épuisement des ressources

Parlons dégradation des terres, pas du Mondial de foot

Hallucinant, la Commission européenne a un service scientifique dénommé JRC (Centre commun de recherche)*. Personne n’était au courant ! Ils font la promotion d’un Atlas mondial de la désertification, publié une première fois en 1992 lors Sommet de la Terre de Rio. Moins connue que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et que celle sur la diversité biologique (CDB), la Convention sur la lutte contre la désertification fait pourtant partie du triptyque imaginé au sommet de Rio. Vingt satellites d’observation scrutaient la planète en 1992, ils sont près de cent aujourd’hui.

Chaque année, une surface équivalente à la moitié de la taille de l’Union européenne (UE) – soit plus de deux millions de kilomètres carrés – est dégradée, l’Afrique et l’Asie étant les deux continents les plus touchés ; plus de 50 % de la surface terrestre est aujourd’hui affectée par ce mécanisme lié aux variations climatiques et aux activités humaines. Au rythme actuel de l’expansion agricole, industrielle et minière, les forêts primaires auront, d’ici 2030, disparu au Paraguay, mais aussi au Laos ou en Guinée équatoriale. Les forêts de Centrafrique, du Nicaragua ou du Cambodge pourraient subir le même sort d’ici 2040.A l’horizon 2025, près des deux tiers de la population mondiale pourrait être confrontée à une situation de stress hydrique. Constatons que les migrants originaires d’Afrique subsaharienne viennent de zones rurales dégradées et qu’une bonne partie de la consommation des pays riches est produite à l’étranger. Tous responsables, tous coupables. Il n’est plus possible raisonner en silo, abordant d’un côté la question de l’usage de terre, de l’autre celle du changement climatique, du déclin de la biodiversité, de l’expansion démographique ou de l’urbanisation. Le rapport du JRC indique que l’augmentation attendue de la population mondiale, 9 milliards d’humains au milieu du siècle, rendra la pression sur les ressources naturelles quasi insupportable.

Catastrophe n’est pas un mot d’ordre, c’est une réalité. Mais il est vrai que commenter les résultats du Mondial de foot est beaucoup plus excitant que prévoir pour les décennies qui viennent famine mondiale, déplacements massifs de populations (700 millions d’ici 2050, agrandissez votre logement pour les recevoir) et conflits en tous genres (qui se multiplient déjà un peu partout) .

* LE MONDE du 4 janvier 2018, Dégradation massive des terres à l’échelle planétaire

La fin du purgatoire pour la Grèce et l’enfer pour tous

Un exercice de réflexion pour écolos sur la sortie du croissancisme avec la fin programmée du troisième plan d’aide de l’UE à la Grèce.* Depuis 2010, la Grèce a reçu une aide financière de 300 milliards d’euros. L’ultime prêt ces jours-ci serait de 20 milliards d’euros…. pour payer ses emprunts précédents ! Comprenne qui pourra. Cette situation n’est rien par rapport à la dette des pays de l’Union européenne qui s’élevait en 2017 à 12 504 milliards d’euros. Notons que celle des Etats-Unis est d’environ 20 trillons de dollars, soit un intérêt annuel exigible de 500 milliard de dollars. C’est inimaginable. Même dans les pays super-riches, il faut recourir à l’emprunt pour payer les intérêts de la dette. C’est un cercle vicieux, insoutenable à terme, dont la Grèce nous donne le dénouement en cours. Il y a allègement des annuités, allongement de la durée de remboursement, autant dire que la dette ne sera jamais remboursée. La fin de la croissance économique résultera de trois phénomènes combinés, l’épuisement des ressources fossiles, l’exacerbation des changements climatiques et la fin de l’endettement financier. Notre pouvoir d’achat est acquis pour une grande partie à crédit, que ce soit dette envers la planète ou dette envers le système financier. Un jour ou l’autre, il faut bien rembourser ses dettes, même si c’est la ruine assurée. Pour essayer de temporiser avec les prêteurs, et la planète ne négocie pas, il faut se serrer la ceinture de plusieurs crans. La Grèce montre l’exemple qui sera suivi : près de 1 million de chômeurs pour 11 millions de Grecs, un chômage des jeunes de plus de 43 %, une fuite des cerveaux, la vente des biens publics, etc. Sans compter la baisse dramatique de pouvoir d’achat des retraités (à la suite de onze réformes successives) et des fonctionnaires. Encore les Grecs peuvent-ils compter sur le tourisme international, une rentrée de devises qui s’effondrera quand les autres États rentreront en récession. Sur notre blog biosphere, nous suivons attentivement la situation de la Grèce depuis 2010, exemples :

4 mai 2010, la Grèce, un exemple à suivre

Les promesses électorales n’ont plus cours en Grèce. Une nouvelle cure d’austérité prévoit des réductions sévères des revenus et une baisse importante du niveau de vie. Un demi-siècle après leur création, le Parti socialiste (PASOK) a aboli les salaires de Noël et de Pâques [13e et 14e mois] et les congés payés des fonctionnaires et retraités. Papandréou a aussi annoncé une réduction supplémentaire de 8 % des salaires des fonctionnaires. Après ces mesures, chaque fonctionnaire va perdre entre 15 et 30 % de son revenu annuel. Le PIB du pays va donc baisser de 4 % dès cette année… La leçon à tirer, c’est que la Grèce vivait au-dessus de ses moyens. On ne peut pas vivre indéfiniment au prix d’un endettement croissant. Un jour ou l’autre, il faut rembourser et plus on attend, plus la note est douloureuse. Mais La Grèce n’est pas un cas isolé. A la date du 16 novembre 2009, la dette publique des Etats-Unis atteignait 12 000 milliards de dollars. Elle avait dépassé le seuil symbolique des 10 000 milliards de dollars en septembre 2008. Il faut ajouter un endettement des ménages américains de 5 500 milliards $. Il est absolument anormal qu’un pays riche vive à crédit. Paradoxalement, l’ensemble de la dette du Tiers monde n’était que de 3360 milliards $ en 2007. La planète tourne à l’envers, qui peut financer l’économie quand tout le monde est emprunteur ? Ce qui attend les pays riches est donc nécessairement une cure d’austérité généralisée dont la Grèce n’est qu’un signe précurseur. Comme il faut ajouter à la dette financière la dette écologique, qui amenuise encore plus la possibilité de ressources futures, la purge n’en sera que plus difficile à avaler. Mais la biosphère s’en trouvera soulagée ()

10 février 2012, en Grèce, vivre avec moins, le bonheur !

Techniquement, il n’y a aucune différence entre une récession économique et la décroissance voulue. Mais la première est mal vécue tandis que la seconde constitue une voie d’avenir qui s’inscrit déjà dans la réalité. En Grèce par exemple, la décroissance a rencontré la crise. Elle a beaucoup d’adeptes contraints, dont les revenus se sont effondrés, et qui n’ont pas d’autre choix, et quelques partisans, qui y voient un moyen de vivre différemment. Les Grecs ne sont pas devenus par miracle des adeptes de la décroissance, mais ils doivent désormais faire avec 50 % de moins ! Avant la crise, les Grecs avaient vraiment trop de choses, la crise commence à changer les façons de penser et d’acheter. Nous n’avons pas besoin d’avoir dix pulls et dix paires de chaussures. Il n’y a pas besoin de posséder beaucoup pour être heureux. Ils sont de plus en plus nombreux à utiliser l’énergie du soleil et du vent et à cultiver son jardin dans la cité. Le troc se fait au grand jour, on habille le jeune enfant dans un magasin en apportant les vêtements devenus trop petits ()

10 janvier 2013, La Grèce, démonstration de ce qui nous attend demain

C’est épouvantable, il n’y a pas de solution à la descente énergétique. Aujourd’hui en Grèce la pénurie résulte des contraintes financières, demain elle découlera internationalement de la hausse du prix du baril, inéluctable. A lire pour se préparer au pire, voici un résumé de deux articles :

1) Dans les campagnes et les bois grecs, les coupes illégales font ravage. Un immigré albanais, plisse les yeux : « Cela me rappelle Tirana après la chute du régime communiste, quand les gens avaient coupé tous les arbres pour se chauffer et survivre… » En 2011, dans une énième tentative d’accroître ses rentrées fiscales, le gouvernement a remonté à 80 % la taxe sur le fioul domestique, largement utilisé en Grèce, pour l’aligner sur celle appliquée au carburant pour voiture. Le prix du litre a doublé à 1,40 euro ; trop pour une population paupérisée. Les écoles d’une dizaine de municipalités du nord du pays ont prévenu qu’elles fermeraient leurs portes lors des grands froids. Les vendeurs de bois n’avouent une seule crainte : le risque de pénurie. Car si les températures venaient à passer sous les 0°C, comme ce fut le cas l’hiver dernier, le bois pourrait bien manquer.(LE MONDE du 20 Novembre 2012)

