spiritualités

Le purgatoire à perpétuité pour Vincent Lambert

La cruauté humaine n’a pas de limites, surtout quand il s’agit de personnes qui disent agir au nom de dieu tout puissant. Vincent Lambert, dans un état végétatif depuis 2008, va à son corps défendant de procédure médicale à procédure judiciaire (et réciproquement). Aux dernières nouvelles, le médecin chargé de Vincent au CHU de Reims a estimé le 9 avril que ce « patient » (le mot est bien adapté) se trouvait en situation d’« obstination déraisonnable ». A ce titre, il s’est prononcé en faveur d’un « arrêt des traitements », c’est-à-dire d’un arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles qui le maintiennent en vie. C’est la troisième décision en ce sens depuis cinq ans*. Nous avons abondamment traité ce cas d’acharnement religieux sur ce blog, laissons la parole aux commentateurs du monde.fr :

JEAN CLAUDE MEYER : Cette affaire est vraiment hallucinante. Ce cirque va t’il durer encore longtemps? Quel calvaire pour les proches qui ont accepté l’inéluctable. Les parents cathos à mort ont-ils donc oublié les commandements?

Pierre HUBU : Je ne comprends pas pourquoi ses parents, catholiques extrémistes, ne demandent pas eux mêmes que Vincent quitte ce bas monde, cette vallée de larmes, pour aller au Paradis, jusqu’à sa Résurrection, en compagnie de Leur Seigneur et de tous les petits angelots, si mignons avec leurs jolies robes bleues ou roses et leurs petites ailes qui s’agitent. Ce doit qd même être plus cool que de mener une vie végétative à l’hôpital de Reims.

Macloukoum : s’ils sont catholiques avant tout ils devraient accepter la volonté de Dieu qui serait que cet homme ne peut pas vivre sans l’intervention laïque de la médecine.

MICHEL SOURROUILLE : Notre rapport à la mort est complexe, il y a autant de points de vue qu’il y a de personnes sur cette terre. Mais quand un cerveau est endommagé au point de ne plus jamais avoir la possibilité de mener un vie réellement humaine, c’est-à-dire autonome, refuser la mort relève bien plus que de l’acharnement thérapeutique, cela relève de l’aveuglement et du non respect de la dignité humaine. Heureusement que la justice est là pour pallier la bêtise humaine.

Mp : On marche sur la tête ! L’hôpital est en détresse, on ferme des services pour raisons budgétaires, avec pour résultat un engorgement des urgences : faute de lit on laisse les gens sur des brancards dans les couloirs

jcs : Et pourquoi ne pas faire payer les soins à ceux qui veulent prolonger (inutilement) la vie de Vincent Lambert ?

ben voyons : Les membres religieux d’une famille deviennent un boulet dès que la question de la fin de vie se pose. Et je parle par expérience. Ils ne respectent ni l’avis des médecins, ni celui de la famille proche (parents-enfants-conjoint). Ils ne respectent même pas la loi. Il n’y a que leur loi religieuse qui compte. À quand l’interdiction des religions, fléaux du 21eme siècle ?

FV : On a envie de parler de fanatisme à propos des parents qui refusent l’arrêt des traitements par idéologie.

* LE MONDE du 10 avril 2018, Le CHU de Reims de nouveau favorable à un « arrêt des traitements » de Vincent Lambert

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Circoncision, volonté d’imposer à un mineur une religion

Pour les juifs, la circoncision est un rite d’introduction dans le peuple juif, donc une obligation pour que l’enfant témoigner physiquement de son appartenance prédéterminée à une ethnie ; le mot Prépuce désigne très crûment le monde non-juif. En 2012, un arrêt du tribunal de grande instance de Cologne, légalisé ensuite par le Bundestag, avait fait de la circoncision un délit pénal : celle-ci « modifie durablement et de manière irréparable le corps d’un enfant… Le droit d’un enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents »*. En 2013, le Conseil de l’Europe a adopté une résolution demandant à ses 47 Etats membres d’en réguler la pratique. En 2018, un projet de texte ferait de l’Islande le premier pays européen à l’interdire**. L’ablation du prépuce d’un mineur, sans raison médicale, serait passible d’une peine allant jusqu’à six ans d’emprisonnement. Le projet de loi fait un parallèle avec l’excision et met en avant « les droits de l’enfant ». Le texte a reçu l’appui de 1400 médecins et de 1 325 infirmières et sages-femmes. Tous les leaders religieux islandais s’y opposent. Un commentateur sur lemonde.fr précise : « Que l’on soit en faveur ou pas, ce n’est pas à l’état de décider pour les parents. » C’est la problématique essentielle posée par les pratiques, y compris le baptême, qui veulent imposer à un mineur la religion de leurs parents. La majorité légale est à 18 ans, passage symbolique à l’état d’adulte capable normalement de décider de façon autonome. Comment faire comprendre à des parents qu’ils doivent favoriser la liberté de choix de l’enfant et non l’endoctriner ? D’un point de vue écologique, une éducation bien faite amènerait à rester le plus naturel possible, loin des religions et des pratiques qui cherchent à nous dénaturer. Le corps ne doit pas devenir un accessoire de la machinerie sociale dont le contenu serait imposé pour des questions de conformisme social. Excision, circoncision ou même baptême sont des atteintes corporelles de niveau intrusif très différentes, mais toujours discutables. Voici d’autres paroles sur lemonde.fr :

CYNIQUE DU BON SENS ET RAISON : Pourquoi un enfant serait-il, en plus du lavage de cerveau que ses parents abonnés d’une secte lui imposent, marqué dans sa chaire et en supporter les conséquences à vie ?

Le pompon ! L’article dit que « les évêques des églises catholique et luthérienne mettent en garde contre « la persécution des individus pour des motifs religieux » ». Sauf qu’ils ne le disent pas pour soutenir les enfants mutilés pour motif religieux mais pour défendre les mutileurs !

JACQUES GIRARD : Quand reconnaîtra-t-on en France que la circoncision rituelle est en réalité une mutilation sexuelle imposée sans consentement à des enfants ? Alors qu’on se focalise sur les agressions sexuelles vis à vis des femmes, comment pourrait-on tolérer plus longtemps de telles pratiques ?

La Loi : L’amputation du schéma corporel sur un enfant est interdit par la loi. Les « usages » religieux ne doivent en aucun cas se substituer aux lois des états laïques. Courageux ces Islandais

Soit ! Je pense appartenir à la « famille des êtres parlants », mais n’ai pas été circoncis ? Et à propos des femmes, elles ne sont pas circoncises, étonnant ! Sont-elles exclues de la « famille des êtres parlants » ? Pourtant ce sont les femmes qui transmettent la religion juive, non ? Sans être de la « famille des êtres parlants » ? Il y a des rites initiatiques qui ne sont plus d’actualité, les femmes sont les égales des hommes, les enfants n’ont pas à souffrir des croyances de leurs parents. Les pères romains avaient le droit de vie et de mort sur leurs enfants, c’est fini … Je suis curieux de voir un croyant m’expliquer qu’un dieu a créé un prépuce pour que des prêtres le sacrifient en symbole d’un pacte entre un peuple « élu » et lui, dieu mégalo et castrateur ? Le premier principe d’une religion, c’est la soumission.

