« Ma prédiction est que les États-Unis s’effondreront dans un avenir prévisible… et cela ne s’est pas encore produit. Et donc, inévitablement, on me pose encore et encore la même question : Quand ? Et inévitablement, je réponds que je ne fais pas de prédictions chronologiques. Il est possible de prédire que quelque chose va se produire avec une troublante précision. Par exemple, tous les empires finissent par s’effondrer, sans exception ; par conséquent les États-Unis s’effondreront. C’est une sorte de propriété générale des choses qu’elles se construisent lentement et s’effondrent rapidement. Les exemples de cette sorte abondent (bâtiments, ponts, digues, empires militaires, économies, supernovas…). Mais il n’est pas possible de prédire quand quelque chose va se produire. Cependant, en observant le rythme de détérioration, nous pouvons parfois dire quand la date approche. Alors, observons ensemble.
Le gouvernement fédéral américain dépense actuellement environ trois cent milliards de dollars par mois. Pour ce faire, il « emprunte » environ cent milliards par mois. Le mot « emprunte » est entre guillemets, car la plus grande part de cette dette nouvelle est créée par le Trésor et achetée par la Réserve fédérale, donc, en substance, le gouvernement se fait juste un chèque de cent milliards de dollars tous les mois. Personne ne peut dire combien de temps un tel scénario peut continuer de se dérouler.
Ugo Bardi présente un modèle merveilleusement simple et clair, qu’il a appelé l’effet Sénèque. Ce modèle inclut deux éléments : une base de ressources et une économie. La vitesse d’exploitation de la base de ressources est proportionnelle à la fois à la taille de la base de ressources et à la taille de l’économie. Aussi, l’économie décline à une vitesse proportionnelle à sa taille. Les choses grossissent et grossissent, et soudainement elles s’arrêtent.
Maintenant, ajoutons un troisième élément, qui peut être nommé diversement bureaucratie, pollution ou frais généraux. Il décline aussi à une vitesse proportionnelle à sa taille. Il y a un problème avec ce modèle : nous ne savons pas vraiment quels éléments de l’économie sont productifs (en terme de contribution à la vitesse à laquelle la base de ressources est convertie en capital) et lesquels sont improductifs et tombent dans la catégorie bureaucratie/pollution/frais généraux. Quand nous regardons le monde, nous voyons la somme des deux et nous ne pouvons les distinguer. Avec ce détail dissimulé à la vue, l’effondrement devient difficile à voir : les gens peuvent être affamés, mais il y a aussi beaucoup de bureaucrates gras se mangeant leurs amples fessiers les uns les autres.
Un problème associé est que la fraction des ressources allant dans bureaucratie/pollution/frais généraux commence généralement en étant raisonnable (un quart ou un tiers environ) mais plus l’économie se rapproche de l’effondrement, plus cette fraction augmente. On peut observer cela aux États-Unis : de plus en plus de ressources sont allouées aux sauvetages financiers, aux projets bidons de relance économique et à la sécurité nationale. Tandis que la partie productive de l’économie commence à lâcher, les bureaucrates se désespèrent mais, étant des bureaucrates, tout ce qu’ils peuvent faire est d’augmenter indéfiniment la charge bureaucratique, accélérant la glissade descendante.
Les choses grossissent et grossissent, puis s’arrêtent soudainement. Regardons l’exemple du commerce de détail américain. Autrefois, il y avait une industrie locale qui vendait des produits dans de petits magasins. En quelques décennies, l’industrie a déménagé dans d’autres pays, principalement la Chine, et les petits magasins ont été évincés par les grands magasins, puis par les centres commerciaux, culminants avec Walmart qui pratique le commerce sur brûlis : comme la plupart de ce qu’il vend est importé, il vide d’argent l’économie locale, puis il est forcé de fermer, laissant la dévastation dans son sillage. Et une fois que les services d’UPS et FedEx sont devenus inabordables à cause de l’augmentation des prix de l’énergie ou indisponible à cause de routes et de ponts non entretenus et infranchissables, l’accès local aux marchandises importés est perdu.
Pareillement, avec les banques américaines. Autrefois il y avait des petites banques de quartier qui prenaient les économies des gens et les prêtaient aux particuliers et aux entreprises, aidant la croissance économique locale. En quelques décennies, ces petites banques de quartier ont été remplacées par quelques énormes méga-banques, qui, après 2008, sont devenues effectivement la propriété du gouvernement. Une fois que les méga-banques ferment leurs branches locales, l’accès à l’argent est perdu.
Peu de choses continuent de fonctionner aux États-Unis une fois que le réseau électrique est en panne. On a récemment constaté que l’incidence des coupures d’électricité majeures doublait chaque année. C’est un réseau sévèrement surchargé, fait de lignes électriques et de postes de transformateurs vieillissants, certains datant des années 1950. Il y a plus de cent réacteurs nucléaires, qui deviennent vieux et dangereux, mais leur vie opérationnelle est en train d’être artificiellement étendue par certification. Il n’y a pas de plans, et pas d’argent, pour les démanteler et pour séquestrer les déchets à haut niveau radioactif dans un lieu souterrain géologiquement stable. Si elles étaient privées à la fois de l’électricité du réseau et de carburant diesel pendant un long intervalle de temps, ces centrales fondraient, à la Fukushima Daiichi. L’incidence des coupures d’électricité majeures ne peut doubler qu’un certain nombre de fois avant qu’il soit temps de distribuer les tablettes d’iodure de potassium.
Sans électricité, il n’y a ni chaleur ni eau chaude ; il n’y a pas d’eau courante ou, plus effrayant, plus d’évacuation des eaux usées. Les systèmes de sécurité et les systèmes de paiement cessent de fonctionner. Les téléphones mobiles et les ordinateurs portables ne peuvent être rechargés. Les tunnels autoroutiers et le métro son inondés et les ponts ne s’ouvrent pas pour laisser passer le trafic maritime — tel que les barges chargées de diesel. Pouvons-nous être sûr que le diesel continuera d’être fourni à toutes les centrales nucléaires actives alors même que tout le reste s’écroule ? »
Résumé du texte de Dmitry Orlov (5 juin 2012)
Source : http://www.orbite.info/traductions/dmitry_orlov/fragilite_et_effondrement.html
Dmitry Orlov est né à Leningrad en 1962 et a immigré aux États-Unis à l’âge de douze ans. Il a été témoin de l’effondrement soviétique lors de plusieurs visites prolongées sur sa terre natale russe entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990. Il est aussi un théoricien majeur du pic pétrolier et estime que l’Union soviétique était mieux préparée à l’effondrement économique que le sont les États-Unis !