La démographie, pression sur la biodiversité
Cette note (résumée) a été rédigée par les membres du Conseil scientifique 2018-2021 de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB),
https://www.fondationbiodiversite.fr/la-demographie-une-pressions-indirectes-identifiees-par-lipbes/
Quel(s) rôle(s) a joué et continue de jouer l’augmentation continue du nombre d’humains dans l’érosion – mais aussi l’évolution au sens darwinien – de la biodiversité ? Ce travail est focalisé sur le réseau des liens entre la biodiversité et le facteur indirect sans doute le moins exploré de ce point de vue : la démographie humaine. La quantification de l’effet de la croissance de la population humaine sur l’érosion de la biodiversité, par rapport à d’autres facteurs de pression, comme le changement climatique par exemple, reste, quant à elle, un aspect peu abordé dans la littérature et constitue à ce titre un « front de science », une question appelant à des recherches inédites.
Dans son récent rapport sur l’état et les tendances de la biodiversité mondiale (années 1970-2050), l’Ipbes dresse le constat de l’impressionnante détérioration de la biosphère à toutes les échelles spatiales, ainsi que de l’exceptionnelle rapidité de l’érosion de la biodiversité – des gènes aux communautés d’espèces – la dégradation des écosystèmes.
Parallèlement :
- le nombre d’humains a triplé au cours du demi-siècle écoulé ;
- en sept décennies, de 1950 à 2019, le produit intérieur brut (PIB) global par habitant a presque quintuplé, passant de 3 500 à 17 000 dollars internationaux (réf. prix 2011) alors que la population mondiale passait de ∼2,5 à 7,7 milliards d’humains ; l’activité économique s’est alors construite sur l’exploitation de ressources finies rendant ce modèle non soutenable ;
- la superficie des zones urbaines et du réseau de leurs infrastructures a doublé en trois décennies : plus d’une personne sur deux vit aujourd’hui en ville et ce chiffre devrait être porté à deux sur trois en 2050 ; la taille des villes a augmenté de manière exponentielle depuis 1950 et les 28 premières agglomérations dans le monde, en 2030, auront des effectifs proches ou supérieurs à 20 millions d’habitants (United Nations, 2018) créant une demande en infrastructures et approvisionnements (énergie, alimentation, etc.) ;
- les terres consacrées à l’agriculture et à l’élevage occupent désormais plus du tiers des surfaces continentales et, si une grande partie des terres a historiquement été utilisée par les humains, l’intensification de l’utilisation a concouru à l’érosion de la biodiversité.
Au-delà de ces constats, l’Ipbes a élaboré un modèle conceptuel qui distingue, d’une part, les « moteurs directs » de l’érosion de la biodiversité (amplification des usages de l’océan et des terres, exploitation des écosystèmes, changement climatique, pollutions, espèces exotiques envahissantes) et d’autre part les « moteurs indirects », c’est-à-dire les causes profondes des atteintes à la biodiversité, dont la démographie humaine, la consommation, l’économie, les échanges commerciaux, les progrès technologiques, les institutions, la gouvernance, etc. étayés par un système de valeurs et de choix de comportement. Ces moteurs indirects rétroagissent et aggravent les pressions directes exercées sur la biodiversité. Les interactions entre la biodiversité et les moteurs directs ont été – et demeurent – l’objet de nombreuses recherches. En revanche, l’étude des relations entre la biodiversité et les moteurs indirects, notamment la démographie, semble moins fréquente.
S’il existe une incidence de la croissance des populations humaines sur les pressions qui pèsent sur la biodiversité, ce dossier met aussi en lumière le fait que la relation entre le nombre d’humains et la dégradation de l’environnement est loin d’être linéaire. Cela permet donc d’envisager un découplage entre démographie et impact humain, découplage qui impliquerait une réduction des pressions directes (par l’éducation, la réglementation ou les incitations de toute nature, etc.) ainsi que des actions menées sur des facteurs indirects de pression (par la réflexion sur certaines technologies, modes de gestion des espaces, de consommation, de modèles économiques, de gouvernance, de fiscalité, réglementation, etc.).
