Biosphere-Info, écologisme et religions

Pour recevoir gratuitement le mensuel BIOSPHERE-INFO,

envoyer un mail à biosphere@ouvaton.com

introduction-synthèse : Toute organisation humaine renvoie un ensemble de présupposés sur le sens de notre existence, donc à une ontologie, une métaphysique considérée comme référence à notre comportement. La religion joue ce rôle, elle relie (religare) et elle rassemble. Elle permet une pratique institutionnalisée qui apporte une cohérence au monde et le maintien de cet ordre. Aucune société ne peut vivre sans une certaine forme de religion. Le problème de fond c’est de déterminer à quoi se relier : une divinité ? Le collectif humain ? La Nature ?

Dans les sociétés premières, on était en phase avec les rythmes naturels. Les religions du livre (la bible et le coran) ont coupé le cordon ombilical. La perte du jardin d’Eden est symbolique de la rupture avec l’époque de chasse et de cueillette ; place au néolithique, une société agricole  qui s’instaure progressivement il y a plus de 10 000 ans. Dieu le père défini de façon abstraite va remplacer l’idée de Terre-mère.

Ce n’est qu’en 1979 que l’Église catholique va rechercher dans ses lointaines archives le nom de François d’Assise pour en faire le saint de l’écologie. Jusque là domine la conception d’une création de l’homme à l’image de dieu considéré comme propriétaire de la Terre : « Remplissez la terre et soumettez-là, dominez sur toutes les créatures » (Genèse 1,28). Mais la dégradation des conditions de vie sur Terre et la concurrence de l’écologie va pousser à une évolution de la doctrine catholique. L’interprétation despotique de la Genèse laisse place à l’idée que nous sommes les « intendants » de Dieu sur la création ; nous sommes chargés d’en prendre soin et non ses propriétaires. Dans sa lettre encyclique de 2015, « Laudate Si » (loué sois-tu, sur la sauvegarde de la maison commune), le pape François en appelle à « toute la famille humaine, croyants ou non, catholiques ou autres », à joindre leurs efforts pour surmonter la crise et engager un changement radical « de style de vie, de production et de consommation ». Mais L’Église catholique refuse d’aller plus loin : « Un anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un « biocentrisme », parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau déséquilibre qui ne résoudrait pas les problèmes mais en rajouterait d’autres. » (§ 118. Laudate Si). C’est le philosophe et écologiste Arne Naess qui propose une autre conception de notre rapport avec la nature : « Le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains. » L’espèce humaine n’est qu’une maille dans le tissu du vivant.

Il apparaît alors une différence de fond entre les religions « révélées » des monothéismes et la sacralisation possible de la Terre-mère. Alors qu’on peut faire dire à Dieu ce qu’on veut, l’état de la planète est concret, on peut à la fois l’étudier scientifiquement et respecter la biodiversité, c’est-à-dire élaborer une certaine spiritualité. L’écologisme cherche dorénavant à se concrétiser dans des textes législatifs. Tout un chapitre de la Constitution Équatorienne de 2008 est dédié aux droits de la Nature ; son article 71 dispose que « laNature ou Pacha Mama, où se reproduit et réalise la vie, a le droit à ce que soient intégralement respectés son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses  fonctions et ses processus évolutifs.» En 2017, un fleuve considéré comme sacré par les Maoris s’est vu doter par le Parlement néo-zélandais du statut de personnalité juridique, avec tous les droits et les devoirs attenants. L’écologisme porte donc en lui une rupture avec religions du livre (bible, nouveau testament, coran), un retour à une vision plus en phase avec les possibilités d’une vie viable, vivable et conviviale sur cette planète.

Voici maintenant des références documentaires pour mieux appréhender cette évolution historique.

