anthropisation

agriculture en péril, humanité en sursis

– L’équilibre alimentaire mondial est fragile et la sécurité alimentaire n’est acquise par personne.

– Nous aurons à nourrir neuf milliards d’habitants en 2050 et à réduire fortement le nombre de personnes souffrant de la faim, plus d’un milliard en 2009.

– Personne n’a oublié les récentes émeutes de la faim. (Bruno Le Maire, ministre français de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche)

– Nous savons d’ores et déjà que nous ne saurons nourrir neuf milliards d’habitants en 2050.  (Bruno Le Maire)

– Les plantes et les animaux pourront moins produire dans certaines régions en raison du stress hydrique et climatique.

– On a voulu voir dans la production agricole des matières première comme les autres, d’où la volatilité des cours.

– Cette volatilité est accentuée par la faiblesse des volumes échangés sur le marché international, qui détermine le prix mondial : à peine 10 % de la production !

– En deux ans, les exploitants agricoles ont perdu la moitié de leurs revenus.

– Les simulations qui servaient d’appui aux négociations internationales en maitère agricole étaient toutes fondées sur des modèles industriels.

– Votre œuf affiche un 3 imprimé sur la coquille ? Cela signifie que l’animal l’ayant pondu a été élevé en batterie (90 % de la production française), c’est-à-dire en cage dans un hangar, à la lumière artificielle, avec 18 poules par m2.

– Les agriculteurs et les pêcheurs s’interrogent sur leur place au  sein de nos sociétés urbaines. (Bruno Le Maire)

– Nous perdons l’équivalent d’un département en surface agricole tous les dix ans ! (Bruno Le Maire).

– Comment développer les circuits courts autour des villes s’il ne reste plus de terres ? (Bruno Le Maire).

– Certes le phénomène du « consommer local » est encore balbutiant. Toutefois la demande explose, les initiatives se multiplient.

– Des collectivités locales créent ou recréent des marchés locaux dans l’esprit « circuits courts ».

Source de ces citations : Les cahiers  de la compétitivité, spécial Agriculture et alimentation (LeMonde du 20 janvier)

NB : Comme les rédacteurs du blog « biosphere » ne sont pas des fans de la publicité, nous faisons remarquer que ce supplément sous forme de publi-reportages est conçu par une société de communication. Ils forment un cahier distinct du quotidien. Comme il s’agit de publicité, la présentation est forcément enthousiaste quant à la « compétitivité ».

A plusieurs reprises, la Société des rédacteurs fut saisie par les journalistes du Monde. Mention fut donc ajoutée pour rappeler aux lecteurs que la rédaction du Monde n’était pas impliquée dans les propos publiés par ces cahiers de la compétitivité, et c’est tout. Il faut dire que ce produit publicitaire rapportait (chiffre à actualiser) bon an mal an 1 % des recettes. Comme dans toute chose,  c’est donc à chaque lecteur de trier le bon grain et l’ivraie ; ce que nous avons fait en sélectionnant et classant les citations.

Nous pensons fortement que l’alimentation ne peut en aucun cas entrer dans un schéma de compétitivité…

Haïti et la duplicité occidentale

Haïti, des millions de sinistrés avant le séisme, des millions de sinistrés après. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, on espérait agir sur les causes du « sous-développement ». Aujourd’hui on se résout à multiplier conjoncturellement les aides palliatives, que l’on qualifie d’aide « humanitaire ». Haïti était déjà sous perfusion, bien avant le tremblement de terre. Si la secousse a été aussi dévastatrice et meurtrière, c’est parce qu’elle frappe un pays d’une très grande vulnérabilité dans ses constructions, ses infrastructures et ses moyens de secours. La Minustah, ou Mission des Nations unies de stabilisation en Haïti, composé en majorité de militaires et de policiers, était le seul organisme encore cohérent dans ce pays. Sans lui, les scènes de violence pouvaient se multiplier dans les bidonvilles de Port-au-Prince comme dans les ruines d’aujourd’hui.

Nous versons face à cette catastrophe les sanglots de l’homme blanc, l’expression de cette mauvaise conscience de ceux qui profitent de l’abondance, alors que meurt habituellement l’autre moitié de monde. D’où cette solidarité automatique, issue à la fois du christianisme et du marxisme. Le FMI a annoncé une aide financière à Haïti de 100 millions de dollars, les Etats-Unis débloquent la même somme, on en appelle aux contributions privées, « même d’un ou deux dollars ». On achemine par avion des troupes de sauveteurs, les télés sont saturés d’images de désolations, des page entières de photos dans les quotidiens qui n’apportent aucun autre message que celui du voyeurisme.

D’un côté, on a contribué à déstabiliser les Etats qui deviennent incapables de maintenir l’ordre public et d’assurer leurs tâches redistributives, ouvrant ainsi toutes grandes les portes du conflit et de la misère ; de l’autre on pallie au coup par coup les effets négatifs en accroissant les efforts dits humanitaires. Avant comme après le séisme d’Haïti, les deux moitiés de la planète se séparent de plus en plus et le Nord continue de construire patiemment le mur par lequel il espère tenir à distances les nouveaux barbares. Pour la pensée ordinaire, le scandale se trouve toujours du côté des pauvres, que l’on console de temps en temps à leur accordant une aide. Alors que l’on pourrait affirmer qu’un monde qui tolère une richesse excessive de la part d’une minorité sera toujours sujet aux catastrophes écologiques et autres.

