écologie appliquée

Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

La communauté de résilience, un idéal à atteindre

Quelques idées générales : En 1972, le rapport du MIT au club de Rome a dénoncé la course à la croissance en démontrant les limites de la planète. Depuis 1974 et le premier choc pétrolier, nous savons que notre civilisation dépend du pétrole. Depuis 1990 et le premier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), nous savons que l’humanité va faire face à un réchauffement climatique. Nous savons aussi de façon scientifique que le choc des hydrocarbures n’est qu’une partie des dégradations écologiques qui menacent nos sociétés. Comment agir efficacement ? L’échec des conférences internationales et les inerties gouvernementales montre que cette voie est trop lente. Pratiquer à l’échelle personnelle la simplicité volontaire semble nécessaire, mais c’est insuffisant. Ce qui me semble le plus pragmatique, c’est d’agir directement au sein de sa communauté d’appartenance pour en restaurer la résilience, la capacité de résister aux chocs.

Ce paradigme ou modèle de référence porte des noms différents : Communautés intentionnelles ou Ecovillages ou Agenda 21 local ou Towns transition ou Plan climat ou Cités jardins ou communautés de résilience … La profusion des termes montre la richesse de cette alternative à l’ère de la fin des combustibles fossiles. Il ne s’agit pas d’une nouvelle théorisation, mais d’une pratique applicable au Nord comme au Sud, par les gens de droite comme par les gens de gauche, par les urbains et les paysans, par les chefs d’entreprise et par les travailleurs. Tout le monde est concerné puisqu’il s’agit de rendre notre avenir convivial et durable.

Mon projet maintenant, en 2011, faire de ma ville, Angoulême, et de son territoire une communauté de résilience. Il s’agit de tendre à l’autonomie territoriale en matière alimentaire et énergétique pour pouvoir supporter le choc des jumeaux hydrocarbures, pic pétrolier et réchauffement climatique.

En fait, c’est un certain retour à la terre comme le prônait certains dans les années 1970. A cette époque, je n’étais pas favorable à une telle idée. J’écris le 13 avril 1971 à Pierre Fournier, l’écolo de service à Hara-Kiri : « D’accord, avec l’urbanisation de la campagne la vie s’accorde de moins en moins directement aux rythmes biologiques et naturels… Mais on n’est pas obligé d’être toujours d’accord, tu fais ta révolution à la campagne, je la fais en ville, en faisant à la fac des exposés genre : j’ai plus rien à vous dire… discutons maintenant ! » J’aimais bien la nature, mais les communautés rurales ne me branchaient pas. J’avais choisi de devenir professeur de SES alors que mon ami José Bové s’installait paysan au Larzac.

En mars 1972, j’assiste à la fac de sciences à une conférence de Grothendieck, l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Il nous confie qu’il va vivre en communauté : « L’avenir est dans les phalanstères, autonomes, agricoles, sans centralisation. La science ne peut plus sauver notre civilisation des grands bouleversements qui nous attendent. Il faut abandonner les études et mettre sur pied des communautés viables, c’est-à-dire équilibrés avec leur environnement. » Son message va me trotter dans la tête toute ma vie. Son message est partagé à l’époque par Pierre Fournier. La Gueule ouverte, mensuel écologique « qui annonce la fin du monde », apparaît pour la première fois en novembre 1972.

Dans son premier éditorial, Pierre hésite entre rester journaliste et devenir homme des bois : « La GUEULE OUVERTE est virtuellement née le 28 avril 1969. J’étais dessinateur et chroniqueur à Hara-Kiri hebdo, payé pour faire de la subversion et lassé de subvertir des thèmes à mes yeux rebattus, attendus, désamorcés à l’avance…. La grande fête à Bugey (ndlr, manif autour d’une usine atomique) fut un révélateur. Tout nous semble avoir concouru à sa réussite : l’ordre et le désordre, le refus des discours, le refus de la violence et le refus du spectacle, le nudisme ingénu, le partage et la rencontre. Tout y était en germe. Le sit-in de six semaines, face à l’usine, à ses esclaves et à ses victimes, enracina chez les participants à l’action le besoin irrépressible de CHANGER LA VIE… A peine sorti le premier numéro, voici que nous assaille la tentation de tout remettre en cause, de pousser plus loin, beaucoup plus loin que d’autres, un désengagement, tentation de se consacrer, enfin, à couper notre bois, à faire notre pain, à retourner à l’homme des bois : la disproportion des forces en présence impose, à qui refuse l’inéluctable, une radicalité sans cesse plus affirmée. »

Le 15 Juin 1972, j’avais découpé dans le quotidien Sud-Ouest cet entrefilet sur les Amish : « Qui sont donc ces Amish auxquels la Cour suprême américaine vient de donner officiellement le droit, en plein âge nucléaire, de continuer à vivre en un temps révolu et de le perpétuer à travers leurs enfants ? Pas un moteur dans ces fermes. Pas un tracteur, pas une automobile. Ni radio, ni télévision, ni téléphone, ni réfrigérateur, ni aspirateur, ni d’ailleurs d’électricité, de gaz ou d’eau courante. Seule source d’énergie en vue, un occasionnel moulin à vent. »

Totalement autonomes, les Amish vivent en micro-autarcie. Un choc pétrolier ne mettrait pas du tout en péril cette communauté qui continuerait à vivre de la même façon. Mais le ciment de la communauté Amish repose sur un ordre religieux. Dans notre société laïque, ce n’est pas acceptable. Mon athéisme se révulse. J’avais bien apprécié la vie à la campagne avec mes grands-parents : du côté maternel manger les cerises dans l’arbre, du côté paternel mettre les asperges sous le sable pour les conserver, ramasser à la main les doryphores … Mais les lycées n’existent pas à la compagne, j’étais un homme des villes, et même du centre ville de Bordeaux pendant mes 25 premières années.

Cela ne m’a pas empêché de planter des arbres fruitiers dans la maison de famille de ma femme, mais mes différents militantismes occupaient tout mon temps et rétrécissaient ma pensée. Ce n’est qu’en 2011 que j’ai compris, Grothendieck avait raison : « L’avenir est dans les phalanstères, autonomes, agricoles… Il faut mettre sur pied des communautés viables, c’est-à-dire équilibrés avec leur environnement. »

C’est à cette échelle locale que nous échappons au dilemme de l’individu et de l’Etat. La simplicité volontaire n’est pratiquée que par quelques individus en marge, sans effet d’entraînement sur le reste de la collectivité. L’Etat applique encore les modalités anciennes du productivisme, moteur de gaspillage de l’énergie à l’opposé de la nécessaire descente énergétique. L’échelon intermédiaire du collectif territorial s’impose. Utopie ou réalité ? (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Parti et associations en symbiose ?

Une participation à une association environnementaliste devrait être obligatoire quand on se veut militant de l’écologie politique. Voici mon raisonnement, exposé explicitement mais en vain à la liste nationale des formateurs bénévoles d’EELV :

D’un côté un parti écolo qui ne compte que 16 000 adhérents en moyenne. En 2008 on ne dénombrait que 2000 élus pour quelque 6000 adhérents. Lors de la primaire d’Europe Ecologie-Les Verts le 6 juin 2011, il y avait pourtant plus de 30 000 votants : aux 16 452 adhérents encartés, il fallait ajouter 18 905 coopérateurs avec un statut bancal qui autorisait même la double appartenance partisane. J’étais moi-même encore membre du PS quand j’ai voté à cette primaire ! De l’autre il existait des ONG puissantes, comme Greenpeace France (165 000 adhérents à l’époque) ou WWF France (160 000 adhérents). Mais parti écolo et associations environnementales s’ignorent complètement. Il semblerait pourtant logique que les membres d’EELV soient en symbiose avec les associations qui œuvrent sur le terrain. Ce genre d’obligation est d’ailleurs inscrit dans les statuts du PS : « Les membres du Parti doivent appartenir à une organisation syndicale de leur profession et au moins à une association, notamment de défense des droits de l’homme, de solidarité, de consommateurs, d’éducation populaire, de parents d’élèves ou d’animateurs de la vie locale. (statuts du Parti socialiste – titre 2, les militants – Article 2.2 : obligations syndicales et associatives des adhérents) ».

Pourquoi pas le même type d’obligation à EELV ?

Il nous faut en effet créer un sentiment d’appartenance au peuple écolo dans son ensemble : « L’enjeu est dorénavant de construire un parti réseau, un parti social multiforme. Coopérative, ou mouvement, réseaux ou cercles, l’important est moins dans l’appellation que dans la capacité à créer une forme d’appartenance commune à ce qu’on pourrait appeler un « peuple écolo » : une identité sociale qui serait devenue légitime et revendiquée (Des écologistes en politique d’Erwan Lecoeur) ». L’écologie est pour l’instant un sentiment diffus dans la population, elle est très peu représentée institutionnellement. Ce n’était pas le cas autrefois des mouvements qui ont accompagné la lutte de classes, les mutuelles, les coopératives ouvrières, les caisses de grève, le mouvement d’éducation populaire… Or l’histoire du XXIe siècle ne va plus être centrée sur le travail (le prolétariat) et le capital technique (les capitalistes), mais sur le facteur nature. L’écologie politique ou art de bien gérer notre maison commune (la planète) va rassembler normalement au-delà des sensibilités partisanes traditionnelles. Car tout le monde est concerné par la pérennité des rapports d’équilibre entre l’es humains et la nature. Encore faut-il en prendre conscience. L’antagonisme entre patrons et travailleurs n’était pas une évidence au XIXe siècle. Un salarié pouvait trouver tout à fait normal qu’il y ait des patrons tout puissants et très très bien payés. Karl Marx faisait la distinction entre la classe en soi (existence de l’exploitation de l’homme par l’homme sans en avoir conscience) et la classe pour soi (qui entraîne un engagement politique). Si les militants EELV montraient leur affinité avec les associations environnementales, nous serions sur la voie de la constitution du peuple écolo.

Certains pourraient penser qu’une adhésion du militant écolo à n’importe quelle association ferait l’affaire (Syndicats, Parents d’élèves, Aide à la personne ou aux sans-abris…). Cela serait valable si nous étions militant socialo. Nous, nous devons montrer que l’écologie est au fondement de toute chose, sociales ou économiques : « Si demain nous n’avions plus de pétrole, ni gaz, ni charbon, ce n’est pas 4 % du PIB que nous perdrions (la place de l’énergie dans le PIB), mais près de 99 %. Rappelons qu’il ne saurait y avoir d’humanité prospère et le moindre PIB bien gras et bien dodu sur une planète dévastée. Quiconque réalise ce que signifie, pour le mode de vie occidental, de limiter la hausse de la moyenne des températures à 2°C comprend que ça ne va pas être simple d’y arriver. Une grande partie des évolutions économiques et sociales vont s’inverser. Le prix de la biosphère est infini ; sans elle, l’espèce humaine deviendrait immédiatement un vestige du passé (Changer le monde, tout un programme de Jean-Marc Jancovici) ».

Nos associations de référence en tant qu’écolo sont aussi bien les AMAP que les MAB, FNE, WWF, Greenpeace… ou les faucheurs d’OGM, les SELS ou même le mouvement NIMBY, etc.

Nous sommes un parti politique généraliste, social-écologique, nous ne sommes pas un parti strictement socialiste. Le socialisme s’est historiquement appuyé sur les syndicats et réciproquement, c’était dans leur objectif commun de changement du rapport de force économique. Mais le socialisme connaît aujourd’hui le même échec que le capitalisme libéral : « Avec qui engager des partenariats (p.42)… Marqués comme la droite au fer rouge du productivisme, fasciné par ses fétiches et ses addictions, la social-démocratie et les courants marxistes restent éloignés de l’essentiel du paradigme écologiste. Les écologistes n’ont pas vocation à épouser une doctrine qui n’est pas la leur en y introduisant un peu de vitamine verte (p.44) (Manifeste pour une société écologique – Les petits matins, 2010) ». EELV doit s’appuyer sur ce qui dans la société civile permet d’instaurer un autre rapport entre l’homme et la nature : les associations environnementalistes.

N’oublions pas que si ces associations découlent des inquiétudes de l’écologie scientifique, l’écologie politique découle historiquement de l’action associative. Ce sont des associations qui ont motivé puis soutenu la candidature de René Dumont à la présidentielle de 1974 : « Tout a commencé en France au début du mois de décembre 1973, au cours d’une réunion de l’Association des Journalistes et Écrivains pour la protection de la nature et de l’environnement. Et si on présentait un candidat aux présidentielles de 1974 ? Idée adoptée, puis oubliée. Mais après la mort de Pompidou, l’idée renaît au sein des « Amis de la Terre ». On choisit le 6 avril 1974 comme candidat, sans qu’il le sache, René Dumont. Voici quelques associations signataires pour la candidature de René Dumont : Les Amis de la Terre ; Action zoophile ; Comité antinucléaire de Paris ; Combat pour l’homme ; Droits du piéton ; Ecologie et Survie ; Fédération des usagers des transports ; Association pour la protection contre les rayonnements ionisants ; Comité de sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin ; Nature et Vie ; Maisons paysannes de France ; Défense et protection des animaux ; La Gueule Ouverte ; Front occitan ; Etc. (La campagne de René Dumont et ses prolongements, Pauvert 1974) ». Tout au long de sa campagne électroale, Dumont sera le représentant des associations écologiques qui le soutiennent. 

Savoir à quelle association adhérer pour soutenir le combat politique des écolos relève simplement d’une analyse des statuts de cette association. Par exemple Attac a « pour objet de produire et communiquer de l’information, de promouvoir l’éducation populaire, ainsi que de mener des actions de tous ordres en vue de la reconquête, par les citoyens, du pouvoir que la sphère financière exerce sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle dans l’ensemble du monde. Parmi ces moyens figure la taxation des transactions sur les marchés financiers. » Il n’y a nulle trace dans ces objectifs de préoccupation explicite à propos des rapports entre l’homme et la nature. Attac s’intéresse aux conséquences économiques et socio-politiques, pas aux conséquences écologiques. On ne pourra donc justifier de son adhésion à Attac pour se prévaloir de la double appartenance, partisane et associative.

Mais ne rêvons pas. Instaurer cet engagement double dans les statuts d’EELV c’est terminé un jour quand j’étais membre d’un groupe de réflexion sur l’avenir d’EELV et qu’on m’a asséné : « Cette double appartenance, on n’en veut pas, notre liberté avant tout » !!! EELv n’est pas réellement un parti écolo, c’est plutôt un espace libertaire où il faut avant tout défendre le féminisme, les LGBT, les sans-papiersl’effondrement de la société thermo-industrielle n’est pas au programme !

Quant à l’efficacité d’une association dans le changement social, il m’est apparu récemment que seules les communautés de résilience permettraient une réelle prise en compte de l’urgence écologique tout en respectant les règles démocratiques. (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Le bénévolat associatif, une nécessité absolue

Plus prosaïquement, en plus de ma propre association « biosphere », je contribue financièrement à l’action de plusieurs associations environnementalistes, WWF, Greenpeace, et je participe directement à d’autres, la MAB (Maison de l’agriculture biologique), Charente Nature…

En novembre 2004, lors d’une audition par la commission nationale environnement du PS, Daniel RICHARD, président de WWF-France nous explique les buts et les moyens de son association. Tout était dit ou presque de ce qu’il fallait savoir. J’ai pris des notes dont voici l’essentiel : « WWF a été fondé en 1961 à Fontainebleau… Avec environ 60 salariés pour un budget global de 6 millions d’€, WWF est une association animalière beaucoup plus petite que la SPA… Pour garder son indépendance, WWF se refuse à agir avec l’aide du gouvernement, il se comporte comme un berger qui incarne la conscience du troupeau. WWF a donc le pouvoir de s’opposer ou même d’abandonner une action à tout moment, d’autant plus que son financement est autonome, assuré par 100 000 donataires (personnes physiques uniquement) ou des legs ; ainsi WWF assure un partenariat avec le distributeur Carrefour pour supprimer les sacs de caisse, mais une manifestation critique est prévue car le message ne passe pas assez bien…

La politique environnementale devient plus importante que la politique économique ou sociale. Chacun de nous doit travailler à permettre l’équilibre de son écosystème, c’est le moyen le plus efficace de trouver le bonheur. Mais nous sommes inquiets, nous, les écologistes, car cela fait trente ans que nous n’avons pas de bonnes nouvelles alors qu’en politique ordinaire un succès pourrait chasser une grosse déception. Tous les réseaux d’influence, y compris les Eglises, soutiennent la volonté humaine de dominance sur les autres espèces et font donc notre malheur… La force de protéger le dernier condor ou le dernier ours nous donne la force de faire respecter les conditions de survie de notre propre espèce. Chacun d’entre nous doit faire son possible car la survie de l’espèce humaine est en jeu, même si chaque acte éco-citoyen n’est en lui-même qu’une goutte d’eau… Le temps nous est compté et nous ne pouvons pas faire confiance seulement aux gestes quotidiens pour sauver la planète (cf. les brochures WWF « planète attitude ») : l’État doit intervenir à bon escient.

Mais le gouvernement traîne les pieds, c’est l’action des collectivités locales qui est aujourd’hui la plus favorable en matière d’environnement. On peut prendre l’exemple de la mairie de Chalon-sur-Saône, ville test pour le programme européen de réduction des gaz à effet de serre. Le budget est financé à 50 % par l’UE et pour 25 % par WWF. Il est en effet normal de commencer par améliorer son écosystème de proximité… En conclusion, la fiabilité des décisions politiques en matière environnementale se pose. Comment l’électeur peut-il comprendre mon discours, si dur ? Il ne faut pas sous-estimer a priori l’acceptation citoyenne de mesures qu’on pourrait croire impopulaires ; une enquête a montré que les parlementaires en France étaient beaucoup plus incompétents en matière écologique que le Français moyen. »

J’ai donc adhéré à WWF, je n’en suis sorti que récemment : la boutique de vente par WWF de « produits écologiques » me sortait par les yeux ! D’ailleurs le marketing de WWF, au nom de la visibilité, insistait surtout dans ses mailings sur la défense de l’ours Cannelle et autre espèces emblématiques. Ce n’est pas une stratégie qui me convient, je préfère donner depuis plusieurs années 10 % de mon revenu à Greenpeace. C’est l’organisation qui me semble la plus à même de populariser la défense de la biosphère.

