Big History, pour une histoire globale

L’approche historique globale analyse l’interaction de l’humain avec la planète sur le temps long. Elle convoque des domaines aussi variés que la géographie, l’économie, l’anthropologie, les sciences politiques, la sociologie, la psychologie, l’écologie et en étudie les connexions, non seulement entre ces diverses matières, mais aussi entre les civilisations. On ne peut que constater dans l’histoire qu’à chaque fois qu’une population humaine arrive dans un milieu, elle le détruit. Homo sapiens est un singe devenu “superprédateur” de la planète. Après avoir connu la révolution anatomique il y a 3 millions d’années, la révolution cognitive entre -500.000 et -50.000 ans, la révolution morale il y a à peine 2500 ans avec l’apparition des grandes religions, puis enfin la révolution industrielle et énergétique au XIXe siècle, il risque fort en fin de parcours de rester seul roi dans son désert ! Peu importe l’histoire franco-française. La France aujourd’hui, bétonnée, sur-urbanisée, vouée à une agro-industrie destructrice, et à la merci d’une extrême droite populiste et nationaliste, c’est cela le résultat de l’histoire française…

L’enjeu maintenant est de construire des récits qui mobilisent davantage, pour convaincre de la menace imminente d’un effondrement civilisationnel. Si ce récit global l’emporte sur celui du progrès, du confort pour tous, si on impose un récit de responsabilisation environnementale, on aura commencé à pouvoir changer les choses.

Eric Anceau et Pierre Singaravélou, histoire nationale contre histoire globale

Eric Anceau : Difficile l’écriture d’une histoire commune, partagée par tous les Français. C’est néanmoins ce que j’ai essayé de faire avec Histoire de la nation française. Du mythe des origines à nos jours. Pendant longtemps, il y a eu une histoire officielle (historiographes royaux puis « roman national » sous la IIIe République), mais l’histoire universitaire a fini par s’imposer au XXe siècle.

Pierre Singaravélou : Cet intérêt pour l’histoire est depuis longtemps instrumentalisé par les dirigeants français pour légitimer leur pouvoir. Le « roman national », constitué de mythes fondateurs comme Vercingétorix, ainsi que les décolonisations engendrent des conflits mémoriels qui donnent lieu à des simplifications et falsifications. L’histoire n’a pas pour fonction première de pacifier la société.

Eric Anceau : Par son travail scientifique, par sa parole mesurée et étayée, l’historien peut alerter sur les instrumentalisations en tout genre du passé et contribuer à pacifier la société. J’ajoute qu’on ne peut se passer du cadre national car l’histoire du XIXe siècle est avant tout celle de la construction des Etats-nations.

Pierre Singaravélou : Toute histoire est un fragment que les chercheurs tentent de contextualiser. Une histoire globale désincarnée n’a pas plus de sens qu’un récit national fermé sur lui-même dans lequel la France s’expliquerait exclusivement par elle-même. Alors qu’il constitue aujourd’hui le principal rempart contre les fake news, l’enseignement de l’histoire est menacé par des hommes politiques.

Eric Anceau : Nous avons été trop cloisonnés en disciplines, voire en sous-disciplines, étanches au cours des dernières années, en particulier en France. Même si la croissance exponentielle des connaissances rend peut-être plus difficile que jadis l’interdisciplinarité, celle-ci me semble aussi plus indispensable que jamais.

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big history (8 mars 2008)

extraits : Nous devrions abandonner l’histoire particulière des groupes ethniques particuliers au profit de la big history, une vision à large échelle qui démarre au moment du big bang et se déroule jusqu’au monde contemporain. C’est l’histoire globale qui seule devrait importer, l’histoire commune des humains et des non-humains, une histoire universelle qui ne se limite pas à l’histoire de la race humaine. Il s’agit d’appréhender le monde comme un tout, depuis l’origine de l’univers, des galaxies et du système solaire  jusqu’au sociétés agraires, l’émergence des villes et l’anthropisation de notre monde.

