquel l’ Europe doit faire face tant en matière démographique (submersion par surnatalité , disparition de la culture et civilisation , perte d’ identité , ruine économique , guerre civile probable, insécurité permanente , betonisation pour construction de logements sociaux pour abriter ces « richesses pour la France « , …)

  6. Aucun dirigeant n’aura le courage d’aller à contre-courant et de résoudre une par une les catastrophes qui s’annoncent, aucun dispositif sérieux pour chacune des catastrophes n’est mis en œuvre. En faite, le gouvernement est pris à la gorge et réagit de manière court-termiste et refourgue les problèmes à résoudre pour les gouvernements à venir, refourguant les pommes de terre brûlantes pour les gouvernements suivants pas encore élus. Qui fait comme le dit si bien Guillaume Faye, nous nous dirigeons vers la convergence des catastrophes, il faudra répondre à toutes les catastrophes simultanément à la dernière seconde. Mais si le gouvernement est bloqué, c’est le fait qu’il a trop de fonctionnaires à charge, il y a trop de coûts d’entretien pour entretenir tout ce monde de la fonction publique, alors le gouvernement préfère soutenir et amplifier le commerce, juste pour obtenir plus de taxes à court terme afin de pouvoir continuer de payer toutes ses légions de fonctionnaires, le gouvernement privilégie le commerce pour obtenir plus de Tva, même si c’est au détriment de l’environnement, environnement endommagé qui nous coûtera très cher aussi, mais ils s’en foutent car ce sera comptabilisé pour les futurs gouvernements pas encore élus…. Tous les dégâts occasionnés à l’environnement ne sont pas registrés dans leurs propres bilans liés à leurs propres mauvaises décisions, alors ils s’en foutent… Brel nous sommes dans l’ère de l’Homo- omnibulus-consommobulus-commercialobulus-taxolobulus… Les populations se sont détournées de la culture, et ne perçoit le monde qu’au travers du commerce et des taxes, bref des gueux très terre à terre (y compris parmi nos dirigeants, car en réalité la population singe leur comportement)

  7. Juste en évitant de se prendre pour Madame Soleil, Yves Cochet gagnerait en crédibilité. Je me garderais bien de prédire «la disparition en cinq ans de Renault et de PSA » si ce n’est l’annulation des prochains J.O. Sinon je partage son analyse, son constat ainsi que son résumé. Yves Cochet a l’honnêteté de désigner le libéral-productivisme, autrement dit le Capitalisme, ainsi que ses serviteurs. Bon nombre devraient se reconnaître. Comme lui je vois un bel avenir au cheval. Et aux bœufs aussi. De ce côté là nous pouvons donc être rassurés, nous ne sommes pas prêts de manquer d’énergie.
    Alice Canabate pose de bonnes questions, je répondrais comme elle : « J’assume pour ma part, totalement, ma pulsion de vie »
    Quant à cette opposition entre alarmisme et catastrophisme, en effet c’est un faux débat. Comme le dit Michel Sourouille, c’est revenir à « l’opposition classique optimisme/pessimisme […] Tout dépend de notre capacité personnelle ». De la même manière qu’un percheron ne sera jamais un cheval de course, un placide optimiste béat ne sera jamais un sinistre pessimiste prêcheur d’apocalypse. Et vice versa. Personne ne choisit de voir la vie en rose ou au contraire de la voir en noir, c’est là une « simple » affaire de tempéraments. A partir de là nous pouvons en remplir des pages et des pages et même des bibliothèques. Mais à quoi bon puisque nous en avons déjà largement assez, notamment pour comprendre où nous allons. Ne nous leurrons pas, tout le monde sait où nous allons. Seulement faut-il encore pouvoir le croire, vraiment le croire. Et ça c’est une autre histoire.

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