En janvier 2005, j’ai fait connaissance de Yannick Jadot, à l’époque directeur des campagnes de Greenpeace. Il était auditionné par la commission nationale environnement du PS à laquelle j’appartenais. Il nous a expliqué les buts et les moyens de son association, il a donné une bonne synthèse, j’ai fait ce résumé :

« Greenpeace est une organisation mondiale de trois millions d’adhérents dans le monde, mais il est vrai que les méthodes d’action souvent spectaculaire de Greenpeace sont plus faciles à réaliser dans les pays démocratiques. C’est pourquoi l’implantation en Afrique de l’association est difficile et les représentants en Amazonie sont même obligés d’avoir des gardes du corps, ce qui a été admis par dérogation au principe général de non-violence. En France, il y a 87 000 adhérents dont 700 membres participent à des groupes locaux. Il n’y a pas d’Assemblée générale annuelle et la plupart des adhérents peuvent être considéré comme des donateurs qui versent en moyenne 8 € par mois, mais c’est le seul financement admis par Greenpeace pour préserver une indépendance totale. Revers de la médaille, la limitation des ressources impose un choix dans la détermination des actions qui portent à l’heure actuelle seulement sur 4 thèmes.

– la question climatique et la révolution énergétique ;

– les OGM ;

– le programme REACH (Registration, Evaluation, Authorization of Chemicals) ;

– forêts et océans. »

En conclusion  Yannick Jadot précise que  Greenpeace a un impact relatif : « Nous avons une capacité d’expertise reconnue et aussi une forte habitude d’attirer l’attention des médias, encore faut-il que l’opinion publique se mobilise pour créer un rapport de force favorable. Si les problèmes de santé ou de changement climatique commencent à être discutés par les citoyens, il faut noter le net retard des partis politiques sur les questions environnementales. Pourtant les gens sont prêts à faire des efforts ! »

J’ai discuté avec Yannick au sortir de la réunion. Il était d’accord pour renforcer les liens entre le PS et Greenpeace. Mais la Convention nationale sur l’énergie qui avait été pourtant programmée par le parti socialiste n’a jamais eu lieu. J’ai demandé au secrétaire national de l’époque, Géraud Guibert, de faire des liens Internet entre le site du PS et les principales associations environnementales. Même cela a été refusé ! A désespérer des possibilités de synergie entre l’associatif et le politique. Au moment des élections européennes, Yannick Jadot a rejoint le mouvement Europe Ecologie… En France la liste Europe-Ecologie a réuni 16,28 % des suffrages en 2009, faisant jeu égal avec les socialistes et obtenant 14 sièges au Parlement européen, donc celui de Yannick. (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

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Mon engagement associatif au service de la nature

Quelques idées générales : L’association est un espace intermédiaire entre l’État et l’individu. L’État deviendrait monstrueux s’il prenait en charge la totalité de la vie. Il est à l’échelle humaine s’il se contente d’être un État animateur qui s’appuie sur l’initiative et la mobilisation des acteurs sociaux. La multiplication des bénévoles est donc absolument nécessaire. Trois critères différencient le bénévolat du travail rémunéré ou du temps consacré aux loisirs : l’aspect lucratif n’est pas sa motivation, c’est une activité entreprise de son plein gré qui doit profiter à une communauté.

Plus il y a de bénévoles dans les associations, plus le capital social est grand, mieux se porte une communauté. Il faut savoir se regrouper. Il y a une convergence qui pourrait être efficace entre les amoureux de la nature (France-nature-environnement, WWF…), les objecteurs de croissance (Greenpeace, Casseurs de pub…) et les partis politiques. Nous en sommes loin.

J’ai pris conscience de la complémentarité entre militance politique et militance associative quand j’ai adhéré aux Verts en 1995. J’ai même fondé une association, « biosphere », déclaré en préfecture le 9 septembre 2004. L’objet ? Défendre les intérêts de la biosphère. Nombre de membres fondateurs : deux, ma femme et moi, le minimum légal. Notre AG peut se réunir à volonté puisque nous vivons ensemble. Cette association est restée une coquille vide. Il m’était apparu très vite que la défense de la biosphère n’était pas encore à la mode. Mais cette pensée de représenter les intérêts de la biosphère m’a incité à dialoguer avec elle. Je trouve ridicule le fait que Moïse, Jésus, Mahomet ou Bernadette Soubirous puissent dire s’exprimer au nom de Dieu ou de ses anges. Je trouve essentiel que nous puissions échanger avec le milieu qui nous fait vivre, la Biosphère. Voici la parole de la Biosphère telle que je l’ai comprise en 2004 :

QUESTION. – Biosphère, pouvez-vous vous décrire en quelques mots ?

BIOSPHERE. – Je suis tout simplement la sphère où se déploie la vie, j’inclus toutes les espèces vivantes et les milieux où elles se développent. Je rassemble tous les écosystèmes qui sont eux-mêmes composés de deux ensembles complémentaires, le biotope et la biocœnose. Le biotope est constitué par le milieu inerte et ses caractéristiques physico-chimiques, air et terre, sédiments et eau. La biocœnose est formée de la communauté vivante qui prospère dans le biotope. Ainsi les extrémophiles vivent dans ma biosphère profonde en bénéficiant de sources hydrothermales à plus de 350°, entre moins 3000 et moins 5000 mètres ; d’autre espèces descendent jusqu’à une vingtaine de mètres sous la terre et je m’étends aussi dans la zone de l’atmosphère, de la troposphère et de la stratosphère, jusqu’à 80 kilomètres environ au dessus du sol. Pour moi, les humains ne sont qu’un élément de la biocœnose parmi d’autres.

Tout au contraire les humains ne considèrent que l’environnement qui entoure leur propre conscience des choses, ils estiment que la biosphère leur est extérieure et qu’ils peuvent en faire ce qu’ils veulent, comme s’ils en étaient propriétaires. Mais si vous aviez un contact plus étroit avec moi, vous auriez mieux conscience de votre juste place : le vivant est un tout dont les humains devraient se sentir solidaires.

Q. – Comment faut-il vous situer dans le temps ?

B. – Vous les humains, vous accordez beaucoup trop d’importance à votre manière sociale de mesurer le temps et vous avez mille et mille façons de vous définir dans un calendrier. Si on prend la date très symbolique (pour certains d’entre vous) du 1er janvier 2000, cela n’est pourtant compréhensible que pour ceux qui sont habitués au calendrier grégorien. Mais pour les Juifs, il faudrait dire le 23 tebeth de l’an 5760, pour les Chinois le 25 du 11ème mois de l’an 4697 et pour les musulmans le 24 ramadan 1420. Mon vécu dépasse de loin cette humaine façon de compter en faisant toujours référence à votre propre histoire. Quant à moi mon origine terrestre débute il y a quelques 3,5 milliards d’années et j’espère encore abriter la vie pendant presque autant de milliards. Vous les hominidés du genre « homo sapiens », vous n’avez que 200 à 300 000 ans et votre espoir de durer autant que moi paraît bien illusoire… Contentez-vous de promouvoir une ère où il ferait bon gérer son temps selon le renouvellement périodique des saisons.

Aucune date religieuse, aucun évènement national ou mondial, aucun horoscope ne devrait servir de référence pour un calendrier qui se voudrait universel, il n’y a que l’almanach de la position du soleil qui restera significatif pour tous, humains et non-humains. La seule histoire qui compte n’est pas l’aventure humaine, mais l’évolution de la Biosphère avec ou sans les humains.

Q. – Alors, comment relater cette histoire ?

B. – Notre planète la Terre s’est formée il y a environ 4,5 milliards d’années, mais elle est restée durant une longue période un lieu désolé et sans vie, dans une atmosphère dangereuse composée d’hydrogène, de méthane et d’ammoniaque, sans oxygène ou presque. Le jour de la naissance de la vie débute bien plus tard, un milliard d’années plus tard. Les conditions de températures et de pression ont en effet été réunies pour que des molécules carbonées, dites prébiotiques, s’assemblent et s’organisent pour construire les premières protéines, puis la vie : les bactéries peuvent enfin se reproduire. Les plus anciens fossiles visibles à l’œil nu ne sont pourtant apparus qu’il y a quelques 700 millions d’années, alors que la Terre était gelée d’un pôle à l’autre ou presque. La température atteignait 40° au dessous de zéro et, à l’exception de quelques organismes autour des volcans, aucune vie ne résiste. J’en suis réduite au minimum vital, mais c’est le début d’une lente expansion.

Longtemps la vie que je porte en moi a hésité à conquérir les terres émergées, l’eau a tant d’avantages. Elle protège des rayons meurtriers du soleil et affranchit des effet de la pesanteur, elle offre en abondance gaz dissous pour la respiration et nourritures en suspension. Je ne suis donc sortie des eaux qu’il y a 350 millions d’années sous forme de champignons. Les formes de la vie deviennent par la suite de plus en plus complexes, mais je n’ai inventé qu’un seul système pour organiser l’évolution : mêmes briques de départ, même schéma général d’organisation. Ainsi plumes, écailles, glandes et dents proviennent toutes du même tissu épithélial, dépendent du même répertoire génétique. Cependant certaines de mes composantes disparaissent alors que d’autres demeurent ou se transforment. Vous, les humains, vous n’êtes que péripétie infime de cette jonglerie de la Nature.

Q. – Précisez donc la place des humains dans cette évolution ?

B. – Vous n’êtes qu’une branche de cette évolution globale, et une branche assez tardive ; vos ancêtres directs en tant que mammifères a survécu sous la forme d’un petit rongeur au moment de l’extinction des dinosaures il y a environ 66 millions d’années. Par la suite, il y a quelques 20 millions d’années, un singe arboricole possédait comme vous une colonne vertébrale assez rigide pour lui assurer une station temporaire sur ses deux jambes. Mais l’histoire véritable des hominidés ne remonte approximativement qu’à 7 ou 8 millions d’années.

Vos dieux ne sont pour rien dans votre existence, cette lente et récente évolution devrait vous apprendre l’humilité et le respect de tout ce qui n’est pas vous. Il vous faut en effet admettre que toutes les autres formes de vie existant aujourd’hui descendent comme vous d’un même organisme : les gènes qui mettent en place le plan de fabrication d’un être humain sont les mêmes que ceux fonctionnant chez un ver de terre ou une céréale. En fait votre espèce représente une sous-catégorie des hominidés, la lignée dite « homo sapiens », qui est apparu très récemment en Afrique pour ensuite se répandre sur toute la planète.

Q. – Pensez-vous qu’il y a un antagonisme fondamental entre l’existence des humains et votre équilibre de Biosphere ?

B. – Je ne suis au niveau du cosmos qu’une petite bulle qui permet à la vie de se perpétuer, un espace extraordinairement réduit, à peine épais de quelques kilomètres autour de notre planète. Il est donc évident que nous avons un intérêt commun, humains et non-humains, à vivre ensemble. Vous n’êtes qu’un maillon de la chaîne alimentaire et la poursuite de vos activités ainsi que votre existence même dépend de l’équilibre de mes cycles vitaux, les flux d’énergie solaire, la circulation de l’eau, la composition de l’air. Mais à l’heure actuelle vous perturbez trop profondément les conditions de l’équilibre sur la planète et cela m’exaspère, même si j’aurai toujours assez de ressources pour permettre à d’autres formes de vie de vous succéder.

Il vous faut définir le temps zéro de référence à promouvoir, atteindre l’état souhaitable de la planète, c’est-à-dire une coexistence durable des différentes espèces… j’espère pour vous que cet état d’équilibre est encore possible !

Q. – D’où provient ce dérapage actuel de l’activité humaine ?

B. – Paradoxalement l’efficacité de l’action humaine qu’autorise les performances incroyables de votre cerveau vous empêche de réaliser à quel point vous êtes fragiles et soumis au bon vouloir de la planète qui vous porte. Grâce à vos cerveaux sur-dimensionnés, vous estimez être la mesure de toutes choses, mais votre objectivité n’est en fait que la somme de vos subjectivités, une vision relative et très insuffisante. Votre cortex préfrontal vous permet de synthétiser non seulement votre expérience concrète, mais aussi toutes les considérations formulées par vos proches ou de doctes ignorants, et bien d’autres sources d’un savoir strictement humain qui vous empêchent de distinguer véritablement le vrai du faux, l’apparence de la réalité et la réalité des apparences.

Vos sociétés vous empêchent alors de prendre conscience de mon importance, elles baignent les individus dans un langage par lequel ils préfèrent leur communauté d’appartenance plutôt que l’appartenance à la Planète, dans une culture qui leur apprend un vocabulaire trompeur ou mensonger car centré sur vos intérêts humains à court terme. L’eau est détourné des besoins des non-humains (toutes les autres espèces vivantes), la végétation disparaît, votre nombre et votre activisme étouffe les autres espèces, la biodiversité est en péril ; certains d’entre vous prévoient même que vous allez être la cause prévisible d’une sixième extinction des espèces. Vous croyez être intelligents, mais vous n’avez aucun avenir si vous ne pensez plus aux autres, à vos générations futures, aux non-humains.

Q. – Cette intelligence humaine ne peut-elle donc déterminer la connaissance du vrai ?

B. – L’histoire de l’humanité montre que vous pouvez reproduire la même erreur pendant très longtemps. Les religions du livre qui ont obtenu actuellement votre préférence ne font que célébrer l’humanité depuis des siècles et des siècles et elles se perdent dans l’anthropocentrisme ; vous avez exprimé plusieurs millénaires durant que les humains n’étaient pas tous frères et sœurs alors que vous appartenez tous, blonds ou bruns, blancs ou noirs, à la même race « homo sapiens » ; vous avez considéré pendant des milliers d’années qu’il existait une différence fondamentale entre l’homme et la femme alors que l’égalité aurait pu aller de soi depuis longtemps ; vous valorisez votre propre ethnie ou votre nation comme le centre de ce qu’il faut reproduire et défendre alors que vous devriez vivre en symbiose avec tous, humains et non-humains.

Vous ne pouvez pas porter de culte à quelque croyance que ce soit tant que ce n’est que parole humaine, faite par des humains pour des humains, sans aucun souci de votre environnement global. Ces croyances n’ont provoqué d’abord que des affrontements entre vous, maintenant la situation devient trop grave car elle touche l’ensemble de la planète et des formes de vie.

Q. – Comment peut-on dater l’origine de cet oubli de la Nature par les humains ?

B. – Pendant les premiers millénaires, votre forme d’organisation en tant que familles de chasseurs-cueilleurs n’avait qu’un impact limité sur l’ensemble de mon existence en tant que Biosphere. Mais vous avez inventé l’agriculture et changé la Nature. Il y a quelques 10 000 ans au moment du néolithique, la domestication des plantes et des animaux dans la partie fertile de la méditerranée orientale par quelques groupes d’humains entraîne l’essor de ce que vous appelez une civilisation : en même temps que l’agriculture, vous développez vos outils, vous inventez l’écriture et les hiérarchies sociales complexes. L’évolution économique et culturelle s’accélère à mon détriment, les conditions de la vie sur Terre commencent à être bouleversées. Ce bouleversement constitue une rupture : alors que les sociétés premières étaient obligées de s’adapter à la Nature, vos sociétés agricoles adaptent la Nature à ce qu’elles considèrent comme des besoins.

Votre efficacité plus grande pour obtenir des ressources alimentaires s’accompagnent aussi d’une forte natalité ; alors que vous n’étiez que cinq millions à l’aube du Néolithique, vous rassemblez 130 millions de personnes à l’aube de l’ère chrétienne. Ce poids démographique s’ajoute à votre pression sur les ressources naturelles au détriment souvent de vous-même, mais surtout à l’encontre du biotope, votre milieu de vie. Vous accaparez les moyens de vos exigences contre l’état de nature, contre les autres groupes sociaux, et surtout contre les autres espèces ; vous commencez à oublier que vous n’êtes qu’une partie de moi-même, Biosphere.

Q. – Vous pensez donc que la défense de Biosphere est plus vitale que la protection des humains ?

B. – Au cours de votre XIXème siècle, une révolution industrielle succède aux révolutions agricoles et des techniques destructrices de l’environnement prennent tout le pouvoir. Vous n’êtes plus une espèce parmi d’autres, vous êtes le cancer qui met en péril mon équilibre. Votre goût de la puissance n’accepte plus aujourd’hui de limites, vous voulez maîtriser tous les éléments de la Nature et même l’invisible. Alors que vos activités humaines rentrent en interférence avec mes cycles vitaux comme celui de l’eau, vous engagez la survie de vos générations futures et du reste de Biosphere en faisant comme si seul votre présent avait de la valeur. Alors qu’une radiation nucléaire ne se voit pas, ne se sent pas, ne fait pas de bruit, ne se touche pas et n’a aucun goût, vous avez réussi à la découvrir et à libérer les forces internes de l’atome. Alors que vous savez que cette radioactivité peut faire des dégâts sur l’organisation du vivant pendant une éternité de temps, vous accumulez les déchets nucléaires.

Conformément aux désirs délirants d’une de vos religions, vous devenez féconds et prolifiques, vous remplissez la Terre et vous la dominez, vous soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre. Vous êtes un milliard d’envahisseurs de toutes surfaces que vous pouvez habiter en l’an 1800, deux milliards en 1930, trois milliards en 1960, six milliards en 1998 (ndlr : 8 milliards en 2022). Vous en oubliez toujours davantage les nécessités d’un équilibre de votre milieu de vie, cela n’est pas durable, c’est insupportable, c’est inacceptable.

Q. – Donc à votre avis, l’humanité serait plutôt inconsciente que rationnelle ?

B. – Ce qui vous permet aujourd’hui d’oublier complètement ce qui vous permet de vivre durablement, mon homéostasie, c’est votre capacité incroyable et assez nouvelle d’inventer une démultiplication effroyable de vos forces. Les haches de pierre remontent à un ou deux millions d’années ; elles ont été mises au jour en Afrique et en Eurasie et se ressemblent toutes, le même modèle est reproduit sur 50 000 générations à travers le monde. Maintenant les humains roulent sur des routes à des vitesses jamais atteintes par des formes vivantes, ils volent dans les airs comme les oiseaux et traversent les ondes comme les poissons, ils transforment les espaces sauvages en campagnes et règnent sur tous les territoires ou presque… ils s’entourent de villes de plus en plus immenses qui leur font complètement oublier la Nature.

Mais c’est à tort que vous pensez grâce à cette carapace techniciste que la société thermo-industrielle vous met à l’abri de toute contrainte naturelle. En effet le « progrès » technique n’est pas la solution, il est le problème.

