épuisement des ressources

BIOSPHERE-INFO 370, la fin de l’extractivisme ?

Pour recevoir gratuitement ce bimensuel BIOSPHERE-INFO, il suffit de s’inscrire à cette adresse : biosphere@ouvaton.org

La fin de l’extractivisme approche

La fin de l’extractivisme approche. Nous creuserons jusqu’au bout, nous avons tort,  nous devrions réagir même s’il est trop tard pour sortir indemne de l’impasse dans laquelle nous a mené la société thermo-industrielle extractiviste. Les livres sur cette question se multiplient : Dette et Extractivisme de Nicolas Sersiron (éditions Utopia 2014), Le crépuscule fossile de Geneviève Férone-Creuzet (Stock 2015), Creuser jusqu’où ? (Extractivisme et limites à la croissance) sous la direction d’Yves-Marie Abraham et David Murray (Ecosociété 2015). La sagesse de Thomas More a été ignorée, qui condamnait toute ouverture des entrailles de la Terre :

« L’or et l’argent n’ont aucune vertu, aucun usage, aucune propriété dont la privation soit un inconvénient véritable. C’est la folie humaine qui a mis tant de prix à leur rareté. La nature, cette excellente mère, les a enfouis à de grandes profondeurs, comme des productions inutiles et vaines, tandis qu’elle expose à découvert l’air, l’eau, la terre et tout ce qu’il y a de bon et de réellement utile. » (L’utopie 1ère édition 1516, éditions la dispute 1997)

Voici ci-dessous l’analyse la plus récente, celle d’Anna Bednik (Extractivisme, exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences, résistances aux éditions le passager clandestin 2016), suivie par deux textes significatifs.

1/4) idées générales sur l’extractivisme

Définition de l’extractivisme : Intensification de l’exploitation massive de la nature, sous toutes ses formes. Notons que dans de nombreux textes académiques en langue française, le vocable extractivisme (du terme brésilien extrativismo) se réfère à la pratique de la cueillette des produits de la forêt par la population amazonienne. Une perspective élargie du mot extractivisme ne se limite pas à l’extraction de ressources tirées du sous-sol, on peut inclure les grands barrages hydroélectriques, l’agriculture industrielle, les monocultures forestières ou encore l’accaparement de l’eau. L’extractivisme est un programme pour utiliser la terre et non pour vivre avec elle.

L’usage critique de ce mot s’est fait jour en Amérique latine, visant notamment l’obstination des gouvernements de tous bords politiques à tirer le plus grand profit des «avantages comparatifs» de leur pays sur le marché mondial, c’est-à-dire favoriser les activités extractives afin d’accroître les exportations de biens primaires. Critiquer l’extractivisme, c’est aussi  dénoncer le discours développementiste qui a servi et continue à servir aux pouvoirs en place à justifier aux yeux des populations des projets destructeurs.
Des résistances, il y en a partout en Amérique du Sud. Mais en France ? Le scandale des gaz de schiste a éclaté à la fin de l’année 2010. Le pays découvrait avec stupeur que l’industrie s’apprêtait à cribler nos campagnes de forages d’hydrocarbures non conventionnels. Des collectifs citoyens se sont propagés comme une traînée de poudre. Les zones à défendre (ZAD) en France sont également autant de formes d’occupations de territoires contre les projets d’aménagement et d’expropriation de l’espace.

Les mobilisations concrètes et locales contre les projets extractivistes ou plus généralement pour la défense des territoires occupent tous les jours des milliers, voire des millions de personnes, qui sont autant d’agents de contagion. L’approfondissement d’une « culture de territoire » conduit à développer des pratiques collectives d’autonomie créatrice.

2/4) Résumé du chapitre d’Anna Bednik «en attendant la catastrophe»

La déclaration de Cochabamba ou « accord des peuples » en avril 2010 voulait venir au secours de «notre Terre-Mère». Dix-sept groupes de travail thématiques (mesas) avaient préparé cet accord. Mais la Mesa 18, intitulé « Droits collectifs et droits de la Terre-Mère » n’a pas eu droit de cité à cette conférence mondiale. Le vice-président bolivien les a même qualifiés de « locaux, hors contexte et inopportun s». Cette Mesa 18 avait pourtant pour objectif d’approfondir l’analyse des effets locaux du capitalisme industriel global, de dénoncer l’exploitation des mines qui prive d’eau les communautés paysannes, pollue les fleuves et les lacs, et qui s’étend sur de nouveaux espaces car le gouvernement vend les concessions « comme du pain chaud ». Ils ont cherché à confronter le nouvel activisme international de leur gouvernement à sa dépendance quasi totale vis-à-vis de la rente extractive qui se traduit par l’intensification de projets extractivistes à l’intérieur du pays : « Le gouvernement demande à l’extérieur qu’on respecte la Terre-Mère. Bien ! Qu’il commence dans sa maison. » La déclaration finale affirmait la responsabilité des régimes latino-américains dans la logique prédatrice et rappelait que la mobilisation sociale permanente était le seul chemin effectif pour transformer la société.

Les nouveaux tenants du pouvoir en Amérique du sud ont en effet poursuivi la spécialisation primo-exportatrice historique de leurs pays car la rente extractive a permis à ces régimes les fonds qui leur permettaient de financer les politique sociales. Aux dires du président équatorien Rafael Correa, on construira une société plus juste et plus équitable « avec le même modèle ». La lutte contre la pauvreté (entendu au sens occidental du terme) a pris le dessus.

Derrière la notion de développement, il y a l’idée que vivre ne serait pas suffisant. Ceux qui nous disent pauvres, expliquent les paysans-ronderos d’Ayabaca au Pérou « ne voient pas nos richesses, ils comptent l’argent ». En Australie, les Aborigènes interrogent : « Nous avons du soleil, du vent et des habitants, Pourquoi polluer notre environnement pour de l’argent? » Le buen vivir (ou vivir bien) n’est plus qu’un slogan utilisé à des fins de marketing politique qui se confond, selon les besoins de ceux qui les utilisent, avec «développement», «services de base», voire  «accroissement du pouvoir d’achat». Le seul fait d’intensifier l’extractivisme a enseveli l’espoir de renouveau. Il est indispensable au capitalisme, il est incompatible avec le respect de la Terre-Mère et de la vie. Sans extractivisme, le productivisme ne pourrait perdurer.

Les barrières écologiques, limites dites «externes» du capitalisme, semblent pouvoir précipiter l’effondrement du système plus rapidement encore que les problèmes récurrents de suraccumulation (contradictions «internes»). L’épuisement annoncé de nombreuses ressources naturelles et l’ampleur de la dégradation écologique apparaissent comme devant plafonner à plus ou moins court terme la croissance de la production et l’accumulation. Serait-on prêt à accepter un gouvernement autoritaire écologiquement éclairé, ou bien, doit-on, pour préserver la vie sur terre, compter, tout au contraire, sur un effet forêt, une façon de lier les êtres et les choses, de devenir ingouvernables ? Il semble exagérément optimiste de donner le système capitaliste pour presque vaincu.

On sait que les limites matérielles liées à la disponibilité des ressources sont repoussées toujours plus loin, au prix de l’exacerbation de l’extractivisme, de coûts humains et environnementaux de plus en plus élevés. Le capitalisme fait preuve d’une redoutable plasticité. L’urgence climatique offre par exemple un formidable alibi pour imposer de nouveaux impératifs techno-marchands. Les réductions des émissions de gaz à effet de serre sont cotées en bourse, les dérivés climatiques permettent aux investisseurs de parier sur les variations de climat, les services fournies par les écosystèmes se voient assignés des prix, chaque limite est mise à contribution pour renouveler les horizons du profit. Dans ce cadre-là, la rupture avec l’extractivisme est loin d’être à l’ordre du jour. Cela fait longtemps que des alertes sont lancées, la société industrielle est toujours passée outre. Partout se multiplient les «zones de sacrifice» dédiées à l’extraction de matières premières ou de vecteurs d’énergie, les déchets s’amoncellent dans les «zones poubelles»  et les «zones interdites» ne sont pas limitées à Tchernobyl et Fukushima. Les espaces «pour être» se réduisent comme peau de chagrin. L’enrôlement utilitaire de l’espace est déjà en train de rendre la Terre inhabitable.