1) Rupture biblique avec le monde naturel

11) Le néolithique. Avec la fin de la glaciation, autour de dix mille ans avant J.-C., le monde change totalement de physionomie avec l’invention de l’agriculture. Une véritable révolution des symboles s’opère alors. L’expulsion du jardin d’Eden représente l’abandon par Homo sapiens de la place écologique qui avait été prévue pour lui dans la nature, le statut de chasseur-cueilleur. Dans le Croissant fertile du Moyen Orient propice au développement de l’agriculture, on a choisi de déchirer le ventre de la terre en la désacralisant ; pour se déculpabiliser, on a projeté  dans le ciel les divinités et on leur a demandé l’autorisation de poursuivre le labeur. A partir de là, fin progressive de l’idée de Terre-mère et ses différentes variantes dans les sociétés premières et début d’une figure tutélaire abstraite, Dieu le père.

12) Récupération des fêtes païennes. « Noël est en réalité deux fêtes confondues et superposées. La fête païenne était celle du solstice d’hiver : la fin de la progression de la nuit, et le début de la reprise de l’allongement des jours. D’où les lumières allumées partout. Fête païenne, celle de l’arbre toujours vert, du sapin, qui a traversé le froid, la neige, attestant la permanence de la vie contre cet hiver qui symbolise la mort. Mais Noël se fonde aussi dans la plus ancienne tradition religieuse : la naissance de Jésus. Bien entendu, le 25 décembre n’est nullement la date réelle de la naissance de Jésus. On a choisi le moment de la fête païenne. Ainsi chaque détail de ce Noël se rattachait à une croyance qui donnait à chacun une signification de ce qu’il faisait. Tout ce qui constituait Noël était « symbolique », destiné à nous rappeler quelque chose de plus important, à nous faire revivre un événement qui avait une valeur essentielle. » (Jacques Ellul in Sud-Ouest du 23 décembre 1984)

13) Le catholicisme, une religion anthropocentrique. Lynn White imputait en 1967 les racines historiques de notre crise écologique à la vision du monde judéo-chrétienne. Selon la Genèse les êtres humains, seuls de toutes les créatures, furent créés à l’image de Dieu. Il leur fut donc donné d’exercer leur supériorité sur la nature et de l’assujettir. « Remplissez la terre et soumettez-là, dominez sur toutes les créatures » (Genèse 1,28). Il y a dorénavant dualisme institutionnalisé entre nature et humanité. Deux mille ans de mise en œuvre toujours plus efficace de cette vision de la relation homme/nature ont abouti à la fois aux merveilles technologiques et à la crise environnementale. (The Historical Roots of Our Ecologic Crisis)

2) Reconsidération de la nature par l’Église catholique

21) Quelques références historiques ponctuelles

François d’Assise (1182-1226). L’ordre religieux des franciscains, fondé en 1210, s’appuient sur sa pensée, à savoir grande pauvreté et simplicité évangélique. Le jésuite Jorge Mario Bergoglio, devenu pape François, reprendra la référence franciscaine en 2015 : « Chaque fois qu’il (St François d’Assise) regardait le soleil, la lune ou les animaux même les plus petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans sa louange les autres créatures. Il entrait en communication avec toute la création, et il prêchait même aux fleurs « en les invitant à louer le Seigneur, comme si elles étaient dotées de raison »… Si nous nous approchons de la nature et de l’environnement sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément. » (§ 11. Laudate Si, 2015)

Baruch Spinoza (1632-1677) : L’hypothèse que Dieu et la nature sont un seul et même être n’a jamais été explorée par les trois religions du livre. Spinoza a été banni de la synagogue d’Amsterdam et qu’il est également considéré comme hérétique par les chrétiens et les musulmans ! Il a dit en effet que la racine la plus profonde de la servitude humaine se trouve dans ce préjugé que la Création est une séparation, parce qu’alors toute réunification ne peut être que le fruit d’une médiation. Et l’intermédiaire, c’est toujours un clergé. Mais si Dieu est la Nature et si donc la Nature est Dieu, il n’y a pas de séparation et aucune raison d’instaurer une médiation. Par conséquent, toutes les hiérarchies ecclésiastiques sont des usurpations de pouvoir. Son message a été complètement marginalisé.