CHRISTIAN SCHOLTES : C’est une mutilation sexuelle. Tous les hommes qui, adultes, ont dû la subir pour raisons médicales ( phimosis, lichen ) disent que c’était mieux avant. Dans l’évangile de Thomas découvert à Qumrân, les disciples demandent à Jésus -logos 53 – la circoncision est-elle utile ? Il leur répondit : « si elle était utile, leur père les engendrerait déjà circoncis de leur mère ».

Eziab : Pour moi, tous ces rituels traditionnels ne sont que des gesticulations qui n’ont plus rien à voir avec Dieu. Dans cet article, on parle de la circoncision mais on pourrait parler aussi du niqab, de la burqa et du tchador, des rites orthodoxes sans fin, de l’adoration des statues et icônes, du culte quasi païen de la vierge Marie, etc.

* LE MONDE du 29 juin 2012, Pour la justice allemande, la circoncision est un délit

** LE MONDE du 27.03.2018, L’Islande se prépare à interdire la circoncision

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Biosphere-Info : la pensée de Nicolas Hulot en 1995

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On peut sans doute considérer Nicolas Hulot comme un chercheur de sagesse. Pour lui, la nature « exprime le langage de notre âme ». Ce sentiment transparaît constamment tout au cours de son livre de 1995, « Questions de nature », aux éditions Plon. C’est pourquoi aujourd’hui, ministre de l’écologie, il lui a sans doute fallu beaucoup d’abnégation pour passer de l’immersion dans la nature à l’enfermement dans des cabinets ministériels. Fascinant contraste. Voici un récapitulatif de toutes les fortes pensées qu’il énonce entre deux contacts féeriques avec orques, peuples premiers, oiseaux…

Aliénation : Je passe en revue le spectacle politique, médiatique, judiciaire qui souvent nous égare. Ces règles qu’on nous impose, ces opinions que l’on nous dicte, ces notions de réussite dont on nous gave, ces pouvoirs dispersés, chacun rêve d’en abuser. Je me méfie comme de la peste de ces influences sournoises qui diffusent et s’immiscent sans éveiller la conscience. Religieuses, éducatives, idéologiques, elles façonnent le creuset de nos pensées en évitant trop souvent le chemin de la réflexion. Je me méfie des grands courants impétueux comme de la peste. Il faut savoir se rebeller contre toutes ces dépendances et conserver son libre arbitre : être rebelle pour choisir ensuite.

Animal : L’animal, qu’il soit sauvage ou domestique, n’a plus le temps de s’adapter aux modifications de son environnement. Son univers a trop vite évolué en moins d’un siècle pour que ses gènes conditionnent de nouveaux réflexes. S’échapper, pour les animaux, c’est s’exposer à ces projectiles monstrueux lancés sur toutes les routes. De toute façon, l’homme, dans son développement, ne les prend pas en compte. Il faut reconnaître que l’homme sait aussi vous donner la nausée tant parfois il excelle dans l’indifférence, l’ignorance, la cupidité, la vanité, la lâcheté, la cruauté. Sans être un antidote, la compagnie animale est alors un doux réconfort.

Autoroute : Ce n’est pas l’autoroute en soi qui pose problème. C’est l’abus d’autoroutes qui pose problème, cette folie de bientôt vouloir réunir chaque bourg à ces imposantes quatre-voies. Comme si, une fois lancées, les techniques et les procédés ne pouvaient plus s’arrêter.

Biodiversité : A chaque extinction d’espèces, sous l’effet de l’activité humaine, la mémoire de l’humanité se charge d’un fardeau de honte. L’homme s’octroie le droit de décider du sort des animaux ou des végétaux, de modifier le processus évolutif, persuadé que la seule chose précieuse dans la création est sa propre existence. Dans nos sociétés où partout suintent le racisme et la xénophobie, demander la considération pour un pachyderme ou un insecte est mission désespérée. Comment convaincre les hommes que le salut est aussi dans le respect sans faille de la bio-diversité, que l’unicité de la nature ne vaut que par la pluralité de ce qui la compose ?

Chasse : La chasse dans son ensemble me répugne ; la vie observée me comble trop pour que me vienne l’idée de la supprimer. Trop de regards animaux se sont reflétés dans mes propres yeux pour que je reste étranger à leur sort. Un principe intangible guide ma réflexion, engendre mon dégoût de tuer : le fait d’ôter la vie ne doit jamais être source de plaisir ni de spectacle. Je suis toujours consterné de voir avec quel sang-froid le chasseur détruit l’existence. Je suis inquiet de son accoutumance à la vie qui s’en va. Rien de commun entre le paysan qui, pour améliorer son ordinaire, ira lever quelques perdrix ou faisan, et le chasseur déguisé en Rambo qui confond forêt et fête foraine. Rien de commun entre le trappeur indien rencontré sous les arbres de la taïga canadienne, et l’homme des villes, qui quitte son pays pour venir, en avion de ligne, décrocher son trophée dans les plaines africaines. Rien de commun encore entre le marin-pêcheur courageux qui traîne ses courts filets derrière sa petite unité et l’armada destructrice d’usines flottantes qui dépeuplent nos océans. Ma plus grande aversion va à la chasse à courre, ridicule mascarade d’une époque révolue où le gibier traqué par un cortège grotesque n’a d’autre choix que de s’empaler sur les clôtures qui partout entrave sa fuite, ou, ayant échappé à bien des périls, ne peut qu’attendre, tremblant, écumant de bave sous la terreur, le coup fatal du piqueux porté dans une mise en scène odieuse.

Condition animale : Partout dans le monde, en modifiant le paysage, l’humanité dans son expansion fait fi de la condition animale. Elle transforme les éléments du monde naturel en objets quasi décoratifs, modèle l’environnement aux fins de son seul intérêt. Au risque de choquer, je déteste les cirques. J’ai de l’estime pour les gens du cirque, mais je sais combien les prouesses des animaux sont le fruit de privations et parfois de sévices. Rien de plus désolant, l’été, que ces bêtes en cage étroite, agglutinés et exposés au regard de promeneurs distraits. J’ai en horreur ceux qui privent l’animal de liberté à des seules fins mercantiles. Les élevages intensifs d’animaux sous l’effet d’une mode, où les bêtes croupissent lorsque celle-ci est passée, sont inadmissibles. Combien de huskies ont grandi dans des vitrines minuscules. Les murs épais des laboratoires cosmétiques qui dissimulent le martyre d’animaux innocents me donne la nausée. Que pour satisfaire quelques coquetteries futiles on se fasse tortionnaire illustre le peu de cas que notre société fait de la condition animale.

Corrida : Tout m’écœure dans la pire expression de la vanité humaine envers le monde animal, la corrida. L’hystérie des aficionados, l’arène qui met en scène la mort, ces paillettes qui brillent sur un lit d’hémoglobines, l’agonie du taureau. La télévision amplifie ces comportements, relayée par quelques esprits cyniques qui, d’une plume indécente, justifient ce vice honteux d’un alibi culturel et traditionnel. Je dis qu’une société se grandit quand, au fil de son histoire, elle se débarrasse de ses comportements avilissants ; que son degré de civilisation se mesure à l’état de sa conscience.

Écologie : Étymologiquement, l’écologie est la « science de la maison ». A ce titre, elle est et elle doit être la capacité de l’homme à prendre soin de sa demeure : la terre. Elle ne peut être qu’une réflexion à long terme qui prend de la distance avec les sociétés qui progressent uniquement au rythme de l’écho de l’opinion. Elles en oublient que l’opinion est plus souvent une réaction qu’une réflexion. L’écologie est le plus précieux des équilibres : l’harmonie absolue entre l’homme et la nature. Et jamais le débat ne doit être de savoir lequel prime de l’un ou de l’autre, leur destin est lié.