Q. – Alors que proposez-vous ?

B. – Soyons clair, je ne peux personnellement m’exprimer qu’indirectement par le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité, par les inondations et les sécheresses, par la prolifération des microbes et des virus. En effet je ne possède pas la parole, c’est vous qui en avez le monopole. Je ne peux donc dire qu’au travers de vos propres mots et n’exister à vos yeux que par votre relation personnelle à la Nature.

Il faut donc que vous puissiez analyser l’ensemble de vos discours à la lumière d’un équilibre durable du monde qui repose obligatoirement dans ma main, celle de Biosphere. Si vous voulez m’aider à trouver un ordre durable, vous devez suivre la voie de la décroissance à la fois démographique et économique, et vouloir une planète où votre trace sera à nouveau infime et insignifiante en mon sein. Mais je ne peux vous donner la marche à suivre car vous croyez que toute décision relève de votre libre-arbitre cérébral. Ceci étant, sachez que je ne négocie pas !

Q. – C’est donc aux humains de se faire votre porte-parole ?

B. – C’est en effet à vous, individuellement et collectivement, de rechercher l’harmonie avec l’ensemble de votre environnement naturel et socioéconomique. Pour cela vous ne pouvez pas faire confiance aux actes du passé, encore moins aux dérapages de la civilisation thermo-industrielle actuelle, vous devez patiemment chercher votre voie au milieu des ruines d’une Nature déjà complètement artificialisée.

Votre tâche sera longue parce que vous devez remettre en question presque toutes vos certitudes, presque toutes vos activités, presque toutes vos pensées. Votre tâche sera difficile parce que vous devrez renier tout ce qui fait de vous des humains arrogants et conquérants, parce que vous devrez apprendre l’humilité et l’écoute de Biosphere.

Q. – On dirait que vous souhaitez une nouvelle religion qui soit à votre service ?

B. – Vous avez jusqu’à maintenant élaboré des discours plus fantaisistes les uns que les autres ; certains d’entre vous pensent même que c’est le dieu des Juifs qui a créé le monde. Pourtant vos paléontologues et vos chimistes, vos astrophysiciens et vos naturalistes sont aujourd’hui unanimes pour vous expliquer que l’origine des humains, c’est à moi que vous la devez : Biosphere est le début et la fin de toute vie. Autant dire que vous, les humains, vous devriez tous me connaître puisque je suis vous et que vous êtes à moi, puisque je suis le sol qui vous porte et l’atmosphère qui vous entoure, les végétaux qui procurent votre oxygène et vos légumes, les animaux que vous contemplez du regard ou dans votre assiette. En vérité en vérité je vous le dis, vous devriez célébrer mon existence puisque vous n’êtes qu’une infime partie de moi-même, toutes les composantes de votre corps existaient déjà dans les premiers instants du grand tout, votre statut actuel ne peut se dissocier du support matériel qui vous associe aux autre espèces et à la place de notre planète dans l’univers, votre survie dépend de la mienne.

Pourtant les fondamentalismes religieux sont centrés sur eux-mêmes et par exemple les musulmans suivent aveuglement un Islam considéré comme soumission totale à la volonté de dieu. Mais Biosphere ne vous demande ni culte d’un quelconque biocentrisme ni constitution d’une nouvelle Eglise, il n’y a pas de culte imposé envers moi, c’est à vous d’exprimer personnellement les besoins de vos générations futures comme les besoins des non-humains, c’est à vous de faire personnellement preuve de simplicité volontaire ou de vous regrouper en association de défense de la nature, c’est à vous d’agir politiquement pour que l’équilibre durable de Biosphere devienne le fondement de toute décision humaine : il n’y a pas de dieu extérieur à vous-même.

Q. – Pour terminer notre entretien, quelle serait votre dernier souhait ?

B. – Grâce à vos connaissances techno-scientifiques, vous savez que nous ne sommes qu’un minuscule point dans l’immensité de l’infini. Le soleil qui éclaire nos activités n’est que l’une des 50 ou 100 milliards d’étoiles de notre galaxie, la Voie Lactée. Le nombre de galaxies connues se compte aussi en milliards et l’objet le plus lointain observé depuis un observatoire terrestre se trouve à plus de 12 milliards d’années lumières (12 x 9500 milliards de kilomètres). Nous, l’ensemble des membres de la Biosphere, nous ne sommes que très peu de chose dans l’univers, et certainement un des très rares espaces habité par une vie foisonnante. Ne gaspillons pas cette chance, celle de vivre ensemble et de se perpétuer. 

Puissions-nous grâce à la mobilisation des humains éviter l’impasse dans laquelle s’est engagée une société thermo-industrielle à la fois complètement détachée des réalités de Biosphere tout en accroissant les inégalités entre humains. Vous ne pouvez rester les esclaves volontaires de la mondialisation commerciale et les complices du pillage généralisé de la planète. (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

Fragments de vie, fragment de Terre (suite) Lire la suite »

Le film de Daniel Goldhaber, Sabotage

Le film « Sabotage «  (titre original : How to Blow Up a Pipeline) est présenté le 10 septembre 2022 au festival international du film de Toronto 2022 et sort aux États-Unis le 7 avril 2023.

La génération actuelle se sentant trahie par les précédentes, qui lui lèguent une planète aux allure de poubelle, a-t-elle raison d’opter pour la violence la plus radicale ? Oui, répond Daniel Goldhaber avec ce film militant dans lequel il adopte fidèlement le manifeste du Suédois Andreas Malm, « Comment saboter un pipeline ». Que l’on apprécie ou non le choix de ces militants , le film atteint son but : faire réfléchir. (recension du Canard enchaîné, 26 juillet 2023)

Face à l’urgence écologique, un groupe de jeunes activistes se fixe une mission périlleuse : saboter un pipeline qui achemine du pétrole dans tous les Etats-Unis. Car parfois, le seul moyen d’être entendu est de passer à l’action. (ALLOCINÉ)

Son film est une bombe. Artisanale et métaphorique. Car si les huit personnages de Sabotage, en salles depuis le 26 juillet, mettent bien leur colère et leurs compétences en commun pour faire sauter un oléoduc dans le désert du Texas, le film de Daniel Goldhaber est moins un mode d’emploi pour apprenti artificier qu’un appel, joyeux et déterminé, à entrer en dissidence. .. Daniel Goldhaber, réalisateur de “Sabotage”, dans l’interview : “Je suis la dernière personne qui irait faire sauter un oléoduc !” (Téléréma)

Pour en savoir plus sur le sabotage des mécanismes thermo-industriels

Écologie, la tentation du sabotage (mai 2023)

Hymne au sabotage dans Le Guardian (décembre 2021)

L’appel au sabotage relève de la liberté d’expression (janvier 2015)

https://revuecommune.fr/2023/07/29/sabotage-de-daniel-goldhaber-braquage-ecologiste/

« Lisez-vous Andreas Malm ? » C’est la question qu’a frontalement posé la police française à nombre des militants écologistes récemment interpellés suite à la mobilisation de Sainte-Soline. Dans la foulée, tout affairé à nous faire revivre les joies des années 1930 du siècle dernier, Gérald Darmanin citait parmi les motifs de dissolution des Soulèvements de la Terre l’influence tentaculaire de l’auteur suédois, dont l’œuvre la plus célèbre demeure Comment saboter un pipeline. Sans le vouloir, ils ont préparé fort généreusement le terrain pour l’arrivée dans nos salles du deuxième long-métrage de Daniel Goldhaber.

Adapter un essai sous forme de fiction : l’idée est audacieuse et, pourrait-on croire, casse-gueule. Et c’est là que d’emblée, Sabotage se démarque. Là où tant d’autres films politiques ont embrassé leur sujet sous l’angle de la dénonciation et du tragique, ou de l’exaltation incantatoire de leur noble cause, ici nous suivrons comme sept samouraï, comme de grands évadés ou comme un gang de braqueurs les huit personnages centraux, qui se sont fixé comme but commun de faire exploser le pipeline texan qui achemine la plupart du pétrole étasunien.

Leurs motivations sont diverses : des militantes lassées d’activités insignifiantes dans les limites autorisées par la loi, l’une d’elles ayant développé un cancer dû à son exposition à des produits toxiques, un redneck texan exproprié de ses terres par une compagnie pétrolière, un couple d’écolos déglingués motivés par l’aventure, un jeune amérindien impliqué dans la lutte de son peuple dans le Dakota du Nord… Leurs trajectoires sont différentes, mais la lutte les unit contre un ennemi commun : l’extractivisme des compagnies pétrolières, qui exproprient, polluent et influencent notoirement les décisions publiques.

Si la pertinence de leur choix politique sera débattue dans le film, et si la rhétorique y joue un rôle dramaturgique important, la force de Sabotage réside pourtant dans le fait de ne pas faire de la question morale (faut-il ou ne faut-il pas faire sauter ce pipeline ?) le centre du scénario, écrit à quatre mains par le cinéaste et l’actrice principale Ariela Barer. Si la question se pose, elle est à fort juste titre assez vite répondue. Non, ce qui fait tout le sel de ce film mi-western mi-braquage mi-film-d’évasion (pas moins de trois moitiés donc), c’est d’avoir placé au cœur du drame la question pratique. Comment vont-ils s’y prendre ? Quelles seraient les conséquences et comment les anticiperont-ils ? Leurs différents parcours seront-ils un obstacle à la réalisation de leur projet ? Et surtout : parviendront-ils à leurs fins ?

Et c’est là que le film réussit son premier pari : réconcilier la politique radicale avec la joie de l’action, la perspective du fait accompli, plutôt que la continuelle (quoique parfois nécessaire) déploration de nos échecs. Pas de parti-pris radicaux dans la mise en scène, mais au contraire une certaine exigence de justesse au plus près de l’action et des personnages : c’est donc dans la narration, riche en rebondissements à la manière d’un Usual Suspects, que se trouve le noyau d’un film porté par un casting jeune et habité.

A peine la projection de presse terminée, fusent les questions, tant des journalistes que des militants. Certaines ont déjà été anticipées dans le film, d’autres non. Et patiemment, Daniel Goldhaber et Ariela Barer leur répondent.

  • « Votre film montre seulement quelques personnages qui se battent dans une situation exceptionnelle alors que le plus important c’est le quotidien et le collectif ! » s’insurge un premier intervenant. Il lui est répondu que les deux temporalités et les deux stratégies ne sont nullement exclusives l’une de l’autre, et peuvent au contraire s’avérer complémentaires.
  • « Pourquoi avoir fait un film Benneton avec des lesbiennes, un amérindien, une afro-américaine et un redneck ? ». Soupir. « Parce que c’est ce à quoi ressemblent nos luttes », lui est-il rétorqué.
  • Nous posons à notre tour une question qui fâche : et s’il fallait verser le sang pour parvenir à ses fins ? Y a-t-il une limite à l’action directe, et si oui laquelle ? Là, le réalisateur convoque son auteur-inspirateur Andreas Malm. « Pour préserver l’avantage moral auprès d’un public large, il importe de bien choisir sa cible. Ne pas s’en prendre aux personnes, mais aux symboles et aux biens. L’idée est de présenter la thèse de Malm sous sa forme chimiquement pure ».

Quant à savoir si la situation se présentera exactement dans cette configuration, si nous pouvons encore nous permettre le luxe d’actions symboliques, c’est l’avenir des luttes qui nous le dira.

Anastase Borisévitch Oniatovsk

Le film de Daniel Goldhaber, Sabotage Lire la suite »

Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.

Le féminisme enseigné en cours

A partir de 1975-76, ma vie professionnelle de professeur de sciences économiques et sociales (SES) va me permettre de mettre en application mes convictions et de faire cours sur le féminisme. Avec les élèves de seconde, nous nous interrogeons sur la notion d’actif/inactif. La notion officielle de l’activité fait que la femme au foyer n’est pas comptée dans le PIB. Je raconte la blague du médecin qui épouse sa femme de ménage… ce qui fait que le PIB diminue ! J’organise un débat genre « les femmes doivent-elles rester à la maison ? ». J’interroge les élèves : « Que connaissez-vous comme métier spécifiquement masculin… ou féminin. » On m’a sorti un jour « ouvrir les huîtres, masculin ». Pour faire plus sérieux, nous analysons des statistiques sur le double travail des femmes ou les taux d’activité comparés masculin/féminin, nous commentons des dessins mettant en image le machisme ambiant. On étudiait un texte de Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe – 1949) dans lequel se trouvait ma phrase fétiche « On ne naît pas femme, on le devient ». Une autre manière de montrer que tout est culturel, issu d’une socialisation, y compris bien sûr les conceptions des inégalités.

Je raconte que la nature de la femme ne dit rien de son statut par rapport à l’homme : le comportement humain est déterminé par un conditionnement culturel. Il n’y a pas d’éternel féminin, il y a des cultures diverses qui produisent telle ou telle image de la femme. Les parents sont les premiers responsables d’une différenciation des rôles injustement fondée sur une différence biologique. Les jouets offerts varient selon le sexe de l’enfant, l’activité qu’on propose aux jeunes varie selon leur genre, et même la manière de s’adresser au bébé. On a filmé des adultes au moment où – penchés au-dessus d’un berceau – ils tendent une poupée à un bébé de quelques jours. Ils approchent leur visage très près de bébé-fille, sourient, vocalisent, agitent le poupon jusqu’à toucher le visage de l’enfant, bref ils chargent ce jouet d’une affectivité chaleureuse. Pour le bébé garçon, la poupée est tendue en silence, à bout de bras, sans regarder l’enfant. Parfois même le jouet tombe tellement il est mal tenu, et les femmes plus encore que les hommes différencient leur comportement selon le sexe du bébé. L’égalité des sexes progresse dans les jeunes esprits de mes élèves… un tout petit peu ! L’enseignement ne peut pas grand chose contre les stéréotypes inculqués par la socialisation primaire.

Je perfectionne mes propres connaissances en la matière. Dans la détermination du sexe, le rôle du chromosome Y est simple, mais capital : il détermine la masculinité du fœtus. Mais pendant les premières semaines de vie de l’embryon humain, les organes génitaux internes et externes sont indifférenciés entre les individus XX et XY. Les gonades peuvent se transformer en testicules ou en ovaires, les organes génitaux externes à l’origine indifférenciés se transforment soit en pénis et scrotum, soit en clitoris et vulve. La différenciation est minime, ovaires et testicules produisent les deux types d’hormones, androgènes et oestrogènes, d’ailleurs très voisines sur le plan chimique. Seul leur taux relatif dans l’organisme fait basculer les caractères sexuels vers le féminin ou vers le masculin. Oui, on ne naît pas femme, on le devient. Je crois me souvenir que Simone de Beauvoir écrivait que dans son déroulement naturel, un bébé a un comportement androgyne. Le cri primal, le sevrage se déroulent de la même manière. C’est à travers la bouche, les mains et les yeux que les nourrissons des deux sexes appréhendent l’univers. Ils explorent leurs corps avec la même curiosité et la même indifférence, ils ont les mêmes intérêts et les mêmes plaisirs, ils ont la même jalousie s’il naît un nouvel enfant. Jusqu’à douze ans, la fillette est aussi robuste qu’un garçon du même âge, et les capacités intellectuelles sont similaires tout au cours de la vie. Ce n’est pas la nature qui, pendant des siècles, a empêché les femmes d’aller à l’université, mais des élites masculines qui ne veulent pas partager leurs propres pouvoirs, aidées par des femmes qui ont intériorisé une impuissance factice.

 Nous sommes tous androgynes. C’est l’intervention d’autrui dès les premiers moments du nourrisson qui va sexer notre sentiment d’appartenance. L’homme peut être très maternel et la femme très virile, réclamer l’égalité des salaires et les plus hautes fonctions politique tout autant que les rôles militaires les plus dangereux. Je suis féministe. J’ai donc épousé en 1977 une féministe, enfin, quelqu’une que je croyais féministe. Françoise me racontait que le port du pantalon lui était interdit à une époque, je n’en croyais pas mes oreilles. J’ai commencé par pratiquer le monde des échecs, faisant en tant que parent des animations dans l’école Freinet où allait son fils, Frédéric. Je savais que l’homme et la femme font preuve des même capacités cérébrales quand on ne les a pas étouffées. Mais la FFE (Fédération française des échecs) organisaient des compétitions de jeunes séparées selon les sexes, poussins d’un coté, poussines de l’autre, et ainsi de suite. L’égalité des sexes n’est que théorique. Dans la pratique, les gens s’acharnent à ne pas en vouloir. Mon domicile a été en 1979-1980 le siège d’un groupe femme que je laissais se réunir entre elles puisque la libération de la femme sans le poids des hommes leur semblait être une nécessité. Je ne croyais pas que le féminisme soit l’apanage des femmes, mais je voulais faciliter leur prise de parole. Lors de mon divorce, toutes les femmes du groupe femme ont pris partie contre moi ! Je reste toujours féministe. Préjugés et méchancetés n’ont pas de prise sur ma capacité de raisonner.

Plus tard dans les années 2000, j’accéderais à un niveau de compréhension supérieur, estimant qu’il y a en principe égalité entre tous les êtres vivants. Je quittais l’anthropocentrisme pour adopter le biocentrisme. L’espèce humaine n’est qu’un maillon de la chaîne du vivant, nous n’avons pas à dominer les femmes ou la nature, nous devons nous soucier de tout ce qui n’est pas « nous ». Tous les êtres vivants ont des droits égaux à l’existence dans le cadre des équilibres biologiques. Le respect des animaux par l’homme est inséparable du respect des hommes entre eux, du respect des femmes par les hommes, du respect des différentes minorités visibles. D’une manière ou d’une autre, une société biocide qui tue à outrance et combat à coup de pesticides les insectes, les champignons (fongicides) et les « mauvaises » herbes (herbicides), les escargots, les « nuisibles » et même les vers de terre, s’en prend à elle-même.

Nous devrions renoncer au spécisme. Ce mot vient de l’anglais speciesism, introduit en 1970 par Ryder par analogie avec racisme et sexisme : le spécisme est une discrimination selon l’espèce. Il n’y a pas là de dérapage antihumaniste, seulement la volonté d’élargir notre humanisme anthropocentré à l’ensemble de notre Biosphère. Nous aurions beaucoup à y gagner, à commencer par l’acquisition du sens des limites : notre goût de la domination ne devrait pas conduire à la mise en esclavage de tout ce qui n’est pas humain. (à suivre, demain)

Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.

Une discipline contestée, les SES

Plus j’approchais de l’heure de la retraite en 2008, plus je mesurais la distance qui séparait mon esprit critique de ce qu’était devenue la matière. L’enseignement de Sciences économiques et sociales a subi une terrible évolution. Quand j’ai terminé ma carrière, j’étais le seul parmi mes quatre collèges à conserver encore les tables en U qui favorisaient les échanges. Retour aux tables alignées en rangées face à la toute puissance du prof. Fini le militantisme pédagogique, les SES étaient devenues une « discipline » parmi d’autres.