2) Le ministre des finances a refusé d’accroître l’aide pour permettre aux familles les plus pauvres de se chauffer. « Je souhaiterais que nous ayons la possibilité budgétaire de le faire », a commenté le ministre, en expliquant que cela n’était pas possible. » La crise crée un nouveau type de pollution dans les grandes villes grecques : celle liée aux feux de cheminée. Le prix du fioul domestique est en forte hausse en raison de l’augmentation de 40 % de la taxe sur le mazout, qui a été mise au même niveau que celle sur l’essence. Cette augmentation est destinée à empêcher la contrebande de fioul. Moins cher, celui-ci était utilisé par des stations-service qui le convertissaient en carburant (…)

8 juillet 2015, sortie de la Grèce de l’euro, une bonne nouvelle écolo

Les atermoiements sur la Grèce sur une sortie de l’euro paraissent dérisoires. Ce n’est pas une catastrophe si celase fait. Au contraire même, ce sera une bonne nouvelle pour l’écologie. Je prends pour point de départ cette phrase tirée d’une liste de diffusion d’EELV : « Je ne comprends pas comment depuis le temps, les grecs n’ont pas créé de réseaux de monnaies locales qui auraient pu prendre le relais pour les échanges internes dans cette période. » En fait les Grecs vont tôt ou tard sortir de l’euro. Ils retrouveront donc une monnaie locale qu’on appellera la drachme (ou un autre nom). Une monnaie nationale est en effet (par rapport au reste du monde) une monnaie locale. C’est une bonne chose. Les Grecs seront obligés d’acheter grec et de relocaliser leurs activités, ce que les écolos appellent normalement de leurs vœux. Leur monnaie sera très dévaluée, ce qui augmentera fortement le coût de leurs importations. Ils consommeront en conséquence moins de pétrole et de biens de consommation importés, ce que les écolos appellent aussi de leurs vœux. Les touristes seront encore plus nombreux, la vie sera moins chère pour eux en Grèce. Mais favoriser le tourisme vers l’étranger n’est pas très écolo, rien n’est parfait dans une société complexe. Il faudra que le gouvernement prenne des mesures drastiques pour lutter contre les inégalités et les dépenses ostentatoires, ce qui est bon pour la planète. Bien entendu ils ne pourront pas rembourser toute la dette accumulée, il y aura une remise de dette et les contribuables des autres pays européens seront un petit peu touchés par ce non-remboursement. Mais ça ne sera pas trop grave. De toute façon plus les habitants d’un pays riche voient baisser leurs pouvoir d’achat, plus c’est une bonne nouvelle, la prédation sur les ressources naturelles diminue en conséquence.

Pour conclure, le passage à l’austérité partagée (ce qu’on espère des Grecs) n’est pas un cas particulier. L’Espagne et l’Italie ont déjà eu chaud à cause de leur endettement, mais aussi la France. Même un pays comme les USA, qui devrait épargner puisqu’il est riche, est super-endetté, il faudra bien rembourser. Le problème mondial, c’est la course mondiale à la croissance qui s’est opérée à force d’endettement public et privé, ce qui n’est pas durable. Que cette folie consumériste se casse la gueule, tous les écologistes normalement anti-croissancistes devraient applaudir. Rappelons la réalité de la Grèce. En arrivant au pouvoir en 2009, le nouveau premier ministre socialiste, Georges Papandréou, réalise l’ampleur du déficit du pays dissimulé par la droite. Alors que la note souveraine de la Grèce est abaissée par les agences de notation, il renonce à son plan de relance de 2,5 milliards d’euros et présente un paquet d’austérité. Méditez attentivement sur cette phrase: «  Papandréou renonce à son plan de relance » (…)

* LE MONDE du 19 juin 2018, La sortie du purgatoire se profile pour la Grèce

Histoire et avenir du rationnement de 1973 à demain

Annonce d’une conférence-débat. Après le choc pétrolier de 1973, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne prennent des mesures rapides et de grande ampleur pour faire face à la pénurie énergétique. C’est ainsi que l’hiver 1973-74 verra les Pays-Bas interdire la circulation des voitures personnelles le dimanche et organiser un rationnement du pétrole par coupons. Quant à la Grande-Bretagne, prise dans la double difficulté du choc pétrolier et d’une grève des mineurs du charbon, elle commence par limiter la vitesse sur les routes et la température de chauffage dans les lieux publics, puis finit par rationner les automobilistes et instaurer dans tout le pays la semaine de travail de trois jours afin de réduire encore plus drastiquement les consommations d’énergie. Revenir aujourd’hui sur ces mesures fortes permet non seulement de mesurer l’amplitude de la dépendance énergétique des sociétés industrielles des années 1970 (et a fortiori d’aujourd’hui), mais également de saisir la capacité de réaction politique que ces pays ont montrée pour faire face à une crise majeure de disponibilité des énergies fossiles. Comment des sociétés tournées vers la croissance économique, dont l’horizon était façonné par les Trente Glorieuses, ont pu se réorienter subitement pour instituer (certes temporairement) ce qu’on appellerait aujourd’hui des mesures de sobriété, voire de décroissance énergétique ?

Nous nous proposons de revenir sur cet épisode de notre histoire récente et de se pencher sur les débats et décisions politiques qui ont entouré ces décisions exceptionnelles. Quelles sont les consommations superflues ? Comment partager les efforts ? Doit-il y avoir des exceptions ? Est-il préférable que le système soit égalitaire, ou qu’il s’adapte aux besoins de chacun ? Autant de questions qui se poseront à nous de nouveau lorsque nous chercherons à réduire rapidement et drastiquement les consommations d’énergie de nos sociétés.

Cette conférence-débat de Mathilde Szuba aura lieu dans le cadre de Momentum le vendredi 22 juin 2018, de 15h00 à 18h00, au 33 rue de la Colonie, 75013 Paris. Mathilde Szuba est maître de conférences en science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Lille. Elle travaille sur les implications politiques et sociales du pic pétrolier et du dépassement des seuils d’irréversibilité environnementaux, notamment à travers l’étude des quotas individuels de carbone (“cartes carbone”).

Suivre le pouls de la planète, c’est beaucoup trop tard

On ne compte plus les études et les avertissements sur l’état de plus en plus désespéré de la planète et de tous ses habitants. Anne-Sophie Novel nous présente « Resource Watch, l’outil parfait pour suivre le pouls de la planète ». Dans la section « Data », il est possible d’explorer les 209 bases de données proposées et de visualiser les données sous formes graphiques ou cartographiques. Avec la fonction « Pulse », il est possible de se balader sur la planète, un peu à la manière de Google Earth mais avec certains prismes de navigation, tels la déforestation, les ressources en eau, la qualité de l’air, etc. Avec la fonction « Spash », Resource Watch vous propose aussi de constater de visu l’état de la planète, avec par exemple des images recueillies par l’expédition Tara dans le Pacifique au sujet du blanchiment des coraux. Pour complément, « l’App Gallery » propose de visiter 28 autres sites web qui proposent d’accéder à des données chiffrées présentées sous forme de cartes ou d’applications. Conçue de manière libre et ouverte (logiciel Open Source), Resource Watch peut être utilisée et enrichie par quiconque souhaite l’utiliser. Anne Sophie conclue : « Pourvu que cela aide les décideurs à agir vite et bien maintenant ! » Nous connaissons déjà la réponse.

Resource Watch ! Cet outil n’est pas fait pour préserver la planète, cet outil sert à photographier les choses. C’est un outil pour touristes. Cela permet seulement de nous abrutir de données brutes. Savoir combien on dégage de gaz à effet de serre n’implique pas qu’on va refuser l’avion ou la voiture. Bien sûr la comm est nécessaire à la prise de conscience, et la prise de conscience est nécessaire à l’action. Mais qui va se sentir concerné par un site d’observation de plus ? Comme dit un commentateur sur lemonde.fr : « Ahahah ! Regarder à quelle vitesse on se casse la gueule, c’est la spécialité des scientifiques avec leur ordinateurs et des journalistes voulant sauver le monde avec leurs écrans, qui ne changent en rien à la chute de la tour. On sait cela depuis des générations… mais non, y’en a qui continue de prendre les photos ! » A quand un site de bilans des programmes de protection qui montrent les erreurs d’appréciation permanentes et accessoirement le rôle de la bien-pensance du nord et de l’opportunisme du sud dans ces échecs ? Un site de plus, mais on préfère voir le match de foot à la télé. Tous les collapsologues savent que c’est trop tard, beaucoup de dommages infligés à notre milieu de vie sont irréversibles.