Big History vers le royaume des Ténèbres ?

extraits : Dans les années 1980, le courant de l’histoire globale entendait transcender les cadres historiques nationaux ou régionaux pour mieux penser les dynamiques économiques, technologiques et environnementales du monde actuel. Dans la lignée, Yuval Noah Harari et ses livres appartiennent à un courant appelé Big History (« grande histoire »), sous la bannière duquel on peut ranger l’Américain Jared Diamond, « Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ». Pour Harari , « si on ne fournit pas aux gens un grand récit du monde, ils auront une autre vue d’ensemble en tête – une mythologie, une histoire religieuse ou des récits nationaux. La seule chose qui puisse remplacer une histoire est une autre histoire. Et si la vôtre est meilleure, les gens l’accepteront. » Que faut-il entendre par « meilleure »?….

L’histoire humaine, une succession de fantasmes

extraits : Nous n’apprenons rien de notre histoire personnelle. L’expérience est une lanterne accroche dans notre dos et qui n’éclaire que notre passé. De même nous n’apprenons rien de notre histoire collective. Pourtant les sociétés avancent, stabilisées par des imaginaires partagés… qui restent des imaginaires ! Donc la question de la fiction à laquelle s’identifier, identité locale, nationale, européenne ou cosmopolite … se pose. Il nous faut bâtir un nouveau récit collectif car une stratégie de changement naît d’un autre imaginaire… à construire. La difficulté actuelle consiste à amener l’idéologie nationaliste, qui bien souvent est née de la guerre et pour la guerre, à transmettre des valeurs de paix et de réconciliation….

Tout est fiction alimentée par l’histoire

extraits : Pour l’humanité, le problème politique majeur n’est pas de savoir comment nourrir des millions de gens, mais plutôt comment faire en sorte de les mettre d’accord. Il nous faudrait un imaginaire partagé. Il n’y a ni ordre naturel fixant le comportement humain, encore moins de révélations d’ordre divin pour régenter nos idées, il n’y a que des fictions qui se font passer pour émanant de la nature ou de la religion. Cet ordre imaginé va se faire passer pour réaliste et incontournable dès qu’il sera partagé par un groupe humain. C’est cette construction mythique qui va assure la cohésion du groupe. Ainsi le code Hammourabi, un texte juridique babylonien daté d’environ 1750 av. J.C., instaure d’une manière qu’on croyait définitive la hiérarchie noble/homme du peuple/esclave….

Une histoire nationale à dé(re)construire

extraits : Xavier Bertrand dixit : « L’heure n’est pas à la déconstruction de l’histoire mais à la reconstruction d’une cohésion nationale. L’histoire est à une nation ce que la mémoire est à un individu… »La récupération politicienne du résultat des recherches historiques, c’est juste… de la politique. L’histoire « nationale » est une construction du XIXe siècle, on a inventé le choc des nations pour mettre un semblant d’ordre dans la multiplicité des peuples du monde. Cette idéologie réductrice est complètement dépassée par l’histoire à construire….

les profs d’histoire nous manipulent

extraits : Actuellement les différents récits nationaux européens ne sont pas compatibles. Par exemple le 11 novembre 1918 est une victoire pour les Français, mais le début d’un engrenage mortel pour les Allemands. Le panorama actuel est plutôt sombre. Il y a trois catégories de pays : ceux où l’enseignement de l’histoire veut conforter le chauvinisme national, et ces pays sont majoritaires. Ensuite, il y a les pays de l’Europe du Nord où il n’existe pas de programme national car cela pourrait être considéré comme une atteinte à la liberté de penser. Et il y a une poignée de pays, six parmi lesquels la France, l’Italie et l’Allemagne, où l’on vise à renforcer la réconciliation entre les peuples. La moitié des pays européens n’enseigne pas la construction européenne, mais relate guerre fratricide après guerre fratricide…..

Le programme idéal d’histoire n’existe pas encore

extraits : Historiquement les profs d’histoire avaient une fonction identitaire, il fallait fabriquer des petits français. Nous devrions abandonner l’histoire particulière des groupes ethniques particuliers au profit de la big history, une vision à large échelle qui démarre au moment du big bang et se déroule jusqu’au monde contemporain. L’histoire humaine n’est pas celles des ethnies particulières, même pas celle des hominidés, elle est aussi ce qui récuse toute forme d’ethnocentrisme pour se centrer sur les relations de l’humanité et de la Biosphère. Ce qui importe, ce sont les histoires des déséquilibres que les pratiques agro-industrielles ont entraînés dans le passé comme dans le présent et les perspectives d’avenir souhaitable pour les générations suivantes mais aussi pour les non-humains…..