Le mouvement pour «changer le système, pas le climat» doit donc commencer à prendre au sérieux l’anti-extractivisme en ne mettant pas les émissions de GES au-dessus de toutes les autres formes de destruction de la nature. Les industries du pétrole, du gaz et du charbon ne sont pas les seules activités extractives à contribuer aux dérèglements écologiques planétaires. La véritable question n’est plus de savoir s’il reste des ressources disponibles, mais plutôt quels seront les coûts sociaux et environnementaux si leur extraction se poursuit. Les luttes concrètes sont autant de bâtons fichés dans les roues de la mégamachine extractive qui alimente les industries polluantes et change le climat. Ceux qui combattent des projets extractivistes concrets ne se révoltent pas, au départ, contre la catastrophe écologique globale, ni contre le système qui le produit. Ils cherchent à contrer des menaces locales. Mais, interagissant avec d’autres mouvements qui affrontent les mêmes problèmes, ils en viennent souvent à dénoncer toutes les pratiques prédatrices mues par une seule et même logique. Le Nimby des premiers temps cède la place au Nina : Ni ici ni ailleurs. Le « NON » à un projet extractiviste particulier se mue en un «NON à l’extractivisme». A cours de ces luttes émerge, au Sud comme au Nord, l’idée forte qu’aucune promesse, aucun objectif ne peuvent justifier la perte de ce que l’extractivisme accapare ou détruit : l’eau, la terre, les montagnes, les forêts et les rivières, les moyens de subsistance et la santé, mais aussi la culture de chaque lieu, ses mythes et sa mémoire, ses formes particulières de sociabilité. Cet équilibre entre ce que nous voulons être et ce que la nature peut nous offrir, on peut l’appeler le «bien-vivre local». Local, parce que dans le global se perdent les particularités, l’identité, notre propre système, nos limites.
Le fait de parvenir à affranchir un territoire, même si c’est de façon temporaire, des logiques de l’uniformisation, de la prédation et de la mort, crée de nouvelle possibilités d’émancipation : cela devient faisable puisque c’est réalisé. Chaque résistance contribue à l’émergence et à la diffusion d’imaginaires alternatifs.

3/4) L’occasion manquée de la COP21

L’appel de la société civile : « Laissons les fossiles dans le sol pour en finir avec les crimes climatiques »

– Nous sommes à la croisée des chemins. Nous ne voulons pas nous retrouver contraint.e.s à survivre dans un monde devenu à peine vivable. Par l’acidification des océans, par la submersion des îles du Pacifique Sud, par le déracinement de réfugiés climatiques en Afrique et dans le sous-continent indien, par la recrudescence des tempêtes et ouragans, l’écocide en cours violente l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes et des sociétés, menaçant les droits des générations futures.

– Nous ne nous faisons pas d’illusions. Depuis plus de vingt ans, les gouvernements négocient mais les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas baissé et le climat poursuit sa dérive. Alors que les constats de la communauté scientifique se font plus alarmants, les forces de blocage et de paralysie l’emportent.

– Ce n’est pas une surprise. Partout, des forces puissantes — entreprises du secteur fossile, multinationales de l’agro-business, institutions financières, économistes dogmatiques, climatonégationnistes et décideurs politiques prisonniers de ces lobbies — font barrage et promeuvent de fausses solutions.

Nous gardons confiance en notre capacité à stopper les crimes climatiques. Par le passé, des femmes et des hommes déterminé.e.s ont mis fin aux crimes de l’esclavage, du totalitarisme, du colonialisme ou de l’apartheid. Elles et ils ont fait le choix de combattre pour la justice et l’égalité et savaient que personne ne se battrait à leur place. Le changement climatique est un enjeu comparable. A travers le monde, nous luttons contre les véritables moteurs de la crise climatique, défendons les territoires, réduisons les émissions, organisons la résilience, développons l’autonomie alimentaire par l’agro-écologie paysanne, etc.

A l’approche de la conférence de l’ONU sur le climat à Paris-Le Bourget, nous affirmons notre détermination à laisser les énergies fossiles dans le sol. C’est la seule issue.

Concrètement, les gouvernements doivent mettre un terme aux subventions qu’ils versent à l’industrie fossile, et geler leur extraction en renonçant à exploiter 80% de toutes les réserves de combustibles fossiles.

(texte tiré du livre Crime climatique STOP ! L’appel de la société civile (éditions du Seuil 2015)

 4/4) Un texte prémonitoire de 1957

En 1957 l’amiral Rickover, père du sous-marin nucléaire, fit un discours qui donne à réfléchir. Il encouragea ses auditeurs à réfléchir sérieusement à leurs responsabilités envers « nos descendants », ceux qui sonneront la fin de l’âge des combustibles fossiles :

« L’immense énergie fossile aux USA alimente des machines qui font de nous le maître d’une armée d’esclaves mécaniques… Chaque conducteur de locomotive contrôle l’énergie équivalente de 100 000 hommes, chaque pilote de jet celle de 700 000 hommes… Nous dilapidons les ressources naturelles. Une bonne partie des étendues sauvages qui ont nourri ce qu’il y a de plus dynamique dans le caractère américain est désormais enfoui sous les villes, les fenêtres panoramiques ne donnent sur rien de plus inspirant que la fumée d’un barbecue… Quelle assurance avons-nous que nos besoins en énergie continueront d’être satisfaits par les combustibles fossiles ? La réponse est : à long terme, aucune… Un parent prudent et responsable utilisera son capital avec parcimonie, afin d’en transmettre la plus grande part possible à ses enfants. Un parent égoïste et irresponsable le dilapidera pour mener une vie dissipée et se moquera complètement de la façon dont sa progéniture s’en sortira… Vivre de façon responsable signifie économiser l’énergie et développer une culture de l’abnégation. »

(texte tiré du livre d’Andrew Nikiforuk, L’énergie des esclaves (éditions Ecosociété 2015)

 

BIOSPHERE-INFO 370, la fin de l’extractivisme ? Lire la suite »

Secret des affaires ou transparence, un choix facile

Transparence démocratique contre secret des affaires, la controverse est vite tranchée quand on pense que la concurrence est un des principaux défauts de notre système économique. La disposition du «plan Macron 2015» qui prévoyait de protéger le secret des affaires a été rejetée par les députés en février 2015. ­Motif : la protection des journalistes et des lanceurs d’alerte était jugée insuffisante. Il ne s’agit pas simplement de dénoncer l’évasion fiscale, défendre la santé publique ou l’intérêt général, il s’agit de promouvoir la coopération entre entreprises et non la recherche du profit accaparé. Pourtant le Parlement européen adopte à une large majorité la directive sur la protection du «secret des affaires » pour préserver des informations stratégiques afin d’obtenir ou de conserver un avantage concurrentiel, il défend clairement le système libéral. D’ailleurs la définition du « secret des affaires » présente des contours tellement larges que toute information interne à l’entreprise peut potentiellement en faire partie. Les entreprises devront seulement prouver qu’elles n’ont pas autorisé l’obtention ou la publication du secret, tandis que les citoyens devront démontrer au juge qu’ils ont agi de façon compatible avec une des exceptions prévues… Ce sera l’intimidation permanente*.

Daniel ­Lebègue, président de la branche française l’ONG Transparency International rappelle que la transparence est un principe essentiel des démocraties modernes, et pourquoi ce principe doit s’appliquer au monde des affaires. D’abord, «il est inscrit dans la Constitution française », du fait de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui lui sert de préambule : «La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.» Ensuite, on le retrouve dans toutes les démocraties représentatives. M. Lebègue détaille : « La volonté de transparence est au cœur des révolutions républicaines française et américaine, premiers régimes décidés à en finir avec l’arbitraire et le régime du secret des monarchies.»

Tous ceux qui exercent des responsabilités socio-politiques sont redevables de leur mandat devant les citoyens. Pourquoi les grandes entreprises y échapperaient-elles ? Tout profit accaparé par une entreprise et ses actionnaires est enlevé à l’intérêt commun. Des trois modes de régulation des rapports sociaux, la coercition, la coopération et la concurrence, l’idéologie libérale n’a voulu retenir que la troisième. L’idée qu’il faut continuer à mettre de la concurrence partout et tout le temps est devenue non seulement anachronique, mais dangereuse quand les ressources naturelles deviennent limitées. La bonne chose à faire est d’encourager la coopération et s’assurer que ses rentes seront limitées à ce qui est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de chaque entreprise. Notons d’ailleurs que la concentration des entreprises qui découle paradoxalement de l’évolution du capitalisme n’est, au-delà des apparences, que l’expression d’une coopération pragmatique, une institutionnalisation progressive. Le principe fondateur d’une activité économique n’est pas la concurrence comme le croit les libéraux, mais tout au contraire la coopération entre entreprises et consommateurs…

* LE MONDE du 29 avril 2016, Secret des affaires, transparence : où placer le curseur ?