Depuis le livre de 1948, « la planète au pillage » de Fairfield Osborn, observation actualisée de façon très scientifique et très médiatisé par le rapport du MIT au club de Rome de 1972 (« les limites de la croissance »), nous savons que nous courrons au désastre. Mais ces connaissance n’ont pas empêché les politiques de faire du business as usual avec les lobbies et les cons-sommateurs de se goinfrer au détriment des générations futures. Un instrument de plus pour nous regarder courir n’est qu’une petite piqûre de rappel, il faudrait rendre obligatoire pour tous l’action de se faire piquer… pour mieux s’entraîner à la simplicité volontaire/forcée ! S’il n’y a pas obligation de préparer à l’avance ses devoirs, on sait que les élèves vont se contenter d’inventer des histoires pour justifier le fait qu’ils n’ont rien fait et qu’ils ne vont rien faire.

Sans charbon de bois ni pétrole, que ferons-nous ?

Raréfaction du charbon de bois au Kenya suite à une décision du gouvernement prise fin février. « J’ordonne aujourd’hui que l’on arrête de couper les arbres dans toutes les forêts gérées par l’Etat et par les communautés pour les trois mois à venir… Le mauvais usage de nos forêts ne peut plus continuer. La disponibilité de l’eau et la sécurité alimentaire dans le pays sont menacées. » Dans le bidonville, beaucoup se sont donc tournées vers le kérosène, un dérivé du pétrole, également appelé paraffine, que l’on brûle dans un réchaud spécifique. Rien n’a été mis en place, ni sensibilisation du public ni soutien aux alternatives pour accompagner cette décision. LE MONDE* présente comme « alternatives » le gaz et le GPL alors que ce sont des ressources fossiles en voie de disparition comme le pétrole. Les briquettes (fabriquées à partir de déchets agricoles – thé, noix de coco, canne à sucre) suffiront-ils pour une population de près de 50 millions dont 4 millions s’entassent dans la capitale Nairobi ? Voici quelques éléments de réflexion tirés de notre blog biosphere pour aller au-delà d’un article du MONDE très centré sur l’anecdotique :

– La situation actuelle semble être un cruel échec pour Wangari Maathaï, prix Nobel de la paix 2004 pour avoir replanté des millions d’arbres sur les terres du Kenya et qui pouvait dire : « J’ai longtemps cru que le monde était une vallée de terre riche, je pensais que les torrents où nous allions chercher l’eau étaient éternels. Mais que reste-t-il de la plus large rivière du Kenya, la Gura, si pure et tumultueuses autrefois ? L’eau y est désormais noire, le débit faible. Quand avons nous perdu la connaissance de la nature ? Qui nous a poussés à détruire ce qui pourtant nous nourrit ? Les arbres avaient disparu, les forêts de bambous, peuplées de singes colombus superbes, avaient été brûlées pour dégager des terres cultivables. Lorsque les destructions ont progressé vers la montagne, personne n’a protesté… » (LE MONDE du 23 juillet 2008)

– L’agronome René Dumont nous avait averti : « De la Chine au Kenya, il n’est malheureusement plus possible, sans danger pour le pays, de laisser aux couples la liberté de se reproduire à leur guise. » Dès 1966, dans Nous allons à la famine, il avait fait ses comptes : avec un taux moyen de croissance démographique prévisible de 2,7 % l’an, le tiers-monde compterait près de 5 milliards d’habitants en l’an 2000. « La catastrophe est inévitable », concluait-il. «  En envoyant dans ces pays le médecin et la religieuse avant l’agronome, on a permis aux enfants de survivre aux épidémies avant de leur préparer la nourriture pour qu’ils puissent vivre dignement. »

– Le Kenya annonce que des « programmes agressifs » de planification familiale vont être lancé (LE MONDE du 2 septembre 2010). Ils se sont rendus compte que le fait de passer de 28,7 millions d’habitants en 1999 à 38,6 millions en 2009  allait être insupportable. Nous savons comment faire pour limiter la fécondité : la technique la plus efficace et éprouvée partout dans le monde est de donner accès à la contraception aux femmes en leur rendant visite chaque trimestre dans leur village. Le Kenya, le Ghana, le Zimbabwe ou Madagascar ont réussi à le faire.

– Des archéologues ont découvert au Kenya les dépouilles des victimes d’un féroce combat, qui s’est déroulé il y a 10 000 ans, à l’époque de la chasse et de la cueillette. Ils étaient un peu moins d’une trentaine, des hommes, des femmes, dont l’une enceinte, et quelques enfants. Morts au combat, ou simplement massacrés.

– Des espèces qui semblaient vouées à l’extermination, sont sauvées in extremis… Au Kenya, d’immenses populations de flamants roses nous font oublier qu’il y a quelques décennies à peine, on les croyait à jamais disparus. De tels événements méritent d’être salués.

* LE MONDE du 3 mai 2018, Au Kenya, la protection des forêts fait grimper le prix du charbon de bois

Bloom et Nicolas Hulot, même combat en mer

Claire Nouvian, fondatrice de l’association Bloom vient de recevoir le prix Goldman, considéré comme la plus haute distinction internationale dans le domaine de l’environnement.* Bloom est une petite association de 8 salariés entièrement vouée « aux océans et à ceux qui en vivent », avec pour ambition d’établir « un pacte durable entre l’homme et la mer ». Si la madone des poissons se fait autant remarquer, c’est surtout parce qu’elle remporte les campagnes qu’elle mène. L’interdiction de la pêche profonde en dessous de 800 mètres décrétée par l’Union européenne en 2016 est très largement à mettre à son crédit. L’interdiction de la pêche électrique est en bonne voie. L’attitude à son égard est variée, il y a ceux qui la détestent : « Je suis hyperclivante. Les pêcheurs néerlandais m’appellent Hitler…  » Il y a ceux qui la comprennent. « C’est une adversaire respectable, concède Alain Cadec (LR), président de la commission pêche au Parlement européen. Elle est attachante même si elle est parfois chiante. Sur le chalutage profond, nous avions fini par être d’accord… Nous défendons tous les deux – différemment –, la ressource et une activité économique à laquelle je crois… » Il y a ceux qui veulent la compromettre. Pour Isabelle Thomas (PS-Hamon), vice-présidente de cette commission, « Claire Nouvian doit s’interroger sur le mode de financement de certaines structures militantes dont on ne sait plus très bien qui elles représentent. » Notons quIsabelle Thomas, conseillère municipale de Saint-Malo, avait défendu la poursuite du chalutage en eau profonde en 2013. Elle était la marraine de Blue fish, association bretonne créée cette année là ! On a les sponsors qu’on mérite.

Les succès relatifs de Bloom n’empêchent pas la désertification des océans. La pêche industrielle concerne 73 % de la superficie des océans. Rien qu’en 2016, 40 millions d’heures de pêche ont consommé 19 milliards de kWh d’énergie et parcouru plus de 460 millions de kilomètres, soit 600 fois la distance aller-retour de la Terre à la Lune. 31 % des stocks de poissons sont surexploités dans le monde, ce qui signifie que ces espèces sont prélevées plus rapidement qu’elles ne peuvent se reproduire. Une véritable tuerie de poissons. Si, chaque année, nous tuons 64  milliards de vertébrés terrestres pour les manger, nous exterminons entre 970 et 2 740  milliards de vertébrés marins. Malgré la forte croissance des armements, la diffusion des techniques industrielles de pêche jusque dans les coins les plus reculés de la planète et la sophistication toujours plus poussée du matériel, les tonnages des captures ne cessent de diminuer. En 1995, la capture de poissons a atteint son tonnage maximum avec 95 millions de tonnes. Depuis, la pêche mondiale plafonne autour de 90 millions de tonnes. On peut parler de pic du poisson ou peak fish comme il y a un pic pétrolier.

Sur ce point aussi, Nicolas Hulot savait parler vrai : « Je me souviens d’une discussion avec un haut personnage de l’État à propos de nos ressources halieutiques. Il se disait confiant, assurant que nous pêchions autant de poissons qu’autrefois. Certes. Sauf qu’il oubliait un élément essentiel : on les pêche avec dix fois plus de moyens. On utilise la détection par satellite, des hélicoptères traquent les bancs de sardines… Ce qui veut dire que l’océan se vide un peu plus, tous les jours. La biomasse des océans, c’est-à-dire la quantité de matière vivante, a été divisée par dix entre 1955 et 2005. La culture occidentale admet difficilement que notre puissance puisse générer notre propre vulnérabilité. »

* LE MONDE du 24 avril 2017, Claire Nouvian, l’écolo-gagnante

pêcheries, nous savons tout mais nous ne faisons rien

L’impuissance de l’action écologique est un crève-cœur. Nous savons tout sur tout, nous en avons les moyens scientifiques. Notre impact anthropique sur les mieux naturels est colossal, nous en avons les moyens techniques. Mais politiquement nous ne faisons rien pour enrayer notre suicide alimentaire. Prenons l’exemple de la pêche industrielle.