Espace : J’aime ces grands espaces sauvages où la nature souveraine irradie ses ondes apaisantes. J’ai un besoin vital de ce contact physique, sensoriel et spirituel. Il a fallu sans doute ce coup, asséné par la beauté sans faille de l’Okavanga, pour que naisse en moi la vision du vrai. Aujourd’hui, une simple fleur dans mon jardin, l’évanescence d’un nuage, le son d’une cascade me suffisent à être heureux. La forêt, la mer, l’air, les déserts sont des réservoirs de sagesse, de lucidité, d’équilibre. Dans nos sociétés industrielles, les sens sans cesse agressés se ferment et s’atrophient. Quand tout agresse, on devient soi-même agressif. Aujourd’hui, en avion, en voiture et même en train, on ne voyage plus, on se déplace ; témoin inconscient d’un spectacle trop rapide que l’esprit ne peut fixer.

Ethnies : Je crains sans illusions que toutes ces petites sociétés, Yeyi, Tawana, Herero… miraculeusement oubliées du temps, ces tribus splendides de différence, succombent un jour aux métastases de l’homogénéisation de la planète, sécrétées par ces « civilisations » prétentieuses. Je suis toujours ému du savoir fantastique de ces hommes, nourris de l’intimité de la nature. Cet héritage est resté immuable jusqu’à ce que notre siècle le rende fragile. Qui, mieux que les Indiens d’Amérique qui considèrent la terre comme leur mère, ont vénéré dans leurs gestes autant que dans leurs mots ces liens qui nous unissent à elle : «  Comment l’esprit de la terre pourrait-il aimer l’homme blanc ? Partout où il la touche, il laisse une plaie. »

Homme : L’homme fonde la conviction de sa supériorité sur l’animal, et a fortiori sur le végétal, par la distinction entre l’intelligence dont il se targue et l’instinct dont il affuble les bêtes et autres créatures. L’homme s’imagine au sommet d’une pyramide. L’homme est aussi détenteur exclusif du brevet de l’absurde et de la vanité, inventeur de comportements où la raison et le sens n’ont pas de prise. Il est le seul a écrire les mots génocide et torture. Et cela modère l’appréciation de son intelligence, affirmant plutôt sa différence avec les animaux incapables de tels raffinements.

Loups : Un loup magnifique est apparu soudainement dans les Vosges. Livré en pâture à la scène médiatique, ce pauvre loup, plutôt que de soulever l’enthousiasme collectif, a généré une réaction hystérique comme si « le monstre » risquait de dévorer toute une population. Battues démesurées, traques impitoyables ; une horde de « viandards » a été missionnée pour abattre la bête, responsable seulement d’avoir tué quelques brebis, simples victimes du processus alimentaire. Jusqu’à ce jour, l’animal a déjoué cet acharnement. Le plus cynique est que, lorsque l’animal se trouve en surnombre, il fournit l’alibi de la régulation. L’animal agit et s’adapte en fonction d’un sentiment constant : la peur. La peur de l’homme. Sous l’effrayante activité humaine, l’animal reste tapi. La condition animale dans les pays industrialisés et à forte densité démographique se résume à un état de stress permanent. La nature se cache quand elle ne disparaît pas. Il y a des jours où j’ai mal à ma condition d’homme.

Nature : Je déteste l’arrogance de l’homme face à la nature, cette certitude d’être supérieur au lieu de se contenter d’être magnifiquement différent. La nature resplendit de sa pluralité d’expression. L’homme n’en est qu’une facette, dépendante et tributaire de la multitude des autres. L’homme aime homogénéiser. Cette fausse unité le rassure. Dictateur vaniteux, il ignore l’unité des choses, oubliant qu’il n’y a pas d’un côté d’homme et de l’autre la nature, mais la nature qui accueille l’homme en son sein. A mes yeux, seul le spectacle de la nature a de l’importance. C’est le plus précieux des livres et chaque ligne y est un fragment de vérité. La nature ne me nourrit d’aucune certitude mais m’inonde de sentiments.

Oiseaux : Observer les oiseaux, c’est l’art de la discrétion Je pourrais noircir des centaines de pages à décrire les formes et les couleurs de ces oiseaux dont la seule présence me rassure, mésanges bleues ou charbonnières, geai des chênes, faucon crécerelle… ils représentent les derniers animaux véritablement libres qui s’affranchissent en vol des obstacles et remparts dressés par l’homme et qui, chaque jour davantage, entravent un peu plus la liberté des autres animaux.

Pêche : Botswana, des femmes splendides aux seins dénudés déposent des nasses de roseau où les poisson-tigres iront se piéger ; et ces enfants qui regardent pour apprendre. Comment à cet instant ne pas penser aux monstrueux filets dérivants qui anéantissent nos océans ? Ces barrières impitoyables capturent sans discernement, pour le compte d’une pêche indigne où se perdent de tristes pêcheurs endettés par leurs navires trop onéreux. La pêche au gros en Australie, que je préfère appeler la pêche des gros, tant souvent la silhouette bedonnante de bière de ces pêcheurs pitoyables, vautrés dans des fauteuils luxueux et moulinant d’un geste frénétique leur proie agonisante, est une caricature du sport.

Planète : Quand je traverse les fuseaux de notre planète au rythme des avions de ligne, à la cadence parfois accélérée de mes voyages professionnels, je prends conscience que notre terre se résume à quelques îlots d’opulence entourés d’océans de misère et de détresse. J’ai le pénible sentiment que la terre elle-même souffre. Des coups de griffes, des injections toxiques partout l’étouffent et l’enlaidissent. Sa peau porte des stigmates affreux. Ce soir, je m’endors, craignant qu’un jour le monde ne soit qu’un gigantesque regret. Je me vois raconter à mes enfants ce qu’ils ne verront pas. Je hais déjà le jour où je ne pourrai voyager que dans mes rêves. L’homme est un glouton insatiable ; et seul la désignation formelle des réserves de l’environnement pourrait limiter son avidité. Mais l’humanité tarde à désigner ces zones inaliénables où ce qui reste de nature intacte aurait une chance de survie.

Progrès : Quand je promène mes pas dans ces lieux de plus en plus rares où la nature est encore épargnée des sévices de l’homme, je frémis de la précarité de ce privilège. Je sais qu’inexorablement, un jour ou l’autre, ici comme ailleurs, la beauté originelle sera profanée. Rien ne semble pouvoir arrêter l’appétit gargantuesque de cette gigantesque machine broyeuse et dévoreuse, le progrès. Mot redoutable, sous l’alibi duquel on commet, parfois, l’irréparable et l’inacceptable. Ce terme où tous nos espoirs convergent n’est souvent qu’une extension aveugle, une colonisation sans pitié de la nature par l’homme et pour l’homme seul. L’écologie a trop souffert de paraître incompatible avec le progrès. L’écologie est pourtant une vigilance qui accompagne le progrès, une intelligence qui le raisonne, une générosité qui intègre tous les êtres vivants. Le progrès ne vaut que s’il se fixe des bornes. Quand ce qui entoure l’homme n’est plus à son échelle, alors l’homme n’a plus sa juste dimension.