NB : Les informations de cette synthèse sont issue du Monde du 16 janvier, la trame narrative est proposée par Gilbert Rist, Le développement, histoire d’une croyance occidentale..

la fin des migrations

Berlusconi en Italie soutient tacitement les violences faites contre les immigrés à Rosario. L’éditorial du Monde (13 janvier) constate : « Un parti anti-immigrés multiplie les provocations sans que personne ne s’émeuve, le racisme assumé gangrène la  société italienne ». LeMonde s’interroge : « C’est l’occasion d’une réflexion sur une société multiethnique ». Mais cette analyse ne peut porter sur l’Italie seulement. La France de Sarko durcit constamment les lois sur l’immigration, l’UE a créé une « Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne », le sénat américain a approuvé l’installation d’une clôture de 1123 km le long de la frontière du Mexique, les Australiens rejettent à la mer les réfugiés climatiques, etc.

Harald Welzer (les guerres du climat) pense que les conflits d’espace vital et de ressources auront, dans les décennies à venir, des effets radicaux sur la forme que prendront les sociétés occidentales. Comme les conséquences climatiques les plus dures frappent les sociétés disposant des possibilités les plus réduites d’y faire front, les migrations mondiales augmenteront dramatiquement au cours du XXIe siècle et pousseront à des solutions radicales les sociétés où la poussée migratoire est perçue comme une menace. Welzer n’est pas optimiste sur le nombre de réfugiés climatiques (qui vont s’ajouter aux autres) : « Les processus de rattrapage du retard industriel dans les pays émergents, l’insatiable appétit énergétique des pays tôt industrialisés et la diffusion mondiale d’un modèle de société fondé sur la croissance et l’épuisement des ressources font apparaître comme irréaliste qu’on limite à deux degrés seulement le réchauffement d’ici le milieu du siècle. » Dans ce contexte, l’interrogation ne peut plus porter principalement sur les questions d’intégration multiethnique quand la réalité porte déjà aujourd’hui sur les moyens mis en place par le Nord de limiter les flux d’immigrés venus du Sud.

 Il faut donc nous préparer internationalement à la fin des migrations, que ce soit  celle des immigrés du Sud ou des touristes occidentaux qui croient encore que tout est possible. Cela suppose un changement total de civilisation. A ceux qui lui demandaient comment sortir de la crise, Teddy Goldsmith répondait en souriant : « Faire l’exact contraire  de ce que nous faisons aujourd’hui, et ce en tous les domaines ».

LE VILAIN CHASSEUR

Etre chasseur, c’est une façon d’être, une manière d’agir dans la nature. Le chasseur ne devrait pas être cette fourmi motorisée qui envahit les continents avant d’avoir appris à « voir » le jardin à côté de chez lui. Un bon chasseur, c’est une personne qui connaît les goûts, les habitudes, les comportements du gibier. Savoir chasser, savoir pêcher, c’est savoir penser comme un canard, une perdrix, ou une truite. C’est se mettre à leur place, c’est adopter leur point de vue. Aldo Leopold était un bon chasseur, ce qui lui a permis d’élaborer une land ethic. Toute les éthiques reposent sur un seul présupposé : que l’individu est membre d’une communauté de parties interdépendantes. L’éthique de la Terre élargit simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l’eau, les plantes et les animaux. Comme les autres éthiques, celle-ci implique le respect des membres de la communauté. Donc Leopold cultivait les vertus de l’autolimitation du désir de  capture. Il s’agit, par respect pour l’animal qu’on traque, d’imposer des freins  l’action des chasseurs ; il faut par exemple chasser léger, une cartouche seulement par animal, tirer les perdrix à la volée, etc. Une éthique, écologiquement parlant, est une « limite imposée à la liberté d’agir ».            

Ce code de bonne conduite des chasseurs n’est pas appliqué par Serge Dassault qui se permet de chasser la biche juché sur une tourelle installée sur son 4×4, fusil 7.64 à lunette en main (8 biches dans la journée à lui tout seul). Il n’est pas appliqué par Patrick-Louis Vuitton qui poursuit des cervidés jusque sur des terrains privés : « Quand le cerf est aux abois, j’en deviens propriétaire. Je dois donc l’achever au plus vite », même si c’est en barque, à la dague, là où les cervidés n’ont plus pied. Il n’est pas tolérable que les trop riches comme Vuitton puissent s’adjuger les droits de chasse à courre sur 5370 hectares de forêt domaniale. La culture des chasseurs ne repose plus sur le rapport avec les animaux, mais sur le rapport avec la propriété. Il n’est pas moral que les chasseurs ordinaires utilisent des fusils à répétition. La chasse même devient anormale en France : ce qui persiste d’animaux libres dans les forêts ne ressemble plus qu’à du cheptel d’élevage agrainé et réintroduit pour alimenter le stand de tir des « gestionnaires ». D’ailleurs, comment un million de chasseurs pourraient-il évoluer en France de façon éthique dans des paysages urbanisés, fragmentés et « désanimalisés » ?

source documentaire :

Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables

Catherine et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature

Gérard Charollois, Pour en finir avec la chasse  (la mort-loisir, un mal français)

LeMonde du 1er janvier 2010 : scènes de chasse et noms d’oiseaux

la fin du capitalisme mondialisé

Le capitalisme mondialisé  va être brisé par son succès. Une concurrence entre nations qui porte sur les mêmes biens industriels va rendre les échanges intenables pour les plus faibles, y compris la France. Abou Dhabi préfère les centrales nucléaires coréennes à l’EPR français, c’est à l’allemand Siemens que la Chine a confié ses trains à grande vitesse, même la commission européenne choisit l’Allemagne pour ses satellites du réseau Galileo. L’éditorial du Monde (29 décembre 2009) conclut : l’équipe France semble avoir bien du mal à produire les champions industriels de demain. » Triste conclusion car on ne voit pas d’issue à l’heure où la Chine, remontant les filières (depuis sa spécialisation passée sur le textile et les jouets) est en passe de maîtriser scientifiquement et techniquement tous les produits les plus sophistiqués. Dès 2009, les exportations chinoises devancent le premier exportateur mondial, l’Allemagne.