Secret des affaires ou transparence, un choix facile Lire la suite »

Pour une gouvernance des biens communs… en 1990

Principes communs aux institutions durables de ressources communes :

  1. des limites aux prélèvements clairement définies ;
  2. la concordance entre les règles et les conditions locales ;
  3. des dispositifs de choix collectifs sur le mode participatif ;
  4. une surveillance et une autosurveillance des comportements ;
  5. des sanctions graduelles pour les transgressions ;
  6. des mécanismes de résolutions des conflits ou arènes locales ;
  7. le droit à s’organiser sans intervention d’autorités externes ;
  8. des entreprises imbriquées (pour les systèmes à grande échelle).

Il y a réticence à investir du temps et des efforts pour améliorer un système géré centralement. Des efforts de réforme centralisée ont souvent débouché sur des problèmes encore plus graves.

Elinor Ostrom (prix Nobel d’économie)

Gouvernance des biens communs (pour une nouvelle approche des ressources naturelles)

(1ère édition 1990, Governing the Commons, The Evolution of Institutions for Collective Action) Traduction française en 2010, éditions De Boeck

Pour une gouvernance des biens communs… en 1990 Lire la suite »

En 2017, peut-être de Gaulle devenu Jaurès de l’écologie

Annonciateurs d’Apocalypse, vous êtes vraiment nuls. Où sont les millions de réfugiés climatiques ? Où est la pénurie de pétrole, alors que les cours du baril ont été divisés par cinq ? Où est l’explosion du prix du poisson, depuis le temps que l’on nous annonce que l’océan se vide ? De l’extrême gauche à l’extrême droite, ils sont tous d’accord : il y a peut-être un problème avec le pingouin sur la banquise, ce qui rend les enfants très tristes, mais cela ne concerne pas les affaires des grandes personnes, comme le chômage ou la compétition économique internationale. Nous vivons tous dans Second Life. Premier commandement de l’élu : « L’opinion en toute circonstance respecteras, et si l’opinion se fiche du long terme comme de l’an 40, alors du court terme uniquement te préoccuperas. » Il est vrai que le public a d’autres chats à fouetter. Quand on entre chez un marchand de journaux, la profusion des journaux saute aux yeux, sur la mode, sur les engins qui font broum broum, sur le dernier faits divers, sur les sudoku et mots croisés ou les magazines de fesses. La portion des présentoirs consacrée à l’écologie est proche du zéro absolu. D’ailleurs le magazine Terra eco est entré en liquidation judiciaire le 10 mars*.

Changement climatique, urgences sanitaires et environnementales, initiatives concrètes : le journal s’était voulu un défricheur, fort de la conviction que ces sujets allaient rencontrer un intérêt croissant. Badaboum, la culbute financière. Walter Bouvais, cofondateur du titre, s’en explique: « Tout le monde sait que les thématiques que nous portons sont majeures, mais cela ne se traduit pas forcément dans les actes. Notre histoire est emblématique d’une époque partagée entre la conscience que le monde doit changer et la force des résistances. » D’ailleurs le magazine titrait en mars 2015 : « Ecologie, pourquoi tout le monde s’en fout ».
Car c’est un fait. Les conférences sur l’environnement ont beau se multiplier, les rapports alarmants s’accumuler, qui, tous, font craindre une catastrophe écologique globale, la mobilisation de chacun face à ces cris d’alar­me reste dérisoire. Effectuée en mars 2015 par BVA, une étude d’opinion révélait que la lutte­ contre le réchauffement est une priorité pour seulement 13 % des sondés, très loin derrière celle qui doit être menée contre le chômage (60 %), contre le terrorisme (41 %) ou pour la défense du pouvoir d’achat (36 %).
Pourquoi un tel décalage ?**

En raison, d’abord, de la difficulté du sujet. Parce qu’elle interagit avec le champ des sciences, de l’économie, des questions sociales, l’écologie nécessite, pour être intelligible, un vocabulaire et des connaissances complexes. En raison, aussi, de l’énormité du problème. « L’urgence écologique mobilise peu parce que les causes de ce qui nous arrive sont lointaines et invisibles. Parce que cela demande de s’in­téresser aux inégalités. Parce que c’est un sujet de guerre, qui implique d’accepter les situations de conflit – par exemple, entre l’énergie nucléaire et les énergies alternatives. C’est donc un sujet qui rend fou », résume le sociologue et philosophe Bruno Latour. D’autant plus, ajoute-t-il, qu’il aurait fallu agir contre le réchauffement climatique dès les années 1980, et qu’il est désormais trop tard pour éviter des conséquences graves. Le déni de réalité est alors une attitude courante. Surtout lorsque domine le sentiment d’impuissance. « Ce qui nous fait vraiment bouger, c’est d’être confronté à un danger sensible et immédiat. Les représentations abstraites, elles, n’ont guère d’influence sur notre conduite », souligne Dominique Bourg. Enfin à quoi bon agir si les grands de ce monde ne le font pas ? Quand le citoyen apprend que Volkswagen truque ses moteurs diesel, quand la COP21 ne débouche que sur des recommandations, la tentation est grande d’envoyer tout promener.

Osons le dire : celui ou celle qui arrivera à la présidentielle 2017 avec les idées claires sur la contrainte des ressources naturelles, et qui aura un bon programme pour y répondre, avec un mélange de souffle nouveau et d’efforts pour chacun, celui-là ou celle-là pourrait être audible. Osons le dire : il nous faut un nouveau de Gaulle devenu Jaurès de l’écologie.

* LE MONDE éco&entreprise du 12 mars 2016, « Terra eco » dit adieu à ses lecteurs

** LE MONDE culture&idées du 4 décembre 2015, L’écologie, j’y pense et puis j’oublie

En 2017, peut-être de Gaulle devenu Jaurès de l’écologie Lire la suite »

Du plateau ondulant au chaos généralisé, notre futur

Le mensuel La Décroissance nous offre quelques éclairs de lucidité au milieu d’un paysage médiatique dévasté par les bien-pensants qui disent tous la même chose. Voici un florilège du dernier numéro*.

– Le pic pétrolier se présente sous forme d’un plateau ondulant depuis 2006. Il y a plafonnement de la production dé pétrole conventionnel autour de 95 millions de barils/jour. La volatilité des prix est extrême. En 1998, le baril valait moins de 20 dollars. Il est passé à 147 dollars en 2008, il est retombé à 30 en 2009 après la chute de l’activité économique. En 2010 on est repassé à plus de 100 dollars, le prix s’est maintenu à un très haut niveau pendant quatre ans, et là boum, il est retombé à 30. Ces fluctuations énormes sont symptomatiques d’un système précaire. Soit on regarde les choses en face et on s’organise pour amorcer la descente énergétique. Soit c’est le chaos, avec des risques de guerres civiles, comme celle qui a lieu en Syrie, où le déclin de la production de pétrole, tout comme le réchauffement climatique et la désertification des terres, ont joué un rôle important dans l’effondrement de l’État. (Matthieu Auzanneau)

– Je me maintiens un peu à l’écart de la société de consommation. Je n’ai pas de congélateur, je vais en grande surface deux fois par an, je mange bio, j’ai un potager, je me déplace à vélo, je n’ai pas de GPS, pas de portable, pas Internet, pas de carte bancaire… Il faut essayer d’être cohérent, d’appliquer ses idéaux, même si ce n’est pas toujours facile de se remettre en cause. (Gérard)

– Le film « Demain » vient encore le confirmer : il faut décidément en être arrivé à une civilisation hors sol, dépendante au marché et sous perfusion technologique, pour qu’un documentaire rassemble des centaines de milliers de spectateurs ébahis devant cet événement extraordinaire : un jardiner qui sème encore des graines dans la terre, au XXIe siècle ! (Pierre Thiesset)

– Je n’ai absolument aucun doute que les pouvoirs publics seraient dans une incapacité totale à faire face à des coupures massives et prolongées d’électricité. L’incurie des politiques est absolument criminelle, et je pèse mes mots. Je ne vois pas comment nommer autrement le fait de ne pas remettre en cause un mode de vie qui nous rend complètement dépendants et asservis à des mégasystèmes (eau, énergie, Internet…) tout en décrédibilisant toute tentative de début d’esquisse de commencement de projet de décroissance. (Frédéric Édouin)

– L’ère industrielle qui est la nôtre risque de laisser un héritage plutôt toxique fait de déchets radioactifs, de métaux lourds, de gaz à effet de serre accumulés dans l’atmosphère et de ressource surexploitées. Une nouvelle planète en somme. A nous de nous opposer à la démesure du capital et à la logique extractiviste. Et de soutenir les différentes luttes citoyennes et résistances autochtones qui essaiment autour du globe, de l’opposition aux « grands projets inutiles » à la multiplication des « zones à défendre ». (David Murray)

* La Décroissance n° 125 (mars 2016)

Du plateau ondulant au chaos généralisé, notre futur Lire la suite »

stagnation séculaire, croissance zéro ou décroissance ?