22) La concurrence émergente de l’écologisme au XXIe siècle

« Les grandes matrices structurantes comme le catholicisme, le bloc républicain et le communisme se sont effondrées. N’assiste-t-on pas aujourd’hui à la consécration d’une nouvelle matrice, où l’écologie ferait office d’une nouvelle religion, à savoir qui crée du lien ? (Jérôme Fourquet de l’IFOP (LE MONDE du 21 janvier 2020)). La matrice écologique se substitue à la matrice catholique. Il a ses figures prophétiques annonçant l’apocalypse (Yves Cochet, la collapsologie…), ses sanctuaires (les réserves naturelles…), ses convertis (les agriculteurs qui passent au bio…), et ses préceptes de vie (simplicité volontaire, sobriété énergétique, interdits alimentaires…) qui touchent à la vie de tous les jours. Le Vert Yannick Jadot répète que « le temps de l’écologie est venu ». La pensée de l’Église catholique se retrouve dans une situation où elle est obligée d’évoluer (ou pas).

23) Le catholicisme devient écologiste

1979, Jean-Paul II proclame François d’Assise saint patron de l’écologie

Un organisme international civil consacré à la réflexion écologique avait demandé à la Sacrée Congrégation pour le clergé que soit consacrée une figure emblématique. Ce qui fut mis en œuvre par Jean Paul II  un an après son accession au pontificat : « Nous déclarons saint François d’Assise patron céleste des écologistes, en y joignant tous les honneurs et privilèges liturgiques qui conviennent. Donné à Rome le 29 novembre de l’an du Seigneur 1979. » Le texte officiel de canonisation souligne que la nature est un don de Dieu fait aux humains, ce qui montre que l’Église n’avait pas compris le message d’humilité vis-vis de la Nature que propageait François d’Assise.

13 mars 2013, élection du pape François et références à François d’Assise

On passe d’une interprétation despotique de la Genèse à l’idée que nous sommes les « intendants » de Dieu sur la création ; nous sommes chargés d’en prendre soin et non ses propriétaires.

Lors de la messe inaugurale du 19 mars 2013, le pape François a confirmé sa volonté de mettre la défense de la création dans ses priorités. Partant de l’image de Joseph qui a élevé Jésus, il précise la notion de « gardien » qui « concerne tout le monde. C’est le fait de garder la création tout entière, la beauté de la création, comme il nous est dit dans le Livre de la Genèse et comme nous l’a montré saint François d’Assise : c’est le fait d’avoir du respect pour toute créature de Dieu et pour l’environnement dans lequel nous vivons… ».

Discours urbi et orbi du nouveau pape François en décembre 2013 : «  La famille humaine a reçu en commun un don du Créateur : la nature. La vision chrétienne de la création comporte un jugement positif sur la licéité des interventions sur la nature pour en tirer bénéfice, à condition d’agir de manière responsable, c’est-à-dire en en reconnaissant la “grammaire”qui est inscrite en elle, et en utilisant sagement les ressources au bénéfice de tous, respectant la beauté, la finalité et l’utilité de chaque être vivant et de sa fonction dans l’écosystème. Bref, la nature est à notre disposition, et nous sommes appelés à l’administrer de manière responsable. Par contre, nous sommes souvent guidés par l’avidité, par l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, de tirer profit ; nous ne gardons pas la nature, nous ne la respectons pas, nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont nous devons prendre soin et mettre au service des frères, y compris les générations futures (…) »

février 2014, Nicolas Hulot, envoyé spécial du président François Hollande pour la protection de la planète : « Tous les ingrédients sont aujourd’hui réunis pour que la conférence de Paris de 2015, où doit être signé le premier accord mondial engageant tous les pays contre le réchauffement, soit un échec… Peut-être les autorités religieuses pourront rappeler les politiques à la raison… L’homme est-il là pour dominer la nature, comme l’affirment certains textes ?Il est fondamental que les Eglises, et l’Eglise catholique en particulier, clarifient la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la «Création», pour reprendre le langage des croyants… Les Eglises peuvent-elles rester inaudibles alors que l’œuvre de la Création est en train de se déliter sous leurs yeux ?… Après avoir étudié les textes religieux pour préparer ma visite au Vatican, j’ai réalisé que l’Eglise catholique n’évoquait pas le changement climatique. Or, comme vous le savez, les choses mal nommées n’existent pas. Il est donc important que l’Eglise précise clairement les choses… » (LE MONDE du 5 février 2014, « Les Eglises peuvent provoquer un sursaut de conscience face à la crise climatique »)

2015, Laudate Si, (loué sois-tu, sur la sauvegarde de la maison commune) : Dans sa lettre encyclique, le pape François en appelle à « toute la famille humaine, croyants ou non, catholiques ou autres », à joindre leurs efforts pour surmonter la crise et engager un changement radical « de style de vie, de production et de consommation ».