Notre savoir : Des chercheurs ont récupéré 22 milliards de messages diffusés depuis les positions des systèmes d’identification automatique des navires entre 2012 et 2016. Les scientifiques ont exploité cette gigantesque masse de données grâce à une technologie d’apprentissage automatique (deux réseaux neuronaux convolutifs, outils couramment utilisés dans la reconnaissance avancée d’images). L’algorithme a pu identifier 70 000 navires commerciaux, leur taille et leur puissance, leur comportement (pêche ou navigation), le type de prises qu’ils pratiquent, ainsi que le lieu et le moment où ils opèrent à l’heure et au kilomètre près*.

Notre impact : La pêche industrielle a concerné 73 % de la superficie des océans. Rien qu’en 2016, 40 millions d’heures de pêche ont consommé 19 milliards de kWh d’énergie et parcouru plus de 460 millions de kilomètres, soit 600 fois la distance aller-retour de la Terre à la Lune. La pêche à la palangre est la technique la plus répandue, suivie par la senne coulissante (17 %) et le chalutage (9 %). 31 % des stocks de poissons sont surexploités dans le monde, ce qui signifie que ces espèces sont prélevées plus rapidement qu’elles ne peuvent se reproduire. Une véritable tuerie de poissons. Si, chaque année, nous tuons 64  milliards de vertébrés terrestres pour les manger, nous exterminons entre 970 et 2 740  milliards de vertébrés marins. Malgré la forte croissance des armements, la diffusion des techniques industrielles de pêche jusque dans les coins les plus reculés de la planète et la sophistication toujours plus poussée du matériel, les tonnages des captures ne cessent de diminuer. En 1995, la capture de poissons a atteint son tonnage maximum avec 95 millions de tonnes. Depuis, la pêche mondiale plafonne autour de 90 millions de tonnes. On peut parler de pic du poisson ou peak fish comme il y a un pic pétrolier.

Notre impuissance : La transparence des données donne-t-elle la volonté d’instituer une gestion durable de la pêche industrielle ? Il en est dans ce domaine comme dans bien d’autres, on en cause nationalement et internationalement, on crée quelques confettis de réserves halieutiques, on établit des quotas sur certains poissons… mais globalement les mesures sont insuffisantes. Il faut voir par exemple au niveau de l’UE les circonvolutions de la commission sur la pêche électrique. Mais que fait Macron ?

* LE MONDE du 24 février 2018, La pêche industrielle exploite plus de la moitié de la superficie des océans

On interdit l’avortement, donc nous manquons d’eau

Excusez le raccourci, mais parce que nous refusons la maîtrise de la fécondité humaine, l’humanité a soif. Voici trois informations à recouper. Comme le Salvador, trois autres pays d’Amérique du sud interdisent toute forme d’avortement : le Honduras, le Nicaragua et la République dominicaine. En avril 1997, une réforme pénale au Salvador a interdit toute forme d’avortement, y compris en cas de viol, lorsque la vie de la mère est en danger ou quand le fœtus n’a aucune chance de survie. Teodora Vasquez avait même été condamnée en 2008 à 30 ans de prison pour une fausse couche qualifiée « d’homicide aggravé » par la justice*. Au Maroc, « il n’y a plus d’eau ni dans le ciel, ni dans le sol ». Après une décennie de surexploitation des nappes phréatiques par l’agriculture, le royaume est en situation de stress hydrique. Entre manger et boire, il faudra bientôt choisir**. Les 4,5 millions d’habitants du Cap sont menacés de se voir couper les robinets. Au Mozambique voisin, alors que les réserves sont au plus bas, un quart de l’agglomération de Maputo (4 millions d’habitants) est privée d’eau potable, car le gouvernement a décidé d’alimenter en priorité l’agriculture et la production d’électricité***. Ce sont des pays différents, des contextes socio-économiques dissemblables, mais comment ignorer que les politiques natalistes ont entraîné la surpopulation mondiale, elle-même source d’entassement dans des mégalopoles disproportionnées, avec des besoins alimentaires croissants et une pression insupportable sur les nappes phréatiques. Voici un récapitulatif issu de notre blog et centré sur ce dernier point :

Lierre Keith : Notre espèce souffre de surpopulation, et c’est le cas depuis 10 000 ans. Aujourd’hui, des milliards d’entre nous ne sont là qu’à cause des combustibles fossiles. La population mondiale est censée atteindre les 9 milliards en 2050. En parallèle, les réserves piscicoles seront épuisés, les nappes phréatiques trop profondes pour être exploitées et les dernières parcelles de couche arable seront devenues poussière. Toute discussion sur la population mondiale doit absolument prendre en compte la notion de capacité limite ou nombre d’humains qu’un environnement donné peut supporter indéfiniment.

Lester Brown : Nous coupons les arbres plus vite qu’ils ne peuvent repousser et nous surexploitons les pâturages qui, peu à peu, se transforment en déserts. Parallèlement nous épuisons les nappes phréatiques un peu partout. Une autre contrainte vient s’ajouter aux deux premières, les limites de la photosynthèse. Les productions de céréales stagnent déjà. Pour 1 degré d’augmentation de la température, nous devrions même connaître une baisse de 17 % de leur production.

Paul Ehrich : En quelque 60 millions d’années, Homo sapiens est devenu l’animal dominant de la planète, acquérant un cerveau développé et, par-dessus tout, un langage structuré. Malheureusement, au cours des siècles derniers, nous avons de plus en plus utilisé ce pouvoir pour épuiser le capital naturel de la planète, notamment ses terres agricoles profondes et riches, ses nappes phréatiques constituées durant les périodes glaciaires et sa biodiversité. Cette tendance est en grande partie due à la concomitance entre croissance démographique et augmentation de la consommation par habitant, une combinaison qui ne peut se poursuivre encore longtemps sans que risque de s’effondrer notre civilisation désormais mondiale.

Mathis Wackernagel : Mauvaise nouvelle pour la planète, ce mercredi 22 août 2012 l’humanité a déjà épuisé son crédit annuel de ressources naturelles. Nous avons déjà atteint le « Global Overshoot Day » ou « jour du dépassement ». En d’autres termes, nous vivrons à crédit jusqu’à la fin de l’année. Autrement dit, nous puisons dans le capital naturel : le réchauffement climatique s’accentue parce que le poids de l’humanité a dépassé les capacités de recyclage du CO2 par les écosystèmes, les stocks de poissons dans les mers sont en diminution, les nappes phréatiques baissent, etc. Pour M. Wackernagel, ni l’austérité ni la croissance n’éviteront la faillite du système, le défaut de régénération de la Terre sera le facteur limitant de notre économie. Car la tendance finira par se renverser, que ce soit à dessein ou par désastre.

Démographie responsable : Après les huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui ont accompagné la période de 2000 à 2015, ce sont dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) qui devraient permettre de construire le futur des 8,5 milliards d’habitants attendus sur la planète dans quinze ans. Le commentaire de « Démographie responsable » est pertinent : « 17 objectifs et pas un seul qui ne fasse référence, ni de près ni de loin, à la démographie ? Aucune « planète durable » ne sera possible avec les 11,2 milliards d’humains attendus pour 2100, sachant qu’à 7 milliards, nous avons déjà réussi à dérégler le climat, brûlé une grande partie des ressources fossiles, provoqué la 6ème extinction des espèces, rasé une grande partie des forêts tropicales et pollué les océans et les nappes phréatiques. Une fois encore, l’ONU est à côté de la plaque… »

le cas de l’Inde : « L’électricité gratuite ou à tarif réduit dont bénéficient de nombreux agriculteurs indiens pour irriguer leurs cultures, à l’aide de pompes motorisées, accélère l’épuisement des nappes phréatiques. Au rythme actuel, la Banque mondiale prévoit que 60 % de ces nappes seront dans une situation « critique » d’ici vingt ans. Le recours à l’irrigation souterraine a aussi creusé les inégalités. Seuls les plus riches peuvent financer l’achat de pompes et le creusement de puits profonds. Les autres doivent leur acheter l’eau… »

* LE MONDE du 18-19 février 2018, Au Salvador, plus de dix ans de prison pour une fausse couche

** LE MONDE du 18-19 février 2018, Au Maroc, « il n’y a plus d’eau ni dans le ciel, ni dans le sol »

*** LE MONDE du 18-19 février 2018, Sécheresse, surexploitation : le monde a soif

Le tanker Sanchi en feu, la symbolique des marées noires

Le naufrage du pétrolier iranien le 14 janvier en mer de Chine orientale est symbolique d’une catastrophe écologique beaucoup plus globale qu’une marée noire locale. Notre dépendance à la merde du diable (le pétrole) est facteur non seulement du réchauffement climatique, mais aussi du blocage prévisible de la croissance économique faute de combustible. Les nappes de pétrole en mer nous avertissent des risques structurels, encore faut-il s’en rendre compte.

