APD, l’aide au développement, une illusion

L’Élysée veut réformer l’aide publique au développement (APD). Action vouée à l’échec car développement impossible. On hésite aujourd’hui sur le qualificatif à adopter, pays en développement, pays émergents, pays sous-développés, pays en difficulté, pays pauvres, pays les plus pauvres, pays à bas revenu, pays endettés, pays en faillite. Le terme « pays sous-développés » est daté, il remonte au discours du président américain Truman en 1949 : « Nous devons nous engager dans un nouveau programme audacieux et utiliser notre avancée scientifique et notre savoir-faire industriel pour favoriser l’amélioration des conditions de vie et la croissance économique dans les régions sous-développées ».  La société thermo-industrielle devenait ainsi une référence universelle, il fallait passer obligatoirement par les cinq étapes de la croissance économique, c’est-à-dire dépasser l’état de société traditionnelle, faire son décollage économique pour aboutir à l’ère de la consommation de masse. Cela n’a que trop bien réussi aux pays du Nord et entraîné une catastrophe au Sud. En définitive ce n’est qu’une spirale d’appauvrissements constants. Il nous faut donc déconstruire à la fois l’idée de développement et les pratiques d’aide.

Le développement n’a été que la poursuite de la colonisation par d’autres moyens .Ce n’est qu’une entreprise visant à transformer les rapports des hommes entre eux et avec la nature en marchandises. Quel que soit l’adjectif qu’on lui accole, le contenu du développement c’est la croissance économique, l’accumulation du capital avec tous les effets que l’on connaît : compétition sans pitié, croissance sans limites des inégalités, pillage sans retenue de la nature. Peu importe que les uns estiment que le « développement » adviendra grâce à l’aide financière alors que d’autres prônent le commerce (trade not aid), dans le domaine du « développement », tout est possible, et surtout son contraire.Si à chaque fois l’entreprise tourne court, c’est faute de se détacher de la notion de « développement » qui est piégée dès l’origine car assimilé à « croissance ». Il faut reconsidérer la notion de pauvreté. Cette notion est absente du vocabulaire de toutes les langues pendant des millénaires. « Pauvre » existait en tant qu’adjectif et ce, pour indiquer que quelque chose n’était pas à la hauteur de ce qu’il devrait être, comme par exemple un sol pauvre, une santé pauvre. Les gens vivaient de très peu, sans jamais penser qu’ils étaient pauvres. En effet, si l’on prend la pauvreté dans le sens d’un mode de vie qui se suffit du nécessaire, la pauvreté était la condition normale des humains. La façon de vivre ensemble était le rempart le plus durable de leur communauté contre la misère. Comme le dit un proverbe tswana : « Là où il n’y a pas de richesse, il n’y a pas non plus de pauvreté. » Dans l’Afrique traditionnelle, on considère comme pauvre non pas celui qui manque de moyens matériels, mais celui qui n’a personne vers qui se tourner, devenant ainsi un orphelin social, un pauvre en relations. En fait, ériger la pauvreté en problème, c’est occulter le fait qu’elle constitue un rapport social et qu’elle ne peut se définir que par rapport à la richesse économique. « Laissez les pauvres tranquilles ». Cette phrase est de Gandhi qui, lui, connaissait bien ce dont les pauvres avaient besoin. Il savait notamment que les pauvres avaient rarement les besoins socialement fabriqués que leur créaient les riches. Ils n’avaient pas besoin de technologies, de produits, de « services » et de gadgets de toutes sortes qui les rendaient systématique dépendants des autres. Mais on ne discute jamais de ce qui fait la vraie richesse des pauvres.

Le texte du gouvernement Macronprévoit d’augmenter son montant à 0,55 % du revenu national brut d’ici à 2022, contre 0,44 % en 2019. Les pays occidentaux n’ont jamais atteint leur objectif de prêter 1 % de leur PNB, dont 0,7 % d’aide publique. C’était pourtant l’objectif fixé par les Nations unies… en 1970 ! De toute façon l’investissement public et privé, pas plus que la globalisation des échanges commerciaux, n’ont conduit à un monde plus équitable et durable. L’aide au développement est même devenue une menace pour le pays en difficulté. Il sera entraîné dans une série de dépendances qui en feront un instrument entre les mains de l’institution « donatrice ». Ce n’est pas sans raison que le gros des dépenses va à l’aide militaire, l’aide pour les infrastructures du « développement » et l’aide financière pour sauver des institutions bancaires de la faillite. Aujourd’hui un experts nobelisé comme Esther Duflo pensent que la solution consiste à mettre en place au Togo des transferts financiers rapides par téléphone avec un système de porte-monnaie électronique ! Selon les derniers chiffres publiés fin septembre 2020 par le Fonds monétaire international (FMI), la moitié des pays à bas revenu frôlent le surendettement ou y sont déjà tombés. Pékin détient 46 % de la dette africaine en 2017, contre 28 % en 2005. La Chine a dépensé en aide au développement ces dix dernières années autant que la Banque mondiale, soit près de 500 milliards d’euros. De nombreux pays se sont embarqués dans des financements chinois et ils réalisent aujourd’hui qu’il est difficile de renégocier leur dette. A l’Elysée, on souligne « les possibles risques de déstabilisation » d’une crise économique sur un continent, l’Afrique, en pleine croissance démographique.