§ 67. Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée. Cela permet de répondre à une accusation lancée contre la pensée judéo-chrétienne : il a été dit que, à partir du récit de la Genèse qui invite à «dominer» la terre (cf. Gn 1, 28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l’être humain comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une interprétation correcte de la Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination absolue sur les autres créatures.

§ 116. La façon correcte d’interpréter le concept d’être humain comme « seigneur » de l’univers est plutôt celle de le considérer comme administrateur responsable.

§ 117. Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature.

3) naissance de nouvelles spiritualités

31) Refus du biocentrisme par l’Eglise

L’Église catholique est donc passée récemment d’une vision despotique de l’humanité par rapport à la nature à une vision gestionnaire. Elle refuse d’aller plus loin. Jusqu’à aujourd’hui, les papes veulent se différencier de l’option biocentrique (ou écocentrique).

Jean-Paul II, discours au Congrès Environnement et Santé( 24 mars 1997) » : « Au nom d’une conception inspirée par l’écocentrisme et le biocentrisme, on propose d’éliminer la différence ontologique et axiologique entre l’homme et les autres êtres vivants, considérant la biosphère comme une unité biotique de valeur indifférenciée. On en arrive ainsi à éliminer la responsabilité supérieure de l’homme au profit d’une considération égalitariste de la dignité de tous les êtres vivants. Mais l’équilibre de l’écosystème et la défense d’un environnement salubre ont justement besoin de la responsabilité de l’homme. La technologie qui infecte peut aussi désinfecter, la production qui accumule peut distribuer équitablement.

Pape François : Un anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un « biocentrisme », parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau déséquilibre qui ne résoudrait pas les problèmes mais en rajouterait d’autres. (§ 118. Laudate Si)

32) émergence d’une « valeur intrinsèque » donnée aux composantes de la nature

– Aldo Leopold (1949) et l’« Ethique de la terre ».

« Les premières éthiques, tel le décalogue de Moïse (les dix commandements), portaient sur les relations interindividuelles. Les ajouts ultérieurs touchent les relations entre les individus et la société. La règle d’or (ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse) tente d’intégrer l’individu dans la société ; et la démocratie tâche d’intégrer l’organisation sociale dans l’individu. Il n’existe pas encore d’éthique de la relation de l’homme à la terre, aux plantes et au animaux. La terre, comme les esclaves, reste considérée comme une propriété. La relation est toujours strictement économique, comporte des privilèges, mais n’impose pas de devoirs. L’extension de l’éthique à ce troisième élément est une nécessité écologique. Elle élargit les frontières de la communauté au sol, à l’eau, aux plantes et aux animaux – en un mot : à la terre. » (L’éthique de la Terre – petite bibliothèque Payot, 2019)

L’éthique devient pour Aldo Leopold une limitation de la liberté d’action dans la lutte pour la vie. « Une chose est bonne quand elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique, et mauvaise dans le cas contraire. Le mouvement actuel de protection de la nature est l’embryon de cette nouvelle éthique. » (Almanach d’un comté des sables, Flammarion 2000)

– Arne Naess (1912-2009) et l’écologie profonde.

« Arne Naess propose une éthique écologique qui dépasse à la fois une vision romantique de la nature, et une vision technicienne d’une écologie cherchant à réparer les dégâts des interventions humaines. Il réintègre l’homme dans la totalité de la biosphère. Il propose une plate-forme de l’écologie profonde en huit propositions concernant une ontologie de la vie, une éthique. Il n’y a dans cette démarche aucune haine de l’homme, ni totalitarisme écologique (contrairement à une vision réductrice et manichéenne de certains). Il propose une humanisation écologique par la pleine réalisation de soi, qui devient « Soi » en s’ouvrant à l’ensemble de l’écosphère, à tous les êtres humains et aux espèces animales. C’est un véritable changement anthropologique dont il propose la mise en pratique, conduisant à apprécier la qualité de la vie plutôt qu’un haut niveau de vie. Cela jusqu’à dire que seul l’homme est capable de s’identifier par l’imagination à l’autre et même à l’animal. » (Pour un engagement écologique : simplicité et justice (Diocèse de Nantes – édition Parole et silence 2014, p.182).