Les anciens pays industrialisés sont d’autant plus perdants que la Chine possède des matières premières stratégiques. Contre les règles léonines de l’OMC, elle pratique des restrictions sur la bauxite, le coke, le germanium, le manganèse, le silicium, etc.  Pour élever le niveau de vie de sa population, Pékin mène une politique habile de grande puissance pour contrôler le plus de filières technologiques possibles. Ces filières dépendent de la maîtrise de 29 métaux rares et de 17 terres rares. Utilisées en quantités infinitésimales, ces éléments améliorent les propriétés physico-chimiques des autres métaux. Les écrans à cristaux liquides contiennent de l’indium, les ampoules basse consommation  du gallium, les cellules solaires du sélénium, etc. Or la Chine assure 95 % de la production mondiale de terres rares (LeMonde du 30 décembre). Les anciens pays industrialisés vont donc être doublement étranglés.

 En fait, c’est le système capitaliste mondialisé global (y compris la Chine) qui est confronté à une limite encore plus forte que la concurrence internationale. Le sous-sol contient plus de 90 % de nos énergies (charbon, pétrole, gaz, uranium) ; vous connaissez déjà le pic pétrolier (pour le pétrole conventionnel), il y aura bientôt le pic énergétique global. Mais il y a aussi tous les métaux. Votre voiture, votre ordinateur, votre téléphone mobile sont entièrement constitués à partir des matières du sous-sol. De même que vos panneaux solaires photovoltaïques, votre éolienne et vos diodes électroluminescentes. Bientôt vous vous heurterez à un seuil, la « barrière minéralogique », en dessous duquel la trop faible teneur du minerai interdit toute extraction économiquement rentable. Les profils temporels de production des grandes mines du monde ressemblent à la  courbe en cloche de la production de pétrole : ça croit pendant un certain temps jusqu’à atteindre un maximum pour décroître ensuite inexorablement. En outre, tout comme pour le pétrole, le minerai de la partie descendante de la courbe est de moins bonne qualité et demande plus d’énergie à l’extraction que celui de la partie ascendante. De nombreuses parties du monde ont déjà épuisé leurs réserves minérales : L’Europe abritait plus de 60 % des mines du monde en 1860, elle n’en a plus que 5 % aujourd’hui. Face à ces constats accablants, les solutions ne sont pas technologiques, mais civilisationnelles.

La décroissance n’est même plus un objet de débat, pour ou contre. La décroissance est notre destin.

notre Terre-mère Pachamama

Il y a des jours où nous sommes heureux : LeMonde fournit l’information que nous aimerions donner ! Ainsi la chronique d’Hervé Kempf « Pachamama » (27-28 décembre) mérite d’être diffusée à tous les internautes de notre Biosphère. Quelques extraits :

La mère nature semblait inépuisable, aujourd’hui les géologues parlent d’anthropocène. Ce n’est pas par la voie technique que nous trouverons la solution à la  crise écologique. Elle est une crise civilisationnelle qui appelle une analyse spirituelle. Evo Moralès, président de la Bolivie, milite pour la reconnaissance de Pachamama, nom de la Terre mère dans les cultures indigènes. La Terre, dit-il, ne peut pas être considérée comme une simple ressource naturelle, elle est la maison de tous les êtres vivants.

Pour guérir Mère Terre, continue Moralès, il est nécessaire de comprendre que sa maladie a un nom : le système capitaliste mondialisé. Il n’est pas suffisant de dire que le changement climatique est le résultat de l’activité humaine. Il est nécessaire de dire que c’est un système, une façon de penser et de sentir, une façon de produire la richesse et la pauvreté, un mode de « développement » qui nous conduisent au bord de l’abîme. Afin de préserver la planète, la vie, et l’espèce humaine, nous devons en finir avec le capitalisme.

Il est heureux de voir qu’un politique, Président d’un pays, a la même orientation spirituelle que les auteurs de ce blog. Il faut féliciter le journaliste qui relate les propos d’Evo Moralès. Le fait que LeMonde permette la critique du capitalisme et l’expression d’une philosophie de l’écologie témoigne peut-être qu’un autre monde est possible …

le nationalisme à Copenhague

Eric Besson estime qu’il faut « réaffirmer la fierté d’être français », Nadine Moreno veut qu’un jeune musulman « se sente français lorsqu’il est français », les racistes  commencent à s’énerver. Ce n’est pas ainsi que nous préparons le monde de demain à l’heure de Copenhague. Parce que les uns se sentent plutôt Français pendant que d’autres se veulent Américains, ou Brésiliens, ou ethnocentrés, nous n’arriverons jamais à conclure quelque conférence internationale que ce soit. Car les quelque 120 chefs d’Etat et de gouvernement ne sont pas au Danemark pour résoudre les problèmes de la planète, ils ont été élus pour  représenter d’abord les intérêts de leur nation particulière. On va donc promettre un peu d’argent, mais surtout ne pas baisser ses propres émissions des gaz à effet de serre car «  maintenir le niveau de vie de nos nationaux est primordial. ».

Il ne devrait plus jamais y avoir de débat sur les identités nationales, il devrait y avoir une prise de conscience planétaire que nous appartenons tous à la même biosphère, que c’est la Terre qui est notre patrie, que nous dépendons du substrat qui nous fait vivre. A ce moment-là seulement, nous pourrons prendre des décisions qui puissent aller dans le sens de l’intérêt général. C’est ce qu’exprime d’une certaine manière le prince de Galles.