Ainsi, alors que la consommation des ressources naturelles et des biens de consommation par habitant s’accroît et se mondialise entre pays développés et pays émergents, la réduction des impacts anthropiques, dans un contexte de croissance de la population humaine, pourrait passer par une réduction et une rationalisation de l’utilisation globale des ressources naturelles – réduction et rationalisation qui, elles-mêmes, sous-entendent une révision des modes de production au niveau mondial et une meilleure répartition des ressources. Ce levier d’action semble le plus facile à envisager dans la mesure où agir sur les évolutions démographiques reste un sujet épineux et suppose, de plus, un effet d’inertie.
Un dernier élément de réflexion autour de cette nécessaire transition vers la durabilité souligne qu’elle ne pourra sans doute pas se faire sans un profond changement de notre rapport au vivant et de notre regard sur la biodiversité, souvent réduite à un ensemble de « ressources » pour l’espèce humaine.
Le point de vue des écologistes malthusiens
Didier : L’argument mis en avant selon lequel le lien entre augmentation de la population et pression sur la biodiversité n’est pas linéaire et que donc cela autorise à envisager un découplage entre les deux phénomènes me semble très discutable.
D’une part, la non linéarité du lien ne nie en rien le couplage. Elle peut même aggraver les choses si la croissance de la population entraîne une pression plus que proportionnelle. D’autre part il peut y avoir des irrégularités dans le déroulement temporel de ce lien, des spécificités locales et enfin des effets de seuils.Tout cela relève d un véritable couplage, moins simple que linéaire, mais tout aussi destructeurs
Anne-Marie : Après avoir dressé le constat de l’impressionnante détérioration de la biodiversité et mis en parallèle l’impressionnant constat de la multiplication des humains, il semble que la relation entre les deux soit si aveuglante et si peu correcte idéologiquement que les membres de la FRB se sont empressés de conceptualiser leur déni par la NON LINEARITE.. . s‘autopersuadant par un tour de passe-passe intellectuel que le changement de modèle de consommation et la conception de petits écolos suffira pour résoudre l’équation.
L’exemple du confinement est incroyable : oui, quand on fige l’humanité, qu’on l’empêche de travailler, de produire, d’utiliser sa voiture, on pollue moins. Rêvent-ils de l’humanité au Bois Dormant pour que l’on puisse continuer à croire que le nombre n’est pas un souci ? Si la réduction démographique est un sujet épineux et soumis à l’inertie (c’est bien pour ça qu’il est urgent d’agir) que dire d’un changement rapide et global de nos systèmes économiques ?!
Il est également de mauvaise foi d’aller chercher le temps où nous n’étions que quelques milliers pour prouver que le nombre n’a aucun rapport avec la pression sur la biodiversité ! Cela prouve seulement que l’humain quelle que soit son avancée technologique, par son intelligence et ses capacités d’invention, a toujours impacté son environnement, MAIS justement cela prouve aussi que si quelques chasseurs-cueilleurs détruisent que dire de 10 milliards d’humains modernes ?
Nous ne reviendrons pas plus vite à une ascèse économique mondiale qu’à une sobriété démographique. Il y a le même effet d’inertie et d’inacceptabilité. Il semble même que diminuer sa reproduction soit plus facile (2 enfants seulement mais bien nourris, éduqués et avec un avenir acceptable, est un modèle qui se répand un peu partout ) et même un rêve pour de nombreuses femmes dans les PVD
Gilles : Entièrement d’accord avec Didier et Anne-Marie : couplage, ou plus simplement relation de causalité, ne signifie pas linéarité. Démographie Responsable ni aucune ONG militant pour la modération démographique n’a jamais prétendu que la démographie était le seul facteur explicatif de la chute de la biodiversité. En revanche, il est probable que l’humanité, tant dans son nombre que dans son activité, soit la cause principale de l’actuel effondrement de la biodiversité… dont l’ampleur est sans rapport avec les quelques atteintes que cette même humanité d’avant le XIXe siècle, a pu porter à l’environnement. Il y a même une certaine corrélation entre la forte densité démographique d’un pays et sa faible biocapacité par habitant, si l’on s’en tient aux calculs de Global Footprint Network, qu’il s’agisse des pays à forte densité (Inde, Bangladesh, Pakistan, Chine, Vietnam, Japon, Corée du Sud, Corée du Nord, Egypte, Benelux, Italie) ou au contraire à faible densité (Gabon, Guyane, Guyana, Surinam, Canada, Finlande, Mongolie, Australie).