Première proposition de la plate-forme d’Arne Naess: « Le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains. » (Écologie, communauté et style de vie, différentes éditions dans les années 1970, édition MF 2008)

Cette notion de valeur intrinsèque se retrouve même dans Laudate Si : « Les différentes créatures sont liées et constituent ces unités plus grandes que nous nommons écosystèmes. Nous ne les prenons pas en compte seulement pour déterminer quelle est leur utilisation rationnelle, mais en raison de leur valeur intrinsèque indépendante de cette utilisation. Tout comme chaque organisme est bon et admirable, en soi, parce qu’il est une créature de Dieu, il en est de même de l’ensemble harmonieux d’organismes dans un espace déterminé, fonctionnant comme un système. Bien que nous n’en ayons pas conscience, nous dépendons de cet ensemble pour notre propre existence. » (§ 140.)

33) Concrétisation de spiritualités alternatives

Arne Naess : « Le bien-être et l’épanouissement des formes de vie humaines et non-humaines sur Terre ont une valeur en elle-même (intrinsèque). Nous n’utilisons pas le terme de « vie » au sens technique, et nous l’employons aussi pour désigner des éléments que les biologistes considèrent comme non vivants : les rivières, les paysages, les champs, les écosystèmes, la terre vivante. Des slogans tels que « laissez vivre la rivière » illustrent bien cet usage du mot « vie », si répandu dans différentes cultures. Il n’y a que dans nos écoles occidentales que le terme « vivant « est exclusivement associé à la science de la biologie. Les espèces de plantes et d’animaux prétendument simples, inférieures ou primitives contribuent de façon décisive à la richesse et à la diversité de la vie. Elles ont une valeur en elles-mêmes et ne sont pas simplement des étapes dans l’avènement de formes de vie prétendument supérieures et rationnelles. »(Arne Naess, la réalisation de soi – éditions wildproject 2017). Applications :

– Terre-mère, constitutionnalisée ?

Il y a une différence de fond entre la sacralisation de la terre-mère et les religions « révélées » des monothéismes. Les dieux là-haut dans les cieux sont une invention abstraite et arbitraire de la pensée humaine : on peut faire dire à Dieu ce qu’on veut puisqu’il n’existe nulle part d’endroit où on peut dialoguer directement avec lui. Il faut toujours l’intermédiaire de livres et de paroles d’humains pour accéder à la foi. La Terre par contre est concrète, on peut la toucher et la ressentir physiquement. L’idée de Terre-mère, d’un autre rapport à la nature, cherche à se concrétiser dans des textes législatifs.

2008. Tout un chapitre de la Constitution Équatorienne de 2008 est dédié aux droits de la Nature ; son article 71 dispose que « la Nature ou Pacha Mama, où se reproduit et réalise la vie, a le droit à ce que soient intégralement respectés son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses  fonctions et ses processus évolutifs.  »

2009. Evo Moralès, président de la Bolivie, milite pour la reconnaissance de Pachamama, nom de la Terre mère dans les cultures indigènes. La Terre, dit-il, ne peut pas être considérée comme une simple ressource naturelle, elle est la maison de tous les êtres vivants. (Hervé Kempf « Pachamama » dans LE MONDE du 27-28 décembre 2009)