Les pays industrialisés seraient entrés dans une phase de « stagnation séculaire ». Aux Etats-Unis, en Europe, au Japon, la croissance fléchit en effet d’année en année, 0,5 % aujourd’hui contre 5 à 6 % pendant les Trente Glorieuses (1947-1974). Selon un article du MONDE, ce ralentissement a des moteurs structurels, comme le vieillissement de la population, le sous-investissement chronique, la hausse des inégalités et l’épuisement du progrès technique. En somme, le monde industrialisé serait donc condamné une croissance anémique. « Pas forcément ! », rétorquent les économistes détracteurs de la stagnation séculaire. « Qui est capable de prédire ce qu’auront changé, dans dix ans, la voiture autonome ou le génie génétique ?« *

C’est là le faux débat entre les religieux de la croissance bénite et les adorateurs du miraculeux progrès technique. Il est absolument renversant que les arguments utilisés par ces spécialistes ignorent absolument les contraintes bio-physiques de la planète. Comment passer sous silence l’absurdité des croissances exponentielles dans un monde fini ? Comment imaginer que des machines de plus en plus complexes et sophistiquées pourront survivre à la descente énergétique ? Comment croire encore à un taux de croissance positif dans l’avenir quand il suffisait à la belle époque de très peu de travail et de capital pour sucer les mamelles de notre mère la planète ? Comment oublier que le rapport du MIT de 1972 sur les limites de la croissance a toujours démontré sa validité grâce à ses différentes actualisations ?

Comme l’exprimait déjà Dominique Bourg dans les colonnes du MONDE , «la clé est l’EROI (Energy Return on Investment), TRE en français (taux de retour énergétique). Or, ce dernier ne cesse de chuter. Il suffisait autrefois d’investir un baril de pétrole pour en obtenir cent. Avec les sables bitumineux du Canada, en investissant un baril, on retire entre quatre et à peine plus d’un baril. Et si l’on ajoute à l’énergie nécessaire à l’extraction celle nécessaire à conduire le baril sur son lieu de consommation, en moyenne, l’énergie investie triple. Il en va de même pour les métaux. La clé est le coût énergétique de leur extraction. Lequel ne cesse de croître. Des ressources abondantes peuvent cacher des réserves limitées. Parier sur l’abondance des ressources et la croissance, sur une planète insidieusement finie, alors même que la décrue démographique n’aura pas même lieu durant le siècle, est aussi inepte que dangereux.»**

* LE MONDE économie du 21-22 février 2016, La grande division des économistes autour de la stagnation séculaire
** LE MONDE du 2 décembre 2014, Paradoxes du monde fini

stagnation séculaire, croissance zéro ou décroissance ? Lire la suite »

Les prises de poisson témoignent de notre surpuissance

Il y a plus de quarante ans, l’impossibilité de poursuivre une croissance indéfinie dans un monde fini était déjà démontrée par le rapport au Club de Rome dont voici ci-dessous un extrait centré sur la pêche : « Rares sont ceux qui imaginent devoir apprendre à vivre à l’intérieur de limites rigides lorsque la plupart espèrent les repousser indéfiniment. Cette foi s’est trouvée renforcée par une croyance en l’immensité de la terre et de ses ressources et en la relative insignifiance de l’homme et de ses activités dans un monde apparemment vaste. Ce rapport entre les limites de la terre et les activités humaines est en train de changer. Même l’océan, qui, longtemps, a semblé inépuisable, voit chaque année disparaître, espèce après espèce, poissons et cétacés. Des statistiques récentes de la FAO montrent que le total des prises des pêcheries a pour la première fois depuis 1950 accusé une baisse en 1969, malgré une modernisation notable des équipement et des méthodes de pêche (on trouve par exemple de plus en plus difficilement les harengs de Scandinavie et les cabillauds de l’Atlantique. »

Il est français mais inconnu en France. Il est pourtant le premier à alerter la communauté internationale sur la surexploitation des ressources halieutiques. S’appuyant principalement sur les statistiques de la FAO, Daniel Pauly prouve en 2001 que les stocks de poissons diminuent depuis la fin des années 1980… Il démontre que les humains pêchent des poissons de plus en plus bas dans la chaîne alimentaire des océans : nous finirons par manger du zooplancton… Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, la pêche mondiale a connu un pic en 1996, avec 86 millions de tonnes de poissons sortis de l’eau, puis elle est restée quasiment « stable ». Daniel Pauly et Dirk Zelly approfondissent la question par une étude de janvier 2016*. Ils chiffrent le maximum à 130 millions de tonnes en 1996. Puis les performances de la pêche ont régressé de 1,2 million de tonnes par an. Malgré la forte croissance des armements, la diffusion des techniques industrielles de pêche jusque dans les coins les plus reculés de la planète et la sophistication toujours plus poussée du matériel, les tonnages des captures ne cessent de diminuer. Or le poisson reste un apport de protéines essentielles auprès de beaucoup de populations côtières,

L’humanité aura besoin en 2050 du double de ce que produit la planète tous les ans. Nous devrons donc puiser dans les réserves. A force d’y puiser, les réserves qui ne seront pas encore épuisée à cette époque ne seront ni nombreuses, ni importantes, que ce soit en énergie fossiles, en eau potable ou en matière premières naturelles. La plupart des experts prédisent que les stocks de poissons commerciaux seront épuisés, des forêts presque totalement détruites et des réserves d’eau douce faibles et polluées. Il n’est pas raisonnable d’espérer que d’hypothétiques découvertes miraculeuses nous mettront à l’abri des effets de l’interaction entre une population une demi-fois plus nombreuse qu’aujourd’hui en 2050 (ndlr : soit 9 milliards d’êtres humains), des ressources rares et chères, des écosystèmes déréglés et un climat moins complaisant. Il est même assez probable que le tout génère des troubles sociaux, voire géopolitiques généralisés.

* LE MONDE du 21 janvier 2016, La surpêche et le déclin des ressources ont été largement sous-estimés

Les prises de poisson témoignent de notre surpuissance Lire la suite »

L’issue fatale du développement, c’est la décroissance

Dès 1980, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) proposait comme définition du développement durable « un développement qui tient compte de l’environnement, de l’économie et du social ». Le rapport Brundtland, document préalable au sommet de la Terre de Rio (1992) énonçait que « le développement durable est un développement qui permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Mais ces définitions pêchent grandement car elles s’appuient sur un concept de développement qui lui-même n’est pas défini ! S’il s’agit de garder l’équilibre entre la nature et le progrès économique, faire en sorte de ne pas épuiser les richesses au point où les générations à venir n’auront plus de bois, plus de pétrole, plus d’eau potable, s’il s’agit d’équilibrer la production agricole et la démographie humaine tout en conservant une nature sauvage pour respecter la biodiversité, c’est gravement compromis par quelque développement que ce soit.

Il n’y a qu’une seule acception possible sous le terme développement, c’est celui de décroissance humaine, qu’elle soit démographique ou productive. C’est seulement à cette condition que les humains pourront s’adapter à des ressources alimentaires qui rencontrent un jour ou l’autre la loi des rendements décroissants, et cette décroissance devra être d’autant plus abrupte si on ne veut pas que les humains s’entretuent pour accaparer l’espace de plus en plus réduit dont ils croient qu’ils sont les seuls maîtres.