Relocalisation : Je préfère le village à la ville, la rivière au grand fleuve, la route à l’autoroute, l’échoppe à la boutique, la boutique aux grandes surfaces, la ruelle à l’avenue, je préfère ces dimensions qui sont à l’échelle de l’homme, là où il garde ses repères.

Réserves naturelles : Dieu sait que le mot « réserve » est pénible à mon oreille. Je l’exècre. Il sonne comme un aveu d’échec, celui de partager un même sol avec les animaux et les plantes. L’homme efface de sa mémoire qu’il est, comme le rappellent de nombreuses traditions africaines, « le dernier venu ». Obsédé par sa supériorité, il prospère dans un anthropocentrisme odieux. Se résoudre à l’existence de ces dérisoires sanctuaires, en regard de l’immense territoire que l’homme s’attribue sans vergogne, est une solution ultime face à notre impuissance. Cependant je voue un respect démesuré aux combattants de l’ombre qui se dressent un peu partout pour défendre des parcelles de nature.

TGV : C’est un fleuron de notre technologie dont le confort et l’efficacité ne sont pas à mettre en cause. Mais quand à un premier tracé de chemin de fer, on en ajoute un autre qui ira saccager un paysage supplémentaire pour gagner quelques minutes dérisoires, je dis que la connerie est proche. Et les fameuses études d’impact sont trop souvent des cache-misère minables. Que ne détruit-on pas au nom de cette satanée vitesse… Le monde s’épuise de trop courir. Pourquoi une telle débauche d’énergie et de moyens pour grignoter encore et toujours du temps au temps ?

Végétal : A mesure que l’homme découvre et comprend, sous l’œil de son microscope, l’éveil de notre conscience grandit ; en même temps les frontières où l’on cloisonne séparément le monde animal, végétal, minéral et humain se troublent et s’estompent pour peut-être n’en faire qu’un. Et si l’instinct n’était qu’une forme d’intelligence ? L’animal est peut-être un être accompli, vivant en harmonie avec son environnement. Il importe de reconnaître que l’animal et le végétal sont doués, qu’il est merveilleux de savoir si bien se débrouiller dans le parcours de l’existence. L’affirmation de la différence est plus belle que la quête d’une supériorité.

Ville : J’avoue une allergie excessive à la ville. Depuis longtemps, mon organisation de vie est vouée à y limiter ma présence. Plus encore, m’en éloigner définitivement est un objectif prioritaire. Lorsque j’étais plus jeune, lorsque la cité était encore mon univers social, je ne pouvais imaginer vivre ailleurs, convaincu que rien d’essentiel ne pouvait germer en d’autres endroits. La distance et l’ouverture conférées par tous les chemins de traverse empruntés depuis vingt ans ont rendu visible et flagrant ce que mes yeux éblouis par les néons du factice ne pouvaient discerner. La ville pèse sur le subconscient au point de développer une accoutumance. Nos pensées se précipitent sur tous les artifices modernes qui créent l’illusion de l’évasion et que certains ont appelé le goulag électronique. Nos villes modernes annihilent l’essence des relations humaine, la communication. Ce que sont devenus les villes et, pire, ceux qui y vivent, m’affole voire me terrorise. Les grands ensembles ont anéantis la notion d’équilibre et d’harmonie. Elle n’est plus à l’échelle de l’homme. Je crois que 60 % de la planète vit dans des gigantesques concentrations démographiques. La ville accable d’agression constantes, polarisant l’attention sur la compétition permanent que la multitude génère. L’homme se referme sur lui-même pour tenter de se soustraire aux agressions, le bruit, les odeurs, la pollution, la promiscuité. L’espace est indispensable à l’épanouissement. Et l’entassement ne le favorise pas, au contraire. Les villes périssent de leur démesure. Être en ville, c’est attendre sans cesse, le feu vert, le dégagement du trafic, une place libre, le métro ou le bus, la file d’attente à la caisse… Si chacun se livrait au calcul du temps perdu en déplacements, il serait affolé de constater qu’il impute sa vie d’un pourcentage loin d’être négligeable. En situation de rupture totale avec la nature, le citadin vit dans une obscurité qu’il ne soupçonne plus.

Zoo : Par éthique, puis par principe, je hais toutes les formes de captivité. Je déteste les zoos et les aquariums exotiques. Combien d’animaux sont sacrifiés pour que l’un d’entre eux puisse être exposé au yeux d’enfants insouciants déjà gavés d’images télévisées. Rien ne justifie, à l’apogée de la communication hertzienne, que l’on inflige aux animaux ces procédés d’une époque révolue. Ce spectacle lamentable inscrit l’état de soumission animale dans la normalité, et même dans la banalité. Et l’alibi de la reproduction d’espèces menacées ne vaut pas cette exhibition affligeante.

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Quelques extraits de la pensée de Hans Jonas

Liberté : Il ne faut pas oublier qu’il ne saurait y avoir de liberté que dans la mesure où elle est limitée. Une liberté illimitée de l’individu ne peut que s’autodétruire, du fait qu’elle n’est pas compatible avec celle des autres individus. S’imposer des limites est la première obligation de toute liberté, la condition même de son existence. Établir des limites, par exemple dans le domaine génétique, est bien évidemment une tâche incroyablement compliquée ; tout progrès médical constitue une lueur d’espoir pour ceux qui souffrent d’une affection déterminée.

Marxisme : Dans le cas du marxisme, on avait affaire à la magie d’une grande vision utopique d’une société plus juste, qui promettait le bonheur à tous les individus grâce à l’utilisation matérielle de la nature. Finalement, la promesse du bonheur s’est orientée dans la direction de ce qui se révèle désormais néfaste. C’est l’une de mes plus grosses déceptions, je pensais que les communistes étaient les plus à même de savoir s’y prendre avec la nature dans la mesure où ils maîtrisaient déjà la satisfaction des besoins, où ils pouvaient décréter : on vous accordera tant et pas plus. Il s’est même avéré, à ma grande surprise, que cette économie s’est encore plus mal comportée que l’économie capitaliste, la pollution y est encore pire. Il ne s’ensuit pas pour autant que notre démocratie plébiscitaire se révèle meilleure à long terme.

Démocratie : J’ai le sentiment que la démocratie, telle qu’elle fonctionne actuellement, et orientée comme elle l’est à court terme, n’est pas la forme de gouvernement qui convient à long terme. Avec le système d’élection tous les quatre ou cinq ans, l’électeur estime que ses occupations et le maintien de son niveau de vie dans les prochaines années sont plus importants que l’avenir de la planète. Les intérêts à court terme l’emportent sur les obligations lointaines. Dans des situations extrêmes, il n’y a pas de place pour les processus de décisions complexes de la démocratie. Mais je n’ai pas la moindre idée de ce par quoi l’on pourrait remplacer la démocratie actuelle.

Démocratie mondiale : Dans les conférences internationales, un progrès dans le souci à l’égard de l’humanité et de la nature ne pourrait être accompli qu’à condition que les participants soient enclins à une compréhension mutuelle, ce qui suppose d’abord de reléguer au second plan leurs intérêts égoïstes. Mais qu’est-ce qui peut nous assurer que, grâce à une compréhension internationale, nous parviendrions à une formule homogène d’administration de la terre par les hommes ?

