biosphere

obsolescence de la démocratie représentative

La démocratie représentative est géographiquement délimitée. En effet, la première mission du député consiste à représenter les Français et les sénateurs représentent les collectivités territoriales. Pourtant, comme le remarque Dominique Bourg*, les problèmes environnementaux ne sont plus locaux, mais transfrontaliers et, pour certains, globaux. Le changement climatique, l’acidification des océans, l’érosion de la biodiversité… sont des problèmes planétaires, à l’interface entre l’humanité et la biosphère. C’est une situation totalement originale. Cette problématique nouvelle entraîne nécessairement une nouvelle conception de  la démocratie représentative. Dominique Bourg propose d’ajouter des institutions supplémentaires… autant dire que les désastres écologiques arriveront plus vite que nos réformes !

C’est pourquoi nous proposons une méthode beaucoup plus rapide, changer le statut de la représentation, quitter son enfermement territorial face à des problèmes globaux qui s’étendent dans le temps et dans l’espace. Chaque parlementaire devrait se sentir le représentant de ses électeurs, mais aussi des acteurs-absents, c’est-à-dire les habitants des autres territoires, les générations futures et même les non-humains. Des chefs d’Etat réunis pour traiter du réchauffement climatique ou de l’extinction des espèces ont d’ailleurs fondamentalement pour rôle de penser à la place des générations futures et des non-humains. Cela ne consiste pas à se substituer aux générations futures pour décider à leur place de ce qui serait « bon pour elles », mais à décider d’éliminer ce qui serait « mauvais pour elles » de par notre action présente.

                La même procédure de représentation élargie devrait d’ailleurs s’imposer à tous les acteurs de la vie économique, chefs d’entreprises ou ménages. Car ce que nous produisons et consommons aujourd’hui a des effets écologiques planétaires et de long terme. Chacun de nous doit donc se faire l’avocat des tiers-absents, ceux qui ne peuvent être présents lors de nos délibérations mais qui sont pourtant directement concernées par nos décisions.

* LeMonde du 31 octobre 2010, un système qui ne peut répondre au défi environnemental

cervelle d’or, biosphère pillée

Il suffit de lire une semaine du Monde pour mesurer à quel point notre planète se vide :

– les prélèvements non durables d’eau sont passés de 126 km3 par an à 283 km3 de 1960 à 2000 dans le monde*

– pénurie des éléments rare, gallium, hafnium, indium, rhodium …**

– un cinquième des espèces de vertébrés de la planète est menacé d’extinction***

Nous sommes à l’image de l’homme à la cervelle d’or****, nous puisons dans les tréfonds de notre planète pour en arracher les derniers morceaux : « Du train dont il menait sa vie, royalement, et semant l’or sans compter, on aurait dit que sa cervelle était inépuisable… Elle s’épuisait cependant, et à mesure on pouvait voir les yeux s’éteindre, la joue devenir plus creuse. Un jour enfin, au matin d’une débauche folle, le malheureux, resté seul parmi les débris du festin et les lustres qui pâlissaient s’épouvanta de l’énorme brèche qu’il avait déjà faite à son lingot. Il était temps de s’arrêter. »

Mais comme le malheureux héros de cette fable, nous ne savons pas nous arrêter…

* LeMonde du 24-25 octobre, Aux Etats-Unis, l’agriculture irriguée est en sursis

** LeMonde du 27 octobre, la situation préoccupante d’éléments essentiels pour l’industrie de pointe

*** LeMonde du 28 octobre, un plan de discussion a minima pour la biodiversité

**** La Légende de l’homme à la cervelle d’or d’Alphonse Daudet in Lettres de mon moulin (1866)



Allègre n’aura jamais tort !?

Ainsi va notre monde trop humain, c’est la duplicité qui gagne toujours. L’Académie des sciences était mandatée pour déterminer si Allègre était un imposteur ou un affabulateur, l’Académie « des sciences » a simplement déclaré (bien après toutes les autres instances scientifiques internationales) que le réchauffement climatique était une réalité*. L’Académie « des sciences » pond enfin un rapport qui ne cite même pas une seule fois les travaux du GIEC. Vendredi dernier sur RTL, Claude Allègre qualifiait déjà ce document de « compromis » sans répondre aux questions du journaliste. Or un compromis, c’est l’inverse de la réalité scientifique. Et Courtillot a fait des pieds et des mains pour qu’on parle dans le rapport des effets du soleil sur notre biosphère.

On ne peut que constater que les climato-sceptiques sont des êtres bornés qui se sont trop longtemps appuyés sur le silence d’une Académie prétendument scientifique. Une Académie qui rédige un rapport uniquement parce qu’elle y a été obligée par une pétition des climatologues relayée par la ministre de la recherche. Une Académie qui a discuté à huis clos et fonctionné avec un « comité secret ». Une Académie dont beaucoup de membres ont révélé leur méconnaissance des mécanismes climatiques dans des documents qui sont restés confidentiels. Une Académie qui ne sait pas ce que scientifique veut dire. Car la science n’est pas une affaire de négociation, encore moins de protection des membres de cette Académie.

                L’intérêt accessoire de cette histoire, c’est l’absence de Claude Allègre dans les médias depuis la pétition des climatologues contre leurs détracteurs (Allègre et Courtillot). Mais en définitive les écolo-sceptiques ne peuvent évoluer, ils inventeront d’autres énormités pour faire parler d’eux. Cette triste histoire montre finalement la difficulté pour nos sociétés repues d’envisager les nécessaires économies d’énergie pour faire face non seulement au réchauffement climatique, mais aussi à l’épuisement des ressources fossiles… Alea jacta est !

* LeMonde du 29 octobre, l’Académie des sciences sort de l’ambiguïté.