(écrit le 31 octobre 2005 par Michel Sourrouille)

L’issue fatale du développement, c’est la décroissance Lire la suite »

Vidéo sur le blocage énergétique, « sans lendemain »

A utiliser pour un moment de réflexion individuelle ou collective

vidéo « Sans Lendemain »

https://www.youtube.com/watch?v=a0J2gj80EVI

Ce documentaire de 35 minutes du réalisateur Dermot O’Connor démontre que notre planète fait bien face à une crise écologique. En abordant les raisons pour lesquelles nous devons consommer toujours plus de pétrole, ce fameux or noir, « Sans lendemain », relate l’impact écologique de l’utilisation de cette ressource non-renouvelable. Plusieurs autres sources énergétiques sont suggérées pour remplacer le pétrole, cependant, elles semblent tous avoir quelques défauts que l’or noir ne possède pas. Dans certains cas, elles ne sont pas viables, dans d’autres, elles nécessitent du pétrole pour leur fabrication…

« Sans lendemain » dresse un bilan sombre de l’avenir environnemental de la Terre si des décisions ne sont pas prises dans l’immédiat. Il prête à débat sur la notion de décroissance inéluctable pour des raisons biophysiques.

Vidéo sur le blocage énergétique, « sans lendemain » Lire la suite »

Bientôt nos pelouses seront remplacées par des potagers

« La sécheresse vient d’entrer dans sa quatrième année en Californie. Le gouverneur Jerry Brown a décrété un rationnement général et obligatoire de 25 % de l’eau potable, et on a cessé d’arroser les pelouses : « Brown is the new green ». On est passé des amendes pour pelouses mal entretenues aux amendes pour tous ceux qui n’auront pas réduit leur consommation. Les citoyens décortiquent les quantités d’eau qui sont entrées dans leur consommation. Un hamburger : 2 300 litres ; un verre de vin : 121 litres… Et les amandes ! Plus personne n’ignore qu’il faut plus de 3 litres d’eau pour faire pousser une seule amande. Les piscines ne peuvent plus être vidangées. Il faut contribuer à l’effort général, afficher une certaine solidarité avec les zones agricoles dont le robinet s’est tari. Les riches qui « peuvent payer les amendes », sont dans la ligne de mire. Les collectivités locales ont ouvert des pages Web où chacun peut dénoncer les gaspilleurs qui arrosent en dehors des heures autorisées ou lavent leur voiture à grands jets. »*

Le rationnement obligatoire en Californie est un débat qui va se généraliser au fur et à mesure que les ressources naturelles vont se raréfier : l’eau, les combustibles fossiles, les métaux, les terres arables, etc. Ne plus pouvoir montrer sa pelouse bien verte n’est pas bien grave, mais ne plus avoir d’essence pour faire bouger sa voiture remet en question toute notre civilisation. Sur ce blog nous préparons les esprits au rationnement carbone (la carte carbone).

En France, le rationnement fait presque immédiatement penser aux heures sombres de la Seconde guerre mondiale. Mais au Royaume-Uni, les choses sont différentes : là aussi le rationnement est associé à la période de guerre, mais si le rationnement a été une période difficile, il a été aussi l’un des principaux instruments grâce auxquels la démocratie a pu s’organiser pour traverser la tourmente des pénuries. Le rationnement doit sa mauvaise réputation à son association à l’idée de pénurie… alors qu’il est une réponse à la pénurie, et non sa cause. En fait le rationnement présente deux aspects qui, tout en étant liés, sont bien distincts : d’une part la garantie d’un minimum de partage, et d’autre part la limitation de ce que les gens sont autorisés à consommer. Beaucoup d’entre nous rejetons le second aspect, mais en temps de pénurie nous exigerons le premier ! Et nous nous occuperons de notre potager au lieu de tondre la pelouse !

* LE MONDE du 24-25 mai 2015, Californie, gazon maudit

Bientôt nos pelouses seront remplacées par des potagers Lire la suite »

Make in India, un rêve qui ne crée pas assez d’emploi

Elu en mai 2014 sur un projet d’industrialisation*, le premier ministre Narendra Modi tourne le dos aux enseignements de Gandhi et de Malthus. En Inde, 750 millions d’Indiens sur 1,25 milliard ont moins de 25 ans. D’ici à 2025, 10 à 12 millions d’actifs supplémentaires vont se présenter chaque année sur le marché du travail. Parallèlement, une quinzaine de millions d’emplois disparaîtront dans le secteur agricole. Si l’on veut éviter que le dividende démographique ne se transforme en génération perdue, ce sont 100 à 130 millions d’emplois qu’il faudrait créer, hors agriculture, dans les dix prochaines années. La pauvreté frappe 30 % des Indiens mais le choix industriel ne pourra pas créer suffisamment d’emploi, sans parler de l’exploitation programmée de la main d’œuvre. De plus il détériorera l’environnement, épuisement des ressources fossiles, émissions de gaz à effet de serre, pollutions diverses. L’Inde deviendrait avant 2025 le troisième importateur net de brut, derrière les Etats-Unis et la Chine, et le troisième émetteur de CO2.

L’Inde n’aurait jamais du abandonner la voie choisie par le mahatma Gandhi. Le premier mouvement de résistance non violente conduit par Gandhi, de 1919 à 1922, avait pour thème la charkha (petit instrument ancestral de filage) et le khadi (toile artisanale), base d’une prospérité écrasée par la « machinerie de Manchester ». Gandhi voyait un grand danger dans toute innovation propre à élargir le fossé entre possédants et pauvres en induisant des besoins asservissants et impossibles à satisfaire. Ce modèle, la philosophie du rouet, refusait techniques dures et intrusion des pays riches. Gandhi s’il était toujours en vie aurait certainement dit face à Modi : « Le renoncement à la voiture, même à la Tata Nano , sera un jour la loi pour tous. »

L’Inde aurait du suivre l’enseignement de Malthus. « Si nous laissons la population s’accroître trop rapidement, nous mourons misérablement, en proie à la pauvreté et aux maladies contagieuses. Le peuple doit s’envisager comme étant lui-même la cause principale de ses souffrances. Je suis persuadé qu’une connaissance pleine de la principale cause de la pauvreté est le moyen le plus sûr d’établir sur de solides fondements une liberté sage et raisonnable. La multitude qui fait les émeutes est le produit d’une population excédante. Le nombre des ouvriers étant accru dans une proportion plus forte que la quantité d’ouvrage à faire, le prix du travail ne peut manquer de tomber ; et le prix des subsistances haussera en même temps. Tous mes raisonnements et tous les faits que j’ai recueillis prouvent que, pour améliorer le sort des pauvres, il faut que le nombre proportionnel des naissances diminue. Il suffit d’améliorer les principes de l’administration civile et de répandre sur tous les individus les bienfaits de l’éducation. A la suite de ces opérations, on peut se tenir pour assuré qu’on verra une diminution des naissances. »**

* LE MONDE éco&entreprise du 17-18 mai 2015, Le pari industriel de Narendra Modi
** Essai sur le principe de population de Robert Malthus (1798)

Make in India, un rêve qui ne crée pas assez d’emploi Lire la suite »

Le pic du diamant prévu en 2019, dans quatre ans !

Philippe Mellier, PDG de De Beers, le principal producteur mondial de diamants, annonce « qu’après 2019, la production mondiale de diamants va baisser… Tous ceux qui sont aujourd’hui exploités le sont depuis trente ou quarante ans. »* Depuis plus d’une quinzaine d’années, aucun nouveau gisement important n’a été découvert sur la planète. Il faudra donc creuser plus profond, à plus de 600 mètres. Par exemple à Venitia (Afrique du Sud), les forages s’effectueront à un kilomètre de profondeur. En conséquence la production résiduelle sera plus rare et beaucoup plus chère. Le pic du diamant, ce moment de la courbe de production où l’extraction est maximale, c’est seulement dans quatre ans !

Mais que les diamants disparaissent de la consommation humaine, ce n’est pas bien grave. Dans une société égalitaire où les dépenses ostentatoires n’auront plus cours, les parures et bijoux n’auront plus aucune valeur. Par contre nous devrions être très inquiets de l’arrivée du pic pétrolier, ce moment où les réservoirs naturels déjà bien ponctionnés commencent à rendre l’âme. Pour le pétrole conventionnel, c’est déjà une réalité ; depuis 2006, nous avons atteint le maximum de production possible. Commence alors la descente énergétique, une catastrophe pour une civilisation thermo-industrielle, basée sur la puissance du feu issue des énergies fossiles. Comme tout est lié, il faut de l’énergie pour extraire les métaux du sous-sol et réciproquement, différents pics supplémentaires s’annoncent. En résumé, peak oil, peak all, peak everything, pic de tout. En France, il n’y a même plus de mines. Entre 1985 et 2005, la France a successivement arrêté sa production de tungstène, de bauxite, d’argent, de plomb, de zinc, de fer, d’uranium, de potasse, de charbon et d’or. Après l’arrêt des ardoisières de Trélazé le lundi 25 novembre 2013, il ne subsiste désormais dans l’Hexagone qu’une mine de sel. Or qui dit fin de l’exploitation minière dit aussi fin de la société thermo-industrielle, basée sur l’énergie fossile et les machines.