Le naufrage du Torrey Canyon le 18 mars 1967 avait complètement échappé à l’attention du journal LE MONDE pendant plusieurs semaines ! Ce nétait que la première marée noire sur les côtes françaises, un événement sans importance. Il faut attendre le 21 avril  pour que soit publié en Une un bulletin intitulé « les dangers du progrès ». La conversion écologique de ce quotidien « de référence » va être lente, aussi lente que la prise de conscience générale dans une société où priment l’économique et le socio-politique. C’est seulement à partir de 1969 que LE MONDE ouvre un dossier « Environnement » au service de documentation. Mais il n’y a toujours pas de journaliste spécialisé. Quotidien institutionnel dont la rédaction était constituée de journalistes surtout centrés sur le politique, LE MONDE n’a commencé à traiter spécifiquement d’environnement qu’en 1971, lorsque le ministère de la protection de la nature et de l’environnement a été créé. La médiatisation des événements ne devrait pas en rester à un constat partiel, le nombre de morts, la longueur des nappes de pétrole, le coût écologique et financier du désastre… Les journalistes doivent nous avertir de la profondeur de la crise à venir. Les marées noires ne sont qu’un signe ponctuel des dérives d’une société minière ; les humains polluent les océans quand ils cherchent ailleurs ce qu’ils ne trouvent plus à proximité. 

L’exploitation minière est une métaphore, inspirée de la thèse de Lewis Mumford, de la civilisation thermo-industrielle : « L’exploitation minière est avant tout destructrice : son produit est un amas sans forme et sans vie, ce qui est extrait ne peut être remplacé. La mine passe d’une phase de richesse à l’épuisement, avant d’être définitivement abandonnée – souvent en quelques générations seulement. La mine est à l’image de tout ce qu’il peut y avoir de précaire dans la présence humaine, rendue fiévreuse par l’appât du gain, le lendemain épuisée et sans forces. » Les humains pulvérisent des montagnes et creusent au plus profond des entrailles de la Terre jusqu’à ce que le globe terrestre se réduise à l’état d’une orange pressée, pressurée, inutilisable ! Mais ces pratiques vont s’achever au cours de ce siècle après épuisement de toutes les richesses souterraine. L’allégorie de Mumford met parfaitement en lumière l’opposition radicale qui sépare deux formes de rapport à la nature. Il y a d’un côté l’agriculture traditionnelle qui favorise l’établissement d’un équilibre entre les éléments naturels et les besoins de la communauté humaine ; ce que l’homme prélève  à la terre lui est délibérément restitué (une capacité largement compromise par les stratégies d’exploitation minière en agriculture et en élevage). Il y a de l’autre le pillage du capital naturel par des multinationales qui creusent toujours plus profond, sur terre ou dans les mers, pour extraire les dernières gouttes de pétrole, les derniers morceaux de charbon, les dernières paillettes d’or.

Nos références :

14 mars 2007, Quarante ans déjà !, le naufrage du Torrey Canyon

3 mai 2010, les leçons d’une marée noire, la plate-forme Deepwater Horizon

Lewis Mumford, Les transformations de l’homme (1956)

Extraits du discours décapant de Jean-Marc Jancovici

Ressources : L’argent ne paye que les hommes qui travaillent, mais pas la nature qui met à notre disposition des carrières de calcaire, des sols cultivables, des mines de fer, des gisements de pétrole, de la neige en hiver et le code génétique du hêtre.

Croissance : c’est ce que vendaient autrefois les bonimenteurs de foire avec leur élixir de Jouvence : le produit miracle qui cure tous les maux, soigne toutes les affections. Quelque chose va de travers dans le monde ? Il suffit de faire (re)venir la croissance !

Politique : le père Noël se porte encore très bien, et un candidat promettant autre chose que la croissance, ou son retour si elle est mis aux abonnés absents, a peu de chances d’aller poser ses valises à l’Elysée.

Électeur : comme cela fait deux siècles – huit générations ! – que la croissance est – ou plutôt était – notre pain quotidien, pourquoi diantre devrions-nous penser qu’il va désormais falloir s’en passer ?

Croissance à crédit : Le PIB européen a augmenté d’un peu moins de 1 % entre 2007 et 2014, mais la production industrielle a baissé de 7 % et la dette publique est passée de 60 à 87 % du PIB (92 % dans la zone euro). L’économie a été mise sous perfusion de dette publique.

Dette : un tel contexte signifierait que la production future ne pourra jamais permettre de rembourser la dette, la capacité de remboursement étant alors uniquement fonction de notre capacité à emprunter encore plus à l’avenir pour rembourser les emprunts passés. Sauf à inventer la dette perpétuelle, cette affaire vase terminer par du défaut ou, en version plus soft, par une inflation durablement supérieure aux taux nominaux. L’absence de croissance va transformer une partie de l’épargne en… du vent.

Crise : dans ce contexte de descente énergétique, quel crédit accorder à tous ceux qui disent que « la crise est derrière nous » ? Si nous appelons « crise » le fait de s’accommoder d’un PIB décroissant, il est hélas plus que probable qu’elle soit pour l’essentiel devant nous ! Les flux physiques se trouveront contraints à la baisse à cause de l’énergie qui est désormais de plus en plus dure à extraire du sous-sol, et le PIB suivra tôt ou tard.

Adaptation : la fin de la croissance perpétuelle avait été théorisé dès le début des années 1970 (The limits to growth), et si nous avions été un peu lucides, nous aurions eu quarante années pour nous préparer. Au lieu de cela, nous avons préféré continuer à écouter ceux qui annoncent le retour de la croissance, même quand les faits leur donnent régulièrement tort !

« Dormez tranquilles jusqu’en 2100 » de Jean-Marc Jancovici

(Odile Jacob 2015, réédition en livre de poche, mars 2017)

à lire, notre résumé de l’édition 2015 sur notre site

Poissons et crustacés condamnés à la chaise électrique

Mardi 21 novembre, la Commission des pêches du Parlement européen a donné un feu vert à la pêche électrique. La pêche électrique est une méthode de pêche qui utilise l’électricité pour déloger les poissons du fond des mers et océans, et les faire remonter à la surface. Les filets des chaluts de fond sont équipés d’électrodes qui envoient des décharges électriques dans les sédiments, les poissons se convulsent sous l’effet de la décharge et le courant électrique les ramène vers le filet. Ce sont des décharges égales à celle d’un Taser. Ceux qui sont remontés dans les chaluts sont souvent couverts de brûlures, d’ecchymoses, ou ont subi des déformations du squelette du fait de l’électrocution. Pratique jugée destructrice des ressources marines en Asie au terme d’une dizaine d’années d’utilisation, la pêche électrique a été interdite à Hong Kong en 1999 et en Chine en 2000. Cette méthode de pêche avait été interdite en Europe en 1998, mais en 2007, les Néerlandais avaient obtenu des dérogations au prix d’un lobbying efficace. La réglementation permettait d’équiper en électrodes jusqu’à 5 % de sa flotte de chalutiers à perche (sur lesquels des filets sont fixés à une perche déployée sur le côté).

La pratique de la pêche électrique néerlandaise est très contestée par les pêcheurs français du Nord pour ses conséquences néfastes sur les écosystèmes marins : « Cette pêche tue tous les juvéniles. Les témoignages des bateaux français qui pêchent dans les mêmes eaux que les bateaux néerlandais entre 3 et 20 nautiques nous disent tous la même chose : il n’y a plus de petits poissons dans les eaux de la mer de Nord ». En envoyant des décharges électriques dans les fonds marins, on électrocute forcément des larves ou des femelles pleines, et ça ne peut pas ne pas avoir d’incidences sur la reproduction. C’est un cercle vicieux. Pour maintenir leurs marges, les industriels n’ont pas d’autre choix que de limiter les coûts de production, en réduisant la consommation de carburant, et d’inventer des méthodes de pêche de plus en plus efficaces. Le recours à cette technique électrique est symptomatique d’une ressource halieutique mal gérée au niveau mondial. Et c’est un aveu total de faillite : on est prêt à fermer les yeux sur les risques de destruction des ressources pour conserver un profit à court terme… Grâce à ses capacités de manipulation sémantique, la direction de l’Union Européenne qualifie aujourd’hui la pêche par impulsion électrique de « technique innovante » !