Dans la déclaration d’Arusha en 1967, on estimait à juste titre qu’il est « stupide d’imaginer que la Tanzanie pourra enrayer sa pauvreté avec l’aide financière étrangère plutôt qu’avec ses propres ressources (…) Etre indépendant, cela veut dire compter sur soi (…) Qu’elles proviennent de l’impôt ou de l’extérieur, les ressources financières de l’Etat doivent être affectées en priorité aux paysans et non aux villes (…) Il convient de viser l’autosuffisance alimentaire… ».L’aide au développement est une absurdité quand on connaît l’absurdité du type de développement capitaliste : des voitures pour tous et bonjour l’effet de serre, une société de services payants et non plus gratuits, des facultés qui accueillent la majorité des jeunes futurs chômeurs. Cette construction sociale est un faux modèle impossible à généraliser dans le monde entier.

8 réflexions sur “APD, l’aide au développement, une illusion”

  1. La meilleure aide qu’on puisse leur apporter c’est d’abord l’annulation de leur dette.
    Macron le demande, la Chine ne veut pas, on n’en sort pas.

    1. Les dettes non remboursables par les emprunteurs finiront de facto par être annulées, il n’y aura pas d’autre solution. toutefois le principe ne peut être généralisé, si l’on annule régulièrement les dettes, comment trouver des créanciers à l’avenir ? Le principe d’un emprunt est quand même d’être remboursé.

      1. Comme la population, la pollution etc. la dette des pays pauvres ne cesse d’augmenter. En 2019 la dette extérieure totale des pays les plus pauvres du monde a augmenté de 9,5% pour atteindre le chiffre record de 744 milliards de dollars. Ceci notamment à cause des intérêts.
        Le principe d’un emprunt n’est pas seulement d’être remboursé, c’est surtout de gagner beaucoup d’argent sur le risque qu’il ne le soit pas. La réflexion sur «l’argent qui fait des petits» (l’intérêt, l’usure) remonte à très loin. Aristote et Saint Thomas d’Aquin condamnaient le prêt à intérêt, ils voyaient ça comme du vol.

  2. – « L’aide au développement est une absurdité quand on connaît l’absurdité du type de développement capitaliste.»

    C’est tout à fait vrai. Cette aide (à ce type de développement) vise à étendre et consolider ce modèle totalement absurde et mortifère (le Capitalisme), dans le but de créer toujours plus d’esclaves consommateurs etc. Et en même temps, elle permet aux riches de se payer une bonne conscience. Ce qui est loin d’être négligeable.

    1. C’est exactement comme lorsque les Européens ont décidé d’évangéliser les peuples jugés arriérés, exactement de la même façon que lorsque les bourgeois donnent une petite pièce aux mendiants à la sortie de la messe, comme lorsque de grandes puissances envoient leur armées pour soi-disant protéger des peuples opprimés, ou comme lorsque de grands «philanthropes» versent des sommes incroyables pour soi-disant lutter contre la pauvreté, la faim dans le monde etc. C’est aussi comme lorsque le «bon» écolo modèle donne 4 ronds pour «compenser» ses saloperies (1 week-end de shoping à Londres = X arbres = Y euros) etc. etc. Hypocrisie totale !

  3. Aujourd’hui je suis globalement d’accord avec Biosphère.
    Le développement c’est évidemment la croissance, jusque là tout le monde sera d’accord.
    Mais la croissance ou le développement de quoi ? Que doit-on observer et mesurer pour pouvoir dire s‘il y a croissance ou pas ? Notons déjà que la chose en question doit pouvoir être mesurée. La taille ou le poids par exemples. L’intelligence on sait la mesurer aussi, du moins c’est ce qu’on prétend, on sait même en fabriquer de l’artificielle.
    La bêtise (la connerie) c’est autre chose. De toute façon celle-là peut croître et se développer à n’en plus finir sans que personne ne s’en inquiète. Et quand je vois la façon dont ON s‘en accommode, ici et là… je me demande même si des fois, ON ne l’encouragerait pas.

    1. (suite) La mesure de quelque chose n’a évidemment de sens que si on peut la comparer à quelque chose d’autre, servant alors de référence. Regardons par exemple les courbes de croissance des gamins et demandons-nous comment sont établies ces deux courbes (min et Max) qui délimitent la taille et/ou le poids idéal, normal, disons la référence.

      – « La société thermo-industrielle devenait ainsi une référence universelle » (Biosphère)
      Autrement dit, ici la référence (le normal, l’idéal) c’est 3 bagnoles par foyers, 500 «esclaves» 24H/24H, etc. etc. Misère misère.

    2. – « Il faut reconsidérer la notion de pauvreté. »

      Oui bien sûr, il faut. Et puis YACA. Pour ça nous devrions logiquement pouvoir compter sur les malthusiens. Qui comme chacun sait luttent contre la pauvreté, du moins c’est ce qu’ils prétendent.
      Justement il y a quelques jours (26 déc à 18:25) je posais la question à l’un d’entre eux : «Et d’abord c’est quoi la pauvreté ?» J’attends la réponse. Pas que celle-là d’ailleurs.

      Pour moi la pauvreté, la misère comme la richesse, ne se mesurent pas seulement en euros ou en dollars. Les plus misérables ne sont pas nécessairement ceux qui n’ont pas les moyens de se payer la Rolex à 50 balais.
      Avant même la croissance économique, le (sur)nombre, la pollution, la pauvreté etc. le plus gros problème ne serait-il pas la misère intellectuelle ? Et sa croissance (exponentielle, si ça se trouve).
      La Bêtise, le dogmatisme, la haine etc. c’est ça la Misère. Misère misère !

Les commentaires sont fermés.