Nous aurions du nous poser la question de fond plus tôt : à qui appartiennent les ressources du sous-sol ? Ces richesses naturelles n’appartiennent pas aux Etats, encore moins aux propriétaire du sol. Ces richesses n’appartiennent certainement pas aux firmes multinationales qui bénéficient gratuitement de l’œuvre de la nature. Ces richesses n’appartiennent même pas aux générations futures qui n’en feraient pas un usage meilleur qu’aujourd’hui. Tout cela n’est qu’utilitarisme de court terme et gaspillage après pillage. Il nous faut lutter contre la logique extractive et sanctuariser les dernières et rares ressources du sous-sol qui nous restent. Cela implique qu’il nous faut changer complètement de mode de vie et cultiver individuellement et collectivement la sobriété dans tous les domaines. Si nous ne le faisons pas volontairement, sous la forme d’une décroissance maîtrisée, nous le ferons dans l’urgence au fur et à mesure que les diamants, le pétrole, le cuivre… deviendront hors de prix.

Pour en savoir plus
Ugo Bardi, Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage (comment nous épuisons les ressources de la planète)
Editions Les petits matins, 433 pages, 19 euros
Sur notre blog
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2014/02/09/la-fin-des-reserves-minieres-cest-incontestable/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/11/29/fin-de-la-societe-miniere-fin-de-labondance-a-credit/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/10/11/gratter-lecorce-de-la-terre-jusquaux-dernieres-limites/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2012/08/20/arret-des-extractions-minieres-partout-dans-le-monde/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2012/05/15/le-peak-oil-tend-a-devenir-le-pic-all/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2012/05/13/pic-all-penurie-de-tout-energie-et-minerais/

* LE MONDE éco&entreprise du 6 mai 2015, De Beers anticipe la fin des mines de diamant

Le pic du diamant prévu en 2019, dans quatre ans ! Lire la suite »

Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage

L’agonie de l’Empire romain d’Occident a duré plus de trois cents ans. Les empereurs ont certainement dû se rendre compte que quelque chose clochait. Pourtant leur seule réponse a consisté à tout mettre en œuvre pour maintenir le statu quo jusqu’à ce que l’empire rende son dernier soupir. Les ressources naturelles qui avaient permis l’expansion du système impérial s’amenuisaient. Les mines d’or et d’argent d’Espagne s’épuisaient. Il ne subsistait plus aucun voisin facile à envahir et à piller. L’érosion des sols fertiles faisait diminuer la production agricole. Par ailleurs, les dépenses colossales à consentir pour l’armée, la cour impériale et le système bureaucratique avaient nécessité la mise en place d’un régime fiscal qui a précipité la faillite. Comme l’analyse J.A.Tainter , le système est rentré dans une période de « rendements décroissants ».

La solution était pourtant évidente, il fallait s’alléger. L’effondrement de l’ Empire a été suivi du Moyen Age, des années au cours desquelles l’Europe s’est libérée de l’étreinte de la bureaucratie impériale, des dépenses énormes liées à l’entretien des armées et de la terrible charge fiscale. La défense était assurée par des milices locales et l’impôt n’était dû qu’aux seigneurs locaux. Pendant la période de contraction économique, les sols se sont reconstitués et les forêts ont repoussé.

La situation de l’Empire romain ressemble à s’y méprendre à la nôtre. Nous souffrons également d’une diminution de nos ressources naturelles, d’une bureaucratie excessive et de toutes sortes de pollutions. Or nous mettons tout en œuvre pour que les choses restent telles qu’elles sont. Nous réagissons à la déplétion du pétrole en forant plus profondément, en forant davantage. « Drill, baby, drill » s’exclamait l’ancienne candidate à la vie-présidence des Etats-Unis, Sarah Palin. Pourtant forer encore plus revient à accélérer la déplétion !
Ugo Bardi, Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage (comment nous épuisons les ressources de la planète)
Éditions Les petits matins, 433 pages, 19 euros

Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage Lire la suite »

Démence extractive, c’est-à-dire «Explosons la planète»

Nous traversons la dernière étape de l’exploitation à grande échelle des minéraux. En deux siècles à peine, au terme d’une guerre impitoyable, nous aurons remonté à la surface de la terre un trésor qui avait mis des millions, voire des milliards d’années à se constituer. Le point culminant de cette démence extractive est la décision des compagnies pétrolières d’exploiter certains combustibles non conventionnels comme le gaz de schiste, le pétrole en eaux profondes ou les sables bitumineux.

En 2001, au tout début de l’envolée historique des prix du pétrole, BP avait lancé un nouveau slogan : « Au-delà du pétrole. » Ce leitmotiv avait été perçu comme une évolution qui mettrait un terme à l’ère des combustibles fossiles. Mais le scénario inverse s’est produit : comme les prix du pétrole ont augmenté, les compagnies ont compris qu’elles pouvaient engranger des bénéfices à court terme en exploitant des ressources dont le développement était auparavant trop coûteux. C’est ainsi que le leitmotiv « Au-delà du pétrole » s’est transformé en « Explosons la planète ». Cette stratégie nous piège dans l’économie extractive.

Deux messages essentiels au bien-être humain sont systématiquement laissés de côté. Plus nous extrayons, plus vite nous manquerons de ressources, et si nous continuons à brûler des combustibles fossiles, nous risquons de franchir le seuil d’un changement climatique non linéaire et incontrôlé. Le système économique contemporain est apparemment dépourvue de mécanismes incitant les grandes entreprises à valoriser les avantages à long terme pour nous tous, y compris pour elles-mêmes. Leur raison d’être consiste en effet à maximiser les bénéfices à court terme. De son côté le champ politique est dénué d’une vision du bien commun et ne fait que se plier à la volonté de divers groupes de pression. En coulisse, les dirigeants politiques continuent d’octroyer les permis nécessaires à la poursuite d’opérations minières toujours plus extravagantes, toujours plus nocives. Toutes les tentatives pour prendre des mesures à l’échelle mondiale contre le réchauffement de la planète sont restées lettre morte – à l’image de celles qui se proposaient de libérer l’humanité de sa dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles. Le moment est venu de remettre au goût du jour le principe du protocole de Rimini, c’est-à-dire d’imposer un plafond légal qui s’appliquerait à l’exploitation des ressources non renouvelables.
(extraits de la Postface de Karl Wagner : nous pouvons arrêter de piller la planète)

tiré du livre « Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage (comment nous épuisons les ressources de la planète) »
Éditions Les petits matins, 433 pages, 19 euros

Démence extractive, c’est-à-dire «Explosons la planète» Lire la suite »

L’usage des agrocarburants est nocif pour la planète

Les véhicules à moteur n’auront bientôt plus d’énergie. On croyait remplacer l’essence par des agrocarburants, on déchante. L’union européenne revient en arrière et « limite l’usage des agrocarburants nocifs pour la planète » après en avoir fait un cheval de bataille. Le Parlement européen s’est prononcé à une large majorité le 28 avril 2015 pour un plafonnement des agrocarburants à 7 % du total des carburants utilisés dans le secteur des transports*. Timide tournant, Bruxelles s’était prononcée en 2012 pour un plafonnement à 5 %. Comme les carburants utilisés aujourd’hui en Europe contiennent déjà en moyenne 5 % d’agrocarburants, fixer ce plafond à 7 % laisse encore la possibilité d’une croissance Il est vrai que le conseil des ministres européens de l’énergie ne voudrait pas de restriction. Il n’est pas encore rentré dans les pratiques que le secteur de l’énergie n’est qu’un sous-aspect des considérations écologiques. Car la problématique des nécrocarburants est complexe.