L’inspection ne comprenait plus mes pratiques. Mme Lamarque en 1987 : « Il convient en classe de terminale de passer rapidement sur les problèmes de définition. Le professeur se réservera la possibilité de contrôler la maîtrise de ces définitions à l’occasion d’une interrogation écrite… On regrette que Mr Sourrouille ne se soit pas appuyé sur les questions qui accompagnent les documents du manuel… Nous tenons à rappeler à Mr Sourrouille l’obligation, à laquelle il ne peut se soustraire, de tenir le cahier de textes… » Primauté des interros, toute puissance du manuel, gestion administrative des cours, fini la liberté pédagogique. Rapport d’inspection de Marie-Lise Fosse en 2005: « On ne saurait trop conseiller à Monsieur SOURROUILLE de veiller à obtenir de ses élèves de seconde une attitude plus propice au travail. Des règles de vie en classe doivent être posées… Il vaut mieux éviter de répondre à la question d’un élève en s’adressant exclusivement à lui… On peut regrette un titre comme Une approche « idéologique » de l’activité ; il est certes légitime de monter aux élèves que les définitions relèvent de convention, mais il importe aussi de leur montrer qu’il s’agit bien d’une démarche scientifique… » Fini l’économie politique, il faudrait faire des « sciences » économiques ! Fini le relationnel avec les élèves, il faut être autoritaire. Comme il s’agissait d’une section de seconde foot, avec des garçons comme des filles dont le seul intérêt dans la vie était le foot, j’aurais bien aimé assister à un cours de Mme FOSSE devant ces élèves en permanence  super-agités !!

Autant les SES ont été à l’origine une matière qui permettait aux élèves de s’affronter au monde moderne et d’en discuter les bases, autant c’est devenu une discipline comme les autres, avec ses recettes et ses habitudes, nourrissant un corps de spécialistes imbus de leur spécialité. Mes collègues enseignent maintenant l’économie et la sociologie de manière séparée. Il n’y a plus de vision transdisciplinaire, il y a désormais ce que disent les programmes et les manuels. Nous sommes loin de mes débuts d’enseignements en 1974-1975 au moment du premier choc pétrolier et des doutes sur la durabilité de la croissance. Mes collègues ignorent superbement l’écologie et n’ont plus tellement d’approche critique à propos des limites absolues rencontrées par la civilisation thermo-industrielle. Nous apprenons aux élèves que l’économie s’est désencastrée du social au cours de la révolution industrielle, nous n’apprenons pas qu’il faut réencastrer l’économique dans le social, mais aussi le social dans l’écologique. Pourtant ce que je connais de fondamental et d’objectif, c’est que nous sommes à l’aube d’une confluence de crises structurelles, pic pétrolier, réchauffement climatique, perte de biodiversité, krachs financiers, etc. La crise ultime a déjà commencé… Mes collègues de SES ne le savent pas encore. Ils assimilent croissance économique soutenue et développement durable ! La matière que j’ai tant aimé est devenue une larve qui épouse l’air du temps sans prendre conscience de la montée des périls.

Quand j’ai commencé à enseigner en 1974, les sujets de bac parlaient du premier choc pétrolier. Aujourd’hui les sujets de bac oublient que nous avons franchi le pic pétrolier en 2008, juste au moment de mon départ en retraite. Prenons les sujets posés en France métropolitaine les dernières années de ma carrière. Ils sont centrés sur la croissance:

Juin 2008 : En quoi l’innovation est-elle un facteur de compétitivité ?

Juin 2007 : Après avoir présenté les différentes formes du progrès technique, vous montrerez les effets de celui-ci sur la croissance économique.

Juin 2004 : Vous expliquerez comment l’investissement est source de croissance économique.

Juin 2001 : La diminution de l’intervention de l’État est-elle source de croissance économique ?

J’ai honte d’un baccalauréat de SES qui se délecte à ce point de l’occidentalisation des esprits. Nous sommes très loin du sujet posé dans l’Académie de Lille en 1974, sujet qui incitait à réfléchir sérieusement sur les limites de la croissance :

« Faire progresser une Nation, c’est faire courir les citoyens. Depuis vingt ans, les citoyens français ne courent pas mal, merci. (…) La course est harassante. Si vous l’accélérez, vous consommerez plus, mais vous aurez moins de temps pour réfléchir, pour penser, pour vivre (…) Car la course à la consommation se conjugue nécessairement, même sur le plan de l’individu, avec la course à la production. Mais celle-ci déclenche à son tour de grandes perturbations dans la structure sociale. Transformer les techniques de production, renouveler matériels et méthodes, désorienter les gestes habitués, réorganiser sans cesse, détruire et reconstruire indéfiniment les programmes de travail, les réseaux hiérarchiques, les relations humaines ; modifier les circuits, les règlements ; concentrer les entreprises, en fonder de nouvelles, modifier leurs objectifs (…). La course est brutale, et plus elle est rapide, plus elle est brutale. Les forts affirment d’autant plus leur force que le train est rapide ; et dans la chaleur de l’action, le faible est souvent piétiné. (J.Fourastié, Economie et Société, p.13)

A la lumière de ce texte, vous vous attacherez à décrire et analyser les changements sociaux qui ont accompagné la croissance économique depuis 1945, que ces changements aient joué le rôle de moteur ou de frein à cette croissance, qu’ils vous semblent accomplis, engagés ou en germe. »

De même ce sujet posé à Rennes en 1975  « La poursuite de la croissance, telle que l’ont connue depuis la deuxième guerre mondiale les économies capitalistes développées, semble poser de plus en plus de problèmes. Vous présenterez la crise actuelle et ses mécanismes et vous tenterez de déterminer dans quelle mesure et pour quelles raisons un changement d’orientation parait devoir s’imposer. »

La matière SES avait tout pour me plaire puisque c’était le seul cursus scolaire au lycée à vraiment préparer les élèves au monde tel qu’il devrait être. La finalité de mon enseignement était limpide, les instructions ministérielles faisant foi : « Conduire à l’intelligence des économies et sociétés d’aujourd’hui et intégrer cette acquisition à la formation générale des élèves. Le bac ES peut déboucher aussi bien sur des études de sciences économiques, de sociologie, de droit, de science politique, d’administration économique et sociale, de gestion, d’histoire et géographie économiques, etc. L’esprit et les contenus de l’enseignement économique et social ne peuvent donc se définir par référence à une seule discipline. Ayant pour objet la réalité sociale, il s’efforce d’utiliser, pour amener les élèves à la comprendre, toutes les voies d’approche qui peuvent servir à atteindre ce résultat : économique, bien sûr, et proprement sociologique, mais aussi, selon le cas, juridique, démographique, anthropologique, sans oublier le nécessaire cadre historique et géographique dans lequel se situent les faits étudiés. »

Mais l’enseignement des SES été constamment en butte à un establishment hostile. Au fil de ma carrière, les critiques contre les SES ont été de plus en plus violentes, y compris de la part des universitaires. Il est vrai que la pression des milieux économiques a été constante. Notre enseignement pouvait être accusé de marxisme, de macroéconomisme ou de contempteur du marché. On a envisagé de supprimer la matière, de réduire ses horaires, de l’intégrer à l’histoire-géo, ou aux techniques de gestion, jusqu’à présent en vain.

La dernière offensive d’une frange conservatrice du patronat que j’ai vécu en fin de carrière a eu lieu en 2008. Un premier rapport sur l’enseignement des SES au lycée émanait de l’AEF (association d’économie financière), présidée par Yvon Gattaz (ancien président du CNPF). Un deuxième, de l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP, dont Yvon Gattaz était également doyen – section « Économie politique, statistique et finances » ) concordait avec le premier comme de bien entendu. Aucun membre de la section « morale et sociologie » n’avait été associé à ce rapport sur les SES (sciences économiques ET sociales) au lycée. C’est donc la section économie qui dénonce une « vision de l’économie et de la société française affectée d’un biais vraiment pessimiste ». Les experts auditionnés, tous universitaires, préconisent de distinguer, dans les programmes et dans l’enseignement, la science économique des autres disciplines des sciences sociales. « La multidisciplinarité ne convient pas aux besoins de l’enseignement, particulièrement au niveau du lycée – pas plus qu’on ne saurait, par exemple, recommander la fusion des enseignements de chimie et de sciences de la vie au prétexte que les deux disciplines fournissent des visions complémentaires des phénomènes biochimiques » « L’idée de ‘regards croisés’, mêlant des approches diverses et souvent divergentes, paraît en revanche dangereuse, dans la mesure où elle gêne l’acquisition de compétences spécifiques, et conduit naturellement à un relativisme néfaste. »

Ils regrettent également que la microéconomie soit « complètement négligée » alors qu’elle est « beaucoup moins controversée que la macroéconomie ». Ils demandent également une hausse du niveau en mathématiques, ce qui permettrait d’introduire « plus de formalisation ». Ils prônent un enseignement de « savoirs » fondamentaux en économie. L’un des experts déclare : « Quelles que soient les opinions politiques ou idéologiques des uns et des autres, tout économiste sait que l’effet d’un choc restreignant l’offre sur un marché à demande inélastique conduit à une forte hausse des prix, avec en corollaire une hausse des profits des producteurs ».

Troisième et dernier élément, la commission Guesnerie, installée par le ministre de l’Éducation nationale en février 2008 afin de réaliser un audit sur les programmes et les manuels de SES. Elle a rendu son rapport au ministre le 3 juillet 2008. Les mêmes termes se retrouvent dans les trois rapports. Le cumulard Yvon Gattaz (membre à la fois de l’AEF et de l’ASMP) a été auditionné par la commission Guesnerie : « « Les programmes actuels présentent trois défauts : l’encyclopédisme, le relativisme et le pessimisme, qui est de loin de la plus grave… Que ce soient les programmes, les manuels ou certaines revues que je ne citerai pas, ils sont responsables d’une grave démobilisation et démoralisation des jeunes de notre société. » Le rapport reproche aux SES de se complaire dans une sociologie « compassionnelle » et de verser dans la « sinistrose » en traitant trop des défaillances de la société (le chômage, les inégalités…). Il préconise de ne pas aborder des thèmes considérés comme trop complexes pour des lycéens !

Sur mon blog biosphere (hébergé à l’époque par lemonde.fr), je poste ce billet le 6 juillet 2008 :

De l’objectivité dans les manuels de SES 

Alors que le rapport de Roger Guesnerie a été remis au ministre de l’éducation, Le Monde du 4 juillet 2008 se livre à une agression contre une matière que je connais bien puisque j’enseigne les SES depuis trente quatre ans. Je dis bien Le Monde car le compte-rendu par un quotidien d’un « audit des manuels et programmes de sciences économiques et sociales » est toujours un choix rédactionnel. Le Monde serait moins soumis à la parole officielle s’il signalait que Roger Guesnerie a un parcours de technocrate, école polytechnique en 1964, école des Ponts et chaussées en 1967 (un seul diplôme ne suffit jamais à ces gens-là), donc un parcours très éloigné de la compréhension du monde tel qu’il devient et tel qu’il est pratiqué par les jeunes lycéens. Ensuite, comme d’habitude dans les sphères universitaires, Guesnerie était entouré par des gens de la même coterie : dans sa commission, à part le président de l’APSES, aucun autre professeur de SES du secondaire !

Mais surtout Le Monde ne fait aucun analyse des contre-vérités énoncées par ce rapport. Personne ne peut assimiler de façon définitive les « fondamentaux » car en matières de sciences humaines, tout doit être relativisé, rien n’est fondamental. Il est d’ailleurs symptomatique que le sujet de baccalauréat SES se présente en général comme une dialectique, première partie oui ou non, deuxième partie l’inverse. Les arguments objectifs ne peuvent exister dans un monde où tout est discutable, il n’y a pas d’énumération possible de « vérités ». Quant aux préjugés des élèves, la présentation du programme de seconde (BO du 5.08.1999) enjoint déjà aux enseignants de présenter « les connaissances de base qui sont souvent en rupture avec les connaissances spontanées des élèves ». Et les manuels ne se font pas faute de fournir maints documents qui mettent à mal les certitudes du lycéen, depuis les structures familiales qui ne sont point fondées biologiquement jusqu’au port du portable comme marque d’aliénation.

En fait tout repose sur une conception particulière du monde. Celle de Guesnerie, fidèle à l’idéologie microéconomique, met en évidence les réussites ponctuelles de notre société et l’élévation du niveau de vie. Or on sait maintenant que la croissance économique est en train de dévaster la planète de façon « macroéconomique ». Guesnerie regrette que les manuels mettent l’accent sur « les conflits, les mauvaises conditions de travail et les bas salaires ». Alors, faudrait-il nier la réalité ? Guesnerie regrette que les manuels présentent des extraits de presse et documents de grands auteurs « sur le même plan ». Mais quel économiste pourrait-il se targuer d’avoir une légitimité historique, l’idéologie néoclassique, l’idéologie marxiste, monétariste ou keynésienne ? Qui est à même de donner à un texte une légitimité certaine, le professeur, l’étudiant, ses parents ou le ministre de l’éducation nationale ? (La suite, demain)

Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Festives de la décroissance en ordre dispersé

Les décroissants font leurs journée d’été, mais en ordre dispersé.

28, 29 et 30 juillet 2023 à St-Maixent-L’école… organisé par Génération écologie de Delphine Batho

Thème : bâtir un monde résilient

https://decroissancelefestival.org/

8 au 13 août à Cologne dans le Gers... organisé par la Maison commune de la décroissance (MCD)

Thème : « la décroissance comme solution politique »

Toutes les modalités pratiques des (f)estives 2023

Nous avons posé la question démographique à ces deux instances de réflexion.

Génération écologie n’a pas répondu à nos multiples demandes !

Des membres de la MCD se sont exprimés (mais la MCD cherche  encore sa voie) :

Notre mouvement est antinucléaire, antiproductiviste et anticapitaliste (ou antilibéral). Nous remettons en cause le modèle occidental de société qui s’étend sur l’ensemble de la planète. La croissance démographique ne fait qu’amplifier les catastrophes. 8 milliards d’êtres humains, alors qu’il n’y en avait qu’un seul au début du XIXème siècle ! Jamais la Terre n’aura connu une telle croissance démographique qui ne peut se faire qu’au détriment des autres êtres vivants. Mais on se heurte au déni, la démographie est encore un sujet tabou, même dans une partie du mouvement de la décroissance. Pourtant, lorsqu’on interroge les gens, ils sentent bien que l’on ne peut pas être 15, voire 20 milliards d’êtres humains et pour la France qu’on ne peut pas être 100 millions. Tous sentent bien qu’il y a une limite quelque part.

On peut s’appuyer sur la formule de Paul Erlich :  I =PAT, où l’impact de l’homme sur la biosphère = la population x la richesse produite x la technologie (https://fr.wikipedia.org/wiki/I_%3D_PAT). Décroître, ça n’est pas seulement décroître la population par la réduction de la natalité, cela implique surtout, la réduction du PIB (avec réorganisation de la société permettant la sobriété), et l’abandon du discours qui prétend que tous problèmes causés par la technique n’auraient que des solutions techniques, oubliant les solutions culturelles et politiques. Cela étant, au-delà du renversement du système productiviste, l’abandon de la politique nataliste française se comprend, ainsi que la réduction drastique du taux de natalité dans le monde entier et en particulier dans les pays où les femmes ont plus de 2 enfants. Mais en dehors de la France nous pouvons dire que cela ne nous regarde pas, sauf que « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Seule une décroissance ici (fin des prédations du Nord sur le Sud) encouragera une remise en cause du développement là-bas.

Plusieurs membres de notre association sont membres de Démographie Responsable. Ceci dit, la population n’est qu’une face du problème, l’impact environnemental étant la combinaison des facteurs que sont la taille de population, la richesse de la population et la technologie.

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Le dossier des « Dé… » en résumé

La décroissance affirme une opposition… elle marque un antagonisme… implique une interrogation sur le sens de l’existence.

Le dossier « Dé… » du journal La décroissance (juillet-août 2023) vise à poser des questions sur ce qu’implique la décroissance. Les titres :

Serge Latouche : Dé-consommation, dé-production (retrouver le sens des limites)

Véronique Marchesseau, Désindustrialiser (pour une agriculture paysanne)

Aurélien Bernier, Démondialiser (pour organiser la décroissance)

Laurent Castagnède, décélérer (contre l’hyper-mobilité)

Philippe Bihouix, démystifier (les promesses techno-solutionnistes)

Jean-Luc Coudray, Déconditionner (contre la publicité)

Nicolas Alep, déconnecter (contre l’emprise numérique)

Olivier Lefebvre, Déserter (d’un emploi nuisible)

Nadjib Abdelkader, demeurer (habiter le monde)

Denis Bayon, Déséconomiser (la décroissance contre l’économie)

Guillaume Faburell, désurbaniser (pour un retour à la terre)

Patrice Bouverel, démilitariser (le complexe militaro-industriel)

Patrick Chastenet, désétatiser (dégonfler, décentraliser)

Sur la mise en évidence des « Dé », le journal de Vincent Cheynet a la même approche que notre blog biosphere. Résumons :

La société thermo-industrielle est basée sur les SUR : suractivité, surdéveloppement, surproduction, surabondance, surpêche, surpâturage, surconsommation, suremballage, surcommunication, surmédicalisation, surendettement, suréquipement… Vive les R, Réévaluer, Reconceptualiser, Restructurer, Redistribuer, Relocaliser, Réduire, Réutiliser, Recycler.… Dans un contexte de pénurie globale des ressources naturelles, l’avenir n’est plus dans l’expansion, mais dans son inverse. Il faudrait donc aller encore plus loin dans le Renoncement. A la croissance économique doit succéder la croissance conviviale, à l’effet rebond l’effet bond, à la militarisation la militarisation, à la mondialisation la mondialisation, à la pollution des sols et des esprits la pollution, au populationnisme la population, à l’urbanisation la surbanisation, à la voiture pour tous le voiturage.