2019. Quatorze représentants de peuples indigènes de différents continents lancent un appel à protéger le caractère « sacré » de la nature et à s’opposer aux projets du président du Brésil Bolsonaro: « Nous, gardiens et enfants de la Terre Mère, peuples indigènes et alliés, notre sagesse et nos savoirs nous ont permis de constater que la vie sur la Terre Mère est en danger et que l’heure d’une grande transformation est arrivée. Nous appelons l’humanité à prendre des mesures pour protéger le caractère sacré de l’eau, de l’air, de la terre, du feu, du cycle de la vie et de tous les êtres humains, végétaux et animaliers. Il est vital de transformer notre approche de la nature en l’envisageant non comme une propriété, mais un sujet de droit, garante de la vie… Nous devons évoluer vers un paradigme basé sur la pensée et la philosophie indigènes, qui accorde des droits égaux à la Nature et qui honore l’interrelation entre toute forme de vie. Il n’y a pas de séparation entre les droits des peuples indigènes et les droits de la Terre Mère… Il est plus que jamais urgent que le monde adopte une Déclaration universelle des droits de la Terre Mère… (LE MONDE du 11 avril 2019, Appel des peuples indigènes : « Depuis l’élection de Jair Bolsonaro, nous vivons les prémices d’une apocalypse »)

– Droit des fleuves… à ester en justice.

1972. Christopher D.Stone : « Désormais il n’est plus nécessaire d’être vivant pour se voir reconnaître des droits. Le monde des avocats est peuplé de ces titulaires de droits inanimés : trusts, joint ventures, municipalités. Je propose que l’on attribue des droits juridiques aux forêts, rivières et autres objets dits « naturels » de l’environnement, c’est-à-dire, en réalité, à l’environnement tout entier. Partout ou presque, on trouve des qualifications doctrinales à propos des « droits » des riverains à un cours d’eau non pollué. Ce qui ne pèse pas dans la balance, c’est le dommage subi par le cours d’eau, ses poissons et ses formes de vie « inférieures ». Tant que l’environnement lui-même est dépourvu de droits, ces questions ne relèvent pas de la compétence d’un tribunal. S’il revient moins cher au pollueur de verser une amende plutôt que d’opérer les changements techniques nécessaires, il pourra préférer payer les dommages-intérêts et continuer à polluer. Il n’est ni inévitable ni bon que les objets naturels n’aient aucun droit qui leur permette de demander réparation pour leur propre compte. Il ne suffit pas de dire que les cours d’eau devraient en être privés faute de pouvoir parler. Les entreprises n’ont plus ne peuvent pas parler, pas plus que les Etats, les nourrissons et les personnes frappées d’incapacité. Le tuteur légal représente la personne incapable. Bien sûr, pour convaincre un tribunal de considérer une rivière menacée comme une « personne », il aura besoin d’avocats aussi imaginatifs que ceux qui ont convaincu la Cour suprême qu’une société ferroviaire était une « personne » au sens du quatorzième amendement (qui garantit la citoyenneté à toute personne née aux Etats-Unis). » (in les Grands Textes fondateurs de l’écologie, présentés par Ariane Debourdeau)

2017. Un fleuve considéré comme sacré par les Maoris a été reconnu par le Parlement néo-zélandais comme une entité vivante. Le Whanganui, troisième plus long cours d’eau du pays, s’est vu doter du statut de personnalité juridique, avec tous les droits et les devoirs attenants. Une décision qui pourrait être une première mondiale. La tribu locale luttait pour la reconnaissance de ses droits sur ce cours d’eau depuis les années 1870. « La nouvelle législation est une reconnaissance de la connexion profondément spirituelle entre l’iwi [tribu] Whanganui et son fleuve ancestral », a relevé le ministre de la justice,M. Finlayson. Ce statut aura pour traduction concrète que les intérêts du Whanganui (Te Awa Tupua pour les Maoris) seront défendus dans les procédures judiciaires par un avocat représentant la tribu et un autre le gouvernement. (Le Monde.fr avec AFP | 16.03.2017, En Nouvelle-Zélande, un fleuve reconnu comme une entité vivante)