Au niveau de l’affectation des sols, il faut choisir entre conduire (agrocarburants) et manger (produire de l’alimentation). La concurrence avec les cultures alimentaires est nuisible aux plus pauvres, en poussant les prix alimentaires à la hausse. Tenir l’objectif européen de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports d’ici à 2020 nécessite plus d’agrocarburants et pénalise indirectement la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Par exemple l’utilisation d’une partie de la production de colza pour faire du biodiesel reporte la demande alimentaire sur d’autres huiles végétales et peut donc provoquer le déboisement de terres en Afrique ou en Asie pour y cultiver du palmier à huile, entraînant une perte d’écosystèmes captant le dioxyde de carbone (CO2). De plus, comme le colza absorbe assez mal l’engrais azoté, son développement en culture énergétique risque de provoquer une augmentation des pollutions de l’eau. Certains agrocarburants conduisent même à une augmentation des émissions de polluants atmosphériques, comme le protoxyde d’azote. Le bilan énergétique des filières présente des écarts gigantesques selon les modalités d’analyse : dans la chaîne de production des agrocarburants, on peut aller d’un gain de onze unités d’énergie produites pour une consommée à une perte de seize unités. Quant aux agrocarburants produits dans les pays tropicaux, s’ils présentent des rendements énergétiques bien meilleurs (notamment la canne à sucre), leur développement se produit en partie par la déforestation.

En fait, le développement des agrocarburants a été largement motivé par la volonté de soutenir les céréaliers, mis en difficulté des deux côtés de l’Atlantique par la baisse des subventions. Il est urgent de changer de modèle énergétique, ce qui veut dire d’abord limiter nos besoins… c’est-à-dire rouler à pied ou en vélo !

* Le Monde.fr | 28.04.2015, L’Europe limite l’usage des agrocarburants nocifs pour la planète

L’usage des agrocarburants est nocif pour la planète Lire la suite »

Laisser les énergies fossiles sous terre, une obligation

Remplacez « l’or et l’argent » par « ressources fossiles » dans cette phrase de Thomas More écrite en 1516 et vous obtenez une magnifique idée contemporaine : « L’or et l’argent n’ont aucune vertu, aucun usage, aucune propriété dont la privation soit un inconvénient véritable. C’est la folie humaine qui a mis tant de prix à leur rareté. La nature, cette excellente mère, les a enfouis à de grandes profondeurs, comme des productions inutiles et vaines, tandis qu’elle expose à découvert l’air, l’eau, la terre et tout ce qu’il y a de bon et de réellement utile (L’utopie). » Nous conseillons aussi de lire Lewis Mumford : « L’exploitation minière est la métaphore de toute la civilisation moderne. Le travail de la mine est avant tout destructeur : son produit est un amas sans forme et sans vie, ce qui est extrait ne peut être remplacé. La mine passe d’une phase de richesse à l’épuisement, avant d’être définitivement abandonnée – souvent en quelques générations seulement. La mine est à l’image de tout ce qu’il peut y avoir de précaire dans la présence humaine, rendue fiévreuse par l’appât du gain, le lendemain épuisée et sans forces. » Il faut comme l’exprime Maristella Svampa déconstruire l’imaginaire extractiviste  : « Personne ne peut penser l’Argentine sans production agraire. Alors qu’il est possible de penser une Argentine sans grands projets miniers. »

Jusqu’à maintenant le « désinvestissement » dans les énergies fossiles n’était approuvé que par la plupart des écologistes, il reçoit aujourd’hui le soutien du quotidien britannique The Guardian. Ce média est associé depuis mars 2015 avec l’ONG 350.org dans la campagne « Keep it in the Ground » (« Laissez-le sous terre »). Alan Rusbridger, directeur du Guardian s’exprime dans LE MONDE*, en résumé :

« Durant mes vingt ans comme directeur du Guardian, je n’avais jamais lancé un appel comme celui-ci, un mouvement de désinvestissement. Si l’on pense à ce qui restera dans l’Histoire, le changement climatique est la plus grande « story » de notre époque. L’écrasante majorité de la communauté scientifique s’accorde à dire qu’il y a urgence à agir. Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le réchauffement climatique. Or jusqu’à présent, il n’avait fait que très rarement la « une » du Guardian. Au cours des dix dernières années, l’industrie de la presse s’est fracturée, elle est devenue peureuse. On regarde en permanence nos chiffres de ventes, nos nombres de lecteurs et d’abonnés. Si vous voulez faire du journalisme, il faut garder l’intérêt général comme moteur. Et je ne vois pas de plus grand intérêt général que d’aider à la prise de conscience sur le dérèglement climatique. Le journalisme est très efficace pour raconter ce qu’il s’est passé hier, mais il l’est beaucoup moins pour faire le récit de ce qui va se produire dans dix ans. Pourtant, cela reste du journalisme, car les décisions que nous prenons aujourd’hui auront des conséquences dans les dix prochaines années et au-delà. Il faut trouver le moyen de faire réfléchir nos concitoyens car la classe politique ou les marchés ne sauront pas le faire. »

* LE MONDE du 19-20 avril 2015, « Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le climat »

Laisser les énergies fossiles sous terre, une obligation Lire la suite »

L’impossibilité de créer des emplois par la croissance

L’UMPS est sur la même longueur d’onde que les syndicats, croissanciste. C’est la pensée unique de la solution unique. Le PS Manuel Valls a expliqué que « tant que nous n’avons pas une croissance plus forte, autour de 1,5 %, il est difficile de créer de l’emploi.» L’UMP Gérard Larcher estime que les chiffres du chômage « montre[nt] combien un changement de politique économique est indispensable et urgent afin de lever les freins à la croissance et à la création d’emplois ». Le syndicaliste Jean-Claude Mailly (FO) juge « indispensable » de « changer de politique économique afin de retrouver une croissance porteuse d’emplois ».*

Ils attendent tous la croissance comme d’autres attendaient autrefois la pluie ; c’est la pensée magique de ceux qui sont incapables de résoudre effectivement un problème. Mais la croissance ne repartira pas, jamais, sauf à doses homéopathiques. La relance de la croissance par le déficit budgétaire est impossible étant donné la dette accumulée par l’Etat français depuis 1974 ; on pourrait ajouter des emplois publics dans chaque recoin de commune, mais avec quel argent ? La relance par la consommation est impossible, les ménages français dépendent de salaires limités par la concurrence internationale des pays à bas salaires et les difficultés des entreprises. La relance par l’offre voulue par Macron, c’est-à-dire le soutien aux entreprises par la flexibilité des travailleurs, se heurte à cette impossibilité majeure : comment accroître l’activité des entreprises si la demande est atone ? La relance par les exportations est impossible dans un marché mondialisé soumis à la concurrence internationale des pays émergents ; la Chine est devenue l’atelier du monde et il n’y a plus de nouveaux créneaux d’exportation. Valls à la suite d’Hollande fait croire qu’ils sont créateurs d’emploi alors qu’ils ne sont que les spectateurs de l’évolution des courbes du chômage.

De toute façon la croissance, mue principalement par la profusion des énergies fossiles depuis deux siècles, ne peut que s’effondrer avec les dernières gouttes de pétrole. Les crises par l’amoindrissement des ressources naturelles feront un bien plus grand nombre de chômeurs que les péripéties qui ont suivi le krach de Wall Street en 1929. L’argent ne fait qu’habiller une réalité économique alors que l’état de nos ressources naturelles forme le socle incontournable sur lequel reposent nos activités socio-économiques. Rappelons avec Jean-Marc Jancovici « qu’il ne saurait y avoir d’humanité prospère et le moindre PIB bien gras et bien dodu sur une planète dévastée. Si demain nous n’avions plus de pétrole, ni gaz, ni charbon, ce n’est pas 4 % du PIB que nous perdrions (la place de l’énergie dans le PIB), mais près de 99 %. Une journée d’hospitalisation en service de réanimation, accessible à tout citoyen occidental, coûte de 500 à 5000 kWh d’énergie. Lorsque l’approvisionnement énergétique commencera à être fortement contraint, il est logique que l’emploi tertiaire souffre autant que l’emploi productif, puisque le premier dépend du second. Etudiants, enseignants, employés de la Sécu, retraités et vacanciers sont tous des enfants de l’énergie abondante à prix décroissant : rien de tout cela ou presque n’existe dans les pays où l’énergie reste un luxe. Une grande partie des évolutions économiques et sociales vont s’inverser. »**

* Le Monde.fr avec AFP | 25.03.2015, Pour Valls, il est « difficile de créer de l’emploi » avec une croissance si faible
** * Changer le monde, tout un programme (Calmann-lévy, 2011)

L’impossibilité de créer des emplois par la croissance Lire la suite »

L’Europe et la planète malades de la présence humaine

Nous nous préoccupons beaucoup dans les médias du FN (« acteur incontournable aux cantonales ») ou de la fessée (« pas encore interdite en France »), mais vraiment pas assez dans notre comportement pour les choses essentielles. Rappel :