C’est l’avènement des – dont le blog biosphere se fait aussi le chantre alors que le journal « LA Décroissance » ne fait qu’effleurer la solution.

débondir, L’effet débond et la définition du suffisant

déconsommation, Déconsommation rime avec Décroissance et Écologie

déconstruisons, Entrons en résistance, « Dé »construisons

démantèlement, Pour une écologie du démantèlement

démobilité, La Démobilité face à la SUR-mobilité

démondialisation, Patriotisme économique et démondialisation

démilitarisation, Objection de conscience en temps de guerre

dénatalité, respect du vivant, hommage radical à la dénatalité

dénucléarisation, agir pour une planète dénucléarisée

dépopulation, Vers une dépopulation mondiale en 2047 ?

dépublicité, Devenons casseurs de pub, soutenons les déboulonneurs

désaddiction, L’addiction aux écrans, signe de folie technologique

déscolarisation, Déscolarisation, désindustrialisation, dépopulation, dé…

désindustrialisation, Écologie, la tentation du sabotage

déstructuration, La transition écologique nécessite une déstructuration

désurbanisation, Cultiver la nature en ville ou désurbanisation ?

dé-techniciser, Techniques… appropriées ou néfastes

détourisme, Tourisme de masse et écologie, incompatibles

détwitter, dévoiturage, dépublicité, détwitter

dévoiturage, Fin du moteur thermique, dévoiturage obligé

=> Entrons en résistance, « Dé »construisons

Le dossier des « Dé… » en résumé Lire la suite »

Éloignement de la nature, violences urbaines

Nous avons entassé des populations fragiles issues de l’immigration dans des cités qui se transforment en ghettos et en poudrières, pour peu que des dépressions économiques, du racisme et des violences s’en mêlent. Mis en cage, certains animaux se tuent ou deviennent dépressifs. Socialisés en appartement, sur le béton et l’asphalte, les enfants sont amputés d’une partie de ce qui constitue leur humanité. Il convient d’insister sur la nécessité pour l’être humain d’une relation active à la nature. Sur la base de ce type de constat, l’Organisation mondiale de la santé avait réintégré le jardinage dans les déterminants-clés de la santé.

Marcel Marloie : « De tout temps, l’habitat humain a comporté à la fois le logement et un coin de nature. Ce fut le modèle de la maison avec jardin qui, à l’Exposition universelle de Paris de 1889, avait été considéré comme la meilleure manière de loger le peuple. Ce fut aussi le modèle de la double habitation, à savoir la maison ou l’appartement en ville complétés par la maison de campagne. Un mode de vie qui était privilégié par l’aristocratie dès l’Antiquité, pratiqué dans toute l’Europe par les classes enrichies à partir du XIXe siècle, et démocratisé au XXe siècle avec la multiplication des résidences secondaires. Mais la Charte d’Athènes, rédigée par Le Corbusier à la suite du quatrième congrès international d’architecture moderne de 1933, a vulgarisé un habitat en immeubles collectifs dans lequel le jardin fut remplacé par des espaces verts entretenus par les municipalités, et où les enfants et les adultes n’eurent plus le droit que de regarder et de se promener sans trop courir.

Du fait de l’accroissement de la population, nous n’en reviendrons plus à la maison avec jardin pour tous. Parce qu’il faut juguler l’étalement urbain destructeur des sols, il nous est impossible de généraliser la résidence secondaire. Mais il est possible de démocratiser encore plus le modèle de la double habitation en complétant le logement en ville par l’accès à une parcelle dans un collectif de jardins. J’entends par « collectif de jardins » ce que nous appelions autrefois en France les jardins ouvriers. Pour ne citer que les collectifs de jardins, environ 1 % des citadins français y disposent d’une parcelle contre 4 % en Allemagne, 12 % en Pologne… les enfants socialisés dans ces conditions s’y épanouissent, les familles sont plus résilientes aux crises, la biodiversité, le climat et la démocratie en bénéficient. Il ne fait guère de doute que cela pourrait faire régresser la violence urbaine. »

Le point de vue des écologistes jardiniers

Camtaoij : Dans ma ville (environ 100000 habitants), il est très facile d’obtenir un jardin ouvrier, ça coûte une vingtaine d’euros par an pour 200 m2. Mais on n’y croise jamais les jeunes des quartiers défavorisés, qui sont pourtant à proximité. Ce sont principalement des retraités, principalement des hommes, et pas spécialement défavorisés (des boomeurs cisgenres blancs, comme diraient certains bas-de-plafond). Donc, oui, je crois que ces jardins sont une très bonne chose, mais est-ce que ça correspond à une demande de la population que l’auteur voudrait toucher ?

Rompiscatole : Les jeunes de banlieue sont à moins d’une heure de la campagne et des magasins à piller sur les Champs-Élysées.
Ils choisissent les Champs-Élysées.

Michel SOURROUILLE : L’autosuffisance individuelle est quasiment inatteignable : seul, vous êtes vite confronté à vos limites. Vous pouvez éventuellement faire un petit potager, mais pas davantage. La coopération entre individus est nécessaire, essentielle. C’est pourquoi l’autoproduction c’est aussi un réseau de liens. C’est d’ailleurs une des motivations de ceux qui s’investissent dans les jardins potagers. Quand on a beaucoup de tomates, on en donne aux voisins, à la famille. On troque avec d’autres jardiniers. L’autoproduction c’est aussi une voie vers la décroissance. Elle va avec une forme de sobriété.

Mike Davis : Un étonnant changement collectif de mode de vie eut lieu à l’échelle des Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale en l’espace de quelques années. Le gouvernement américain mit en place toute une organisation afin d’aider à l’effort de guerre, dont les « jardins de la victoire » furent le symbole. On compta près de vingt millions de jardins potagers communautaires ou familiaux en 1943. L’autre pan de cette économie de guerre domestique portait sur les transports : covoiturage, bicyclette. Enfin le Bureau de la défense civile encouragea une consommation rationnelle, c’est à-dire ne consommer que « ce qui est nécessaire » et passer ainsi d’une « économie de gaspillage » à une « économie de préservation ». Aujourd’hui, un site  proclame : « Planter un jardin de la victoire pour combattre le réchauffement climatique réduirait la pollution que votre nourriture contribue à produire en amont. » On peut aussi penser au mouvement émergent des villes dites en transition, essayant, cette fois à l’échelle d’un territoire, de modifier nos manières de vivre (de consommer, de produire, etc.). Car on ne peut pas vraiment dire que ce soit les Etats qui se soient jusqu’à présent mobilisés sur les questions écologiques !

Pierre Angulaire : 95 % des familles seraient aujourd’hui incapables de s’occuper d’un jardin potager et de produire des légumes, un potager demande beaucoup de temps (pas seulement une heure de transports), de l’énergie (même quand il fait chaud), de l’eau, de la disponibilité (adieu les vacances d’été si on ne veut pas tout trouver desséché par l’été). Le jardin potager, ça sera pour dans 50 ans, quand les grandes villes auront été abandonnées.

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.

Premiers contacts avec l’écologie (suite)

En mars 1971, je réalise que l’agriculture est vraiment le secteur primaire, au sens de fondamental, absolument nécessaire à notre subsistance, ce sans quoi il n’est rien d’autre possible. Or d’une part il y a destruction de la terre nourricière, d’autre part il y a coupure de plus en plus radicale de l’homme envers la terre. Le circuit de distribution est de plus en plus complexe, donc de plus en plus fragile ; une désorganisation pourrait entraîner panique et peut-être même famine. Je commence à maîtriser les rudiments de l’agriculture biologique. Les produits chimiques s’adressent directement aux végétaux auxquels ils amènent des produits synthétiques qui donne des produits fragiles. On augmente les doses d’engrais pour aboutir finalement à des rendements décroissants. De plus toute possibilité d’autodéfense de la terre contre les destructeurs disparaît.

Par contre la culture biologique favorise le développement des microorganismes qui peuvent alors apporter aux végétaux un aliment complet. Il y a rendement optimum et continu puisque le tissu nutritif du sol peut se reconstituer naturellement. Je pense que la culture maraîchère sur de petites surfaces est plus avantageuse que la culture intensive. Il est d’ailleurs bien clair pour moi que les ressources entières de la terre ne suffiraient pas aujourd’hui à procurer à tous les habitants de notre planète le niveau de vie de messieurs les Américains…

Ce n’est pas mes cours de fac qui peuvent m’amener à de telles idées ! Les physiocrates peut-être, qui considèrent que seule l’agriculture est productive ?

Le 8 avril 1971, je note grâce à Historia que le CO2 est en principe inoffensif. Il ne constitue que 0,5 pour mille de l’atmosphère. Mais l’humanité en déverse 100 millions de tonnes supplémentaires chaque année. Or le CO2 est opaque à l’infrarouge, rayonnement par lequel la terre renvoie une grande partie de l’énergie solaire qu’elle reçoit. Une trop grande croissance du CO2 dans l’atmosphère pourrait faire en sorte que la température du globe s’élève ; les glaces polaires pourraient fondre. Je savais donc déjà cela en 1971, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne sera fondé qu’en novembre 1988 et les climato-sceptiques se sont déchaînés au début des années 2000 !

Je note aussi en 1971 qu’une fusée comme Saturne abandonne 200 tonnes d’hydrogène dans la haute atmosphère. Or cet atome détruit l’ozone qui enveloppe le globe et nous protège des radiations ultraviolettes du soleil. On ne parlera que bien plus tard du trou dans la couche d’ozone ! Le comité pour l’environnement du sénat américain a calculé que la chaleur qui serait diffusée dans l’atmosphère en l’an 2000 si chaque citoyen du monde en venait à dépenser la même quantité d’énergie que l’Américain moyen en 1970, alors les glaces du pôle fondraient. Je prends vraiment conscience que c’est un suicide collectif que de vouloir rattraper le niveau de vie américain.

Une autre de mes notules à l’époque: « Pourquoi la croissance, pourquoi consommer, pourquoi toujours plus, pourquoi faire des enfants ? Pourquoi se déplacer, pourquoi ne pas trouver le bonheur avec sa voisine de palier ? A quoi sert-il de consacrer des millions de francs pour découvrir un nouveau produit pharmaceutique quand on sait par ailleurs que le cancer est causé en grande partie par la multiplication des substances carcinogènes ! La solution, remplacer le plus avoir par le plus être. Jusqu’ici les médias diffusent les mythes de la société moderne, la richesse, le développement, l’exhibitionnisme et le gaspillage. Des savants proposent la régression industrielle systématique. Je considère même personnellement la décroissance possible, si ce n’est nécessaire. »

Je pense en 1971 qu’une inquiétude plus profonde est en train de naître au cœur des hommes ; notre actuelle course à l’argent peut faire sans tarder place à autre chose. Je perçois aussi que les pays industriels sont plus vulnérables que les pays du tiers-monde à une désorganisation structurelle.

Le 13 avril 1971, j’écris à Pierre Fournier, l’écolo de service à Hara-Kiri : « Avec l’urbanisation de la campagne, la vie s’accorde de moins en moins directement aux rythmes biologiques et naturels. L’obligation faite de se mouvoir dans un espace plus restreint et artificiellement construit amèneront progressivement l’individu à perdre son autonomie individuelle. Quant à ton régime végétarien, c’est une profession de foi. Tu n’as pas expliqué en quoi ce serait une rationalisation de la conduite individuelle. Pour moi, un brin d’herbe est aussi respectable qu’un agneau, et il faut bien marcher et bouffer… Mais j’aime bien ce que tu écris… »

J’estime avec Fournier que l’équilibre écologique de notre planète est définitivement rompu. Je pense dorénavant que la paysannerie est le fondement biologique de l’humanité, l’urbanisation trop poussé pourrait devenir un génocide différé.

Dans LE MONDE du 18-19 avril 1971, le ministre de l’environnement Poujade : « On a dit que les pollueurs seront les payeurs. C’est une bonne formule qui n’est pas à écarter, mais il faut comprendre que les pollueurs paient aussi les ouvriers. Si on les étrangle économiquement, ils risquent de ne plus pouvoir payer ni le coût de la lutte contre la pollution, ni leurs investissements, ni leurs ouvriers. »

Déjà l’économie joue politiquement gagnant face à l’écologie, déjà un ministre oppose l’emploi et le respect des écosystèmes. Qui donc nous protégera contre les ministres de l’environnement ? Je me pose des questions du genre « Pourquoi développer constamment la production d’énergie ? » Je trouve que la demande d’électricité ne correspond plus à des besoins véritables. Je constate que la consommation ne peut plus fonder le nébuleux concept de « niveau de vie » ; elle correspond plutôt à la production de déchets et à la dégradation de la qualité de l’environnement. Il est difficile de suivre les effets d’un polluant dans le temps et il y a aussi une synergie des différents polluants. J’en déduis qu’il faut maintenant maîtriser les phénomènes de la vie (les écosystèmes) et non plus seulement ceux de la matière.

Je découvre donc en cette fin de quatrième année de sciences économiques (l’équivalent d’une maîtrise) que l’écologie va se dresser contre l’économie. Ce sera la recherche de l’optimum contre le culte du maximum. L’économie demande des réponses à brèves échéances, l’écologie envisage le long terme. Peut-être que quand on réalisera cette contraction, il sera trop tard pour agir. En économétrie, on préfère encore étudier le modèle fifi (physico-financier). L’information sur la pollution donnée par les mass media est en général présentée de façon déformée, inspirée par de puissants intérêts économiques ou par l’ignorance des fondamentaux par les journalistes.

En mai 1971, je m’abonne à « Survivre » de Grothendieck, par le biais duquel j’ai des contacts personnels à Bordeaux avec le fils Mendes-France, Michel. Il a une belle petite Volkswagen, peinturlurée façon hippie. Mais pas un grand sens de l’organisation. Le 14 juin 1971, je découpe des coupures de presse, sur les actions de la SEPANSO (« La nature, elle, n’attend pas »), sur « Alerte à l’accroissement du bruit dans les villes », sur « L’incinération d’une bouteille en matière plastique qui pollue 30 m3 d’air »… Le 15 juin 1971, j’écris à Grothendieck, de « Survivre journal ». Grothendieck, un mathématicien célèbre qui a tout compris de l’inanité des études scientifiques sans conscience et des menaces qui pèsent sur notre survie. Ma lettre n’était pas à sa hauteur !

Bientôt le PNB va s’accroître parce que l’eau et l’air seront des bien rares et donc monétarisés. Déjà le PNB commence à signifier Pollution nationale brute. Je questionne les emballages plastiques qu’on retrouve partout, l’évacuation des produits dangereux dans la nature, les nappes de mazout, les containers éclatés contenant des déchets radioactifs, la diffusion du DDT… Je questionne l’atomisation de l’habitat où la vie n’est saisie que dans sa matérialité, l’embouteillage qu’on subit patiemment seul à son volant…

Il faudrait intégrer les déséconomies externes dans le tableau de Leontief ! Mais l’analyse coût-avantage n’en est qu’à ses premiers balbutiements. On peut d’ailleurs douter qu’elle dépassera jamais ce stade. Car il me paraît impossible d’évaluer objectivement les déséconomies externes ou de formaliser des seuils de sécurité. Je rêve cependant d’une planification pour la sauvegarde de l’environnement. Je consulte le bulletin interministériel sur la RCB (rationalisation des choix budgétaires) qui s’interroge doctement sur la valeur de l’environnement. Par exemple comment cerner la valeur des forêts suburbaines ? Mais on fait seulement référence à leur valeur récréative en envisageant des études de fréquentation et des enquêtes de motivation ! (à suivre demain)

Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

Fragments de vie, fragment de Terre (suite) Lire la suite »

Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.

Premiers contacts avec l’écologie

Quelques idées générales : Le mot écologie a été inventé en 1866 pour désigner une science naissante qui étudie le biotope (territoire offrant des possibilités de vie durable pour une espèce) et la biocénose (ensembles des êtres vivants dans un même milieu). Étude longtemps limitée à des milieux spécifiques, l’écologie est devenue une approche globale des problèmes de la planète qui a débordé le niveau spécifiquement scientifique.

Le réchauffement climatique, la destruction de la couche d’ozone, la perte de la biodiversité, tout concourt à faire en sorte que l’écologie soit prise en compte par les politiques : les équilibres naturels sont trop fragiles face à la puissance techno-industrielle des humains pour que l’économie demeure une approche ignorante de l’écologie. L’écologie devient politique.

Je n’ai perçu cette évolution que progressivement.

Nous allions dans la propriété de mes grands-parents maternels sur les hauts de Lormont. Une grande maison, « La verdurette », arbres centenaires et verger, allées bordées de haies, des baies à ramasser, des escargots à dénicher, le paradis. Ma mère a pleuré quand on a vendu cette partie d’elle-même. Est-ce la raison de mon goût pour la nature ? Nous rendions souvent visite à mes grands-parents paternels. Une vieille maison en plein milieu des Landes, en plein milieu des bois. Le jardin potager, le puits avec un balancier, les mulets de l’agriculteur voisin. Les promenades en vélo au milieu des pins, sur les chemins de sable. Le paradis. Mon grand-père était un chasseur. Il faisait lui-même ses cartouches. Il m’amenait à l’affût. Nous restions des heures à savourer la nature. Et à tuer ! Le fusil était à l’honneur dans la famille. Pas pour mon père. Les influences sont contradictoires et c’est ce qui permet à l’enfant de choisir. Puis les lapins ont eu la myxomatose. Et le faisan ne s’envolait plus devant moi, il sortait d’un élevage. J’ai arrêté de chasser. Ainsi commençait mon écologisme.

On ne naît pas révolté. On ne naît pas plus écolo, on le devient. La société française à la fin des années 1960 ne sait même pas que l’écologie existe. Si j’adore les fleurs, leur odeur de merde dénaturée, c’est pour faire quelques effets dans une de mes innombrables missives. En 1969, j’envisage de rouler en vélo en ville, mais uniquement pour lutter contre les embouteillages de Bordeaux. Il n’y avait à ma connaissance aucun discours établi en écologie, tout commençait à zéro. Début 1970, c’est la BD de Gébé, l’an 01 ! A cette époque, je recopie quelques arguments de Bertrand de Jouvenel trouvés dans l’Expansion :

« La science économique s’intéresse à la transformation et consommation de matière et non aux emprunts et rejets. Elle sera démodée. Elle était valable quand l’homme grattait la terre de façon si légère que cela n’avait pas d’importance (…) Les pollutions ne s’échappent pas. Nous sommes dans une hutte où il n’y a pas de cheminée. »

Mais j’étais bien le seul en fac de sciences éco pour qui cette pensée obtenait un écho. Il me semblait préférable de savoir où va la merde que je libère en chiant dans un réseau connecté au tout-à-l’égout plutôt que de savoir que Keynes a pondu une théorie sur la monnaie. Un temps, j’ai même voulu devenir éboueur !