 

l’adieu à la croissance

La croissance ne fait pas l’emploi quand la productivité augmente plus vite que le PIB. En fait, à population active identique, c’est l’augmentation de la productivité du travail qui fait la croissance. Mais il ne s’agit que d’une productivité apparente car les travailleurs sont accompagnés d’un capital technique (machines…) et de l’utilisation du capital naturel (énergie, eau, matière premières…). Le PIB comme la productivité du travail ne considèrent pas l’épuisement ou la détérioration du capital naturel. Comme l’activité humaine a dépassé les capacités de la planète, nous sommes en décroissance et le PIB comme la productivité sont incapables de nous l’indiquer. Les économistes orthodoxes inventent alors l’idée de substituabilité, le capital et le travail technique pourraient compenser les pertes de capital naturel. C’est une complète illusion. C’est notre énergie physique qui remplacera l’énergie fossile et créera des emplois… si nous sommes raisonnables !

De plus en plus d’économistes reconnaissent maintenant que nous dépendons d’une réalité biophysique. Denis Clerc, fondateur du magazine Alternatives économiques, reconnaît qu’on ne peut plus être favorable à la croissance à court terme et critique dans le long terme*. Jean Gadrey reconnaît les imperfections de l’indicateur PIB qui ne mesure ni le bien-être, ni la soutenabilité écologique**. Nous donnerons le dernier mot à René Passet *** :

 » Comme système, je ne vois rien d’autre que la bioéconomie. Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la biosphère, c’est-à-dire l’ensemble des êtres vivants et des milieux où ils vivent, conditionnent tout le reste. Incluse dans cette biosphère, les organisations économiques doivent en respecter les lois et les mécanismes régulateurs, en particulier les rythmes de reconstitution des ressources renouvelables ».

Nous ajoutons qu’il ne  faudrait pas utiliser de ressources non renouvelables de manière non recyclable.

* L’écologie, c’est l’emploi d’Hervé Kempf (leMonde du 22 octobre 2010)

** Adieu à la croissance de Jean Gadrey (les petits matins, 2010)

*** René Passet dans Télérama 3171 (20 octobre 2010)

lapins en cage, travailleurs en clapier

La densité des lapins dans leur cage est de 45 kg/m2, soit une feuille de papier A4 par individu*. Manifester pour l’amélioration de leur sort est possible**. Allons plus loin : le sort des animaux en élevage intensif hors sol, lapins, poules, cochons, vaches… est similaires au sort des travailleurs. Pour comprendre cela, il faut lire d’urgence Les poules préfèrent les cages d’Armand Farrachi (Albin Michel, 2000). Un extrait :

« L’objectif à peine dissimulé de l’économie mondialisée est de soumettre le vivant aux conditions de l’industrie. En ce sens le sort des poules en cage, qui ne vivent plus nulle part à l’état sauvage, qui n’ont plus aucun milieu naturel pour les accueillir, augure ainsi du nôtre. Il est possible dans notre monde actuel de prouver que les poules préfèrent les cages, que les otaries préfèrent  les cirques, les poissons les bocaux, les Indiens les réserves, les Tziganes les camps de concentration, les humains les cités.

Si les poules préfèrent les cages, on ne voit donc pas pourquoi les humains ne préfèreraient pas les conditions qui leur sont faites, aussi pénibles, aussi outrageantes soient-elles, à une liberté dont ils ne sauraient faire bon usage et qu’ils retourneraient contre eux-mêmes. Les instituts de sondage, les enquêtes d’opinion et les études de marché prouvent statistiquement qu’un citoyen normal préfère l’anesthésie des jeux télévisés et des parcs de loisirs pour « se sentir en sécurité, ne pas éprouver de douleur, ne pas présenter de symptômes d’ennui et de frustration ». Il importe peu de savoir comment la volaille humaine s’épanouirait au grand air, mais à quel prix elle préférerait une cage. »

* LeMonde du 24 octobre 2010, des « lapins géants » protestent contre leurs conditions d’élevage

** Association de protection animalière L214

 http://www.l214.com/

Monsanto et la prophétie de Rachel Carson

En 1962, Rachel Carson* montrait que le DDT n’avait pas d’avenir. Aujourd’hui, c’est le Roundup de Monsanto qui lui donne raison. Rachel Carson écrivait : « Le tir de barrage chimique, arme aussi primitive que le gourdin de l’homme des cavernes, s’abat sur la trame de la vie, sur ce tissu si fragile et si délicat en un sens, mais aussi d’une élasticité et d’une résistance si admirables, capables même de renvoyer la balle de la manière la plus inattendue. Ces extraordinaires possibilités de la substance vivante sont ignorées par les partisans de l’offensive chimique, qui abordent leur travail sans aucune largeur de vues, sans le respect dû aux forces puissantes avec lesquelles ils prétendent jouer. Vouloir « contrôler la nature » est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal, où l’on pouvait encore croire la nature destinée à satisfaire le bon plaisir de l’homme. »

                Aujourd’hui dans l’Arkansas**, les fermiers les plus modernes du monde doivent revenir à des outils d’un autre âge, la houe et la pelle, pour déloger l’amarante de Palmer qui envahit leurs champs. Il arrive que ses racines cassent des moissonneuses. La plante peut pousser de 5 centimètres par jour et atteindre deux mètres de haut, chaque femelle contient 250 000 graines. A bout de quinze ans d’usage intensif et exclusif du glyphosate (Roundup), une dizaine de « mauvaises » herbes sont devenues résistantes au produit, dont l’amarante de Palmer. Le mécanisme de la sélection naturelle a joué. La firme Monsanto perd le contrôle du monstre qu’elle a créé avec les transgéniques résistants aux insecticides, ses créatures de laboratoire font face à des mutants naturels.