Charles d’Angleterre, inquiet de l’impact humain sur l’atmosphère de la planète, appelle à adopter une nouvelle approche : « Nous devons accepter l’idée que l’économie est dépendante de la nature, et non pas l’inverse. Après tout, la nature constitue le capital sur lequel se fonde le capitalisme. Au fur et à mesure de notre éloignement de la nature en faveur d’un recours aux inventions technologiques pour résoudre nos problèmes, nous voyons de moins en moins nos difficultés telles qu’elles sont, c’est-à-dire comme résultant de la perte de la notion d’équilibre et d’harmonie avec les rythmes de la nature, ses cycles et ses ressources limitées. Le fait que nous envisagions l’économie comme séparée de la nature n’est que l’un des signes de ce déséquilibre. Renouer des liens avec la nature, réaligner nos sociétés et nos économies sur ses possibilités, voilà, à mon avis, le véritable défi qu’il nous faut relever. Le sommet de Copenhague contribuera, je l’espère, à ce changement profond. »

Source documentaire :

 LeMonde du 16 décembre, Renouons notre lien avec la nature

LeMonde du 17 décembre, Le débat sur l’identité nationale dérape 

nous n’avons aucune identité nationale

La IIIe république a idéalisé des personnages historiques et mythifié un territoire aux frontières idéales. Les langues régionales sont sacrifiées, l’école devient obligatoire, les paysans arrachés à leur terres pour nourrir l’industrialisation. Tel est le vrai visage de la nation française. Les historiens-hagiographes ont extrait de la complexité épisodes et figures exemplaires qui sont devenues autant de modèles pour une mémoire collective. En France, la géographie est fille de la défaite de 1870 ; c’est pour ancrer dans l’esprit des jeunes générations l’image d’un territoire national immuable qu’est née cette discipline. L’historien et le géographe forgent ainsi l’identité qui appelle le territoire, et du même coup les pulsions territoriales. Les trois peuples qui fondent la « France », les Gaulois, les Francs et les Romains, sont tous des envahisseurs. Mais Jules Ferry explique au parlement que le devoir des races supérieures est de civiliser les races inférieures. La création de l’école, le développement de l’idée de nation et la colonisation ont partie liée. C’est le triomphe de l’Etat-ethnie, et l’exacerbation de l’identité nationale devient une névrose totalitaire pour laquelle on accepte de mourir dans des guerres inutiles. L’Etat-nation se forme et se consolide aux dépens d’un ou plusieurs autres peuples, elle se nourrit des vitamines de la haine. Nous ne sommes pas Français ou Nigériens, nous sommes tous cosmopolites, citoyens de l’univers.

Une fois l’histoire des nations dépassée, c’est le temps qui est restitué à tous les humains, et avec lui l’harmonisation des relations interethniques. Nous sommes cosmopolites par essence et d’une nationalité quelconque par nécessité temporaire. Si on obéit à des raisons d’humanité, on ne peut plus faire de distinction entre les nationalités, les races et les religions. Il n’y a structurellement ni homme ou femme, ni noirs ou blancs, ni Palestiniens ou Israéliens, ni n’importe quelle autre ethnie, il n’y a que des humains. Un jour, les citoyens du monde éliront des délégués à un congrès des peuples. Restera alors à appliquer la sagesse : « Si je savais quelque chose qui fut utile à ma patrie et qui fut préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime. Si je savais quelque chose qui fut utile à l’humanité et préjudiciable à notre planète, je la regarderais comme un crime. »

 Source documentaire : Dossier LeMonde du 16 décembre, Quand l’histoire raconte des histoires

un « pacifiste » en guerre

La guerre a donc donné le droit d’obtenir le prix Nobel de la paix. Quel paradoxe indéfendable ! Il est vrai qu’en termes d’idéologie militariste, pour avoir la paix, il faut préparer la guerre. C’est d’ailleurs le seul discours qu’Obama était capable de tenir pour recevoir sa distinction le 10 décembre : « Je suis le commandant en chef d’une nation engagée dans deux guerres. J’ai juré de protéger et de défendre mon pays. Je ne peux rester passif face aux menaces qui pèsent sur le peuple américain. Je me réserve le droit d’agir unilatéralement si cela s’avère nécessaire pour défendre mon pays. Ce qui est dangereux, c’est ceux qui ont attaqué mon pays depuis l’Afghanistan. » (LeMonde du 12 décembre). Tout ceci constitue un niveau d’analyse indigne d’un chef d’Etat responsable. Barack Obama en reste au mythe de l’Etat-nation du XIXe siècle : pour bâtir « leur » pays et fabriquer le « peuple américain », les Anglo-saxons envahisseurs avaient mené une guerre d’extermination contre les autochtones de l’Amérique du Nord et acheté leurs esclaves en Afrique. Aujourd’hui, on ne peut vraiment pas dire que l’Afghanistan soit une menace pour la plus forte puissance militaire du monde ; on a essayé de trouver Ben Laden, on ne l’a pas trouvé, les GI’s auraient du repartir. Quant à la deuxième guerre, celle de l’Irak, aucun justification dans le discours d’Obama, et pour cause : il n’y en a pas ! Les « armes de destruction massive » ont fait long feu et l’implication de Saddam dans le terrorisme international n’a pas été démontrée. Ah si, y’a du pétrole !

Mon petit Barack, ne sois pas hypocrite. La guerre n’est pas un phénomène naturel qui serait « apparu avec le premier homme », comme tu le laisses croire. L’être humain n’est ni bon, ni méchant, il devient ce que son conditionnement social lui fait ressentir. La guerre n’est pas « un simple fait, comme la sécheresse ou la maladie », c’est la conséquence construite par les humains d’un déséquilibre entre leur activisme clanique et les possibilités de l’écosystème qui leur apporte de quoi vivre. Tu crois « qu’il y aura toujours des guerres », mais si tous les peuples avaient voulu vivre en harmonie avec le territoire qui leur était propre, il n’y aurait jamais eu de guerres tribales.