Je vais multiplier depuis lors les notules à consonance écolo : « En 1896, on croyait que les gens des villes allaient mourir puisqu’on avait remplacé le crottin par le gaz carbonique… L’érosion du sol coûte chaque année 200 000 hectares à la Colombie… » Mais je n’ai toujours pas intégré l’importance de l’enjeu écologique. Je crois encore que le travail est une lutte de l’homme contre la nature, de la société tout entière à la conquête de l’univers. Je vois des fusées qui partent très loin pour bâtir un monde nouveau, plus beau, à la sexualité libre et à la morale pure. C’est même le thème le plus fréquent de mes rêves éveillés.

Cependant, le 19 mai 1970, j’ai la révélation, je pense, j’écris : « Mon dieu à moi, c’est la nature. Par elle je retrouve les hommes et en respectant la nature, je respecte les hommes. Nos ancêtres divinisaient la nature, le judéo-christianisme a fait de dieu une abstraction, un dieu invisible alors que toute la nature nous chante dieu, mon orteil qui remue et le frisson d’une feuille. Pourquoi s’inventer un monde magique, expliquer l’évidence du monde par l’inexplicable ? L’homme, élu de dieu ? Pouah ! Je suis, et ça me suffit. Je ne vis pas par intermédiaire divin. »

En fait ma critique de la religion, qui a été la première affirmation de ma pensée, se transcende en assimilant le sacré et la nature. Je rejoins Spinoza sans le savoir encore. Pourtant c’est clair. L’idée de dieu n’est d’aucun secours, on arrive même à se foutre sur la gueule au nom du même dieu nommé différemment. La nature au contraire est la même pour tout le monde, un milieu où normalement il ferait bon vivre.

Si je pense tagger des affiches publicitaires, c’est d’abord par réaction. Je n’ai pas encore conscience du caractère totalitaire de la propagande des marchands. Mais j’ai des idées. Sur une affiche suggestive, inscrire « l’érotisme ne passera pas ». Sur une pub contre les publiphobes rajouter « J’en suis un, et vous ? ». Mon problème est encore le passage à l’acte. Il n’y a pas de casseurs de pub à l’époque, pas de mouvement constitué. Le 8 juin 1970 j’écrivais ce qui me semble toujours d’actualité : « Qu’est-ce que la violence quand les affiches publicitaires agressent l’homme qui pense. La publicité, c’est un conditionnement absurde à acheter l’inutile, l’appel au sexe subi, à l’orgueil, à la puissance et à l’envie. C’est nuisible. »

En mars 1971, j’étudie La persuasion clandestine de Vance Packard :

« Il est impossible d’établir comme postulat que les gens savent ce qu’ils veulent. Il est même dangereux de croire les gens capables d’une conduite rationnelle… Par homme, femme ou enfant d’Amérique, 53 dollars furent dépensés en 1955 pour le ou la persuader d’acheter… Certaines sociétés de produits de beauté se mirent à dépenser en publicité ¼ de ce que rapportaient leurs ventes… La publicité vient de créer le vieillissement psychologique des choses, grâce entre autre au phénomène de mode. Plus est grande la similitude des produits, moins le rôle joué par la raison dans le choix de la marque est important… »

Ernest Dichter constate qu’avec la pub il ne faut plus vendre des souliers aux femmes, mais de jolis pieds. La politique spectacle commence à apparaître. Richard Nixon envisage son métier de la même manière qu’un agent de publicité. Le candidat devient un produit qui se vend au public.

Début décembre 1970, je découvre avec Bombard que « dans dix ans, le thon de la Méditerranée aura totalement disparu. Pour cette espèce, on a atteint le point de non-retour. Pour l’homme, le point de non-retour sera atteint lorsque l’eau qui sert à nourrir nos cellules sera polluée à son tour. »

Jusqu’au XVIIIe siècle, l’homme a vécu en harmonie avec la nature. Depuis 150 ans, nous vivons dans un univers physico-chimique de plus en plus artificiel  ! J’étudie en janvier 1971 la physique contemporaine au travers de Werner Heisenberg. Pour lui, pour moi, la science n’est qu’un maillon de la chaîne infinie des dialogues entre l’homme et la nature. Mais comme on ne peut plus parler du comportement de la particule élémentaire sans tenir compte du processus d’observation, la division conventionnelle entre sujet et objet, entre monde intérieur et extérieur ne peut plus s’appliquer. Pour la première fois au cours de l’histoire, l’homme se retrouve seul avec lui-même sur cette terre, sans partenaire ni adversaire, ayant dompté les forces naturelles.

« Par l’accroissement apparemment illimité de son pouvoir matériel, l’humanité se retrouve dans la situation d’un bateau construit avec une si grande quantité d’acier que la boussole n’indique plus le nord, mais s’oriente vers la masse du bateau. Un tel bateau n’arrivera nulle part, il tournera en rond. »

Mes études d’économétrie en quatrième année de fac me semblent désormais voguer dans une autre galaxie.

Mais je vois encore l’espèce humaine comme un corps solidaire qui devrait se battre coude à coude CONTRE la nature, une humanité vouée à conquérir l’univers (février 1971). Teilhard de Chardin n’aide pas à me faire prendre conscience de mon anthropocentrisme, lui qui voit l’organisation de l’esprit succéder à celle de la matière. L’homme sur terre ne serait qu’un élément destiné à s’achever cosmiquement dans une conscience supérieure en formation : « n’est finalement bon que ce qui concourt à l’accroissement de l’esprit sur terre. »

Photons, protons, électrons et autres éléments de la matière n’auraient pas plus ni moins de réalité en dehors de notre pensée que les couleurs en dehors de nos yeux. Teilhard de Chardin préfigure sans doute le transhumanisme, il envisage une mécanisation du monde qui puisse déborder le plan de la matière. Il s’agit d’une mystique de la science dont je vais assez rapidement me libérer. J’éprouve confusément le sentiment que la préoccupation émergente pour l’environnement témoigne avec force combien l’action de l’homme n’est plus centrée sur l’homme seulement, mais relève aussi d’une conscience globale du milieu physique. (à suivre demain)

Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Bientôt un diplôme de « savoirs verts » !

La difficulté intrinsèque de l’éducation à l’écologie vient principalement du fait que les trois domaines que sont l’économie, la nature et le développement social, déjà complexe en eux-mêmes, doivent être appréhendés dans une perpétuelle interaction. Une approche globale, systémique, est donc indispensable. Dans une société où les règles de pensée sont extrêmement binaires (le monde est divisé en bons et méchants, entre pays riches et pays pauvres, etc.), la complexité n’est pas évidente à admettre. L’idée de complexité s’accompagne de la prise de conscience des interactions, des interdépendances, des systèmes ouverts et dynamiques.

L’école est bien loin de ce qu’il faudrait faire, on commence juste à envisager pour la 3e un apport de connaissances verdissantes…

Sylvie Lecherbonnier : A l’occasion de la remise des prix des écodélégués, le 23 juin 2023, le ministre a listé vingt mesures pour faire de l’école « le premier lieu d’engagement pour la transition écologique ». Les élèves de 3e pourront passer, à partir de 2024, une certification des « savoirs verts », sur le modèle de ce qui existe pour les compétences numériques. Les modalités concrètes de cette certification restent floues à ce stade. L’« éducation au développement durable » n’a cessé d’être musclée ces dernières années à coups de circulaires et de refontes des programmes scolaires, mais le système éducatif français pâtit de sa construction disciplinaire et tubulaire, là où la transition écologique appelle à des compétences plus transversales. Mathieu Gonord, coordinateur du Collectif français pour l’éducation à l’environnement vers un développement durable (EEDD), le note : « Une approche systémique commence à être proposée. Tout dépendra de comment elle est déclinée concrètement.

Le point de vue d’un écologiste

Michel SOURROUILLE sur ce blog il y a 17 ans résumait bien  l’incompréhension institutionnelle de l’urgence écologique et de la nécessité d’une rupture civilisationnelle :

En avril 2006, j’étais LE référent d’un lycée quant à l’EEDD (Education à l’environnement et au développement durable). J’ai fait connaître ma position « Comme je suis un adepte de la pédagogie de la catastrophe (pour que ce ne soit pas la catastrophe qui serve de pédagogie), je me permets de vous envoyer les statistiques suivantes à utiliser sans modération (Statistiques tirées du livre de Jancovici et Grandjean, « Le plein s’il vous plaît ! » au Seuil, 2006) ».

La responsable académique EEDD dans son rôle institutionnel : « La notion de « pédagogie de la catastrophe » est totalement contraire à la circulaire de juillet 2004  : « L’éducation à l’environnement pour un développement durable doit être une composante importante de la formation initiale des élèves, dès leur plus jeune âge et tout au long de leur scolarité… La prise de conscience des questions environnementales, économiques, socioculturelles doit, sans catastrophisme mais avec lucidité, les aider à mieux percevoir l’interdépendance des sociétés humaines avec l’ensemble du système planétaire et la nécessité pour tous d’adopter des comportements propices à la gestion durable de celui-ci ainsi qu’au développement d’une solidarité mondiale. »

Ma réponse : Bien reçu tes précisons sur le catastrophisme. Mais à mon sens, ce n’est pas faire du catastrophisme (termes du texte officiel) que de montrer la réalité aux jeunes que nous éduquons (épuisement des ressources fossiles, choc climatique, stress hydrique, perte de biodiversité… sans compter le poids des dettes que nous léguons en France aux générations futures. C ’est pourquoi je continue de penser (avec des connaissances très précises sur la question, pas seulement environnementales, mais aussi économiques, sociales et politiques) que malheureusement la catastrophe va bientôt sonner à notre porte parce que nous aurons été trop mou pour envisager notre avenir proche et lointain.

Dernier courriel de la responsable académique : « Le terme de « pédagogie de la catastrophe » me semble trop fort et peu adapté. Je suis comme toi globalement inquiète sur l’avenir  mais  le catastrophisme ne peut, selon moi convenir pour les enfants ou même les jeunes à qui nous laissons un monde difficile, ce n’est pas à eux de porter ce fardeau que nous n’avons su assumer. Leur avenir professionnel est déjà tellement sombre… »

Nous sommes en 2023, nos institutions n’ont rien appris depuis l’époque…

Voici quelques commentaires des « savoirs verts sur lemonde.fr

jamaiscontent : « L’« éducation au développement durable » n’a cessé d’être musclée ces dernières années « . Rien n’est plus faux. A certains niveaux, en 5ème par exemple, il y a de l’EDD au programme de géographie: gèrer et préserver les ressources, blablabla… Puis en 4ème, toujours en géo, qu’est-ce qu’on apprend aux élèves? La mondialisation, le commerce maritime international et l’explosion des mobilités, touristiques en particulier. Sans que les programmes prévoient le moins du monde de faire un lien entre cette mondialisation et l’épuisement des ressources, la perte de biodiversité, le réchauffement climatique.

Voltaire : En 3e, il y a déjà l’ASSR, la certification informatique, le stage, le rapport de stage, voire l’oral de stage, l’oral de brevet, le brevet blanc, voire le 2e brevet blanc, le brevet. L’année est rythmée par de nombreuses exigences qui se sont rajoutées au fur et à mesure. Cela devient difficilement gérable.

E.3.41 : Je parie que la seule vérité, à savoir baisser drastiquement nos niveaux de consommation dans tous les domaines, ne sera jamais enseigné. La conscience vert oui, mais au service de la croissance, hein.

Zenith : Je propose une certification du « savoir vert » pour être élus ou dirigeants d’entreprise, la presque totalité n’y connaît pas grand chose .

Michel SOURROUILLE : Les disciplines, telles qu’elles sont enseignées aujourd’hui, sont issues d’un découpage artificiel, conséquence de l’explosion des connaissances. Chaque professeur sa spécificité. Le fonctionnement disciplinaire de l’école est un résidu encore tenace de la fragmentation cartésienne. L’affaiblissement de la perception du global conduit à l’affaiblissement de la responsabilité, chacun tendant à n’être responsable que de sa tâche spécialisée. Née dans un monde séquence, découpé, l’écologie a  été inventée pour nous rappeler que rien ni personne ne peut survivre en vase clos. Cette capacité à sortir des cadres de la pensée unique ne peut se forger qu’en prenant du recul. Nous touchons là un point crucial, l’importance du développement d’un esprit critique pour dépasser la soumission à la vulgate libérale et permettre à l’individu d’aller de la simple obéissance au système à la responsabilité, et pourquoi pas, à la désobéissance civile.

En savoir plus grâce à notre blog biosphere

Scolarité, l’éducation à l’écologie absente

extraits : La catastrophe va bientôt sonner à notre porte parce que nous aurons été beaucoup trop mous pour s’engager dans une autre voie qu’un croissancisme mortifère. Mais chut, il ne faut pas le dire aux élèves.

La difficulté de l’école à enseigner l’écologie

extraits : Apparue en France en 1977, l’éducation à l’environnement y a été reprise sous l’intitulé plus euphémisé d’« éducation au développement durable » avec une succession de circulaires. L’interdisciplinarité pour aborder la question de l’environnement est une modalité constante de ces sept textes. Or, le caractère interdisciplinaire rend compliquée leur mise en œuvre .

2027, ministère des Générations futures

extraits : La Charte de l’environnement de 2005 a été incluse dans la constitution française. Son article 8 explicite clairement que « l’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». L’éducation à l’environnement et au développement durable (EEDD), introduite dans le Code de l’éducation (article L.302-19) comme mission générale de l’école, devrait déboucher sur la transversalité de l’éducation et la polyvalence des enseignants.

Bientôt un diplôme de « savoirs verts » ! Lire la suite »

Malm et la destruction de biens nuisibles

Le capitalisme a intégré les catastrophes naturelles à la loi du marché et se porte à merveille. Peu importe le nombre et l’amplitude des catastrophes environnementales, la Terre sera toujours assez grande et luxuriante pour qu’une poignée de rupins aux dents en platine savourent le spectacle inouï de la fin du monde, confortablement assis dans un resto chic, buvant sans ironie une Corona accompagnée d’un guacamole bio, sniffant avec nonchalance de la coke sans OGM…

Agir contre le capitalisme destructeur n’est pas de la violence, c’est de la contre-violence.

Andreas Malm : « Au milieu d’une vague de répression instiguée par l’Etat français à l’encontre des militants écologistes (qui s’inscrit dans une escalade autoritaire beaucoup plus vaste menée par le président Macron et ses alliés), mon livre Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020) a été cité dans un décret de dissolution : il serait à l’origine de tous les « désordres » attribués aux luttes environnementales dans la période récente. L’Etat français a dû inventer un gourou, un maître à penser qui aurait par avance théorisé leur passage à l’acte. Si je respecte et admire Les Soulèvements de la Terre, nous ne sommes pas particulièrement liés. Mon livre a contribué à un débat plus large au sein du mouvement écologiste, amené à se poser des questions difficiles sur ce qu’il est urgent de faire dans une situation où les effets du changement climatique s’intensifient et s’accélèrent, mais où les Etats hégémoniques sont déterminés à agir de façon minimale ou à ne pas agir du tout. Je fais valoir que tous les mouvements ayant provoqué des changements sociaux de grande ampleur – des suffragettes et des mouvements anticoloniaux jusqu’au mouvement des droits civiques dans les années 1960 et au-delà – ont, dans certaines circonstances, eu à mettre en place des tactiques spécifiques.

Mon propos est simplement d’ouvrir un débat sur la légitimité d’actions de désobéissance, notamment sur des sites-clés de l’infrastructure et de la logisitique du capitalisme fossile. Je suis loin d’être le seul auteur à soutenir que nous devons désactiver rapidement et de manière décisive l’infrastructure des combustibles fossiles. Et soyons clairs ici, je parle de propriété, d’objets matériels, pas de personnes – je n’ai jamais prôné la violence contre des individus ou des groupes. Il est proprement stupéfiant que ces propositions relativement modestes soient maintenant qualifiées de « terrorisme intellectuel » ou d’« actions extrêmes allant jusqu’à la confrontation avec les forces de l’ordre » par le ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin. Le capitalisme fossile nous conduit à toute vitesse vers le précipice. Quelqu’un doit tirer le frein d’urgence. Si les gouvernements ne le font pas, qui le fera ? »

Le point de vue des écologistes malmiens

JideW : Tribune modérée pour quelqu’un qui est accusé d’être un « terroriste intellectuel » ! C’est inadmissible qu’un ministre de l’intérieur accuse quelqu’un de terrorisme intellectuel : soit une personne fait des appels à la violence, à la haine au sens du code pénal et il doit être poursuivi par la justice, soit c’est la liberté de penser et de s’exprimer et c’est le travail du ministre de l’intérieur de garantir cette liberté, pas de l’empêcher. Si le ministère de l’intérieur ne fait pas la différence entre des mots et des actes alors il y a de quoi s’inquiéter pour nos libertés

Lala duppn : C’est comme le coran. Le problème n’est pas le livre, le problème c’est l’interprétation qui en est faite.

Michel SOURROUILLE : Militant non violent, en soutien aux objecteurs de conscience dès les années 1970, pacifiste convaincu, j’ai connu les matraques de Franco quand on a soutenu les objecteurs espagnols. Je sais ce que veut dire la violence étatique, elle a toujours existé, trop souvent pour empêcher stupidement d’aller vers un monde meilleur. Le concept de violence est un mot valise qui mélange légalité et légitimité, il faut parfois se faire violence et parfois même se défendre contre la violence, même s’il y a mort d’homme. Par exemple si je vivais dans l’Allemagne nazi, j’essaierai de tuer Hitler. Mais pour les dégâts environnementaux actuels, personne n’est responsable puisque tout le monde est coupable de la dégradation de la planète. Pas de cible désignée. Alors des destructions  de bien nuisibles à notre environnement, pourquoi pas ? Bon, tu peux maintenant me dénoncer à Darmanin…

Christian Waterkeyn : La seule manière raisonnable de saboter un pipeline est de cesser de consommer du pétrole !

OLIBRIUS : En 1800 nous étions un milliard d’humains sur terre. Si nous n’avions pas dépassé ce chiffre, malgré l’utilisation des énergies fossiles, il n’y aurait pas de péril écologique. Sauf que l’évolution a fait de l’homme un obsédé sexuel qui ne pense qu’à se reproduire et nous voilà 8 milliards. Dans quelques centaines d’années nous serons réduits en nombre par les guerres, les famines ou les épidémies.