                Mère nature n’en a fait qu’à sa tête ? Non, elle se défend comme elle peut contre la folie des humains, viol de la barrière des espèces, monoculture, empoisonnement des sols…

* Le Printemps silencieux de Rachel Carson (1962)

** La mauvaise graine de Monsanto (LeMonde du 19 octobre 2010)

tous à la manif (à Nagoya)

 

Aucune conférence internationale n’arrivera à solutionner quelque problème que ce soit. A Nagoya, la dixième conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB, 193 pays) ne fera pas exception à la règle. Que LeMonde (19 octobre 2010) consacre une page à la disparition des espèces n’y changera rien ! Une conférence internationale est par définition une rencontre entre nations : chacun défend les intérêts de son pays, pas l’intérêt commun. En 2002, on s’était engagé à freiner la disparition accélérée des espèces d’ici à 2010, aucun pays n’a respecté cet objectif. Les scientifiques démontrent qu’il n’y aura pas de planète de rechange, pourtant  rien ne change. Le Parti socialiste français souhaite dans un communiqué de presse  que « ces débats aboutissent à l’adoption d’objectifs internationaux ambitieux en faveur de la diversité biologique pour les horizons 2020 et 2050 ». Pas difficile de s’exprimer ainsi pour que rien ne change. Le WWF est présent à Nagoya pour suivre l’évolution du sommet au quotidien. La biodiversité continuera de se dégrader à un rythme inquiétant. La superficie et la qualité des habitats naturels continu à se dégrader presque partout. Le rythme auquel disparaissent les espèces est de 100 à 1000 fois plus rapide que ce qui s’est passé au cours des 500 derniers millions d’année.

Que la vie dans les forêts, les océans et les écosystèmes de notre planète constituent les fondements de notre société et de notre économie, au fond tout le monde s’en fout. La perte de biodiversité est encore une abstraction aux yeux des travailleurs. Il faudrait arrêter la déforestation, arrêter la destruction des écosystèmes, supprimer les subventions à la pêche industrielle, porter la superficie des espaces naturels protégés à 25 % (contre 13 % à l’heure actuelle), etc. Mais la perte de biodiversité est un avantage pour les industriels et les consommateurs. Tout le monde est donc complice, personne ne manifestera dans les rues pour protéger la richesse de la biodiversité.

manifester c’est facile, réfléchir bien trop dur

Il est plus facile de bloquer un lycée après envoi d’un SMS que de s’interroger sur la pérennité d’un système de retraite. La rue perd toujours le sens des réalités car les mouvements de foule n’aident pas à la réflexion. Tout va encore plus mal quand syndicats et parti socialiste incitent la population à manifester indûment. Car l’endettement de la France oblige à une cure d’austérité et la réforme française en cours ne permet au mieux le refinancement que jusqu’en 2018. En Espagne un gouvernement de gauche recule l’âge de la retraite de 65 à 67 ans d’ici à la fin de cette année 2010. Ajoutons à la crise d’endettement de l’Etat que nos citoyens vivent en moyenne au-dessus des possibilités de la planète ; ce n’est donc pas seulement pour le régime de retraite qu’il faudrait faire des efforts. Nous allons nécessairement vers une société d’austérité généralisée, il faut l’expliquer dès maintenant aux Français, jeunes et moins jeunes. Les présidentielles de 2012 se joueront aussi sur le courage politique de regarder les réalités en face.

Au Royaume-uni, c’est paradoxalement un gouvernement conservateur qui donne l’exemple*. En ces temps d’austérité budgétaire, il ne se passe pas une semaine sans que le Premier ministre David Cameron prenne aux riches pour protéger les pauvres. Il est vrai qu’aux yeux des citoyens on ne peut faire accepter l’austérité que si les épaules les plus larges portent le poids des sacrifices les plus lourds. Si Sarko avait supprimé le bouclier fiscal en même temps qu’il lançait le chantier des retraites, la réforme aurait pu passer plus facilement… Pour être populaire, l’austérité se doit d’être juste, si ce n’est joyeuse : on peut vivre mieux avec moins dans les pays riches.

 Notons aussi que le vieillissement d’une population pousse inéluctablement au durcissement des conditions de la retraite, même la Chine en a conscience**.

* LeMonde du 17-18 octobre 2010, l’austérité juste de David Cameron pèse sur les plus riches.

** LeMonde du 17-18 octobre 2010, Shanghai teste un report de l’âge de départ à la retraite.

Google, adepte du greenwashing

Google participe à un projet d’investissement*, l’Atlantic Wind Connection, un parc immense d’éoliennes offshore. Google manifeste ainsi son enthousiasme pour les énergies renouvelables. Google dispose d’une réserve de liquidités de 30 milliards de dollars. Google va sauver la planète !

                Un peu de calme. Google se trompe d’objectif, il ne s’agit pas de construire de plus en plus d’éoliennes pour être écolo. Les participants à un sondage délibératif** sur l’avenir de l’énergie, organisé par James Fishkin, avaient changé d’avis au cours de l’exercice. Si, au début, ils avaient une nette préférence pour les énergies renouvelables (dans l’espoir de concilier une croissance ininterrompue de la consommation énergétique et des impératifs environnementaux), après instruction et discussion, ils ont mis l’accent sur une autre option : davantage d’investissement dans les économies de l’énergie. Tenant mieux compte des contraintes auxquelles leur région devait faire face, les participants ont élargi leurs perspectives au-delà de leurs préférences de consommateurs et de leurs intérêts d’électeurs. Comme eux, Google doit devenir véritablement écolo.

                Nous devons faire de drastiques économies d’énergie, ne pas cumuler les sources d’énergie mais seulement substituer aux énergies fossiles des énergies renouvelables. Google ferait donc mieux de nous inciter à cliquer moins souvent sur Internet, 7 grammes de CO2 émis à chaque fois. Google ferait mieux de disparaître avec les autres moteurs de recherche, cela ferait des économies d’électricité.

* LeMonde du 16 octobre 2010, Google veut faire souffler sur l’Atlantique le vent de l’écologie

** Vers une démocratie écologique de Dominique Bourg et Kerry Whiteside (Seuil, octobre 2010)

grève des lycéens, rêves sans lendemain

Les lycéens sont dans la rue… pour la retraite à 60 ans ! Les jeunes ne s’imaginent pas du tout que dans cinquante ans les chocs pétroliers auront fait leur effet. En 2060 quand ils arriveront à l’âge de la retraite, la désindustrialisation sera galopante, les caisses de l’Etat seront vides, les réfugiés climatiques nombreux, les chômeurs encore plus nombreux qu’après la crise de 1929. Beaucoup trop d’ayants droit pour les rares actifs occupés, le système de redistribution sur lequel reposent les retraites en France sera exsangue.