En définitive, pour avoir la paix, il faut volontairement préparer cette paix et respecter pour cela les possibilités des écosystèmes. Il est vrai que les discours de non-violence de Gandhi ou Martin Luther King sont insuffisants sur ce point, l’écologie n’était pas encore perçue comme un problème à leur époque. Mais nous devrions tous savoir à présent que le mode de vie américain actuel est celui qui perturbe le plus les systèmes écologiques ; la politique américaine est donc facteur de guerres, que ce soit guerres environnementales ou conflits pour l’accaparement des dernières ressources fossiles. Ce n’est pas l’Afghanistan, l’Irak ou l’Iran qui préparent les guerres du climat et autres joyeusetés, c’est Obama, digne successeur de Bush, en défendant le niveau de vie américain. Son prix Nobel « de la paix » est absolument non mérité, indigne du jury d’Oslo.

2,7 Terres pour les Français

En ce temps de pensée unique, on ne parle que du réchauffement climatique, mais il ne faudrait pas oublier que la crise écologique est multiple. La concentration moyenne en CO2 atmosphérique s’est établie en 2008 à 385 ppm alors que ce taux n’était que de 280 ppm environ avant l’ère industrielle. C’est un mauvais signe (sauf pour Poutine qui pense qu’on n’aura plus besoin de se couvrir chaudement en Russie). Mais nous avons aussi les problèmes de l’épuisement des ressources fossiles, les problèmes de l’eau, les problèmes de la productivité des sols, les problèmes de baisse des ressources halieutiques, la 6e extinction des espèces, etc. Mathis Wackernagel a essayé de mesurer l’empreinte écologique globale de l’humanité (LeMonde du 25 novembre) et montre que nous sommes dorénavant au-dessus des  capacités de régénération de la planète. Il faudrait une planète et demie ou presque pour que la Terre puisse produire les ressources que nous consommons pour manger, se vêtir, se déplacer,  se chauffer et absorber nos déchets. En terme simple, cela n’est possible que parce que nous puisons dans le capital naturel, nos enfants auront à disposition une planète complètement dégradée.

            Bien entendu on peut toujours reprocher des imprécisions ou des oublis au Global Foot Print Network qui fait ce calcul. Il n’empêche, nous devrions tous savoir que notre civilisation thermo-industrielle vit globalement au-dessus des moyens de la biosphère. Pour ceux qui veulent approfondir la notion d’empreinte écologique :

1) Notre empreinte écologique de Mathis WACKERNAGEL et William REES (écosociété, 1996)

2) L’empreinte écologique d’Aurélien Boutaud et Natacha Gondran (La Découverte, 2009)

Bien entendu j’aurais beaucoup de plaisir d’échanger sur ce blog avec celui ou celle qui a lu au moins un de ces livres…

L’Homme, moins qu’un Animal

LeMonde (supplément du 12 novembre) se pose la question : « Qui sont les animaux ? ». La présentation du forum du Mans tenu ce WE parle de tradition aveugle du type « anthropocentrée », des avancées de la recherche qui remettent en question la frontière entre l’Homme et l’Animal, de communauté de destins. Mais la critique principale que je peux faire, c’est que la foi humaniste dans le « propre de l’homme » est à dure épreuve. L’homme est moins qu’un animal, l’homme est souvent pire qu’un loup pour l’homme et la civilisation occidentalisée est en train de perturber complètement les équilibres des écosystèmes dont même les animaux dénaturés que nous sommes ont besoin. Pourtant les auteurs cités par LeMonde ne vont pas très loin dans la critique. Philippe Descola, dans son livre Par-delà nature et culture, est beaucoup plus incisif :

« Les philosophes se sont rarement demandé : « Qu’est-ce qui fait de l’homme un animal d’un genre particulier ? », préférant à cela la question typique du naturalisme : « Quelle est la différence générique entre les humains et les animaux ? » Force est de constater pourtant que bien des esprits rebelles se sont élevés au cours des siècles contre le privilège ontologique accordé à l’humanité, mettant en cause la frontière toujours instable au moyen de laquelle nous tentons de nous distinguer des animaux.

« L’anthropologie est confrontée à un défi formidable : soit disparaître avec une forme épuisée d’humanisme, soit se métamorphoser en repensant son domaine de manière à inclure dans son objet bien plus que l’anthropos, toute cette collectivité d’existants liée à lui et reléguée dans une fonction d’entourage. En même temps que les Modernes découvraient la paresseuse propension des peuples barbares à tout juger selon leurs propres normes, ils escamotaient leur propre ethnocentrisme derrière une démarche rationnelle de connaissances dont les errements devenaient dès lors imperceptibles. La situation est en train de changer, fort heureusement. L’analyse des interactions entre les habitants de monde ne peut plus se cantonner au seul secteur des institutions régissant la vie des hommes, comme si ce que l’on décrétait extérieur à eux n’était qu’un conglomérat anomique d’objets en attente de sens et d’utilité. »

identité nationale, contrôle d’identité

L’identité nationale n’est pas une notion qui divise, mais une réalité construite qui rassemble. Grâce à un bourrage de crâne, il y a « nous » et il y a « eux », mon ethnie et les étrangers, les inclus et les exclus. Si l’expression ne date que des années 1980, son origine est plus ancienne. Se réclamer de l’identité nationale, c’est la formule modernisée pour inciter encore et toujours à l’amour de la patrie, au nationalisme. Que de crimes n’a-t-on commis en son nom : le choc des nations et toutes ses guerres sur deux siècles, le colonialisme et son cortège d’atrocités, le culte du drapeau et ses flots de sangs « impurs ». Je suis en total accord avec Claude Lévi-Strauss, « J’ai connu une époque où l’identité nationale était le seul principe concevable des relations entre les Etats. On sait quels désastres en résultèrent ».