Le débat avec ceux qui ne comprennent rien

RobinsonLeon : selon Malm, « Mon propos est simplement d’ouvrir un débat exigeant sur la légitimité d’actions de désobéissance ». La désobéissance n’existe pas, il n’y a que de la délinquance déguisée. Les faux écolos, menaçants et violents doivent être poursuivis, appréhendés et punis.

HEGEL : Doivent être aussi poursuivis et appréhendés tous ceux qui par leur action ou parleur abstention contribuent à la poursuite du dérèglement climatique,les seuls et premiers responsables du monde dystopique dans lequel nous continuons de vivre!

RobinsonLeon : Eh bien, Hégel, militez donc pour faire inscrire vos nobles idées dans la loi française, et en attendant, acceptez que les lois actuelles soient appliquées.

X.ARANUI : Argumentation inutile : nul besoin de l’évocation d’un gourou pour rejeter cette tendance écologique radicale qui va encore retarder davantage la mobilisation de la majorité silencieuse. Tribune spécieuse.

MLelong : X. Aranui, mais de quelle « mobilisation de la majorité silencieuse » parlez-vous ? vous plaisantez ! la France en matière d’Ecologie est en retard sur ses objectifs, rappelée régulièrement à l’ordre par les Instances internationales, raillée par le monde entier sur les mesures toujours remisées du courageux Président Macron… et touchée par des catastrophes dues au dérèglement du climat, comme jamais elle ne l’a été. Vous pensez que notre jeunesse va attendre encore 3 ou 4 ans pour que les Autorités françaises décident enfin de prendre les mesures qui s’imposent et arrêter de museler la parole des opposants en les présentant aux yeux de nos compatriotes pour des extrémistes ou des terroristes !

Pommepoirescoubidou : « il y a toutes les raisons d’imaginer que les mouvements de masse prendront eux-mêmes en charge le « désarmement » du capitalisme fossile ». 40 millions d’autos en circulation en France, on attend de voir « les masses » détruire leur propre véhicule…

Volcelest : Malheureusement nous n’avons plus le temps. Il fallait se réveiller avant. Même si je désapprouve la violence, je pense que celle ci a une origine, qu’elle ne naît pas toute seule et qu’elle est même consécutive des violences moins voyantes mais toutes aussi délétères commises par nos gouvernants passés et présents, par notre système économique et par nos égos atrophiés qui ont été formatés à vouloir toujours plus, qui ont cru que nous étions au dessus de la nature alors que nous en faisons partie. Je pense que ceci n’est que le début. Et que si cela n’avance pas assez vite, les évènements violents provoqués par l’humain et la nature ne feront qu’empirer. Alors oui, je pense que ces mouvements sont importants. Ils viennent appuyer là où ça fait mal.

Eric D. : D’autant que « Comment saboter un pipe-line » n’est qu’une redite de l’excellent « Boire des cocktails Molotov avec Gandhi » de Mark Boyle, publié en 2015. Le sous-titre : « résister, se rebeller, réensauvager » annonce la couleur. Il montre comment notre société capitaliste nous abreuve de “biens” (souvent nocifs), mais peut, dès qu’on s’oppose à elle, se transformer en machine de guerre. Question : l’écocide est-il aussi grave que le génocide ?

Michel SOURROUILLE : Mark Boyle se livre à une réflexion profonde et argumentée sur notre rapport à la violence contre les biens (jamais contre les Hommes) quand il s’agit de protection de la nature. Elle est justifiable ! Dans l’Histoire, le réformisme a eu besoin des radicaux pour obtenir gains de cause. Et finalement, tout le monde n’est-il pas indispensable quand il s’agit de défendre ce qui nous permet d’être en vie, alors que la Machine (notre civilisation basée sur le profit) tend à le détruire ? Mark vit en Irlande, dans une ferme qu’il a volontairement coupé de tous les réseaux, pas d’électricité, pas d’eau courante, déconnecté de la technologie. Pour le contacter, lettre postale. Auquel il répondra au crayon à papetier !

Fred Dubé : La Machine, c’est «la banalité du mal» d’Hannah Arendt appliquée à l’écocide. Cette mécanique qui consiste à morceler au maximum les différentes étapes d’un crime atroce que personne ne saurait individuellement s’en incriminer. Le maillage est idéal pour que perdure une société-usine dont l’énergie vitale dépend de la destruction du monde, sans que jamais notre empathie ne s’en trouve sollicitée, et encore moins alarmée. La violence de la Machine est première, et la nôtre, celle des oppressés, tiendrait plutôt de la légitime défense.» Faudra-t-il qu’on brûle les biens nuisible à la planète pour qu’on retrouve notre dignité ?

Helder Camara, évêque catholique brésilien : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » 

Jeannot : Quelle discussion hors sol. Le problème c’est surtout que le monde étant ce qu’il est avec 10 milliards d’individus, des états et des nations prêts à tout pour tirer leur épingle du jeu, on continuera à extraire les énergies fossiles jusqu’à la dernière goutte. Se préparer au réchauffement et à l’épuisement des ressources est tout ce que l’on peut faire.

Malm et la destruction de biens nuisibles Lire la suite »

Th. Kaczynski, adepte de la contre-violence

L’Américain Theodore Kaczynski, dit « Unabomber », a été retrouvé mort le 10 juin 2023 dans la prison où il était incarcéré à perpétuité pour avoir commis entre 1978 et 1995 une série d’attentats, qui ont fait trois morts et vingt-trois blessés. Au delà de sa violence envers des personnes, il faut retenir son message.

Le Monde avec AFP : Brillant mathématicien devenu ermite, Theodore Kaczynski s’était lancé dans une croisade contre le progrès et la technologie. En septembre 1995, promettant d’arrêter ses envois de bombes, il obtient du New York Times et du Washington Post qu’ils publient un long manifeste dans lequel il exprime une haine de la technologie et du monde moderne.

Le point de vue des écologistes qui ont lu Kaczynski

Kaczynski écrit dans son journal le 14 août 1983 : « J’ai débuté une randonnée à pied , ce que j’ai trouvé m’a brisé le cœur. Le plateau était quadrillé de nouvelles routes, il était abîmé à tout jamais. C’était l’endroit le plus merveilleux et le plus isolé des environs… La seule chose qui pouvait désormais le sauver était l’effondrement de la société technologique. Le jour suivant, je me suis arrêté près d’une source d’eau pure et j’ai dit une sorte de prière. J’ai juré que je vengerais les dommages causés à la forêt.Vous pouvez deviner ce que j’avais à faire (…) La violence n’est pas mauvaise en elle-même, elle peut être bonne ou mauvaise selon la forme qu’elle prend et selon le but qu’elle vise. La société moderne inculque aux gens l’horreur de la violence car le système techno-industriel a besoin d’une population docile, une population qui ne posera pas de problème et qui ne perturbera pas le fonctionnement bien régulé du système.

Patrick Barriot : la violence politique est illégitime lorsqu’elle est dirigée contre un régime démocratique où les citoyens ont les moyens de résister pacifiquement. Mais cet argument ne tient pas. D’une part la violence des régimes démocratiques est une violence masquée par la propagande d’Etat. D’autre part, pour les révolutionnaires, la résistance pacifique est totalement inefficace contre une violence systémique. Il était grand temps de mettre en balance l’action ciblée et assumée du révolutionnaire et celle du grand semenciers qui accule au suicide des centaines de milliers de petits paysans. L’Earth Liberation Front est une organisation qui a recours à l’action directe sous la forme de sabotage économique afin de faire cesser l’exploitation et la destruction de l’environnement. Pour l’écoguerrier Paul Watson, la protestation pacifique de Greenpeace ne mène à rien et la non-violence est une forme de suicide. Les activistes de l’Animal Liberation Front prônent la violence contre les laboratoires qui pratiquent la vivisection et les élevages industriels. Le néoluddisme est un mouvement d’opposition aux technologies qui se réclame des ouvriers anglais du textile qui détruisirent entre 1811 et 1813 des milliers de machines perçues comme une menace pour leur mode de vie. Des groupes de tech-refuzniks n’hésitent pas à utiliser la violence : fauchage de champs d’OGM, destruction de matériel informatique.  La violence dont a fait preuve Ted Kaczynski est une réaction de légitime défense face à un système techno-industriel menaçant. Tous les écrits de Kaczynski soulignent le mépris inouïe de cette société technicienne pour la liberté et la dignité humaines. Jamais l’homme n’a été autant assujetti, privé d’initiative, incapable d’infléchir le cours de l’histoire. 

Une présentation du livre

« L’effondrement du système technologique »

de Theodore J. Kaczynski (édition Xénia, 2008)

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KACZYNSKI (2007)

Kaczynski sans portable (2008)

Des bombes contre la société industrielle, Kaczynski (2014)

Kaczynski contre la technologie cloisonnée (2019)

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Rassemblement national, écologisme superficiel

Le discours du Rassemblement national (RN, ex FN) sur l’écologie a toujours été marqué par le rejet ou l’indifférence. La récupération actuelle de cette thématique relève essentiellement de l’opportunisme, les fondements idéologiques de l’extrême droite restent les mêmes.

Pierre Madelin : « Jean-Marie Le Pen était généralement hostile à la protection de l’environnement, avec des accents parfois climatosceptiques. En 2017, il a par exemple déclaré que « sans le réchauffement climatique on mourrait de froid ». Il avait comparé, en 1989, le parti écologiste à une pastèque, expliquant que ses adhérents étaient verts à l’extérieur, rouge à l’intérieur. Mais face aux évolutions de la société, le RN se saisit depuis quelques années de différents enjeux qu’il négligeait auparavant. C’est le cas des droits des femmes, de la cause LGBT et, désormais, de l’écologie. Le parti met en avant le localisme. Le localisme sert de passerelle vers les thèmes identitaires et nationalistes. Marine Le Pen déclarait, en 2019, qu’il fallait protéger « les écosystèmes, à commencer par les écosystèmes humains que sont les nations ». A la même époque, Jordan Bardella, qui n’était pas encore le président du Rassemblement national, affirmait, pour sa part, que « le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière ». Si l’on peut relocaliser les activités économiques, il faudra aussi relocaliser les êtres humains, ceux que l’extrême droite estime ne pas être de véritables Français. La critique des énergies renouvelables est un autre élément important de ce nouveau discours. Les éoliennes sont particulièrement visées. Elles contreviendraient au localisme, car elles seraient imposées sans concertation dans les territoires. A l’inverse, le nucléaire est défendu, il représente aux yeux du RN un socle sur lequel asseoir la souveraineté énergétique de la France et permet de décarboner l’économie. Ces propos relèvent d’un « greenwashing » nationaliste. On voit que le RN reste fortement imprégné par son fond libéral, productiviste et technosolutionniste.

A travers le monde, les principales forces politiques d’extrême droite rejettent généralement l’écologie. L’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, Donald Trump aux Etats-Unis, Vladimir Poutine en Russie, ou encore le premier ministre indien, Narendra Modi, sont des défenseurs des énergies fossiles, des acteurs de la déforestation, et s’opposent aux accords internationaux en faveur du climat. »

Le point de vue des écologistes ni droite, ni gauche

En fait si on se place dans la gestion du long terme, ce qui est la nature même de l’écologie politique, la fracture ne se trouve pas entre les étiquettes partisanes, mais plutôt entre un écologisme superficiel et l’écologie de rupture. L’écologie de rupture avec le système thermo-industriel devient une nécessité avec une planète en surchauffe. Or il faut noter la convergence de LRM et du RN, le déni de la crise écologique. Macron ne veut pas transformer le système productiviste et consumériste si ce n’est à la marge, avec des slogans sans conséquence ou le culte d’innovations salvatrices. De son côté Marine Le Pen se refuse complètement à traiter l’urgence écologique.

Que pense de fait Marine Le Pen : « Science de la vie, l’écologie est aussi une source de la joie de vivre, de la beauté des choses, et du bonheur d’être français … Mais la défense de l’environnement a des ennemis , l’écologisme, cette politique qui consiste à peindre en vert les pires atteintes à l’environnement (et surtout)  l’écologie radicale, ce fondamentalisme qui entend en finir avec les modes de vie, les traditions et les mœurs qui sont les nôtres et prendre le contrôle de chacun de nos gestes… qui entend soumettre les Français aux diktats d’une écologie punitive… » Ce texte issu de son programme de présidentiable en 2021 montre bien sa condamnation de tout écologisme de rupture, assimilée à une punition. Refuser de dire aux Français et Françaises que la transition écologique va demander beaucoup d’effort et dans tous le domaines est la marque du populisme, flatter l’électeur dans le sens du poil, se contenter de désigner des boucs émissaires.

Mais au fond le localisme, c’est aussi écologique. C’est instaurer en d’autres termes des communautés de résilience, recherchant l’autonomie territoriale au niveau alimentaire et énergétique. Produire local, bouffer local, c’est écolo. Les circuits courts, c’est écolo. Des éoliennes « made in France » seraient un peu plus écolo que des éoliennes chinoises ou même espagnoles. La mise en œuvre de l’écologie, c’est compliqué. Se contenter d’un discours nationaliste anti-immigrés, c’est plus que superficiel. Pourfendre les éoliennes mais adorer les centrales nucléaires, c’est du délire.

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19 avril 2023, L’écologie, impensé du Rassemblement National

19 avril 2023, Projet de l’écologiste Marine Le Pen

14 mars 2021, L’écologie vert de gris de Marine Le Pen

3 octobre 2019, L’écologie selon Marion Maréchal Le Pen

19 avril 2019, Pour Marine Le Pen, l’écologie se résume au localisme

5 mai 2017, L’écologie n’était pas à la fête avec Macron et Le Pen

30 décembre 2016, Front National, un programme superficiellement écolo

27 décembre 2014, Le Front national écolo ? Son passé plaide contre lui

9 mars 2012 Marine Le Pen, l’écologie à la hache

19 janvier 2011, Marine Le Pen est-elle écolo ?

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Violence, contre-violence et dissolution

Cela fait maintenant plus de deux mois que Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, a déclaré à l’Assemblée nationale que le groupement de fait Les Soulèvements de la Terre allait être dissous. Pourtant, depuis cette date, rien ne s’est passé. Ce cas illustre les limites du recours à la dissolution des groupes radicaux, qu’ils soient d’idéologie fasciste ou écologiste. Avant de développer l’argumentation, notez que pour nous il y a plusieurs sortes de violences à ne pas confondre. Il y a la violence du système thermo-industriel qui nous a enfermé dans une impasse, réchauffement climatique, extinction de la biodiversité, stress hydrique, etc. Face aux entreprises destructrices du vivant, il y a la contre-violence de quelques militants qui défendent les générations futures contre cette agression. Et puis il y a la violence d’État qui soutient la violence de ce système croissanciste aveugle.

Abel Mestre : Depuis l’adoption de la loi du 10 janvier 1936 pour lutter contre les ligues d’extrême droite de l’entre-deux-guerres et éviter un coup de force de type fasciste. Quelques 150 procédures de dissolutions ont été engagées. Au fil du temps, les critères de dissolution se sont élargis. Aujourd’hui abrogée, la loi de 1936 a été reprise telle quelle dans l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure.

Modifié par la loi du 24 août 2021, il dispose que « sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

Pour Me Pascual, une des avocats du collectif écologiste « Les Soulèvements de la Terre » cette nouvelle disposition est beaucoup trop vaste : « Cela permet de soutenir tout et n’importe quoi. Les violences contre les biens, cela n’existe pas. Rien que ce terme pose question. Par exemple, en pénal on parle de dégradations. Ces notions sont tellement floues et indéterminées qu’elles permettent de dissoudre des mouvements écologistes de base. Il n’y a pas eu une seule manifestation contre la réforme des retraites où il n’y a pas eu de dégradations. Cela veut dire que l’on pourrait dissoudre la CGT ou la CFDT ? »

Le dispositif connaît plusieurs limites. D’abord, une dissolution disperse dans la nature des militants radicaux qui sont plus faciles à surveiller quand ils sont rassemblés dans une organisation légale, qui les « canalise ». C’est l’inconvénient du “coup de pied dans la fourmilière”, on perd la trace des éléments les plus dangereux . En outre, la dissolution n’empêche pas les anciens membres de se replier sur une autre structure qui poursuit les mêmes buts mais avec un autre sigle. La structure disparaît, les idées continuent néanmoins de se diffuser. Enfin, la vraie limite de la sis solution est son obsolescence. Il vise des structures politiques « à l’ancienne », organisées et hiérarchisées, bien loin des nouvelles formes de militantisme radical, qui sont souples et fonctionnent dans une logique décentralisée.

Le point de vue des écologistes radicaux

HENRI F : L’important c’est de juger des idées. Certes le nazisme et ses épigones doivent être combattus. Mais l’écologie radicale doit elle être appelée écoterrorisme ? Certaines luttes sont à comprendre car conformes à l’intérêt général et collectif même si cela va contre les intérêts des entreprises mondialisées qui vivent de leurs rentes issues de la révolution industrielle.

Pfon : Le mouvement écologiste n’est ni d’extrême droite ni d’extrême gauche. Il est d’extrême écologie c’est à dire prêts à des actions d’éclats pour faire bouger les choses. Il est très clair aussi que plus les manifestations du changement climatique se feront sentir, c’est à dire dans les 10/20 ans qui viennent, plus il y aura de mouvements qui se radicaliseront. Faut-il les blâmer ? L’avenir des jeunes est bien sombre. Le malheur c’est que les dirigeants de cette planète ont tous, sauf exception, plus de 70 ans, qu’ils seront morts quand les gros problèmes arriveront, et que les bonnes décisions (coercitives) tardent à venir. Coercitives en effet car nous avons devant nous soit le chaos soit un changement de paradigme qui sera douloureux.

Gassendi : Commençons par faire payer aux casseurs les coûts de la remise en état de leurs destructions, ça calmera beaucoup de radicalité.

Nimbus : En revanche, dissoudre Total pour éco-terrorisme serait une grave atteinte à la démocratie !

Artemis purple : Dissolution de la FNSEA, groupe radical parmi les groupes eco-terroristes. Il y a longtemps que ça aurait dû être fait !!

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La nécessaire radicalisation des militants écologistes (2017)

extraits : Les opposants au centre d’enfouissement revendiquent des actes de « sabotage ». La petite commune de Bure est, du 19 au 26 juin, le foyer d’une semaine de mobilisation contre le projet Cigéo qui, porté par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), est destiné à enfouir les résidus nucléaires français à haute activité et à vie longue. Or, ces derniers jours ont été émaillés d’actions violentes, dont la radicalité est revendiquée par les opposants à ce « cimetière atomique » : vol de matériel (caisse à outils, câbles en acier…), édification d’une barricade, dégradations dans un hôtel-restaurant situé en face du siège meusien de l’Andra… Il est même étonnant que si peu de militants s’attaquent à ce qui fait le malheur des générations futures, nucléaire, centrales au charbon, raffineries de pétrole, gazoducs, aéroports inutiles, etc.