Les jeunes ne savent même pas analyser les projets gouvernementaux, ils ne savent même pas que la CGT existe ! Les jeunes peuvent encore moins se projeter dans le futur, on les apprend à vivre au présent. Ils sont dans une bulle, protégés de la dure réalité par leurs casques audio ou leurs mobiles, vissés devant leurs écrans (télévisons, portables et jeux vidéos) qui les enferme dans un monde de pacotille. Les manifestations récurrentes des lycéens, pour un oui ou pour un non, ne signifient rien de plus que l’appel de la rumeur SMS et l’envie de ne pas aller en cours. Les lycéens aiment faire la nique aux adultes, préfèrent se retrouver entre eux, manifester non pour la retraite mais pour le simple plaisir d’être ensemble. Les lycéens ânonnent qu’ils pensent à l’avenir, mais ne savent même pas qu’ils sont manipulés, par les marques, par les modes, par la pub, par la dernière génération de gadget électronique, par l’industrie du profit qui fabrique hors de France. Même dans les familles qui se veulent pédagogiques, nous sommes frappés de la façon dont beaucoup de parents éduquent leurs enfants. Ils comblent leur progéniture de tout ce qu’il faut comme livres bien choisis et jouets éducatifs. Tous ses désirs étant devancés, l’enfant ne manque de rien… sauf peut-être de manque. L’enfant a perdu l’habitude de la frustration alors que grandir, c’est apprendre à surmonter ses frustrations, apprendre la réflexion. Cela prend du temps et ne se trouve pas dans la rue. Il faut accepter d’aller en cours pour apprendre à différencier les différents régimes de retraites, ce que veut dire démocratie représentative, prendre conscience qu’on est mineur et qu’on ne sait pas grand chose… si le système éducatif était ce qu’il devrait être !

Quand on entend un collégien dans la rue dire « je manifeste parce que je ne veux pas travailler deux ans de plus », on se demande pourquoi il ne manifeste pas pour lutter contre les pollutions qui lui provoqueront un cancer bien avant ses 62 ans, ou contre la société de consommation qui l’endettera bien avant de faire valoir ses droits, ou pour les économies d’énergie sur une planète épuisée. Les lycéens n’ont plus conscience des limites qu’impose le monde réel en devenir, les adultes ne leurs apprennent plus où sont les priorités.

il faut bloquer les dépôts de carburant

Les forces de l’ordre ont rouvert plusieurs dépôts pétroliers*. « Le blocage des sites est scandaleux. Il dérange qui? Ceux qui ont besoin de leur voiture pour aller au travail. », s’exclame un internaute. Le secrétaire d’Etat aux transports, renchérit : « On ne peut pas se permettre une pénurie d’essence, il faut penser à toutes celles et tous ceux d’entre nous qui ont besoin de se déplacer (…), aux entreprises, aux transporteurs routiers, tout ce qui fait la vie de notre pays. » Dominique Bussereau a répété que la France ne connaîtra pas de pénurie, « nous avons des réserves ». Mais que fera l’Etat quand la conscience du pic pétrolier va entraîner l’affolement des marchés ? Le prix du bail dépassera très vite 300 dollars (en 1973, le prix du pétrole avait quadruplé), nous aurons un rationnement par les prix.  Il ne s’agira pas d’un blocage temporaire des douze raffineries françaises, mais d’une limitation drastique des quantités d’essence qui pénalisera surtout les catégories modestes.

Il y a actuellement une contradiction frontale entre ce qu’il conviendrait de faire (économiser l’énergie) et ce que nous faisons (brûler toujours plus de pétrole) . En effet toutes les actions nécessaires heurtent nos intérêts immédiats et nos modes de vie : renoncer à rouler dans une grosse cylindrée, modifier un régime alimentaire trop  carné, réduire les voyages aériens, consommer moins de biens matériels, toutes choses qui fonctionnent au carburant. Comme l’exprime Dominique Bourg**, « Nous subissons une tyrannie originale, celle qu’exerce la jouissance immédiate des individus à l’encontre d’enjeux vitaux à moyen et long terme pour le genre humain. »

Si nous étions dans un parti « vert », nous bloquerions de façon temporaire et renouvelée les dépôts pétroliers pour bien indiquer à la population ce qui va arriver un jour prochain : de moins en moins d’essence pour aller au boulot en voiture pour pouvoir amortir le prix de sa voiture et acheter toujours plus d’essence.

* LeMonde du 16 octobre

** Vers une démocratie écologique de Dominique Bourg et Kerry Whiteside (Seuil, 2010)

pour une démocratie écologique

Nous sommes presque tous désolés de la disparition prochaine des Tuvalu* pour cause de réchauffement climatique. Mais personne ne croit plus sérieusement à la signature d’un accord contraignant fin novembre sur les émissions de gaz à effet de serre lors du sommet de Cancun. La question de fond se pose : la démocratie représentative est-elle maintenant suffisante pour prévenir les risques écologiques majeurs ? Le livre récemment paru de Dominique Bourg et Kerry Whiteside, « vers une démocratie écologique », pose sérieusement le problème :

                « Tout le monde sait qu’il y a péril en la demeure, mais personne ne semble déterminé à agir. Au cœur de ce paradoxe se trouve notre façon de décider collectivement. Et si notre incapacité d’agir nous renvoyait aux imperfections de notre système politique ? Protéger la biosphère exige de repenser la démocratie elle-même. Il est de plus en plus évident que les problèmes écologiques auxquels nous sommons confrontés ne peuvent être résolus par le gouvernement représentatif classique. » En conséquence, Dominique Bourg et Kerry Whiteside proposent d’adjoindre  au système représentatif classique d’autres processus institutionnels : bio-constitution, bio-sénat, Académie du futur, ONGE. Autant dire que cette réforme institutionnelle n’aura lieu que trop tard, après l’émergence de millions de réfugiés climatiques et/ou les effets socialement funestes du pic pétrolier.