Je ne peux que rejeter une fabrication de l’histoire qui n’est que bricolage : choix d’une langue unique, service militaire obligatoire, papiers d’identité, contrôle à tous les coins de rue. Nos langues maternelles ne sont pas uniques mais nous pourrions adopter un espéranto. Le service militaire ne fait que préparer à la guerre de tous contre tous, soyons objecteurs de conscience. Car je suis membre de la race humaine et mon territoire, c’est notre Terre. Mais l’identité « nationale », c’est aussi le support d’une communauté d’intérêt. Nous savons tous les ravages qu’a entraîné la conquête de « nouvelles frontières » par les peuples et l’extermination physique ou mentale des peuples autochtones pour conquérir de nouvelles ressources (cela commence sans doute avec homo sapiens contre les néandertaliens). Nous voyons aujourd’hui le processus mondial d’acculturation sous l’égide du modèle de croissance des pays occidentaux et l’accélération de notre course vers le mur des limites de notre planète. Nous ressentons que demain il y aura des guerres du climat ponctuées de guerres pour l’eau et la terre.

Donc l’avenir sera double s’il est pacifique, une relocalisation des hommes et des activités (à chacun son territoire) mais aussi une ouverture d’esprit à la multiplicité des formes de vie et de culture de notre biosphère ; nous penserons global et nous agirons localement (identification au glocal, plutôt qu’identité nationale). Le « nous » sera toujours relatif ou bien il nous projettera violemment les uns contre les autres.

NB :  Pour aller aux racines de l’identité nationale, lire LeMonde du 7 novembre

Lévi-Strauss, in memoriam

Une source d’inspiration de ce blog, Arne Naess, est mort au début de cette année 2009.  Un autre de mes maîtres à penser, Claude Lévi-Strauss, vient de mourir. Plutôt que de vaines éloges, je lui laisse la parole, une parole qui à mon avis donnera une colonne vertébrale à notre XXIe siècle :

« J’ai connu une époque où l’identité nationale était le seul principe concevable des relations entre les Etats. On sait quels désastres en résultèrent. (…) Puisque au cours du dernier siècle j’ai assisté à une catastrophe sans pareille dans l’histoire de l’humanité, on me permettra de l’évoquer sur un ton personnel. La population mondiale comptait à ma naissance un milliard et demi d’habitants. Quand j’entrai dans la vie active vers 1930, ce nombre s’élevait à deux milliards. Il est de six milliards aujourd’hui, et il atteindra neuf milliards dans quelques décennies à croire les prévisions des démographes. Ils nous disent certes que ce dernier chiffre représentera un pic et que la population déclinera ensuite, si rapidement, ajoutent certains, qu’à l’échelle de quelques siècles une menace pèsera sur la survie de notre espèce. De toute façon, elle aura exercé ses ravages sur la diversité, non pas seulement culturelle, mais aussi biologique en faisant disparaître quantité d’espèces animales et végétales.

De ces disparitions, l’homme est sans doute l’auteur, mais leurs effets se retournent contre lui. Il n’est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l’explosion démographique et qui – tels ces vers de farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme, bien avant que la nourriture commence à leur manquer – se mettrait à se haïr elle-même, parce qu’une prescience secrète l’avertit qu’elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces bien essentiels que sont l’espace libre, l’eau pure, l’air non pollué.

Aussi la seule chance offerte à l’humanité serait de reconnaître que devenue sa propre victime, cette condition la met sur un pied d’égalité avec toutes les autres formes de vie qu’elle s’est employée et continue de s’employer à détruire.

Mais si l’homme possède d’abord des droits au titre d’être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l’humanité en tant qu’espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces.

Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création.

Seule cette façon de considérer l’homme pourrait recueillir l’assentiment de toutes les civilisations. La nôtre d’abord, car la conception que je viens d’esquisser fut celle des jurisconsultes romains, pénétrés d’influences stoïciennes, qui définissaient la loi naturelle comme l’ensemble des rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés pour leur commune conservation ; celle aussi des grandes civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient, inspirées par l’hindouisme et le bouddhisme; celle, enfin, des peuples dits sous-développés, et même des plus humbles d’entre eux, les sociétés sans écriture qu’étudient les ethnologues.

Par de sages coutumes que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, elles limitent la consommation par l’homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation. Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l’homme une partie prenante, et non un maître de la création.

Telle est la leçon que l’ethnologie a apprise auprès d’elles, en souhaitant qu’au moment de rejoindre le concert des nations ces sociétés la conservent intacte et que, par leur exemple, nous sachions nous en inspirer. »

Source : L’ETHNOLOGUE DEVANT LES IDENTITES NATIONALES

Discours de Claude Lévi-Strauss à l’occasion de la remise du XVIIe Premi Internacional Catalunya, 2005.

humanisme en berne

Les rapports entre humains sont d’abord des rapports de force. Prenons l’exemple de l’Australie. Aujourd’hui le gouvernement australien refuse son aide aux réfugiés tamouls (LeMonde du 23 octobre). Mais ce gouvernement n’est que le représentant des immigrés du passé. Les aborigènes présents dans ce pays depuis l’origine (selon l’étymologie du mot) avaient trouvé un équilibre durable avec la biosphère ; ils mobilisaient toute leur énergie mentale et organisaient leurs activités pour laisser le monde dans l’état où il était. Ils ne pouvaient se défendre. Parqués ou éliminés par les Blancs, les Aborigènes ne représentent plus que 1 à 2 % de la population australienne. Alors que tout le territoire australien leur appartient,  ils n’ont obtenu le droit de vote que depuis 1967. Aujourd’hui près du quart des vingt millions d’Australiens est né à l’étranger, et les violences raciales se succèdent entre nouveaux arrivants. Les « Aussies », ceux qui se revendiquent Australiens (de fraîche date !), pourchassent  les individus basanais ou arabes, les communautés s’affrontent à coup de battes de base-ball… Il est donc logique que les réfugiés tamouls ne soient pas les bienvenus.