Responsabilité : L’homme nous apparaît comme le seul être qui soit capable de responsabilité. L’existence de la responsabilité vaut mieux que son absence totale, dans la mesure où elle est bénéfique à la permanence du monde. L’obligation de responsabilité s’étend à la responsabilité pour l’avenir. En vertu d’une conclusion ontologique, il résulte que, du simple fait que nous puissions nous sentir responsable, cette responsabilité nous prescrit d’assurer la pérennité de nos existences dans le monde. Telle est la formule la plus brève de la justification métaphysique de la morale que j’ai à proposer. La multiplicité de la vie, qui surgit d’un effort infini du devenir, doit être considéré comme une « valeur en soi ». La responsabilité est l’aspect complémentaire de la puissance. Nous sommes responsables de ce que nous faisons. Il faut donc nous poser la question : jusqu’où devons-nous aller, où devons nous nous arrêter ?

Ethique : Une éthique doit nous enseigner comment nous comporter. Une époque hautement technique exige une nouvelle réflexion éthique. C’est le choc qui s’est produit entre le pouvoir quasi illimité de l’homme et de ses désirs, d’une part, et la finitude de la nature d’autre part, qui a ouvert une nouvelle dimension de l’éthique. C’est là quelque chose qui ne jouait aucun rôle pour Kant. Mais je ne sais pas si on peut obtenir un comportement ascétique de la part des masses sans une religion transcendante, et notamment lorsque le danger, loin d’être aussi clair que quelqu’un bateau fait naufrage, s’étend sur des décennies et à l’échelle de continents entiers. L’éthique revêt une dimension cosmique qui va bien au-delà de tous les rapports d’homme à homme.

Hans Jonas dans Une éthique pour la Nature (Arthaud poche 2017)

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Sur ce blog, le point de vue des écologistes ?

Nous avons tous rencontré des personnes qui veulent toujours avoir le dernier mot, qui ne veulent pas écouter les autre ou qui refusent de s’avouer à bout d’arguments. Le consensus paraît donc difficile. Entre ce qu’un écologiste pense et ce qu’il exprime, entre ce qu’il dit et ce qu’il croit dire, entre ce que tu as envie d’entendre et ce que tu entends, entre ce que tu perçois et ce que tu comprends, il y a une forte probabilité que nous ne soyons pas sur la même ligne… mais essayons quand même. Considérons l’hypothèse d’un univers où tout le monde imite tout le monde, à l’exception d’un individu qui, lui, n’imite personne. Faisons une hypothèse supplémentaire : cet individu n’imite personne parce qu’il sait qu’il est dans le vrai. Il est alors facile de montrer que cet individu pourrait devenir la clé de voûte d’un nouveau système car tous vont finir par l’imiter. Après tout, qu’est-ce qu’une religion institutionnalisée qu’une secte qui a réussi ? Pourtant l’expérience montre qu’une attitude écolo a beaucoup plus de difficulté à se généraliser qu’une dérive de type religieuse ou un comportement de type fasciste. Malheureusement les simplismes attirent les foules alors que les raisonnements éclairés font fuir les masses. Car le point de vue des écologistes est divers, mouvant, complexe. Il demande un engagement profond au service de la réflexion. Nous ne pouvons arriver à un consensus que sous certaines conditions :

  • avoir le temps de la réflexion

  • avoir des connaissances de base en matière de philosophie, de sciences économiques, de sociologie, d’histoire…

  • avoir la capacité de se remettre en cause, ce qui nécessite une prise de distance avec soi-même

  • avoir une écoute de l’autre, être ouvert à une argumentation différente de la sienne

  • avoir une maîtrise de ses affects, de ses sentiments personnels, de ses préjugés et a priori

  • adopter une démarche scientifique : c’est vrai, mais uniquement tant qu’on ne m’a pas démontré le contraire

  • Chercher à approfondir ses connaissances par le choix de ses lecture, de sa fréquentation des médias

  • Ne pas être prisonnier de sa fonction sociale (son métier, ses responsabilités familiales ou politiques…), être libre de sa réflexion.

Notre blog biosphere s’intitule de façon peut-être un peu exagérée « le point de vue des écologistes ». Mais comme nous essayons sincèrement de remplir à peu près toutes les conditions ci-dessus, il serait sans doute utile que vous fassiez connaître autour de vous l’existence de ce blog. Merci d’avance, il nous serait agréable de passer de 700 visiteurs par jour en moyenne à 7 millions… de personnes qui veulent devenir écologistes.

PS : Un livre de référence parmi d’autres, « On ne naît pas écolo, on le devient »

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Sexualité et harcèlement, l’homme, un animal dénaturé

Chez les (autres) animaux, souris ou drosophiles, les mâles courtisent les femelles par des parades sexuelles alors qu’ils attaquent et repoussent les mâles rivaux. La neurobiologie a montré qu’une douzaine de neurones, présents spécifiquement dans le cerveau des mâles, suffit à déclencher alternativement agression ou parade sexuelle.* Certains pourraient en déduire que cela offre un ancrage neurologique pour expliquer chez l’homme le flou de la frontière entre séduction et agression sexuelle. Mais un spécialiste du cerveau humain, Stanislas Dehaene, montre par ailleurs l’extrême plasticité de nos circuits neuronaux. Quand un enfant apprend à lire, il adapte son cerveau à une invention somme toute récente, celle de l’écriture il y a tout juste 6000 ans. Notre cerveau fait donc du bricolage, il recycle une région qui sert à reconnaître le contour des objets. Quand nous apprenons à lire, cette région se spécialise dans la reconnaissance de la forme des lettres.** Nos capacités cérébrales surpuissantes nous différencient des autres animaux et rendent nos comportements incertains.

La « violence masculine » est pris comme un axiome non discutable par Olivier Roy***, il se garde bien d’explicitement clairement l’origine de cette violence. Nature ou culture ? Dans l’état actuel de nos connaissances du cerveau humain, toute violence exercée par un homme (ou une femme) résulte d’un conditionnement social, enfant battu, enfant qui battra, formatage militaire, etc. Notre comportement n’est pas programmé par un câblage préexistant du cerveau, il faut que le milieu social imprime sa marque. Cela veut dire que la violence comme fait culturel doit relever de l’éducation et du sens des responsabilités d’une personne. La violence dans la sexualité s’apprend par un contexte, comme on peut aussi apprendre la non-violence dans le rapport des corps et l’expression des sentiments. La définition même de la culture, c’est de mettre en ordre la nature, de l’inscrire dans un système partagé de valeurs, de normes, d’habitudes, devenu implicite au point de passer pour une seconde nature. C’est ce que Bourdieu analyse sous le nom d’habitus, un comportement collectif normé, acquis et devenu inconscient. La violence sexuelle ne fait sens qu’à partir de ce système complexe. C’est pourquoi la simplification du mot d’ordre « balance ton porc » paraît contestable.

Il y a différentes conceptions du féminisme face à l’agression sexuelle. Une tribune du MONDE**** réagit : « En tant que femmes, nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui prend le visage d’une haine des hommes et de la sexualité. Nous pensons que la liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d’importuner. Et nous considérons qu’il faut savoir répondre à cette liberté d’importuner autrement qu’en s’enfermant dans le rôle de la proie. Nous sommes aujourd’hui suffisamment averties pour admettre que la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage, mais nous sommes aussi suffisamment clairvoyantes pour ne pas confondre drague maladroite et agression sexuelle. Cette fièvre à envoyer les « porcs » à l’abattoir, loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux et de ceux qui estiment, au nom d’une conception substantielle du bien et de la morale victorienne qui va avec, que les femmes sont des êtres « à part », des enfants à visage d’adulte, réclamant d’être protégées. » Cette opinion mérite considération, mais l’expression « pulsion sexuelle par nature offensive et sauvage » remet encore de la nature dans ce qui n’est que culture. Un frotteur de femme dans le métro, cela peut aussi s’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle, disait à un moment cette tribune.