                Nous proposons plus simplement de changer le mode de réflexion des élus. Il suffit pour instaurer une démocratie écologique que les élus, quel que soit le territoire d’appartenance dans lequel ils sont  désignés, tiennent compte dans leurs décisions non seulement de leurs administrés, mais aussi des tiers, absents par définition lors des délibérations démocratiques (ce qu’on appelle les acteurs-absents) : c’est-à-dire les individus des autres territoires, les générations futures, les non-humains. Alors les élus feront preuve d’une conscience élargie dans le temps et dans l’espace qui leur permettra de démontrer aux yeux de leurs concitoyens qu’ils agissent dans le bon sens. Agir dans le bon sens, c’est savoir se démarquer des intérêts  corporatistes et à court terme, du profit immédiat, des lobbies, etc. Agir dans le bon sens, c’est montrer qu’un élu n’est pas seulement l’avocat des intérêts présents, mais des intérêts futurs de la communauté biotique au sens large, humanité comprise. Agir dans le bon sens, c’est faire preuve de courage politique et ne plus penser constamment à sa prochaine réélection.

* LeMonde du 13 octobre, Ian Fry, l’homme qui négocie pour que les Tuvalu ne finissent pas sous la mer

vivre comme l’indien moyen

Le réchauffement climatique dont raffolent les médias* pourrait nous faire oublier tout le reste. Il faut noter d’urgence que l’humanité engloutit déjà l’équivalent d’une planète et demie**. Ce qui veut dire que nous brûlons notre capital naturel, et quand notre maison (la biosphère) aura été dilapidée, il nous restera les guerres, les épidémies et les famines. Si rien ne change dans nos modes de consommation, l’humanité aura besoin de deux planètes en 2030. Il nous faut donc envisager de vivre comme des Indiens : si tout le monde vivait comme le citoyen indien moyen, l’humanité n’utiliserait même pas la moitié de la biocapacité de la planète…

Quelques réactions à cette information sur lemonde.fr*** :

– Max Lombard : Dans la mesure où la quasi-totalité de la population des pays émergents et même de ceux qui restent immergés souhaite vivre à l’occidentale, il est inutile que je me prive de mes vacances à la neige ou de mon steak.

– Remi : Si on diminuait le nombre d’habitants sur terre par deux… Cela ne poserait pas de soucis… Arrêtons de faire des gosses comme des lapins…

– André Wandoch : Le fond du problème est et restera le partage des richesses. De gré ou de force, on ne contournera pas cette unique solution. On va espérer que ce sera de gré.

                Sur ce blog, nous estimons depuis 2005 que la baisse du niveau de vie à l’occidental est absolument nécessaire. Un jour prochain la voiture individuelle sera même interdite car le pic pétrolier, c’est en ce moment-même. Quant au réchauffement climatique, il s’atténuera quand nous déciderons de ne plus brûler de ressources fossiles, événement qui ira de pair avec les conséquences fâcheuses du pic pétrolier. Quant à la démographie, malheureusement nous connaissons sa terrible inertie, ce qui ne veut pas dire que le modèle chinois d’un enfant par famille n’a pas pour vocation d’être généralisable. Qu’attendent les politiques pour mettre tout ça à leur programme ? Et éviter ainsi la catastrophe climatique !

* LeMonde du 12 octobre 2010, la perspective d’un accord sur le climat s’éloigne encore.

** le rapport « Planète vivante 2010 » de l’organisation écologiste WWF

*** planete/article/2010/10/13/l-humanite-engloutit-l-equivalent-d-une-planete-et-demie

Europe Ecologie-les Verts

« Europe Ecologie Les Verts ». Tel sera sans doute le résultat de la fusion des écologistes de gauche à la mi-novembre. Mais qu’en est-il de leur programme ? Leur « Manifeste pour une société écologique » est manifestement socio-économique, certainement pas écologiste. Nous pouvons seulement lire au détour d’une phrase : « L’heure est venue de convaincre plus largement que l’écologie est autre chose qu’une niche spécialisée ou une thématique parmi d’autres. Il n’y a pas d’activités, de disciplines ou de secteurs qui échappent au prisme de l’impératif écologique. » Mais pour la concrétisation, rien ou presque. On demande le « respect des animaux en tant qu’êtres vivants », rien de plus ; les « droits du vivant » sont une simple annexe de l’émancipation des hommes et des femmes ; la « sanctuarisation du vivant et des équilibres naturels devrait se substituer à la pulsion dominatrice sur la nature », mais uniquement pour garantir la diversité biologique.

De plus la « Charte des valeurs » qui accompagne le manifeste n’accorde aucune valeur intrinsèque aux non-humains : il suffirait d’instaurer « un rapport respectueux et non violent entre l’être humain et la nature » et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il faudrait un « partage équitable des richesses et des ressources entre les peuples, entre les générations, entre les territoires et plus généralement au sein de la société », l’ensemble des besoins de la biodiversité, on n’en a rien à cirer. Nous sommes en présence d’une écologie très superficielle. En comparaison, la Déclaration de principes du Parti socialiste de 2008 était beaucoup plus écolo :

– Conscients de l’étroite interaction des activités humaines et des écosystèmes, les socialistes inscrivent la prise en compte de la planète au même rang de leurs finalités fondamentales que la promotion du progrès et la satisfaction équitable des besoins.

Les finalités du socialisme démocratique portent pleinement la volonté de préserver notre planète aujourd’hui menacée particulièrement par les risques de changement climatique et la perte de la biodiversité, de protéger et de renouveler les ressources naturelles.