           Il en est de même pour les réfugiés climatiques Dans la zone d’influence de l’Australie, des villageois ont déjà été contraints d’évacuer leurs îles (Tuvalu par exemple) en raison de l’élévation du niveau de la mer. Le gouvernement australien a refusé d’accueillir ces réfugiés climatiques sur son sol : priorité aux Aussies. Quand on sait que le nombre de réfugiés climatique dépassera sans doute 200 millions en 2050, on mesure l’ampleur du problème et le peu d’importance qu’auront les critères d’humanité. Selon un rapport du Pentagone, « les humains se battent dès que la capacité d’accueil de leur milieu naturel devient insuffisante ; les Etats-Unis et l’Australie seront enclins à bâtir des forteresses défensives autour de leur pays parce qu’ils ont les ressources et les réserves pour assurer leur autosuffisance ».

Comme on ne s’attaque pas aux causes des migrations, il n’y a de solutions que dans les rejets ou les massacres. Telle est l’humanité des humains, inhumaine.

guérilla urbaine

Matérialisme, libéralisme et urbanisation aggravent considérablement la pénurie de Nature, résultat de l’encombrement de l’espace par la croissance démographique et économique. Alors, comme la vie dans les mégalopoles devient en grande partie intolérable, se développe  des réappropriations communautaristes des quartiers. Normal ! Rio de Janeiro a été le théâtre de véritables scènes de guérilla urbaine. C’est le scénario classique d’un affrontement territorial entre bandes rivales qui se termine par une  confrontation généralisée avec les policiers militaires. (LeMonde du 20 octobre). C’est une toute petite préfiguration de notre avenir. A Rio, 4 favelas seulement sont « pacifiées » (sur les 1020 que compte actuellement la ville). Imaginons maintenant une crise nouvelle généralisée.

Imaginons une catastrophe aussi importante que la seconde guerre mondiale. Un pays en grande partie rural peut absorber le choc. Aujourd’hui, tout contribuerait à transformer la débâcle en un inimaginable chaos : les moyens de communication modernes démultiplieraient les rumeurs et amplifieraient la panique ; la structure étendue des villes rendrait impossible l’approvisionnement de la population ; l’économie s’effondrerait brutalement ; le repli sur les campagnes serait difficile ou impossible dans des délais si courts, à cause de la disparition presque totale du monde rural et de ses savoir-faire ; les personnes âgées et handicapées seraient abandonnées dans leurs mouroirs ; les banlieues mourraient de faim et s’embraseraient.

Rio est aussi connu comme plusieurs autre territoires du monde, pour ses quartiers fermés, réservés à une élite privilégiée. Devant un embrasement général, rien ne pourra résister, même pas des policiers « militaires ».

objections à l’impérialisme

Du temps de Go Khla Yeh, dit « Geronimo » et mort en 1909, les Indiens d’Amérique prenaient soin d’honorer, respecter et protéger Mère Nature. Ils faisaient attention à ne pas la souiller, à effacer toutes leurs traces. Les animaux étaient leurs compagnons, ils chassaient uniquement pour se nourrir, sans provoquer de massacres. L’arrivée des hommes blancs a sonné le glas d’un territoire à la beauté époustouflante. Ils ont volé les terres indiennes, abattu les forêts, éventré tous les sols pour en piller les richesses, source infinies de guerres, pollué l’air, le vent, les rivières, détruit tant d’espèces animales (cf. LeMonde du 16 octobre).

Sur son lit de mort, Geronimo délivrait un message assez simple à entendre :

« Quand le dernier arbre aura été abattu,

Quand la dernière rivière aura été empoisonnée,

Quand le dernier poisson aura été péché,

Alors on saura que l’argent ne se mange pas. »

Aujourd’hui les apaches de la réserve Mescalero connaissent chômage, drogues, obésité, perte de repères, intoxication par le modèle occidental. L’arrière-petit-fils de Geronimo, Harlyn, est même fier de s’être engagé dans l’armée au moment du Vietnam, reproduisant la volonté d’influence occidentale sur le monde extérieur qui avait dépouillé et emprisonné son arrière-grand-père. Il croit qu’un Apache ne se dérobe pas pour servir son pays. Il n’a pas compris que son pays aurait du rester la Mère Nature, et pas tel ou tel nationalisme artificiel qui traumatise dans ses guerres autant ses propres coreligionnaires que les « étrangers ».

Personnellement je ne sépare pas l’objection de conscience et l’objection de croissance.

anthropocentrisme, OUT

Contre l’anthropocentrisme, enfin !  Enfin un article du Monde qui va dans le sens du long terme : « Après le marxisme il faut aller plus loin que l’humanisme libéral ». Franck Burbage écrit dans son article-débat ce qu’il faut dire (LM du 9 octobre), il suffit de recopier :

C’est l’humanisme qui justifie, au nom de la valeur transcendante de l’homme, l’exploitation illimitée de la Terre. L’idéologie actuelle du « développement humain » reproduit sans cesse cette présupposition anthropocentriste.Or l’articulation de la question sociale et de la question écologique n’est possible que si l’on engage la critique de l’anthropocentrisme dominant. La relation que nous tissons avec la multitude des choses et des êtres complète et enrichit les perspectives strictement humaines. Et la Terre n’est pas seulement un ensemble de moyens destinés à nos usages et à nos consommations. Ainsi il ne revient pas du tout au même de s’inquiéter du seul réchauffement climatique ou d’y adjoindre la question, également cruciale, de la biodiversité. Car si le réchauffement climatique menace les implantations humaines, l’expansion incontrôlée de l’humanité menace la multitude des êtres vivants sur cette planète.

On peut travailler à instruire le chantier d’un socialisme écologique : articuler la pensée des biens communs et de l’égalité  des conditions avec celle d’une Terre enfin respectée.

Towns Transition

Je pense que la ville en 2050 aura subi une rupture totale. Comme l’exprime le dossier « Energie, le régime light », l’énergie la moins chère et la moins destructrice pour la planète sera celle qu’on n’utilise pas (LeMonde du 8 octobre). La ville basse consommation devient l’utopie revendiquée par l’association Energie-Cités, les plans énergie-climat de multiples communautés urbaines, la résurgence des tramways, la multiplication des vélos. Nous vivons une nouvelle période de transition, pas celle qui a fait adopter par la plupart des pays communistes le modèle capitaliste libéral,  mais une initiative de transition qui prépare la civilisation de l’après-pétrole. Voici venu le temps des Towns Transition.