1/2) Biodiversité, état des sols, pollution : l’environnement se dégrade en Europe
L’artificialisation des sols, due principalement à l’urbanisation, s’accompagne de leur fragmentation (30 % du territoire de l’UE est aujourd’hui fortement morcelé), mais aussi de leur dégradation, du fait de l’intensification de la production agricole et de l’érosion, qui touche plus de 25 % de l’espace européen… L’utilisation « non durable » des terres, facteur majeur de la perte de biodiversité, menace aussi les « services écosystémiques » assurés par les sols (comme le stockage de l’eau ou la filtration de contaminants), en même temps qu’elle accroît la vulnérabilité de l’Europe au changement climatique et aux catastrophes naturelles. Cette situation, qu’il est « difficile ou coûteux d’inverser », « ne devrait pas changer de manière favorable »…
L’AEE (agence européenne de l’environnement) exhorte à « une refonte complète des systèmes de production et de consommation qui sont à l’origine des pressions exercées sur l’environnement et le climat ». Ce qui nécessite, ajoute-t-elle, « de profonds changements dans les institutions, les pratiques, les technologies, les politiques et les modes de vie et de pensée prédominants ». (LE MONDE du 4 février 2015)

2/2) La Terre a perdu la moitié de ses populations d’espèces sauvages en 40 ans
La planète est malade, et sa guérison semble de plus en plus incertaine. La pression exercée par l’humanité sur les écosystèmes est telle qu’il nous faut chaque année l’équivalent d’une Terre et demie pour satisfaire nos besoins en ressources naturelles, tandis que le déclin de la biodiversité est sans précédent. Ce sont les conclusions alarmantes du Fonds pour la nature (WWF), dans la dixième édition de son rapport Planète vivante, le bilan de santé le plus complet de la Terre… L’empreinte écologique de l’humanité atteignait 18,1 milliards d’hectares globaux (hag, hectares de productivité moyenne) en 2010, soit 2,6 hag par personne.
Le problème, c’est que cette empreinte mondiale, qui a doublé depuis les années 1960, excède de 50 % la biocapacité de la planète, c’est-à-dire sa faculté à régénérer les ressources naturelles et absorber le CO2. Ce « dépassement » est possible car nous coupons des arbres à un rythme supérieur à celui de leur croissance, nous prélevons plus de poissons dans les océans qu’il n’en naît chaque année, et nous rejetons davantage de carbone dans l’atmosphère que les forêts et les océans ne peuvent en absorber… Résultat : les effectifs de ces espèces sauvages ont décliné de 52 % entre 1970 et 2010. Autrement dit, la taille de ces populations a fondu de moitié en moins de deux générations. (Le Monde.fr | 30 septembre 2014)

L’Europe et la planète malades de la présence humaine Lire la suite »

P. Artus, la croissance économique ne durera pas toujours

Au milieu de l’été 2012 Robert Gordon entendait « questionner l’affirmation, largement partagée depuis les travaux de Robert Solow dans les années 1950, selon laquelle la croissance économique est un processus continu qui durera toujours ». Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, Gordon enfonce le clou : « Mon article suggère que la croissance rapide observée au cours des 250 dernières années pourrait bien être un épisode unique dans l’histoire de l’humanité. » Emoi considérable, Gordon s’attaquait à une croyance collective. Cette référence récente du journaliste Vincent Giret* est étonnante. Il semble ignorer que les limites de la croissance sont bien analysées depuis plus de quarante ans avec le rapport au Club de Rome en 1972. Dans cette analyse systémique, les facteurs de blocage sont l’épuisement des ressources naturelles, la surpopulation, la pollution généralisée, les problèmes de l’agriculture et des limites technologiques. Ces causes structurelles sont liées à l’évolution exponentielle de l’emprise de l’humanité sur la planète. Notons qu’un taux de croissance du PIB de seulement 0,1 % constitue déjà une croissance qui entraîne un doublement d’une période à une autre.

En fait Vincent Giret introduisait ainsi une recension du livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard**. Ceux-ci mènent l’enquête sur les limites de la croissance : baisse de la productivité, vieillissement démographique, inefficacité croissante des systèmes d’éducation, coût de la lutte contre le réchauffement climatique, exigence du désendettement public et privé… Aucune des limites analysées par le rapport au Club de Rome ne sont envisagées si ce n’est par le mécanisme suivant : « L’exemple de l’industrie pétrolière est édifiant : il faut investir sans cesse plus de milliards pour espérer extraire la moindre goutte de pétrole brut des profondeurs. » Les économistes feraient mieux de s’interroger sur les limites biophysiques de la planète avant de s’intéresser aux phénomènes sociaux comme le vieillissement ou l’éducation.

La France n’est donc pas au « seuil d’un nouveau modèle de développement » comme espéré par Artus/Virard, mais au bord de l’effondrement. L’ensemble du système techno-industriel qui a voulu recouvrir la planète de son idéologie et de ses infrastructures ne pourra pas résister à la disparition des énergies fossiles. C’est ce que prévoyait déjà le rapport au Club de Rome : « Adopter un comportement de croissance, c’est finalement courir au déclin incontrôlé de la population et des investissements par voie de catastrophes successives. Cette récession pourrait atteindre des proportions telles que le seuil de tolérance des écosystèmes soit franchi d’une manière irréversible. Il resterait alors bien peu de choses sur terre permettant un nouveau départ sous quelque forme envisageable que ce soit. ». Quand la Biosphère ne pourra plus assurer notre subsistance parce que nous l’aurons irrémédiablement dégradée, la Nature haussera simplement les épaules en concluant que laisser des singes diriger un laboratoire était amusant un instant, mais que, en fin de compte, c’était une mauvaise idée.
* LE MONDE économie&entreprise du 6 février 2015, Le mystère de la croissance disparue
** Croissance zéro. Comment éviter le chaos ?, de Patrick Artus, Marie-Paule Virard. Fayard, 184 pages, 16 €.

P. Artus, la croissance économique ne durera pas toujours Lire la suite »

Bruxelles reste sous l’influence des croissancistes

Juncker et Timmermans préfèrent relancer l’emploi par la croissance et l’investissement. Ils abandonnent deux textes clés sur la qualité de l’air et l’économie circulaire. L’écologie est devenue le parent pauvre du programme de travail pour 2015 de la Commission européenne*.  Priorité à la libre entreprise de continuer à polluer et de se désintéresser du recyclage de leur merde. L’augmentation des décès prématurés et la raréfaction des ressources naturelles sont tenus pour quantités négligeables, place à l’économie pure et dure. Le patronat européen avait fait un intense lobbying auprès de Bruxelles pour demander l’abandon du paquet air et la réécriture du projet de directive sur l’économie circulaire d’un « point de vue économique et non purement environnemental ». Dans le même temps, Bruxelles a décidé de favoriser la pêche alors que 40 % des stocks de poissons sont surexploités**. « La Commission nous promet de nouveaux textes plus ambitieux, mais pourquoi abandonner le travail sur ceux qui sont sur la table ? », a interpellé Philippe Lamberts, coleader du groupe Verts au Parlement.

Lisez Cradle to cradle qui nous indique que la seule solution durable pour l’économie et l’emploi est le recylcage intégral. Les auteurs espèrent qu’un jour ce livre, comme tout ce que l’humain peut produire, pourra littéralement être mangé ou tout au moins digéré sous forme d’humus, éliminant ainsi jusqu’à la notion même de déchets. C2C, Cradle to cradle, « du-berceau-au-berceau » est le cycle vertueux qui s’oppose au fonctionnement « Cradle to Grave », du-berceau-au-tombeau : collecte de matières dans l’environnement, transformation, fin programmée sous forme de déchets jetés ou brûlés et donc perdus à jamais pour l’activité humaine.

Une industrie doit pouvoir (sur)vivre de ses déchets et les pêcheurs ne peuvent continuer à pêcher que si les stocks de poisson se reconstituent naturellement. Cela semble une évidence incontournable. Pourtant l’existence de la biosphère est ignorée tant par les entreprises que par Bruxelles ! En dernier ressort une chose est sûre, la nature ne négocie pas. Quand les humains dépassent les limites, les forces de la nature nous amènent assurément des catastrophes à un moment ou un autre.

* LE MONDE du 18 décembre 2014, Bruxelles recule sur l’environnement

** LE MONDE du 18 décembre 2014, Modeste diminution des quotas de pêche européens

 

Bruxelles reste sous l’influence des croissancistes Lire la suite »