Urgence écologique de la contre-violence

extraits : En Allemagne, les autorités criminalisent le mouvement écologiste radical Letzte Generation(« dernière génération »). Pourtant le mouvement écologiste est d’essence non-violente. Par contre la violence d’État par justice interposée signifie l’absence de sensibilité écologique d’un gouvernement quand il réprime férocement les militants. C’est le déni gouvernemental de l’urgence écologique qui fait en sorte que la non-violence peut se transformer en contre-violence, par exemple par la destruction de biens nuisibles à la planète. Saboter un pipeline, est-ce de la violence ? L’existence du pipeline n’est-il pas déjà une violence ?

Darmanin, c’est pas bien de dissoudre SLT

extraits : M. Darmanin peut dissoudre tout ce qu’il veut et continuer à pisser dans sa bassine. Ce n’est pas cela qui fera avancer la question de la non-adaptation de l’agriculture française à ce qui est déjà là. Qu’elle sèche donc avec son épis de maïs à la main, la terre se soulèvera quoiqu’il en soit.

Écologie radicale ou écologie réformiste ?

extraits : Notre modèle de développement est un modèle de destruction et la véritable guerre mondiale, c’est celle qui oppose notre espèce à son environnement global. Face à ce constat, deux types de réponse, deux écologies. Une écologie « superficielle » et une écologie « profonde », que le philosophe norvégien Arne Næss (1912-2009) s’est attaché à distinguer dès 1973. « Superficielle », en raison de son inclination à proposer des solutions techniques sans s’attaquer aux racines d’un productivisme axé sur une conception anthropocentrée du monde. « Profonde », parce qu’elle associe l’humanité à toutes les formes du vivant. La fracture s’amplifie entre une écologie « conciliatrice » avec le productivisme et une écologie « radicale » qui cherche à rompre avec lui.

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Rupture écologique par l’égalitarisme

La « transition » écologique est nécessaire et c’est la justice sociale qui la rendra possible. Aussi, tant que les injonctions à la sobriété collective voisineront avec le spectacle du luxe privatisé, la rupture écologique sera source de défiance. La grande bifurcation ne sera possible que si elle est juste ; plus elle sera juste, plus elle sera partagée ; plus elle sera partagée, plus elle sera profonde.

Eloi Laurent : « Il n’est pas inutile de « cibler » les comportements insoutenables (jets privés, voyages lointains à répétition, etc.). Si l’on retient les estimations les plus prudentes, les 10 % les plus fortunés seraient responsables de 40 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, tandis qu’un impôt qui porterait sur leur patrimoine pourrait rapporter en France 25 % des recettes nécessaires au financement des investissements de décarbonation de l’économie. Mais, surtout, une transition humaine est affaire de dynamique sociale, c’est-à-dire de réaction en chaîne enclenchée par un amorçage. Le sociologue américain Thorstein Veblen (1857-1929) a montré, au tournant du XXᵉ siècle, de quelle manière les comportements de consommation ostentatoire de la classe de loisir se répandent par capillarité dans l’ensemble de la société. Pour le dire autrement, il faut d’abord taxer les émissions de luxe avec recyclage social des recettes, plutôt que les émissions de survie sans compensation sociale des prélèvements, comme on l’a fait en 2018, avec pour conséquence la révolte des « gilets jaunes »…

Lire, Théorie de la classe de loisirs de Thorstein Veblen (1899)

Le deuxième nœud, le cœur même de la crise écologique, c’est l’obsession de la croissance. Les programmes de transition envisagés dans les cercles gouvernementaux font l’impasse sur le dépassement de la croissance économique comme horizon social, confondant efficacité et sobriété, misant sur un découplage infondé empiriquement et rabattant trop souvent le bien-être sur le pouvoir d’achat. C’est dans l’articulation entre transition juste et post-croissance que réside l’espoir de maîtriser nos crises écologiques. »

Le point de vue des écologistes partageurs

Antivirus : Attention ceci n’est pas un piège mais une vraie question. Quel est le pourcentage des Français qui n’est pas dans les 10 % les plus riches au niveau mondial ?

Toujours plus surpris : Effectivement les gilets jaunes sont des riches à l’échelle mondiale et devront aussi faire des efforts de sobriété en limitant les odeurs d’essences et de barbecues autour d’eux.

Klaatu Vanuatu : A vue de nez, 30% des Français font partie des plus riches du monde. Cela fait beaucoup de monde. La symbolique de l´effort à exiger des plus riches est certes importante, mais penser qu’eux seuls doivent faire des efforts pour avoir un effet est faux. C´est un vaste mensonge que de faire croire qu´on peut baisser les émissions sans effort de tous. De toute façon on aura quand même droit au réchauffement car les deux tiers de l´humanité s´en tapent car ils aspirent avant tout à un meilleur niveau de vie.

Jean-Charles : Sachant que les Français les plus pauvres sont plus riches que 85% de la population mondiale, il serait légitime qu’ils fassent aussi un effort. N’oublions pas qu’avec les seuls services publics, chaque Français consomme déjà 1,5 tonne de CO2, alors que la consommation globale d’un Français devrait être à 2 tonnes de CO2 pour limiter le réchauffement climatique.

Frog : Au passage, il m’a toujours semblé curieux que les riches et les puissants ne se sentent pas tels qu’ils sont, riches d’ostentation : ils pourraient miser sur leur intelligence, leur leadership, leur qualités humaines, mais non, ils ont besoin surtout de polluer. Cela met pas mal en doute la nature humaine. Bref, le riche de base donne le mauvais exemple alors qu’il lui serait pourtant si facile de se montrer intelligent, audacieux et exemplaire.

Thufyr : Totalement d’accord… l’intelligence et les qualités humaines des riches restent à démontrer. En général on ne fait pas fortune en étant généreux et en démontrant de l’empathie pour le vulgum pecus… Les hargneux contre les zécolos, auront trop chaud et soif comme les autres, sauf s’ils sont très riches… L’ostentation pourrait être taxée avec une TVA « luxe »…

Petit Pierre : C’est un leitmotiv que résoudre les inégalités sociales et financières sauvera la “planète”, ou plutôt notre existence future. Le problème c’est que l’histoire montre que les civilisations successives n’ont jamais réussi à atteindre cet objectif, et les tentatives autoritaires n’ont pas franchement réussis. Le problème est psychologique plus que socio-économique, il nous faut changer d’imaginaire et interdire ce qui nuit à notre prise de conscience. Il y a des actions simples dont personne ne parle pourtant, réduire drastiquement la publicité qui est à la fois un facteur de frustration et facteur de surconsommation. Arrêter les guerres, je sens des sarcasmes à venir… mais je vous le demande, est ce que notre civilisation humaine est capable de rupture écologique si elle est incapable de stopper les guerres ? Il faut rappeler que la constitution des stocks d’armes nucléaires s’est faite en sachant très bien le risque d’autodestruction… cela n’est pas très encourageant.

Michel SOURROUILLE : Depuis le rapport Meadows en 1972, nous savons qu’une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Il n’y aura pas d’énergie de substitution aux énergies fossiles. Il faut donc penser l’avenir en termes de sobriété partagée. Penser et construire une société post-croissance égalitaire est indissociable du projet écologiste. La société babouvsite, pourquoi avons-nous cessé de la penser ? Voici quelques pistes de réflexion :

Ce que défend un parti politique traditionnel # Ce que pourrait proposer un parti écologiste digne de ce nom

Priorité à la croissance et risque de récession/dépression # Maîtrise de la décroissance

Acceptation des inégalités de revenus # Revenu maximum autorisé

Appropriation privée privilégiée # Gestion collective des biens communs
Civilisation minière, extractiviste
# Utilisation uniquement de ressources renouvelables
Règne de la concurrence et de la compétition
# Apprentissage de la coopération et du partage
Marchandisation des rapports sociaux, culte de l’avoir
# Valorisation des relations, des liens, de l’être
Mondialisation des échanges et libre-échange
# Démondialisation, relocalisation, monnaies locales
Soutien aux grandes entreprises
# Valorisation des artisans, paysans et PME
Option tout voiture (électrique)
# Dévoiturage et vélo…. etc.

Toujours plus surpris : Pour Darwin, les espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes ou les plus intelligentes mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. A bon entendeur !

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Tout savoir sur la « Sobriété » obligée

La décroissance implique la sobriété partagée

Décroissance, sobriété, donc renoncements !

Sobriété mode d’emploi, le livre (Tana éditions)

Tout savoir sur la sobriété démographique

Sobriété énergétique, l’affolement gagne

La Sobriété face à la SURconsommation ?

La Sobriété, liberticide et punitive ????

Le gouvernement s’empare du mot « sobriété »

La sobriété à la mode gouvernementale

2123, Ministère de la Sobriété partagée

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Parents, l’écologie se bricole comme on peut

Tous les bons récits nous disent comment décrocher la Lune…mais pas en y allant ! Les rêves de fusées sont la défaite de l’imaginaire et marquent la faillite de notre société. Comme c’est difficile d’expliquer cela à son enfant quand toute la société marchande nous dit qu’on va bientôt aller sur Mars !

Clémentine Beauvais : « Je me sens coupable d’avoir fait naître deux enfants dans un monde aussi pourri. Qu’est-ce qu’on fait quand on amène un gamin au monde aujourd’hui ? C’est une décision qui est prise à l’encontre de toute logique ! Il n’y a pas beaucoup de raisons d’être optimiste… Ce qui me fait le plus peur, un avenir à plus 2,7 degrés. Quelle autre urgence y a-t-il ? En tant que parent, je me sens complètement démunie sur les questions d’urgence environnementale. Comment expliquer que ce n’est pas bien de vouloir manger beaucoup de viande, de conduire des grosses cylindrées ou de prendre l’avion sans brider l’imagination de l’enfant qui, lui, rêve de fusées et d’aéronautique ? Ouvrez n’importe quel livre et il y a là des fermes, des avions, des fusées. Tellement de rêves dépendent d’une culture extractiviste axée sur le pompage des ressources. Quel récit y opposer ?

Mon aîné a 2 ans et demi. Il n’est techniquement pas aussi végétarien que moi, notamment quand il est avec son père. L’autre jour, il était en train de manger une sardine et je lui déroule un speech : « Tu sais que tu manges un des milliards d’animaux tués chaque année pour la consommation à travers le monde ? » Le père a rigolé, horrifié, en me disant que je ne pouvais pas dire ça. Mon fils, lui, s’en fichait et ça ne l’a pas empêché de mettre le morceau de sardine dans sa bouche. Je l’avais laissé trois jours avec son grand-père, à qui j’ai déjà dit que ce n’est pas la peine de mettre du sucre dans tout, les bananes écrasées… Quand on est rentrés à la maison et que je lui ai donné un yaourt , il m’a dit « suc’ dedans Gringe [le nom de son grand-père] » !

Je suis assez dans l’idée que chaque année supplémentaire qui peut être gagnée avant qu’ils ne soient exposés à la stimulation constante d’un écran est plutôt bonne. L’enfant à qui on file un portable pour le calmer dans le train ou au resto va se dire que s’il est relou il va avoir droit à un écran. En tant que prof de fac, je vois l’impact que ça a sur la capacité d’attention des étudiants. En amphi, c’est un enfer. Ils ont tous au moins leur ordi et leur téléphone constamment. Au lycée, les parents peuvent leur prendre le téléphone la nuit, mais à la fac ils plongent totalement. Un enfant normalement ne peut pas ne pas faire attention. Je m’inquiète de la façon dont l’économie de l’attention va diviser scolairement et socialement. »

Le point des vue des écologistes en charge d’enfants

Letcheque : Pas d’écran avant trois ans, ce n’est pourtant pas compliqué. Commencez par cela, vous pourrez ensuite parler d’éducation.

Philippe C : «  c’est pas bien de prendre l’avion »!!! Phrase idiote, il est souvent nécessaire et utile de prendre l’avion. Ex: ma sœur habite à 6000 km, maman est malade, nous nous relayons pour prendre soin d’elle.

Antispécisme à Philippe : « Phrase idiote », réflexion typique des expat’ pour qui il semble normal d’habiter sur 3 continents. Votre sœur a (eu) le choix entre habiter à 6000 km et voir sa mère. Vous de même.  Point barre. Aucune obligation. L’idolâtrerie du monde de vie américain (celui qui entreprend a le monde à ses pieds, je consomme donc je suis, je voyage, je colonise, je domine) a encore la côte chez une catégorie de gens, surtout ceux nés au milieu du XXe siècle. Il est peut-être temps de remettre en question cette conception de la vie ?

« il est souvent nécessaire et utile de prendre l’avion » ah, et que faites-vous des générations qui vous ont précédé (ce n’était pas des humains aboutis, ils devaient vivre ensemble) et de celles qui vous suivront (si elles n’ont pas de substitut au pétrole) ? Les humains sont tellement prétentieux…

Marie Rose Poux du ciel : On a beau dire et théoriser ou conceptualiser l’éducation « idéale », au bout du compte on ne transmets que ce qu’on est .

Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere

permis de parent (2007)

extraits :  Concevoir un enfant est un acte impliquant de lourdes responsabilités. Pourtant la société ne se soucie guère de savoir qui doit avoir le droit ou non d’en procréer. Le psychologue américain David Lykken estime que les parents devraient passer un permis leur permettant de faire un enfant puisque les intérêts de l’enfant sont au moins aussi importants que ceux des parents. Alors que faire ? Il faudrait commencer par donner à l’école des cours d’éducation parentale afin d’expliquer aux élèves tout ce qu’implique, en termes de soins et de responsabilités, le fait d’élever un enfant. Il faudrait ensuite autoriser un couple à n’avoir un enfant qu’à condition que les deux parents soit réellement unis et prêt à s’occuper de leur progéniture. Par exemple, on ne devrait pas permettre que les parents fassent des enfants immédiatement après le mariage. Il faut en effet du temps, avant et après le mariage, pour apprendre à se connaître et à s’apprécier, et il n’est rien de pire pour un enfant que de naître sans être désiré par ses parents…

Du permis de parentalité au permis de procréer

Tik Tok, la responsabilité parentale en débat

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En couple, l’écologie se bricole à deux

Elle veut partir en vacances à vélo, lui préfère easyJet. Qu’il s’agisse du transport, de l’alimentation ou du chauffage, dans beaucoup de couples, l’écologie est devenue un sujet de dissension, creusant parfois un abîme de CO₂ entre les amoureux.

Jane Roussel : Alimentation, vacances, logement, déplacements, enfants, etc., rares sont les questions essentielles de la vie de couple à ne pas être percutées par l’environnement. Les petites ou grosses frictions ne sont jamais loin. ELLE fait chaque soir le tour de l’appartement pour fermer chaque volet pour préserver la chaleur sans toucher au thermostat. Si cela ne tenait qu’à LUI, il se serait contenté d’actionner le « + » du radiateur. Cette scène de la vie quotidienne est un classique de « couple mixte » au niveau écologique. Il y a complet décalage, l’un cherche à faire baisser son impact carbone, l’autre beaucoup moins. L’engagement écologique est encore trop souvent vu comme une privation de ce qui nous anime, comme lié à un mode de vie ascétique, mais cela peut être une « sobriété heureuse ».

Le couple est aujourd’hui ramené sur les bancs de l’école avec un objectif de diplôme écolo en fin de parcours. Mais si on ne fait pas les choses parce qu’on les désire, ça ne fonctionne pas. Le renoncement imposé ne mène pas à une transition durable, le cheminement personnel, si.

Le point de vue des écologistes sur le couple

Vince : En fait se préoccuper en couple de notre environnement est simplement un signe d’Amour et de respect. Pour nos semblables, mais aussi pour les autres membres de la Nature présents et à venir. C’est donc l’amour de soi versus l’amour des autres au sens large. Même si on n’y arrive pas instantanément, on s’engage dans cette voie. Sérieusement. Sinon, il suffit de dire haut et fort qu’on reste un gros égoïste. Au risque de se retrouver tout seul, car l’égoïsme ce n’est pas de l’amour.

HugoS : La question n’est pas de savoir si on va en amoureux à Venise ou passer sa lune de miel en Polynésie, mais s’il est indispensable d’aller en Italie ou partir en avion pour être heureux à deux.

docteur Maboul : C’est plutôt une chance d’avoir un(e) conjoint(e) moins faible que soi sur les changements à faire pour limiter son impact carbone. C’est assez dur de changer son mode de vie, si l’autre aide c’est un gros plus.

Toujours plus surpris : Finalement vivre en couple c’est accepter de partager certaines décisions : lieu de vie, type d’habitat, alimentation, activités (dont vacances) et aménagement intérieur. Être plus résilient à l’égard de notre environnement est forcément présent dans toutes ces décisions et nous sommes plus ou moins cohérents avec nos valeurs. Une fois certaines habitudes prises en couple, on ne se pose même plus la question du compost, de l’absence de voiture dans le ménage ou du refus des écrans… et au bout de quelques années ça crée un gouffre comportemental vis à vis des couples n’ayant pas évolué sur l’écologie.

G. Unavis : Certains font un parallèle avec la religion. Je dirais que si le changement climatique n’est évidemment pas une croyance, l’importance accordée aux fameux « petits gestes » en est une (je le dis en étant moi-même à cheval sur ces éco-gestes).

arston : C’est la conclusion de Jane Roussel qui m’amuse le plus dans cet article très pertinent. « On est tous le mauvais élève de quelqu’un ». Dans notre couple c’est Madame qui est écolo et moi, mâle dominant né dans les années 60, nettement moins. Bon ceci dit je n’ai plus de voiture depuis 10 ans, ne prend jamais l’avion, ne fume pas, ne boit pas…

Frog : On peut effectivement lâcher un peu de lest sur le conjoint, sachant qu’un couple aura quoi qu’il arrive un bien meilleur bilan carbone que deux célibataires ayant chacun leur maison…

pierre guilleret : Une de mes jeunes connaissances avait un compagnon écolo, qui refusait le smartphone et avait des principes. Çà l’amusait. Et puis un jour IL a refusé qu’ils fassent des enfants : c’est mauvais pour la planète. D’abord ELLE n’a pas compris. Puis ELLE a réfléchi. Plutôt que la ligature des trompes, la vasectomie pour LUI.

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