Conclusion

Nicolas Hulot et le rapport au vivant : « Je pense que la spiritualité est le chemin que l’on cherche pour nous relier, parce que l’homme n’est pas le Tout, il est la fraction d’un Tout. Je me sens lié avec le vivant. Je ne me sens pas étranger ou dissocié. Je sens intimement que je fais partie d’un tout ; je n’arrive pas à le démontrer, mais je le ressens. Quand je fais eau commune avec des baleines, je n’ai pas une étrangère en face de moi. Nous sommes issus d’une même histoire, d’une même matrice. Et d’ailleurs la science nous l’a confirmé : il y a beaucoup de nous dans la baleine et il y a beaucoup de la baleine en nous. La fragmentation, les divisions qui sont les produits de la pensée, pour nous cataloguer dans des espèces, des races, dans des nationalités, pour moi tout ceci est abstrait. Notre civilisation s’emploie à nous désolidariser et à couper tous les liens avec le reste du vivant et à le  détruire. » (Extraits tirés du livre récapitulatif Crise écologique, crise des valeurs – Labor et Fides, 2010)

– L’avantage de l’écologisme sur les religions : L’écologie politique s’appuie sur la science écologique, elle repose sur des bases bio-physiques. Les recherches scientifiques sur l’état de la planète ne sont pas des constructions dogmatiques, reposant sur des arguments d’autorité, ellesont la particularité d’être réfutables si on en fait la démonstration. Leur registre n’est pas moral, il ne renvoie pas à des valeurs mais à des faits. La connaissance scientifique accumulée par les GIEC et bien d’autres instances d’analyse de l’air, de l’eau et du sol a l’immense mérite de nous représenter un bien commun en péril sans lequel on ne pourrait pas fonder des droits et des devoirs faute de moyens.

La place future de l’écologisme : Il s’agit de mettre en place une nouvelle éthique de la Terre. L’écologisme porte en lui un changement profond par rapport aux religions du livre (bible, nouveau testament, coran), un retour à une vision plus en phase avec les possibilités d’une vie viable, vivable et conviviale sur cette planète. Pour mieux se faire entendre du public, il est nécessaire de formaliser ce message par un terme générique. On peut parler de façon édulcorée de développement durable, de tournant culturel, de transition écologique ou de convivialisme. D’autres, plus incisifs disent simplicité volontaire, sobriété heureuse ou décroissance. Il semble pourtant que le drapeau « écologisme » se suffit à lui-même, il signifie que nous voulons nous relier à notre maisons commune, qui est à la fois notre maisonnée, la société et de façon globale la Terre. Mais l’écologie politique aura de dures controverses à affronter au cours du XXIe siècle, mélangeant connaissances scientifiques, contraintes socio-économiques et interprétations philosophiques. L’écologie politique connaîtra ses conciles, synodes et d’autres encycliques dans les siècles des siècles à venir ! Le risque de toute spiritualité, ce sont les extrémismes qui ne veulent pas s’exprimer dans le cadre démocratique…

Bibliographie complémentaire

1991 Genèse (la Bible et l’écologie) de John Baird CALLICOTT

2006 Les gémissements de la création (20 textes écolo) de Jean Paul II

2014 Dans les pas de Saint François d’Assise (l’appel de Jean-Paul II en faveur de l’écologie) de Marybeth Lorbiecki

6 réflexions sur “Biosphere-Info, écologisme et religions”

  1. « In god we trust », dit-on aux Etats-Unis!
    On voit bien ce que cela donne du point de vue écologique!
    Je trouve ce résumé assez parlant concernant le gouffre entre religion chrétienne et écologie.

  2. Richard Bombardelli

    L’opposition religion/nature a été entretenue par la plupart des religions monothéistes pour des raisons hégémoniques. Je ne pense pas pas qu’il y aie quelque chose à attendre de la religion en générale sur ce sujet qui serait censée relier les hommes, mais en aucun cas l’homme avec la nature. De plus, la religion et la science n’ont jamais fait bon ménage, certains scientifiques ont en failli payer de leur vie. Pour sortir de cette dichotomie, Je vous encourage à lire Edgar MORIN philosophe, anthropologue qui, un des premiers a traité dans la plupart de ses ouvrages des interactions de l’homme et de la nature, en s’appuyant sur le concept de complexité, nouveau paradigme de la pensée de l’homme d’aujourd’hui.