NB : pour une information succincte sur l’Acte 1er du rapprochement entre les Verts et Europe Ecologie : les assises territoriales. (LeMonde du 10-11 octobre 2010)

Géraud Guibert et l’écologie profonde (4/4)

Le silence des intellectuels français à l’égard de l’écologie n’est pas tant une indifférence qu’une méfiance, voire une hostilité déclarée. Voici le dernier épisode d’un récapitulatif de textes qui dénigrent l’écologie profonde sans rien comprendre de cette philosophie de l’éthique :

Le texte* de Géraud Guibert : « Dans la logique de l’écologie profonde, la question démographique est  essentielle et la diminution du nombre d’homme sur terre est un axe stratégique majeur. » (p.53-54)

=> notre analyse :

L’axe stratégique majeur de l’écologie profonde, qui est d’abord une philosophie (définie par Arne Naess), n’est pas la question démographique, mais la question des valeurs :

          le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains.

          la richesse et la diversité des formes de vie contribuent à l’accomplissement de ces valeurs et sont également des valeurs en elles-mêmes.

La question démographique ne résulte pas des préoccupations de l’écologie « profonde », mais du procès théorique fait à Malthus par Marx. Dans la réalité, la question démographique résulte de l’explosion démographique qui accompagne la révolution industrielle. D’ailleurs dans les années 1970, la préoccupation démographique était  politiquement prise en compte. Dans le rapport préparatoire à la première conférence des Nations unies sur l’environnement (Nous n’avons qu’une terre de Barbara WARD et René DUBOS – Denoël, 1972), il était dit : « Nous savons que la stabilisation de la population mondiale est une condition de survie. Le ressources de la biosphère ne sont pas illimitées, tandis que la progression géométrique de la reproduction semble ne pas avoir de bornes. »  Dans le programme de René Dumont pour la présidentielle de 1974 : « Il faut réagir contre la surpopulation. En Inde surpeuplée certes, mais surtout chez les riches : 500 fois plus d’énergie consommée par tête à new York que chez le paysan indien. Ce qui remet en cause toutes les formes d’encouragement à la natalité, chez nous en France. La France de 100 millions de Français chère à M.Debré est une absurdité. Les propositions du mouvement écologique : la limitation des naissances ; la liberté de la contraception et de l’avortement. Nous luttons pour le droit absolu de toutes les femmes de régler à leur seule convenance les problèmes de contraception et d’avortement. »

Le texte* de Géraud Guibert :  « Les signes avant coureur d’une logique antihumaniste hautement contestable percent dans quelques cas. Dans la logique de l’écologie profonde… »

=> notre analyse : Arne Naess rejette le dualisme cartésien et prône la non-violence. On ne peut certainement pas dire qu’il s’agit d’une « logique antihumaniste ». Dans un livre paru récemment en France, J.Baird Callicott fait clairement le point sur la question de l’écofascisme :

 « L’éthique de la terre serait un cas de fascisme environnemental. Une population humaine de six milliards d’individus est une terrible menace pour l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Comme notre population s’accroît à un rythme effréné, notre devoir serait de provoquer une mortalité humaine massive.

Mais l’éthique de la terre n’implique aucun conséquence cruelle ou inhumaine. Cette éthique ne remplace ni ne recouvre les progrès moraux qui ont précédé. Les sensibilités et les obligation morales antérieures demeurent valides et prescriptives. Le fait que nous reconnaissions appartenir à une communauté biotique n’implique nullement que nous cessions d’être membres de la communauté humaine. L’éthique de la terre est une accrétion (une addition) aux éthiques sociales accumulées jusqu’à elle, et non quelque chose qui serait censé les remplacer. Notre souci est seulement d’étendre la conscience sociale de manière à y inclure la terre. »

* Tous écolos… et alors (2010)

Jean Aubin et l’écologie profonde (3/4)

Le silence des intellectuels français à l’égard de l’écologie n’est pas tant une indifférence qu’une méfiance, voire une hostilité déclarée. Voici en quatre épisodes un récapitulatif de textes qui dénigrent l’écologie profonde sans rien comprendre de cette philosophie de l’éthique :

– Le texte* de Jean Aubin : « La disparition prématurée de l’espèce humaine n’est pas totalement exclue. Tant mieux répondent certains tenants de l’écologie profonde… Pour ceux-ci, l’homme, superprédateur, est devenu une espèce malfaisante. Le mieux qui puisse arriver est qu’elle disparaisse pour laisser vivre la planète. Cette attitude de haine contre l’homme s’oppose totalement à notre regard. Nous partons ici d’un a priori humaniste… » (page 27)

– Notre analyse, envoyée à Jean Aubin : L’expression « certains tenants » (de l’écologie profonde) permet de pouvoir relayer n’importe quelle rumeur, mais ce n’est pas très moral vis à vis de ceux qui savent vraiment ce que deep ecology veut dire. Jean Aubin reprend des accusations qui se retrouvent chez des gens comme Ferry ou Cl Allègre dans l’intention de nuire.

Le terme d’écologie profonde a été introduit par Arne Naess dans un article de 1973 « The shallow and the deep, long-range ecology movements ». On peut maintenant lire Arne Naess en langue française (éditions wildproject). Cette philosophie repose sur l’épanouissement de Soi, ce n’est pas un anti-humanisme mais au contraire un humanisme élargi. Loin de vouloir la disparition de l’espèce humaine, elle repose sur l’art de débattre et convaincre selon les méthodes gandhienne de la non violence.