Comme diminuer la violence sexuelle ? Ce n’est certes pas en codifiant à l’extrême l’expression du consentement à toucher, embrasser ou coucher, mais à trouver un meilleur équilibre dans la répartition des rôles. Belinda Cannone***** le précise : « Une partie importante du féminisme qui s’est développé depuis 1949 a constamment évité plusieurs pièges, principalement l’appel à la guerre des sexes et son corollaire, le victimisme, mais aussi un puritanisme qui, on le voit ailleurs, transforme le commerce amoureux en procédure. Tout le monde gagnerait à une réelle égalité dans l’érotisme. Les façons de séduire – approche, expression de la proposition, initiative, mots – sont des mises en scène ritualisées de la sexualité et se présentent comme un puissant révélateur des rapports de pouvoir entre les sexes. La séduction s’envisage encore généralement selon l’adage « l’homme propose et la femme dispose ». Les femmes ne sont sans doute pas si pressées de renoncer à cette bienheureuse passivité qui nous met à l’abri de la blessure narcissique menaçant toujours celui qui prend le risque de se proposer. Le jour où les femmes se sentiront parfaitement autorisées à exprimer leur désir, où l’entreprise de la séduction sera réellement partagée, elles ne seront plus des proies et ne se percevront plus comme telles. Encore faut-il qu’elles aient la possibilité de devenir aussi entreprenantes que les hommes, aussi actives. Chacun, tous genres confondus, étant tour à tour l’invitant ou le destinataire de la proposition, à jeu partagé, les hommes ne seraient plus perpétuellement en situation de chasseurs. » Il ne devrait pas y avoir de comportement de type masculin ou féminin, nous sommes sexués par nature mais machiste, nymphomane ou androgyne par culture. Les écologistes institutionnels (EELV) ont une commission thématique « féminisme » qui est plutôt dans une position d’accusation des mâles dominants (féminisme de la différence), mais pas dans la recherche d’une sexualité partagée (féminisme de l’égalité). Dommage !

* LE MONDE du 10 janvier 2017, Entre séduction et agression, une poignée de neurones

** LE MONDE du 10 janvier 2017, Dehaene, un spécialiste du cerveau au service des élèves

*** LE MONDE du 10 janvier 2017, Violences sexuelles : « La nature a remplacé la culture comme origine de la violence »

**** LE MONDE du 10 janvier 2017, Des femmes libèrent une autre parole

***** LE MONDE du 10 janvier 2017, Nous serons libre quand nous pourrons exprimer notre désir

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Bioéthique, qui a le droit de vivre… ou de mourir ?

Qui a le droit de vivre et qui a le devoir de mourir ? C’est la bioéthique qui est censée nous donner des réponses sur la fin de vie, la procréation médicalement assistée, le clonage, etc. Un Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a été créé en 1983 pour mieux baliser le terrain. Les premières dispositions législatives ont été prises en 1994 avec l’adoption de trois lois sur la bioéthique. L’une d’entre elles prévoyait que la procréation médicalement assistée ne peut avoir pour objet que de traiter une stérilité ou d’éviter la transmission à l’enfant d’une maladie génétique grave. En outre, elle était réservée aux couples hétérosexuels vivants, en âge de procréer et vivant ensemble depuis au moins deux ans, l’un des gamètes au moins devant provenir d’un des deux partenaires. L’éthique change avec l’évolution des mœurs, très rapidement aujourd’hui, trop rapidement. En juin 2017, le CCNE s’est déclaré cette fois favorable à l’insémination avec donneur de femmes seules ou homosexuelles. Plus de référence aux couple hétérosexuels, la loi sur le mariage pour tous est passé par là.

Il n’y a actuellement aucune stabilité dans la définition des valeurs qui régissent nos comportements, même en matière de vie et de mort. En l’absence de données scientifiques qui puissent fonder nos conceptions de la naissance et du décès, tout devient possible. Il suffit qu’une majorité d’opinion semble se dégager pour qu’un gouvernement à la recherche du buzz lui emboîte le pas. Or la démocratie suppose la prise en compte d’avis éclairés plutôt que d’opinions, c’est là une condition nécessaire pour définir le bien commun. L’illusion en matière d’éthique est qu’une solution « juste » pourrait résulter du déballage non dosé des intérêts, des convictions, des impressions, et des espoirs. Aujourd’hui le président Macron met en place des États généraux de la bioéthique* sur la période du 18 janvier au 7 juillet 2018 : « Ce sera un vrai débat philosophique dans la société. » Sauf qu’une assemblée ouverte à tous peut être un lieu précieux d’information mais ne se prête pas au recueil d’un « avis citoyen ». Il faudrait pour cela s’assurer préalablement que les citoyens consultés représentent un échantillon représentatif de la population, qu’ils ne portent pas d’intérêts particuliers, et qu’ils sont tous suffisamment informés avant de s’exprimer. Ce n’est pas le cas pour ces États généraux. L’objectif est d’ouvrir le débat le plus largement possible, ce qui ne peut qu’entraîner la confusion générale. Le président du CCNE qui pilote ce fourmillement n’a voulu exclure aucun sujet, l’essentiel va se noyer dans les détails. On laissera s’exprimer ceux qui ont un avis tranché et souvent non négociable comme les représentants des diverses religions, l’association « La Manif pour tous » (opposée à toute évolution de la loi), l’association des familles homoparentales… Rien n’est prévu pour permettre la réflexion de chacun. Le consensus est impossible car chacun aura ses raisons d’avoir raison contre tous les autres. Il faudrait donc prendre la question éthique autrement.

Où sont les limites, limite de l’intervention de l’État sur nos vies, limite de l’utilisation des techniques, limite aux intérêts économiques et financiers ? On ne pourra pas définir de limites dans le cadre de délibérations sociales glorifiant la toute-puissance de l’espèce humaine. Il faut donc faire appel à des contraintes externes, imposées par la nature. L’activisme humain perturbe toutes les lois de la nature, les cycles de l’eau, du carbone, du phosphore, et même celles de la naissance et de la mort. Donner la vie malgré sa stérilité n’est que l’aboutissement d’une civilisation techno-industrielle qui donne aux humains la possibilité d’échapper à l’équilibre naturel dynamique qui empêche une espèce de proliférer continuellement au détriment de son milieu. L’avenir n’est pas à obtenir un enfant à tout prix, mais à faire moins d’enfants. L’avenir n’est pas à vivre 1000 ans, mais à savoir reconnaître et accepter quand vient l’heure de notre mort. Nous devrions avoir la lucidité de pouvoir choisir les techniques qui nous mettent en conformité avec les lois de la nature. Si nous ne le faisons pas, la pénurie énergétique nous obligera de toute façon à aller vers une éthique plus proche de nos aptitudes physiques directes sans passer par les structures médicales, institutionnelles ou technologiques. Il y a des techniques dures comme le DPI (diagnostic préimplantatoire) et les mères porteuses. Il y a des techniques douces comme le préservatif ou le stérilet. Il y a des techniques dures comme les soins palliatifs reliés à des tuyaux. Il y a le droit de mourir dans la dignité.