  3. Bon me voila rassuré. Je sais désormais que je fait partie d’un tout (mais ça je m’en doutait un peu..), que je n’ai pas à intercéder au nom de Dieu, ni à me sentir redevable de l’entretien de la « maison commune » et que « L’écologie politique connaîtra ses conciles, synodes et d’autres encycliques dans les siècles des siècles à venir ! », ce qui laisse un peu de marge à mes descendants.

  4. Bouillon Jean Pierre

    J’ai presque 94 ans.Je ne ressens plus le besoin de philosopherJe suis très inquiet face aux catastrophes qui frapperont mes 6 petits enfants mais j’espère avoir un arrière petit enfant 1/2 parisienne un peu snob et 1/2 pur Maori,géniaux tous les deux.

  5. Tout ça est certes très intéressant mais je pense que ça reste un peu trop simpliste. Cependant mon point de vue n’a pas pour prétention de l’être moins, simpliste 😉 En tous cas je ne vois pas en quoi les religions du Livre seraient à l’origine de la crise écologique que nous vivons.
    Déjà, pourquoi le « biocentrisme » d’Arne Naess ou autre, ne pourrait-il pas être considéré comme un «anthropocentrisme dévié» au sens où l’entend le pape François ?

    Le chaos n’étant pas ce qui relie ou rassemble le mieux (ce qui pourrait faire consensus, comme on dit aujourd’hui), la religion joue effectivement ce rôle de relier et de rassembler les hommes autour d’un certain ordre des choses. Les êtres humains ont effectivement ce besoin de donner un sens à cet environnement, ce grand tout (Grand Tout) dans lequel ils baignent, je dirais plutôt pataugent. Autrement dit ils ont besoin de voir en lui (ou en Lui) une certaine cohérence. Tout simplement parce que le chaos, comme le vide, le néant, ne sont pas ce qu’il y a de plus facile à penser et à imaginer. Probablement plus difficiles à penser que l’infini et l’absolu. Reconnaissons déjà que, d’un certain côté, nous aimons bien la facilité et la simplicité. Du point de vue d’une puce, son monde, son Cosmos, c’est le chien, ou le chat etc. Pour l’homme le chien reste un chien. Nous pouvons le dresser, le maltraiter, le manger, le caresser, l’adorer voire le diviniser, pour nous il restera un chien.
    Notre environnement à nous, nous pouvons l’appeler Grand Tout, Cosmos, Nature, Dieu, Gaïa ou tout ce qu’on voudra, nous pouvons lui coller une belle Majuscule, ou pas, nous pouvons même refuser de le nommer, de lui parler (le prier) etc. Pour moi l’essentiel reste tout simplement de le penser, de ressentir sa présence et d’arriver à se situer là au milieu quelque part. C’est là que je rejoins ce que dis Nicolas Hulot (cité dans la conclusion de cet article).
    Seulement nous voyons bien que ne serait-ce déjà qu’avec ce genre de détail, ou «détail» (ce qui pour moi reste un détail)… je parle du fait de nommer la chose (ou la Chose) Dieu, Allah, Pacha Mama et tout ce qu’on voudra… nous avons là largement de quoi nous étriper pour des siècles et siècles amen. Misère misère !
    Mais comme si ça ne suffisait pas, l’affaire se complique à partir du moment où même au sein de groupes qui s’agenouillent en commun, pour prier le même dieu, apparaissent d’autres divinités. Le fait que les uns le nomment Dieu, d’autres Allah, d’autres encore Nature, Pacha ou Gaïa, ne change rien au fait qu’il existe à côté (et en même temps, comme IL dit) d’autres religions et/ou cultes dont les dieux ou divinités pourront cette fois s’appeler (non pas Jupiter, quoique, mais plutôt) Pognon, Mammon, Progrès, Science, Croissance et Caetera.

    1. voilà un article, un point de vue qui demande réflexion; on ne peut réagir aussi rapidement à ces idées. Si nous traversons actuellement une crise écologique, et .humaine qui semble nous acculer dans une impasse, c’est bien à cause de notre refus de voir, de notre orgueil démesuré de penser que nous pourrions résoudre tous nos problèmes par la science, en faisant abstraction de tout sens moral.

Les commentaires sont fermés.