– Réponse de Jean AUBIN à cette analyse : « Reproche  mérité ! L’expression,  « certains tenants » permettait, me semblait-il, d’apporter une distinction suffisante, mais cela  ne semble pas être le cas : ma phrase reste  maladroite et  peut sembler jeter  le discrédit sur ce courant de pensée. Peut-être aurais-je dû écrire  certains déviants, ou mieux, ne rien écrire du tout sur un courant de pensée que je connais trop mal pour en parler… ça m’apprendra à ne pas faire le malin en parlant de ce qu’on connaît mal. Je vais essayer de trouver le temps de me familiariser davantage avec l’écologie profonde… »

* La tentation de l’île de Pâques (2010)

Claude Allègre et l’écologie profonde (2/4)

Le silence des intellectuels français à l’égard de l’écologie n’est pas tant une indifférence qu’une méfiance, voire une hostilité déclarée. Voici en quatre épisodes un récapitulatif de textes qui dénigrent l’écologie profonde sans rien comprendre de cette philosophie de l’éthique :

– Le texte* de Claude Allègre : « L’animal ou l’arbre doivent être protégés, respectés, pourquoi pas vénérés, et cela doit être inscrit dans la loi ! C’est la stratégie de la deep ecology qui poursuit en justice ceux qui coupent les arbres ou qui tuent les insectes avec le DDT. Tout ce qui est naturel est bon. Donc tout ce qui modifie la nature est à poursuivre, à condamner. L’homme et la société passent au second rang. Comme dit Marcel Gauchet, « l’amour de la nature dissimule mal la haine des hommes ». (p.61)

=> notre analyse : Le discours d’Allègre montre qu’il ne connaît pas du tout la philosophie d’Arne Naess, inventeur du mot deep ecology. Claude Allègre ne semble connaître que l’analyse médisante de Luc Ferry. Arne Naess n’a en effet jamais tenu les propos que lui prête  Allègre. D’autre part, critiquer une législation qui protégerait la nature et l’environnement paraît étrange de la part d’un homme en faveur de l’écologie réparatrice. Enfin une citation ne peut remplacer une analyse.

– Le texte* de Claude Allègre : « Luc Ferry distingue deux tendances. L’une, environnementaliste, pour laquelle l’homme est premier. Il faut aimer la nature d’abord par raison. La seconde attitude est celle qu’on appelle « l’écologie fondamentaliste » (deep ecology en anglais). Dans cette tendance, c’est la nature qui est première. Les environnementalistes sont des humanistes qui critiques le progrès de l’intérieur. Les éco-fondamentalistes sont  hostiles au progrès et à l’humanisme, leurs critique sont externes. (p.71)

=> notre analyse : Luc Ferry explique plus précisément que « les sources de l’écologie profonde seront localisées dans une extériorité radicale à la civilisation occidentale ». Il ne s’agit pas pour l’écologie profonde de placer l’homme en premier ou en second, mais de préciser une réalité : l’espèce humaine n’est qu’une partie de la biosphère et doit donc le ressentir. C’est cette réalité biophysique que la civilisation occidentale nous a fait oublier, d’où les crises écologiques actuelles, effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique, désertification des sols, etc. Si nous avions appliqué la pensée d’Arne Naess, « le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque, ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains. », nous n’en serions pas là.

– Le texte* de Claude Allègre : « Lorsque les mouvements écologistes sont apparus, ils portaient un vrai message, celui de la nécessaire harmonie que l’homme devait  trouver avec la nature. (p.76)

=> notre analyse : Arne Naess ne s’exprimerait pas autrement que Claude Allègre ! Comme quoi les procès d’intention nous empêchent de réaliser que nous avons un intérêt commun à défendre : l’harmonie écologique et sociale.   

* Ma vérité sur la planète (2007)

Luc Ferry et l’écologie profonde (1/4)

Le silence des intellectuels français à l’égard de l’écologie n’est pas tant une indifférence qu’une méfiance, voire une hostilité déclarée. Voici en quatre épisodes un récapitulatif de textes qui dénigrent l’écologie profonde sans rien comprendre de cette philosophie de l’éthique :

– Le texte* de Luc Ferry : « Arne Naess et George Sessions ont regroupé dans un manifeste les termes et les phrases clefs qui sont la base de l’écologie profonde. Il s’agirait de montrer qu’après l’émancipation des noirs, des femmes, des enfants et des bêtes, serait venu le temps des arbres et des pierres. La relation non anthropocentrique à la nature trouverait ainsi sa place dans le mouvement général de libération permanente qui caractériserait l’histoire des Etats-Unis. Cette présentation est fallacieuse. L’idée d’un droit intrinsèque des êtres de nature s’oppose de façon radicale à l’humanisme juridique qui domine l’univers libéral moderne. De « parasite », qui gère à sens unique, donc de façon inégalitaire, le rapport à la nature, l’homme doit devenir « symbiote », accepter l’échange qui consiste à rendre ce que l’on emprunte. Les sources de l’écologie profonde seront donc localisées dans une extériorité radicale à la civilisation occidentale. Robinson Jeffers, philosophe californien et spinoziste radical qui inspira les travaux d’écologistes profonds tels que George Sessions, en appelle de manière explicite à l’édification d’une philosophie « inhumaniste », seule susceptible à ses yeux de  renverser le paradigme dominant de l’anthropocentrisme.

=> notre analyse : Luc Ferry est un philosophe ayant des lettres, donc mélangeant allègrement Naess, Sessions, Michel Serres, Heidegger, Jonas, … sans citer autre chose de l’écologie profonde que la plate-forme en 8 points. D’ailleurs Arne Naess n’est pas américain, mais norvégien. Il paraît certain que Luc Ferry n’a pas lu sérieusement Arne Naess. Le livre fondateur de l’écologie profonde Ecology, community and lifestyle du philosophe norvégien Arne Naess a été écrit en 1976 et traduit en anglais en 1989.

Que l’on soit convaincu ou non par cette philosophie, on doit reconnaître qu’elle n’est en rien un anti-humanisme. Dans son écosophie, Arne Naess fonde la valeur de la « diversité » en général sur la valeur première de la « réalisation de soi » (self-realisation). La réalisation de soi passe en effet par celle « des autres », et ce qu’il entend par « les autres » excède les limites du genre humain : « La réalisation complète de soi pour quiconque dépend de celle de tous » ou « la diversité de la vie augmente les potentiels de réalisation de soi. » Quant à la radicalité de l’écologie profonde, il faut l’entendre au sens philosophique, et non au sens politique. On voit mal comment l’activisme du professeur Naess, explicitement nourri de l’éthique spinoziste et des principes de non-violence de Gandhi, pourrait nourrir une action « radicale ».