Les tenants de l’inaction démographique agitent des problèmes éthiques, fondées sur la liberté individuelle, par ailleurs tout à fait respectables, mais ils font semblant d’ignorer que des politiques démographiques (natalistes) sont actuellement à l’œuvre dans des pays comme la France… sans susciter de débats éthiques. Deux poids, deux mesures ? De la même manière, si les politiques natalistes menées depuis la Libération sont efficaces, pourquoi leur abandon serait sans effet dans un sens contraire ?
Fiche 6 de la FRB – DÉMOGRAPHIE ET CHANGEMENT CLIMATIQUE
Whynes & Nicholas (2017) établissent que les quatre mesures les plus efficaces sont d’avoir un enfant de moins (ce qui réduit en moyenne les émissions d’équivalent CO2 de 58,6 tonnes par an), vivre sans voiture (2,4 tonnes équivalent CO2économisées par an), éviter les voyages en avion (1,6 tonnes équivalent CO2économisées par vol transatlantique aller-retour) et une alimentation à base de plantes (0,8 tonnes équivalent CO2économisées par an). Ils démontrent que ces actions ont un potentiel beaucoup plus grand de réduction des émissions que les stratégies couramment promues comme le recyclage (quatre fois moins efficace qu’un régime à base de plantes) ou le changement des ampoules domestiques (huit fois moins efficace).
Comme pour toutes les autres pressions, une partie de l’augmentation du changement climatique est directement liée à la démographie, une autre partie est liée aux modes de consommation, de production et à l’augmentation de la demande par habitant. La part de responsabilité de la pression démographique et donc du strict nombre d’humains dans le changement climatique est cependant complexe à établir, pour les mêmes raisons que celles qui ont été discutées dans le paragraphe relatif aux modes de consommation et au niveau de vie.
FICHE 7 – DÉMOGRAPHIE ET POLLUTIONS
Plus il y a d’humains en un lieu, plus ils génèrent de pollutions et de déchets, même si la production de déchets est très dépendante du mode de consommation. Ainsi, un grand nombre de pressions «abiotiques», par exemple dues à l’agriculture, sont liées à la démographie: la contamination généralisée par les pesticides, par le phosphore, par l’azote réactif qui découle de l’utilisation des engrais chimiques produits à partir d’azote atmosphérique.
Similairement, mais pour d’autres pratiques, il existe une corrélation positive entre le nombre d’humains (et la quantité d’objets de consommation) et la pollution. Si la relation linéaire entre démographie et pollution peut s’envisager à comportement constant, l’impact des technologies utilisées est, pour cette pression, très fort. Par exemple, les céramiques antiques ont généré des tonnes de déchets non biodégradables, mais, aujourd’hui, cette industrie a largement diminué ses impacts.
FICHE 9 – DÉMOGRAPHIE ET TECHNOLOGIE
Il est maintenant admis que l’influence des populations humaines sur les écosystèmes, donc sur la faune et la flore, remonte loin dans le temps à des époques où ces populations étaient très clairsemées. Ainsi, les outils et la technologie (pièges, fusils, canots) ont permis à des groupes humains réduits d’impacter dramatiquement une population d’intérêt et de la conduire pratiquement ou effectivement à l’extinction.
Les boucles de rétroaction entre la population et la technologie font aussi l’objet de recherche. Esther Boserup, par exemple, dès le milieu des années 1960, avait prédit que la surpopulation humaine, au lieu d’être régulée automatiquement par le manque de ressources, allait entraîner une explosion des innovations technologiques qui entraînerait une augmentation de productivité. Ceci a été confirmé dans le domaine agricole avec le développement de l’irrigation, la réglementation des semences et la sélection variétale, l’intensification des cultures, l’innovation dans le machinisme et les techniques de labour.