Outre cet épuisement des ressources, la pêche électrique a aussi des conséquences néfastes sur l’artisanat de la pêche, qu’elle concurrence déloyalement, avec des moyens techniques hors de sa portée. Pourtant favoriser l’artisanat, c’est-à-dire des méthodes de pêche plus douces, ce serait mieux pour tout le monde, pour les ressources marines, pour les pêcheurs, pour les citoyens. Selon une tribune dans LE MONDE*, « encore une fois, l’innovation technologique induirait le sacrifice de très nombreux pêcheurs afin de compenser les gains d’efficacité des navires électriques. Les petits pêcheurs sont déjà durement touchés, puisque les chaluts électriques se sont déjà déployés vers les habitats côtiers fragiles, impactant leurs zones de pêche ou de reproduction de nombreuses espèces-clés ».

pour en savoir plus, https://reporterre.net/Le-Parlement-europeen-donne-un-premier-feu-vert-a-la-nefaste-peche-electrique

Il est encore temps de signer cette pétition : https://www.bloomassociation.org/stop-peche-electrique/

* LE MONDE du 16 novembre 2017, « L’Europe doit interdire la pêche électrique »

Gaz à tous les étages, notre mode de vie dans l’impasse

Avec « eau et gaz à tous les étages » et des WC individuels (on en comptait à l’époque un pour 70 logements), La Ruche offrait un confort inédit pour la classe ouvrière. Le comble du luxe. Construite entre 1893 et 1896 dans La-Plaine-Saint-Denis, La Ruche est le premier ensemble d’habitations à bon marché (HBM) à être encadré par la loi Siegfried de 1894 qui a initié le financement public du logement social en France, l’ancêtre des HLM. Aujourd’hui, c’est la planète entière qui désire l’eau courante avec chasse d’eau incorporée dans chaque WC. Il en est de même pour le gaz, source d’énergie fossile, source d’énergie facile. Quand le président américain Donald Trump fait des civilités à son meilleur ennemi, son homologue chinois Xi Jinping, ils se racontent des histoires de gaz. Ils ont signé jeudi 9 novembre 2017 un accord d’investissement chinois pour l’exploitation d’un gisement en Alaska. Le pétrolier français Total est lui aussi enivré par les vapeurs du gaz. Les autres majors suivent le mouvement.

Le journal LE MONDE* liste les raisons de cette frénésie. La première est géopolitique. Depuis le développement spectaculaire des gaz de schiste aux Etats-Unis, et la décision récente du pays de l’exporter, les sources d’approvisionnement sont plus diversifiées que pour le pétrole et le prix du gaz s’est effondré, le rendant plus compétitif pour des usages comme la production d’électricité. De ce fait, et c’est la deuxième raison, il devient un substitut raisonnable au charbon. Or ce dernier est deux fois plus polluant, autant en matière d’émission de CO2 que de particules et oxydes d’azote ou de soufre. Enfin il apparaît de plus en plus comme le candidat tout désigné de la transition énergétique vers les énergies renouvelables. Plus présentable que le charbon, plus politiquement correct que le nucléaire. Le gaz constitue un relais de croissance puissant face au déclin annoncé du pétrole, qui sera accentué par le basculement progressif des transports vers l’électrique… ou le gaz (pour les camions, bus et bateaux).

Comme d’habitude nos agissements individuels et collectifs veulent ignorer les contraintes biophysiques du long terme. Le gaz naturel est une ressource non renouvelable qui devrait atteindre son pic de production entre 2030 et 2040. Ce qui veut dire qu’il est impossible de conserver au cours des années 2050 le gaz à tous les étages et le confort qui va avec. Dans un contexte prévisible de pénurie énergétique et de contrainte climatique, les habitants des HLM ne pourront plus se chauffer et il n’est même pas certain qu’un réseau électrique défaillant permettra encore l’eau courante pour tous. Le seul moyen d’éviter une explosion des inégalités et de la précarité, ce serait d’instituer un système de rationnement de l’énergie, un quota carbone égal pour tous et échangeable. Entre le règne du chacun pour soi ou le choix collectif de la sobriété partagée, nous ne pouvons pas savoir à l’avance ce qui l’emportera. Mais si on en croit l’expérience de notre passé historique, il y aura la violence des riches et le fatalisme des pauvres…

* LE MONDE éco&entreprises du 10 novembre 2017, Gaz à tous les étages

Imaginons la France en l’an 2100, rêve ou cauchemar ?

Nous sommes en 2100, imaginez la France telle qu’elle pourrait être. Vos propres prévisions sont les bienvenues dans l’espace commentaire de ce blog. Nous vous demandons seulement de ne pas dépasser 2400 caractères, comme cette première vision (radieuse) d’un journaliste du MONDE, Jérôme Porier :

« Faisons un rêve. Nous sommes en  2100 et, ce matin, le soleil est radieux. Aucune trace de pollution, l’air est aussi pur qu’en montagne. Il faut dire que la production d’énergie à partir d’énergies fossiles est interdite depuis plus de cinquante ans. Quand les centrales nucléaires ont été mises au rancart, il a fallu que chaque village s’équipe de panneaux solaires et d’éoliennes. Prendre ce virage était d’autant plus nécessaire que toutes les voitures (sans pilote) roulaient depuis longtemps à l’électricité. Le monde de la distribution a, lui aussi, beaucoup changé. Le circuit court est devenu la règle, et il ne viendrait à personne l’idée de manger des fraises en hiver. Le rapport de force entre paysans et distributeurs s’est inversé. Ces derniers ont l’obligation de privilégier les productions locales. Bien plus tard, les effets bénéfiques de cette mesure se sont fait pleinement sentir lorsque la prévalence des cas de cancer a diminué, ce qui a permis de sauver la Sécurité sociale. Biocoop, première multinationale du bio, a fini par acheter Carrefour en émettant des « green bonds » (émissions obligataires destinées à financer des projets environnementaux). Il faut dire que les grands groupes n’arrivaient plus à attirer les jeunes diplômés dans leurs open spaces, une organisation du travail datant d’un autre siècle. Depuis cinquante ans, la plupart des entreprises créées en France sont des coopératives. Les jeunes apprécient leur mode de fonctionnement : gouvernance collégiale, élection des dirigeants, écarts de salaire limités, pas d’actionnaires à rémunérer… Ce qui est chouette, c’est que plus personne ne dort dans la rue. Des entreprises d’insertion permettent aux exclus de reprendre pied sur le marché du travail. C’est la solution la moins coûteuse pour la société.

Comment cela a-t-il été possible ? Depuis 2020, tous les distributeurs de produits financiers ont dû en proposer une version solidaire. Des milliards d’euros ont irrigué les canaux de l’économie sociale et solidaire, qui est -devenue le modèle dominant. Chaque hiver, les historiens rappellent que, à une époque pas si lointaine, on laissait encore des gens mourir de froid et d’indifférence. Pour leur rendre hommage, un monument a été élevé à Saint-Denis, cœur du Grand Paris, où réside le gouvernement. Sur une plaque est gravé : En mémoire des victimes d’une époque de grande barbarie. » (LE MONDE argent &placements du 10 novembre 2017, L’économie du futur)

Les décroissants peuvent-ils prédire l’avenir ?

  1. Anna Bednik : N’en déplaise aux prophètes, la civilisation industrielle n’est pas en train de vivre ses derniers jours. Habile comme un chat qui retombe sur ses pattes, elle se nourrit des crises pour se créer des perspectives nouvelles de mutations et d’extension. Pourquoi ce qu’on désigne par euphémisme de « crises écologiques » ferait-elle exception ? L’urgence climatique, un formidable alibi pour imposer de nouveaux impératifs techno-marchands. Les dégradations écologiques ? Autant de niches dans lesquels les gestionnaires du désastre s’engouffrent à cœur joie. Quant aux ressources naturelles, leur raréfaction annoncée sert tout d’abord à repousser les limites. Les pétroliers sont allés fouiller des gisements non conventionnels, exigeant des technologies coûteuses. Les réserves de cuivre étaient estimées de l’ordre de 280 millions de tonnes en 1970. 480 millions de tonnes ont été extraites depuis. Pourtant, miracle, en 2014 il en restait encore 700 millions ! Il reste suffisamment de trésors convoités pour que leur quête effrénée fasse de la terre un endroit invivable. L’industrialisme détruit systématiquement ce qui entrave son expansion.
  2. Francis Leboutte : Soyons tout de même certains que l’effondrement de la société thermo-industrielle aura lieu avant 2050 et, probablement, bien avant.
  3. Willem Hoogendyk : Le temps n’est pas loin où nous aussi, en France, nous planterons partout des carottes et des haricots dans les quartiers, en ville.

