Catastrophe, le marchand de sable est passé

« Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans cinq ans il faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs » (Coluche). Heureusement pour ce sable là, les grains de sable du désert, trop fins, trop ronds, ne conviennent pas à la fabrication du béton, alors on va le chercher ailleurs. Le long du littoral marocain, les « marchands de sable », maîtres-d’œuvre d’un business semi-mafieux, recrutent des centaines d’enfants. LE MONDE* insiste beaucoup sur le Maroc. Partout dans le pays, des poids lourds sillonnent les routes, transportant des tonnes de ce matériau pour satisfaire les besoins sans fin des promoteurs immobiliers. Dans ce pays, le boom du BTP a fait oublier les préoccupations environnementales. Grands ouvrages d’aménagement, édification de villes nouvelles et de complexes hôteliers… Le royaume s’est lancé dans des projets titanesques. Sans oublier l’auto-construction, qui représente à elle seule 60 % du secteur dans ce pays. Ce qui est impressionnant, c’est que cette bétonisation touche tous les pays. Comme il faut deux tiers de sable et de graviers et un tiers de ciment pour produire du béton, ce granulat est devenu la deuxième ressource naturelle la plus consommée sur la planète, après l’eau et devant le pétrole. Chaque année, au moins 15 milliards de tonnes seraient ainsi récoltées dans le monde – ramassées à la pelle, aspirées dans la mer par des bateaux-dragueurs ou extraites de carrières –, au point de menacer certaines plages de disparition. La situation devient catastrophique.

Dans le port de pêche de Larache, le problème est connu de tous. « Des gros promoteurs venaient nous promettre de bâtir des immeubles modernes, se souvient Lahcen. Que reste-t-il aujourd’hui ? » Des paysages lunaires, où de larges cavités se dessinent le long du rivage dévasté. Au Maroc comme ailleurs, ces dérives préparent une bombe écologique. Une plage met des milliers d’années à se constituer. On est en train d’enlever ce que la planète a mis des millénaires à faire. L’érosion s’accélère sur les franges côtières, le sable constituait un rempart contre l’augmentation du niveau de la mer et les tempêtes. On supprime ainsi une barrière naturelle !

Mais le plus inquiétant, c’est que nous bâtissons, que ce soit au sens propre ou figuré, sur du sable. Le béton a une durabilité limitée, un siècle, New York a reconstruire tous les 100 ans, mais avec quel sable ? Sans vouloir être trop alarmiste, on sait qu’après la fin du sable, ce sera pareil pareil pour le pétrole, la construction de camion, l’entretien des grues… De plus, le béton, c’est typiquement le truc qui ne se recycle pas. Une bien belle invention, la construction de tours et de HLM, mais bâtie sur du non renouvelable. Si nous devions revenir aux techniques constructives en vigueur à l’époque romaine (pas de béton, pierres extraites à la pelle et à la pioche, transportés par barges, montées par poulies à la force des bras), les logements demanderaient 30 à 1000 fois plus de temps pour être construits, et surtout coûteraient tellement cher qu’il s’en construirait 50 à 100 fois moins dans l’année. Mais au moins ce serait plus durable. Un tel avenir nous est promis, mais que faire de la population surnuméraire au Maroc ou ailleurs, on les logera où et comment ?

* LE MONDE du 25 novembre 2017, La mafia des sables

3 réflexions sur “Catastrophe, le marchand de sable est passé”

  1. Bonjour Didier Barthès.
    En effet c’est une bonne question. On pourrait déjà dire que c’est parce que nous sommes de plus en plus nombreux… mais je crois pas que ça soit ça la vraie raison.
    La vraie raison c’est donc ce « besoin » que vous mettez dans votre question.
    Autrement dit :  » Mais pourquoi donc ce besoin de toujours plus ?  » Et là, vaste sujet !

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