* LE MONDE du 7-8 janvier 2018, Bioéthique : des États généraux pour ouvrir le débat le plus largement possible

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La vraie nature, trompeuse, de l’élection de Miss France

Nous ne célébrons pas sur ce blog les futilités des fêtes de Noël, nous combattons toutes les futilités pour mieux nous concentrer sur ce qui devrait être l’essentiel. Mort à l’exploitation des Miss France ! Les foires à bestiaux déterminent les plus gros cochons, Miss France désignent la plus belle truie. Car de toute façon, il s’agit dans les deux cas de faire défiler des morceaux de viande fraîche. Le vrai succès des Miss France remonte à 1986, première retransmission télé du concours, un soir de réveillon chez Guy Lux. L’audimat grimpe en flèche, notre société n’est pas réellement pour l’égalité des sexes… ni préparée à combattre le réchauffement climatique.

Tapez « Miss France 2018 », vous aurez 23 500 000 résultats sur Google. Mais qui se souviendra de Maëva Coucke, élue Miss France 2018, ou d’ Alicia Aylies ? De plus, en cette fin d’année 2017, l’hypocrisie n’avait plus de limites. La cérémonie apparaît plus anachronique que jamais, elle tente de faire oublier son sexisme par le biais d’un « féminisme-washing » des plus contestable… Deux mois après le déclenchement de l’affaire Harvey Weinstein, la cérémonie avait été dédiée par Sylvie Tellier à la lutte contre les violences faites aux femmes. Un clip en noir et blanc sur cette thématique avait été diffusé juste avant le défilé en maillots de bain. « Je suis libre de choisir qui je veux, libre de dire non… Je suis forte, confiante, je suis belle, je suis moi », pouvait-on entendre dans cette courte vidéo. L’annonce du thème de l’émission n’avait pas convaincu les associations féministes, qui voient à juste titre dans la cérémonie la célébration de la « femme objet ». Femme objet, femme spectacle, femme qui attire les regards, près de 8 millions de téléspectateurs. Un des programmes phares de l’année se réjouissait le directeur des divertissements de TF1 lors de la présentation des 30 candidates. Télévision de maçon, télévision de m…. disait-on à une autre époque. Ce n’est pas l’audience qui fait la validité de l’émission quand cette chaîne se glorifie d’avoir fait le vide dans les cerveaux pour mieux vendre les produits de ses sponsors comme Coca-Cola. Ce monde de midinettes qui fait défiler les nymphettes dans le monde de la pub est le signe le plus évident de la confusion des sens. Car rien ne change. Les hommes sortent encore une fois vainqueurs : ils ont les défilés de Miss pour le fun et les match de foot pour le mental. Comme notre nature humaine n’est pas régie par les lois de la Nature, tout est possible. Cette liberté totale de détermination des rôles sociaux est la condition nécessaire de l’apparition des Miss France : exciter (un peu) la libido tout en multipliant les interdits (dont Mme Fontenay raffolait). La société du spectacle joue son rôle dans tous les domaines, nous divertir, c’est-à-dire détourner notre attention des choses qui comptent.

Tapez « réchauffement climatique 2018 », vous aurez 522 000 résultats sur Google du genre : « Le destin climatique de l’Europe occidentale est sur le point de basculer… La bataille des 2 °C est presque perdue… Les engagements pris par les signataires de l’accord de Paris ne permettent que de couvrir un tiers des réductions d’émission nécessaires… Le gouvernement de Trump a publié un document mettant en cause «les activités humaines»… Manifestation le 4 novembre 2017 pour mettre fin à l’utilisation du charbon… L’ouragan Irma a dévasté les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy… La 23e conférence climat de l’ONU s’est refermée vendredi 17 novembre à Bonn, sans que soit actée la façon dont les pays doivent rendre compte de leurs actions contre les émissions de CO2 responsables du réchauffement climatique, ni tranchée la question du suivi de l’aide financière. » Tant que nos concitoyens consacreront leur attention aux futilités du type Noël ou Miss France, la bataille du climat ne peut qu’être perdue.

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Quelle boussole pour diriger mon action envers autrui ?

Dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il est indiqué dans l’article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. » C’est une approche complémentaire de la règle d’or, « traite les autres comme tu voudrais être traité » ou « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ». Elle est présente dans de nombreux systèmes de pensée comme le bouddhisme (Ne blesse pas les autres de manière que tu trouverais toi-même blessante) ou le christianisme ( Toutes les choses donc que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les-leur, vous aussi, de même). C’est ce qu’on appelle aussi une éthique de la réciprocité. La plupart du temps, on pratique la réciprocité directe, je te redonne l’équivalent de ce que tu m’as donné. C’est typique de l’échange marchand, j’ai obtenu l’objet ou le service, je paye directement en monnaie. C’est là une conception étriquée de l’altruisme.

Il existe aussi une réciprocité indirecte, aider n’importe qui tant qu’on est aidé en retour par n’importe qui d’autre au sein de son groupe. Satish Kumar* s’exprime ainsi : « Pour voyager, nous logions dans des pensions fonctionnant sur le principe de l’hospitalité réciproque : nous n’avions rien à payer pour notre séjour, mais nous étions tenu d’offrir la même hospitalité aux Jaïns de passage dans notre ville. Le mutualisme définissait toutes nos relations. Le mutualisme et la réciprocité sont les principes de base de l’existence. Or qui dit réciprocité dit relation. Nul n’est une île. Les îles ne le sont qu’en relation à l’eau qui les entoure. Dans une société fondée sur un modèle relationnel, l’individu reçoit autant qu’il donne à l’univers tout entier. Quelles soient humaines ou non, les créatures terrestres souhaitent toutes vivre, s’épanouir et prospérer. Toutes les espèces terrestres sont membres de la même communauté. Les hindous ont forgé l’expression « So Hum » – Tu es, donc  je suis. Je me nourris des fruits de la terre, le soleil m’offre sa chaleur, l’eau me désaltère, l’air emplit mes poupons. Ces éléments sont, donc je suis. Notre individualité dépend de ce qui nous entoure. Elle est indissociable de notre environnement. Adeptes du jaïnisme, nous ne nous comportions pas comme des individus isolés. » Je me retrouve dans cette conception de la réciprocité généralisée.

Finalement j’en arrive à cette conception de l’action, toujours faire en sorte d’agir de telle manière que si autrui faisait de même, le bien commun en serait amplifié. Par exemple, si tout le monde était objecteur de conscience, rejetant l’usage collectif des armes, il n’y aurait plus de guerres. Le seul problème réside dans le « si ». Les objecteurs en France ont été très peu nombreux malgré le fait qu’ils aient obtenu officiellement un statut, et plus personne n’en parle aujourd’hui avec la suspension du service militaire. N’empêche que j’ai été objecteur de conscience au début des années 1970 et que si tout le monde avait fait comme moi, il n’y aurait plus de guerres. On ne peut attendre des autres qu’ils pratiquent la réciprocité généralisée dans une société qui cultive la compétition, la violence et le mépris d’autrui. Mais si tu ne commences pas à agir pour le bien commun, qui le fera ?