    Extraits du mensuel « La décroissance » de septembre 2017

La croissance nécessite la destruction de la biosphère

La destruction de l’environnement n’est pas seulement une conséquence fortuite de la croissance économique, mais aussi et surtout l’un de ses carburants. L’érosion des services écosystémiques est, quelle que soit la valeur qui peut leur être attribuée, l’une des conditions déterminantes de l’accroissement du produit intérieur brut. En un mot, la destruction de la nature et de la biodiversité est absolument nécessaire à la croissance. C’est le point de vue que relaye le journaliste Stéphane Foucart dans sa chronique* :

Dans la revue Ecological Economics, Stefano Bartolini et Luigi Bonatti décrivaient ainsi ce phénomène en 2002 : « Nous présentons dans cet article une vision de la croissance différente du paradigme dominant. Nous modélisons la croissance comme un processus dirigé par les réactions de défense des individus face aux externalités négatives générées par le processus de production. » En termes clairs, si des études alarmantes sur la dégradation de la biodiversité ne suscitent aucune réaction adéquate, c’est parce que cette destruction dope la croissance. Plus un écosystème est précieux, plus il peut être rentable, pour maximiser la croissance, de le détruire. La disparition des abeilles n’est pas pour certains économistes une si mauvaise nouvelle, puisqu’elle conduit au développement et à la commercialisation de solutions techniques de pollinisation. Plus globalement, l’activité économique dégrade à la fois l’environnement Et le tissu social. Les services que rendent gratuitement l’environnement social (garder vos enfants, aller vous chercher du pain à la boulangerie, réparer votre système d’exploitation Windows, etc.) ou naturel (polliniser vos cultures, maintenir la fertilité des terres agricoles, etc.) s’érodent. Pour pallier la disparition de ces services gratuits, les agents économiques ont recours à des services marchands. Mais pour y avoir recours, ils doivent disposer de moyens financiers plus importants et doivent donc accroître leur activité économique. Et, ainsi, contribuer à nouveau, un peu plus, à la dégradation du tissu social et environnemental, etc. La boucle est bouclée.

Tant que les responsables politiques seront obnubilés par la quête de la croissance du PIB (produit intérieur brut), il n’y aura pas de solution aux désastres écologiques en cours. C’est ce que nous démontrons sur ce blog depuis onze ans maintenant. C’est ce que révélait déjà en 1972 un rapport scientifique intitulé « Les limites de la croissance », à se procurer toutes affaires cessantes et à poser sur la table de travail des politiques que vous connaissez. La décroissance est notre destin, nous aurions préféré qu’elle soit maîtrisée, ce sera comme d’habitude dans notre système croissanciste une crise qui s’apparentera bientôt à la grande dépression de 1929. Nous avons aussi sur ce blog analysé les mécanismes d’un effondrement économique rapide.

* LE MONDE du 17-18 octobre 2017,« La destruction de l’environnement est-elle une condition de la croissance ? »

Les dystopies, reflet de nos angoisses contemporaines

Le point commun des dystopies ? Nous décrire un avenir noir, à l’exact opposé d’un monde utopique*. En dix ans, ils ont colonisé les rayonnages de la littérature et conquis le petit et le grand écran. Une décennie au cours de laquelle la survie en temps de catastrophes (nucléaire, bactériologique, climatique) ou de post-apocalypse s’est imposée dans la culture populaire. Les dystopies nous permettent d’imaginer le futur. La technologie s’est partout imposée, et c’est ce qui mène le monde à sa perte. Les jeunes d’aujourd’hui grandissent dans un monde très angoissant quant à leur avenir, à base de chômage, de stages à vie, de terrorisme, un monde dans lequel trouver un boulot, se trouver soi est plus difficile que pour les générations précédentes. La dystopie dépeint un monde sombre et difficile dans lequel un héros va se battre pour s’en sortir. C’est une métaphore du quotidien des jeunes adultes. Et la planète, avec ses dérèglements climatiques et la raréfaction des ressources, ne tourne plus très rond. Pour alarmistes qu’ils soient, les scénarios littéraires des Cassandre paraissent désormais crédibles. Trois personnes sur quatre courront le risque de mourir ­d’hyperthermie d’ici à la fin du XXIe siècle si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au rythme actuel. Selon les calculs du « jour du dépassement« , nous avions consommé le 2 août, l’ensemble des ressources que la planète peut renouveler en une année. D’autres menaces guettent, ­relayées par les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux. A l’écran, elles sont rendues plus réalistes par les progrès des effets spéciaux : catastrophe ­nucléaire, inégalités croissantes dans le partage mondial des richesses, traçage des individus, montée des extrémismes, ­attentats, surpopulation, pandémies, ­risques sanitaires, transhumanisme, ­robotisation… Ces dérèglements constituent de lents processus dont les histoires d’anticipation peuvent présenter les conséquences à long terme. Dans cette perspective, les écrivains se rapprochent des scientifiques. Les temps sont passionnants, mais hyper-anxiogènes. On cherche des réponses. Et la science-fiction, au sens large, en propose. Elle met en garde. Elle explique. Elle ­dénonce. Et force est de constater que, sur pas mal de sujets, elle ne s’est pas trompée !

Imaginez un monde où, face à la ­raréfaction des ressources et à la démographie galopante, l’on instaure une politique de l’enfant unique. Dans Seven Sisters, en salles depuis le 30 août, des septuplées sont ­cachées par leur grand-père sous peine d’être cryogénisées. La série brésilienne 3 % dépeint un futur où 3 % de la population mondiale vit dans l’opulence sur « Le Large », une île de l’Atlantique coupée d’un monde plongé dans la misère. Chaque année, tous les jeunes de 20 ans passent des tests pour intégrer l’île. Seuls 3 % réussiront. Jean-Marc Ligny, pour sa trilogie Aqua, a fondé ses dystopies sur les modélisations scientifiques faites par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Même chose pour Kim Stanley Robinson, chef de file aux Etats-Unis de la « Real science-fiction », dont 2312 vient d’être traduit chez Actes Sud.

Sur ce blog, nous donnons la parole a toux ceux qui font de la collapsologie. Les travaux de l’institut Momentum sont une bonne introduction à la catastrophe prévue. Mais la meilleure approche probabiliste de l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle reste le rapport au club de Rome de 1972 sur Les limites de la croissance

* LE MONDE du 10-11 octobre 2017, Séries, films, romans… pourquoi joue-t-on à se faire peur ?

Sans pétrole, nous nous baladerons dehors et tout nu

Énergie : quand il y a moins d’énergie qui rentre dans un pays, ce n’est pas une bonne occasion pour remplacer des machines qui ne peuvent plus fonctionner par des hommes, car la différence moyenne de productivité entre les deux reste astronomique.

Habitation : si nous devions revenir aux techniques constructives en vigueur à l’époque romaine (pas de béton, pierres extraites à la pelle et à la pioche, transportés par barges, montées par poulies à la force des bras), les logements demanderaient 30 à 1000 fois plus de temps pour être construits, et surtout coûteraient tellement cher qu’il s’en construirait 50 à 100 fois moins dans l’année.

Habillement : des centaines – milliers ? – de machines sont intervenues pour pouvoir enfiler un simple slip ! S’il est en synthétique, alors son histoire a commencé avec un gisement de pétrole. L’affriolante petite culotte rose est un sous-produit de plate-forme pétrolière !

Pouvoir d’achat : puisque la somme à répartir pour l’ensemble des agents économiques deviendra chaque année plus petite, il sera arithmétiquement impossible de donner un peu plus à chacun. Dit de manière plus simple, la baisse du pouvoir d’achat deviendra la règle.

Limites : le défi existe, rendre l’économie durable pour de vrai, c’est-à-dire compatible avec les limites physiques de la planète. Les flux physiques vont se contracter de même que l’emploi tertiaire urbain. Depuis 2006, soit deux ans avant le crash financier, pétrole et gaz ont commencé à se faire moins disponibles dans les pays de l’OCDE.

Travail : désormais il faudra des travailleurs manuels en quantité croissante et des employés de bureau en quantité décroissante, en commençant par ceux qui ont reçu une formation dite littéraire qui sont les plus éloignés de la production physique de terrain.

Etudes : conseil à ceux dont les enfants ne savant pas quoi faire : devenez plombier ou maraîcher, ça sera moins confortable que d’être assis dans un bureau, mais il se peut que cela soit de plus en plus facilement valorisable que quatre ans de psycho !

Mère au foyer : la crèche n’est rien d’autre que l’échange d’une mère permanente contre une mère temporaire (environ un million de personnes travaillent dans la garde d’enfants en France).

Retraite : il y aura encore quelques menus problèmes très concrets à régler, comme par exemple la baisse programmée des retraites tant que l’espérance de vie augmentera (mais dans un monde sans croissance il n’est pas dit qu’elle augmente encore très longtemps).

« Dormez tranquilles jusqu’en 2100 » de Jean-Marc Jancovici (réédition en livre de poche, mars 2017)

à lire, notre résumé de l’édition 2015 sur notre site

Création monétaire à lier aux possibilités matérielles

Une grande partie de l’histoire monétaire contemporaine, jusqu’à l’abandon en 1971 de l’arrimage du dollar américain aux réserves d’or, a consisté à essayer de libérer la création monétaire de tout ancrage matériel ou ressourciel pour faire d’elle un pur jeu de paris décentralisés sur une variable collective : la croissance de la valeur de la production nationale, voire mondiale. L’émission monétaire moderne par le crédit bancaire fonctionne tout autrement que le simple prêt d’une quantité d’or. Elle constitue une forme d’avance sur le vide adossée à la seule attente de valeur monétaire future des projets financés. C’est précisément grâce à ce mécanisme ingénieux mais potentiellement dangereux de création monétaire par endettement bancaire que les impacts humains sur la biosphère ont pu devenir si massivement repérables même au niveau géologique (anthropocène).