Cette méthode initiée pour la première fois à Totnes, petite ville de 8000 habitants en Angleterre, réfute l’attitude individualiste des survivalistes. Du côté collectif, on ne peut compter sur des politiciens nationaux, menés par l’obsession du court terme. En revanche les politiciens locaux peuvent apporter un concours précieux pour mettre en œuvre LA solution à LA crise provoquée par le double choc du pic énergétique imminent et du réchauffement climatique. Il s’agit, sur un territoire spécifique, de prendre une « initiative de transition » vers une économie sans pétrole et de développer la résilience du tissu socioéconomique local. Concrètement, il s’agit de se défaire de la dépendance aux importations et de relocaliser les activités sociales et économiques. Ce qui importe, ce n’est plus le PIB, c’est le pourcentage de nourriture consommée ayant été produite à proximité, la part de terrain consacrée au parking par rapport à celle consacrée aux cultures vivrières, le pourcentage d’habitants sachant cultiver au moins dix légumes, etc.

Les villes sont des multiplicateurs de distance entre lieu d’habitat et lieu de travail, entre production alimentaire et consommation alimentaire, entre l’addiction à la télé et le contact avec la nature. Une ville basse consommation, c’est une ville qui rétrécit et qui n’a pas besoin ni d’autoroutes, ni de TGV…

désurbanisation

Qu’on le veuille ou non, il faudra bien un jour sortir du culte de la croissance, toujours plus de pouvoir d’achat, toujours plus de bagnoles, toujours plus d’avions, travailler toujours plus. L’urbanisation croissante est un élément de cette anthropisation forcenée de notre planète qui a accompagné la révolution industrielle dès le XIXe siècle. Mais au lieu d’être progressive, l’explosion urbaine est devenue selon les termes mêmes du Monde (22 septembre) « violente », particulièrement en Afrique : les villes y passeront de 350 millions d’habitants en 2005 à 1,2 milliards en 2050. Ce ne sont que des prévisions statistiques, je prévois au contraire d’ici à 2050 un retour aux campagnes comme cela a déjà commencé en Chine.

            Cela ne veut pas dire que j’ai une pensée anti-urbaine, il y a des toutes petites villes fort agréables. Mais quand les habitants des bidonvilles constituent déjà en moyenne 36 % des citadins dans les pays dits « en développement », cela veut dire que ce n’est pas une urbanisation gérable, ce n’est donc pas une évolution durable. Jamais on ne pourra mettre de l’électricité, de l’eau courante et des routes goudronnées partout. Jamais on ne pourra mettre en place des services urbains à la portée de tous. Jamais on ne pourra trouver un emploi à cet afflux de main d’œuvre. Jamais il n’y aura assez de policiers (étymologiquement « créatures de la cité ») pour contrôler une société non policée. Jean-Pierre Elong-Mbassi, porte-parole des Cités du continent, dit que les Africains devront payer la qualité de leur ville ; ils ne pourront jamais, sauf dans quelques enclaves fermées et sécurisées pour quelques temps encore.

Le discours de vérité n’est pas dans la vérité des prix, il est dans le sens des limites, à commencer par la limitation drastique de  l’urbanisation. Cela ne peut se faire que si on s’investit dans l’agriculture au lieu d’investir dans les marchés financiers.

fin de la DIT

La division internationale du travail (le libre-échange) repose sur des hypothèses fantaisistes qui font qu’il serait préférable que le Portugal se spécialise dans la production de vin et l’Angleterre de drap, « là où son avantage comparatif est le meilleur ». L’échange international reposerait donc sur le déplacement lointain de marchandises différentes. Cela fait longtemps que cette fable n’a plus court, des automobilistes français préfèrent les voitures allemandes et réciproquement. J’adore aussi cette remarque de Pierre Rabhi : « Un camion de tomates a quitté la Hollande pour l’Espagne. Dans le même temps, un camion de tomates quittait l’Espagne pour la Hollande. Ils se sont percutés à mi-chemin, dans la vallée du Rhône. On est, loi du marché oblige, en pleine chorégraphie de l’absurde. » Tant que cette DIT ne profitait qu’à l’ensemble des pays riches, on persévérait dans la logique de l’absurde. Mais la donne a changé.

C’est la Chine qui sonne un douloureux réveil pour nos économistes libéraux. Non seulement cette puissance démographique est devenu l’atelier du monde (la classe globale a besoin d’une main d’œuvre bon marché), mais elle remonte les filières et  peut produire à la chaîne non seulement des ingénieurs, mais les produits technologiques les plus sophistiqués qui vont avec. Ainsi dans LeMonde du 8 septembre, cette probable entrée de la Chine dans le capital du groupe nucléaire Areva. Et dans le même numéro, cette main mise de la Chine sur l’ensemble des ressources terrestres, sachant que ce pays détient déjà quelque 95 % de la production mondiale de minerais rares, essentiel dans la high-tech.

Alors les riches vont à nouveau inventer le protectionnisme protecteur et le patriotisme économique : taxe carbone aux frontières et quotas d’importation. Mais cela voudra dire que le portable et la télé grand-écran ne seront plus à la portée de tout un chacun. Deux solutions : soit les plus riches gardent leur filière d’approvisionnement et les inégalités s’accroissent davantage, soit une égalisation drastique des revenus fait en sorte que même la microsphère des riches s’aligne sur la norme commune, une seule télévision et un seul téléphone par village ou par quartier. Tout indique que la rétraction des échanges internationaux s’accompagnera d’une autonomie des territoires poussés à la sobriété heureuse. La biosphère commencera à respirer, merci la Chine.