Une histoire de la démographie sur 300 000 ans

extraits : On estime que la transition progressive de la chasse-cueillette vers l’agriculture-élevage a fait passer la population mondiale de quelques centaines de milliers d’humains il y a 12 000 ans à plusieurs millions (voir quelques dizaines de millions) il y a 5000 ans….

4 réflexions sur “Big History, pour une histoire globale”

  1. – « On ne peut que constater dans l’histoire qu’à chaque fois qu’une population humaine arrive dans un milieu, elle le détruit. [etc.]»

    Si ON en est là… à faire ce triste constat, et en tirer cette tout aussi terrible conclusion… alors l’histoire qu’ON s’apprête à raconter est mal partie. Et je ne vois pas comment elle pourrait «mobiliser davantage», en commençant comme ça. À moins bien sûr de ne cibler (c’est comme ça qu’ON dit) qu’un certain lectorat de Tristus. Autrement dit d’inquiets, d’(éco)anxieux, de neurasthéniques et autres malades ayant besoin de se faire mal pour être à peu près bien, dans leur tête. Bref, au lieu de dire qu’elle le DÉTRUIT, ce milieu où elle arrive… pourquoi ne pas dire plutôt et tout simplement, qu’elle (cette population humaine ) le MODIFIE ?
    Pas assez percutant peut-être ? (à suivre)

    1. Mis à part ce petit point de détail (détail de l’Histoire, comme disait l’autre, borgne) que penser et dire de cette nouvelle histoire, ce nouveau récit collectif (sic), si ce n’est cet énième roman, ou énième fable peu importe, qu’il nous faut ou faudrait urgemment écrire et vendre etc. ? Bof…
      Au risque de provoquer… là encore je dirais qu’ON en a déjà fait largement le tour et le contour, de cette histoire. (Lire tous les articles en liens, et les commentaires)
      Toutefois ce que raconte BK86 À 12:21 est intéressant. Oui oui !
      Je ne dirais pas que la géologie et l’archéologie sont des domaines (sciences) inintéressants, voire inutiles… mais je me demande seulement si c’est vraiment là que se situe la Clé qui permettrait d’ouvrir les esprits. Et leur permettre ainsi de voir le monde autrement, d’imaginer autre chose, etc. (à suivre)

      1. (suite et fin) ) Le problème, ou la question, est alors de pouvoir dire quelles sont ces choses… qu’il faudrait enseigner, raconter, dès le plus jeune âge… et ensuite rappeler, autant que nécessaire, quitte à les marteler.
        Je ne prétends pas savoir ce qui est le plus important… si c’est de savoir l’histoire de la Terre, le Big-bang, l’apparition de la vie, celle de Sapiens, l’évolution etc. ou bien de savoir que là derrière nous retrouvons toujours le hasard. (Le Hasard ?)
        À commencer par celui qui nous a fait naître ici et pas ailleurs, à telle époque, comme ci et pas comme ça… etc. etc. Ce hasard qui vient alors saper tous les fondements de bon nombre de nos croyances, et idéologies, et même valeurs… comme cette fumeuse méritocratie.

  2. la géographie, l’économie, l’anthropologie, les sciences politiques, la sociologie, la psychologie, l’écologie (sic)
    Traiter du sujet Big History en commençant par « convoquer » les domaines cités dans l’ordre ci-dessus, c’est commencer par les plus inutiles ou les plus éloignés du domaine scientifique, pour enfin terminer par le seul vraiment utile de la liste, tout en ignorant les domaines, véritablement scientifiques ceux-là, qui auront permis d’y comprendre quelque chose : la géologie et l’archéologie.
    Toutefois, bravo pour la dernière phrase de l’intro : La France aujourd’hui, bétonnée, sur-urbanisée, vouée à une agro-industrie destructrice, et à la merci d’une extrême droite populiste et nationaliste, c’est cela le résultat de l’histoire française… Ce serait un bon résumé à mettre en IVe de couverture des livres d’histoire.

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