Les banques peuvent créer quasiment autant de crédits, donc de nouveaux dépôts, qu’elles le jugent nécessaires, et les banques centrales leur fournissent ensuite les réserves requises pour qu’elles restent solvables. Le débiteur, pense la banque, saura se débrouiller pour ramener durant la vie du crédit les écritures en compte requises pour que sa dette s’éteigne. Cette création ex nihilo est un pari sur la croissance économique future. Chaque crédit bancaire va se transformer en transactions qui s’accompagnent de flux de matière et d’énergie. L’entièreté de ce système monétaire est consacré à un accroissement de l’empreinte écologique globale. A partir du moment où, à travers la logique du crédit, les dettes deviennent des actifs profitables, il semble inéluctable que la finitude de la biosphère soit secondaire, voire l’objet d’un déni pur et simple. L’overshoot ou dépassement des capacités de la biosphère est étroitement lié aux effets de la création monétaire en termes d’extraction accélérée de ressources non renouvelable et d’insuffisant renouvellement des ressources renouvelables.

Au lieu de supposer un budget écologique ouvert et indéterminé, pourrions-nous échanger à budget écologique fermé ? Cette question est proprement inédite, tant elle rompt avec les réflexes d’une ancienne modernité anti-écologique. Il faudrait d’abord construire un indicateur synthétique capable de prendre le relais du PIB nominal. Ensuite on déduirait de la biocapacité globale du territoire des budgets écologiques nationaux, régionaux, locaux… puis finalement par entreprise et ménage. En fait ce serait instituer un droit de tirage individualisé sur l’empreinte écologique globale maximale autorisées. (ndlr : cela équivaut à un rationnement)

Christian Arnsperger, Repenser la création monétaire pour demeurer dans les limites de la biosphère

in Gouverner la décroissance, collectif, 14 euros pour 234 pages (éditions SciencePo 2017)

Un événement qui aurait du gâcher vos vacances en août

Depuis le mercredi 2 août, l’humanité a consommé toutes les ressources que la Terre peut produire en une année. En moyenne mondiale, nous utilisons 1,7 planètes. Ce qui veut dire que nous coupons des arbres à un rythme supérieur à celui de leur croissance, nous prélevons plus de poissons dans les mers qu’il en naît chaque année, et nous rejetons davantage de carbone dans l’atmosphère que les forêts et les océans peuvent en absorber*. Avec le train de vie moyen des Français, vous avez besoin de trois planètes. Vos vacances y sont pour quelque chose, surtout si vous vous êtes déplacé au loin et par voie des airs. Jusqu’à la fin 2017, pour continuer à boire, à manger, à vous chauffer ou à vous déplacer, vous allez grandement surexploiter les écosystèmes et compromettre leur capacité de régénération. Qui s’en soucie ? Nicolas Hulot, notre ministre de l’écologie.

« Le 2 août, c’est comme si notre planète disparaissait sous nos pieds. Lover­shoot day symbolise ce moment à partir duquel nous allons vivre à crédit… Nous ne nous éloignons pas encore du pire… Nous sommes sur le fil du rasoir… MAIS nous avons de profondes raisons d’espérer. Jamais les prix des énergies renouvelables n’ont été aussi bas…, l’offre de véhicules électriques va tripler d’ici à 2020…, l’agriculture biologique décolle…, de nouveaux choix de société sont en train de naître sous nos yeux… Notre pays a toutes les chances de réussir la transition écologique…** » Optimisme de façade, blabla politicien ! Pourquoi les citoyens se sentiraient-ils concernés par le jour du dépassement puisque tous les indicateurs vont virer au vert grâce à «  l’union des forces progressistes » !!! Autrefois on se contentait de prier, aujourd’hui on fait confiance à la prise de conscience spontanée. Prenons un seul exemple de la duplicité du gouvernement actuel, l’agriculture biologique.

Les producteur(rice)s bio de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB) dénoncent un renoncement politique historique. Par décision du ministre de l’Agriculture Stéphane TRAVERT, aucun budget pour les aides à l’agriculture biologique ne sera engagé dans les 3 prochaines années. Aucune nouvelle conversion biologique ne sera donc possible.***Cela témoigne d’un manque criant de courage politique face à l’agro-industrie. Alors que le ministre évoque « un dialogue rénové et responsable [pour construire] les solutions permettant de construire l’évolution des modèles agricoles », il a prêté l’oreille la plus attentive à ceux qui n’ont cessé de conduire l’agriculture française dans l’impasse actuelle, la FNSEA et l’AGPB en tête. Tout porte désormais à croire que les États Généraux de l’Alimentation (EGA) ne seront qu’une mascarade. La « révolution » agricole promise par le candidat MACRON dans son livre-programme n’aura pas lieu. Nicolas Hulot théorise, les choses sérieuses se font dans son dos.

* LE MONDE du 2 août 2017, A compter du 2 août, l’humanité vit à crédit
** LE MONDE du 2 août 2017, Nicolas Hulot : « Pour la planète, préférer le sursaut au sursis »

*** Communiqué de presse de la FNAB, jeudi noir pour l’agriculture biologique (28.07.2017)

E. Macron peut-il changer les réalités biophysiques ?

Le seul discours qui tienne est qu’on ne peut mathématiquement pas, en matière de ressources naturelles “dépenser plus qu’on ne produit”. Tout le reste est de la pensée magique qui pense que le “progrès technique” peut tout et règle tout ! Or, suites aux délires de la finance où l’on peut créer de la monnaie ex-nihilo et sans aucune contrepartie, trop de monde a pris des habitudes et cru qu’on pouvait le faire pour tout : or c’est TOTALEMENT IMPOSSIBLE dès lors que l’on revient dans le monde PHYSIQUE.

 Tout ce qu’on nous “vend” désormais dans les “pays avancés” c’est un maximum d’économie virtuelle. Il y a  juste là derrière une vaste escroquerie: car cette “économie virtuelle” n’existe que grâce à un énorme support matériel : outre les objets eux-mêmes, il y a les gigantesques fermes de serveurs qui hébergent les données et les programmes, les réseaux très matériels pour effectuer les transferts à un débit de plus en plus haut, le personnel pour entretenir et faire fonctionner tout cela (sans compter par exemple sur les réseaux sociaux les hordes de modérateurs pour éviter que cela ne devienne totalement n’importe quoi). Allez aussi expliquer au paysan français qu’il va devoir vivre avec 500€ par mois pour nourrir des bobos qui se paient 5000€ par mois en vendant des conneries genre applis pour trouver du n’importe quoi sans utilité sur le net, créer des vidéos débiles,etc… Dans la gamme des délires, le robot agricole à 100€ (prix d’achat) pour remplacer les humains dans les exploitations agricoles ! Avec quel prix de matières première s? exploitées par des enfants esclaves ? avec quelle énergie ? combien d’énergie gaspillée pour produire combien d’énergie mangeable ?

Qui est d’accord dans les pays riches  pour dégrader sévèrement son niveau de vie pour partager les biens matériels divers avec plus de personnes ? Et dans les pays pauvres qui soit-disant “polluent moins que les pays riches”, c’est tout simplement faux. Il ne faut pas confondre le peu de pollution des plus pauvres des bidonvilles qui sont contraints à tout recycler pour survivre et qu’ils n’ont juste pas assez de ressources pour gaspiller, et le gaspillage effréné de ceux qui en émergent et des classes dirigeantes qui adoptent instantanément les mêmes comportements gaspilleurs que les nôtres (j’y ai vécu 18 ans, j’ai pu le constater sur le terrain!), avec en plus l’excuse pour la plupart que leurs pays sont vastes et disposent de RICHESSES NATURELLES  qu’ils estiment devoir mettre en production de manière massive, là encore pour faire perdurer une économie de rente…

Ce qui compte c’est l’augmentation du stock de population et ce nombre est fonction de nombreux critères plus importants que le nombre final d’enfants par femme. Ce qui compte aussi c’est le mode de vie et pour l’instant la plupart des pays “en développement” qui s’enrichissent construisent des autoroutes ou achètent des 4×4 pour utiliser leurs pistes mêmes quand ils ont des fleuves ou plutôt que de se déplacer en train. Rien de très écolo donc ! Le Brésil par exemple est sans doute l’un des pays les plus anti-écolos du monde. Comment lutter contre les religions croissantistes (christianisme et islam avant tout) ? Contre le statut social ? Combien de décennies encore à attendre que “changent les mentalités “ ? Combien y-a-t-il de filles vraiment “éduquées” et capables d’imposer leurs volontés aux mecs ? Il faut cesser les discours lénifiants : la situation n’est pas grave, elle est catastrophique et ce ne sont pas des mesurettes et encore moins la politique macronésienne qui va nous sortir de l’ornière. Dans ce domaine la présidentielle fut une catastrophe.

Jean-Marc TAGLIAFERRI