– Le texte* de Luc Ferry : « Dans tous les cas de figure, l’écologiste profond est guidé par la haine de la modernité, l’hostilité au temps présent. L’idéal de l’écologie profonde serait un monde où les époques perdues et les horizons lointains auraient la préséance sur le présent. C’est la hantise d’en finir avec l’humanisme qui s’affirme  de façon parfois névrotique, au point que l’on peut dire de l’écologie profonde qu’elle plonge certaines de ses racines dans le nazisme. Les thèses philosophiques qui sous-tendent les législations nazies (de protection des animaux) recoupent souvent celles que développera la deep ecology : dans les deux cas, c’est à une même représentation romantique des rapports de la nature et de la culture que nous avons affaire, liée à une commune revalorisation de l’état sauvage contre celui de (prétendue) civilisation.

=> notre analyse : Luc Ferry pratique la stratégie de l’amalgame, qui consiste à réduire tout le courant de l’éthique environnementale (sans même épargner les tentatives de Michel Serres ou Hans Jonas) à l’idéal type de la deep ecology, puis à assimiler cette dernière à une résurgence du nazisme. La reductio ad hitlerum, pour reprendre l’expression de Leo Strauss, peut dès lors emprunter la forme du syllogisme suivant : étant établi que les nazis ont édicté des textes législatifs destinés à garantir la protection des animaux et de l’environnement, et étant donné par ailleurs que la deep ecology préconise une extension des obligations morales et juridiques au règne animal et végétal, il s’ensuit que la deep ecology est un éco-fascisme ! Le principal effet de ce livre a été de geler les tentatives de pensée nouvelle, en frappant de suspicion en France toute réflexion sur la nature qui s’écarterait de l’humanisme kantien !!

Cette dérive antiphilosophique de Luc Ferry est d’autant plus dommageable qu’il ne peut s’empêcher d’éprouver de la sympathie pour la deep ecology : « L’écologie profonde pose de vraies questions, que le discours critique dénonçant les relents du pétainisme ou du gauchisme ne parvient pas à disqualifier. Personne ne fera croire à l’opinion publique que l’écologisme, si radical soit-il, est plus dangereux que les dizaines de Tchernobyl qui nous menacent. »

* Le nouvel ordre écologique (1992)

journée mondiale pour le climat

Le 10/10/10, c’était la journée mondiale pour le climat, durant laquelle des ONG voulaient mettre l’accent sur le volontarisme : particuliers et entreprises doivent réduire de 10 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici fin décembre 2010. Des actions étaient prévues sous le haut patronage du secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon. Mais en France, on s’est contenté d’une balade à vélo au Carrousel du Louvre et d’un concert gratuit sur le parvis de l’Hôtel de ville… Le blog du Monde consacré à cet événement a même eu la mauvaise idée de présenter une vidéo britannique dans laquelle ceux qui refusent de réduire leurs émissions de CO2 sont déchiquetés par une explosion. L’ écoloscepticisme s’en trouve renforcé dans les  commentaires :

– Les écolo apparaissent en effet comme des despotes qu’il faut suivre si l’on ne veut pas finir mal!

– Des groupes de pression sont prêts à tuer pour faire avancer leurs idées.

– Pas le moindre message pédagogique dans ce clip. Aucun intérêt, sauf pour les anti-réchauffement qui trouveront de quoi discréditer les écolos une fois de plus…

                En résumé, le climat est mal parti !

l’écologie est un anti-totalitarisme

La démocratie ne peut être par le peuple, vox populi peut vouloir et accepter le totalitarisme le plus stupide et le plus brutal. La démocratie ne peut être par la dictature de prolétariat, les travailleurs peuvent subir le totalitarisme d’une avant-garde bureaucratique et auto-désignée. La démocratie ne peut être par le libéralisme économique, le vote du consommateur peut se tourner vers les gadgets les plus improbables et les plus nocifs pour les équilibres de la biosphère. En fait, comme le souligne Claude Lefort*,  la démocratie n’est qu’un lieu vide qu’aucune force ne peut définitivement s’approprier. La démocratie est une dynamique résultant de la libre expression, pas de l’expression du peuple à un moment donné. La démocratie, c’est cette tension permanente entre légalité et légitimité, entre soumission aux traditions et ouverture vers un autre social.

                Le libéralisme d’Adam Smith et le communisme de Marx sont deux idéologies qui ont construit le changement sur une dialectique travail-capital financier. Capitalisme et socialisme ont ignoré le capital naturel, d’où cette accumulation de périls baptisés pic pétrolier, réchauffement climatique, extinction des espèces, désertification des sols, etc. Dans une démocratie véritable qui toujours encourage sa propre contestation, il existe cependant des déterminants qui sont biophysiques. Une société humaine ne peut survivre durablement que si elle accepte d’instaurer un équilibre durable avec les écosystèmes. Comme les matrices biophysiques de notre survie sont variables dans le temps et dans l’espace, la délibération humaine ne peut être que plurielle, toujours rattachée à des conditions écologiques particulières.

Il est urgent que le pouvoir politique devienne réaliste et prenne en considération la pérennité des ressources naturelles nécessaires aux générations présentes, aux générations futures et aux non- humains. Il est urgent que l’Etat, source potentielle de totalitarisme, laisse place à des communautés que puissent déterminer elles-mêmes leur autonomie énergétique et alimentaire. Il est urgent de comprendre que seule l’écologie est un anti-totalitarisme car cette vision du monde accepte la diversité des cultures humaines associée à la diversité des écosystèmes. Sinon, ce sera la barbarie d’un fascisme qui sera certainement pas écologiste.

* LeMonde du 9 octobre, Claude Lefort, ni socialisme ni barbarie