* Tu es donc je suis (une déclaration de dépendance) de Satish Kumar (2002, parution française en 2010)

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Biosphere-info octobre 2017, féminisme et écologie

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Dans un contexte de dénonciation du harcèlement machiste, de discours contradictoires sur « le genre » et de controverses sur l’écriture « inclusive », il paraît opportun de faire le point sur le féminisme. La tache est d’autant plus difficile que notre nature sexuée, homme ou femme, ne dit rien sur notre identité socialement construite. C’est là l’impasse du discours écologiste, l’homme et la femme peuvent s’affranchir des lois de la nature.

1/5) Histoire rapide du féminisme

Une sourate du Coran affirme que « Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordé sur elles ». Mais l’Islam n’est pas la seule idéologie à valoriser l’inégalité des sexes ; en France depuis le code civil de 1804, la femme mariée était juridiquement mineure et devait obéissance à son mari en tous points. Marie Curie est la première femme titulaire d’un doctorat de science, elle devient aussi la première femme professeur à la Sorbonne et ses recherches sur l’origine de la radioactivité lui vaudront le prix Nobel de Physique en 1903, puis de chimie en 1911. Malgré cela, l’Académie des sciences refusera de lui ouvrir ses portes ! Ce n’est qu’en 1907, plus de 100 ans après le code Napoléon, que la femme est autorisée en France à disposer de son salaire ; ce n’est qu’en 1924 qu’il y eut une unification des programmes du baccalauréat masculin et féminin ; ce n’est qu’en 1944 que la femme obtient le droit de vote ; ce n’est qu’en 1965 qu’elle acquiert le droit de travailler sans l’autorisation de son mari ; ce n’est qu’en 1970 que la référence au chef de famille, le père, est supprimée pour être remplacée par l’autorité parentale conjointe. Nous ne développerons pas sur le fait que l’évolution sociale dépend de l’instauration d’un rapport de force, depuis Olympe de Gouges en 1791 en passant par le mouvement des suffragettes (organisation créée en 1903 pour revendiquer le droit de vote pour les femmes au Royaume-Uni) et le MLF (mouvement de libération des femmes après 1968 en France) jusqu’aux chiennes de garde et « ni putes ni soumises ».

Notre première identité découle certes d’un fait biologique, la différenciation sexuelle, puisque nous naissons normalement homme ou femme. Mais le fait d’être « femme » ne signifie pas plus que d’être « de sexe masculin ». Maintenant, dans les discours comme dans les tenues vestimentaires, dans les choix de vie comme dans les attitudes, tout se passe comme si la femme se masculinisait, tandis que l’homme se féminisait. Nous pouvons penser que la tendance ira croissant, jusqu’à devenir la règle. Nous, hommes ou femmes, pouvons prétendre au féminisme de l’égalité totale. L’homme peut être très maternel et la femme très virile, réclamer l’égalité des salaires et les plus hautes fonctions politique tout autant que les rôles militaires les plus dangereux. La femme est la moitié du ciel, l’homme est la moitié du ciel, nous sommes tous androgynes. « On ne naît pas femme, on le devient », écrivait déjà Simone de Beauvoir en 1949. Il n’y a pas d’ordre « naturel » dans les inégalités selon le sexe, il n’y a qu’un conditionnement culturel.

2/5) Les neurones n’ont pas de sexe

« Il est permis de supposer, écrivait Paul Broca en 1861, que la petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle. » Il faut attendre le XXe siècle pour que l’on comprenne enfin que le poids du cerveau n’a rien à voir avec ses performances : le cerveau de l’écrivain russe Ivan Tourgueniev pesait plus de deux kilos, celui d’Anatole France à peine un, celui d’Albert Einstein 1,2 kilo. Les écrits de Broca font aujourd’hui sourire. La neuroscientifique Lise Eliot, a fait le point sur la différence des sexes, dans son livre « Cerveau rose, cerveau bleu : les neurones ont-ils un sexe ? » (Robert Laffont 2014, 507 p., 22 €). « Certes, il existe des études qui révèlent de subtiles différences entre les sexes, chez les enfants, dans le traitement des informations sensorielles, dans les circuits du langage et de la mémoire, dans le développement des lobes frontaux et dans la vitesse et la réactivité générale des neurones. Mais dans l’ensemble, les cerveaux des garçons et des filles sont remarquablement similaires.Notre cerveau se transforme du fait des apprentissages, des émotions : c’est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale. Ce qui compte surtout, c’est la façon dont les enfants passent leur temps, c’est le regard que l’on porte sur eux, et les conséquences de toutes leurs interactions avec leur entourage sur les circuits neuronaux. »

Si les études constatent de minuscules différences entre hommes et femmes, elles ne nous apprennent rien sur leur origine. Lorsqu’on observe une différence entre le cerveau d’un homme et celui d’une femme, on ne peut pas savoir si elle est génétique ou acquise. Catherine Vidal, auteure du livre Les Filles ont-elles un cerveau fait pour les maths ? écrit : « A l’âge adulte, nous avons un million de milliards de connexions dans le cerveau, mais seulement 10 % de ces connexions sont présentes à la naissance : les 90 % restantes sont fabriquées plus tard, à la faveur des interactions des enfants avec leur environnement. L’apprentissage modifie en permanence l’anatomie du cerveau. Il est d’ailleurs impossible de deviner, en examinant un cerveau par IRM [imagerie par résonance magnétique], s’il appartient à un homme ou à une femme.» On peut conclure avec la sociologue Marie Duru-Bellat, auteure de L’Ecole des filles :« Les écarts de performances filles-garçons en mathématiques bougent dans le temps et l’espace, ce qui suffit à infirmer la thèse du déterminisme biologique… Selon les enquêtes menées en 2012 par le ministère de l’éducation nationale, les filles, à la fin du collège, maîtrisent mieux les compétences scientifiques que les garçons. Dans cette matière, il leur manque cependant un facteur essentiel : la confiance en soi. Pour les chercheurs en éducation, cette anxiété a un nom : la « menace du stéréotype ». Mis en évidence, au début des ­années 1990, par un professeur à l’université Stanford, Claude Steele, ce principe fonctionne comme une prophétie auto réalisatrice : parce que les femmes croient être moins bonnes en maths que les hommes, elles finissent par le devenir. Nul doute, en effet, les enfants évoluent dans un monde où les clichés sur le féminin et le masculin sont encore très répandus. Le féminisme a encore beaucoup de choses à contester. Précisons en passant que « féministe » n’a pas de sexe, un homme ou une femme peuvent être féministes… ou pas.

3/5) Féminisme et maîtrise de la fécondité

Le repopulateur Jacques Bertillon fonde l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française en 1896. La même année, le néo-malthusien Paul Robin fonde la Ligue de la régénération humaine dont la devise sera « bonne naissance-éducation intégrale ». Elle se propose de « répandre les notions exactes de science physiologique et sociale permettant aux parents d’apprécier les cas où ils devront se montrer prudents quant au nombre de leurs enfants, et assurant, sous ce rapport, leur liberté et surtout celle de la femme ». Paul Robin est aussi connu comme l’un des fondateurs de la pédagogie moderne. La nouveauté réside dans la coéducation des sexes, avec mixité et enseignement identique aux filles et aux garçons. Il va montrer qu’il y a une réelle convergence entre l’éducation et l’émancipation sociale des plus défavorisés, en particulier les femmes. Cela passe obligatoirement par le contrôle de la natalité, car seul un enfant désiré et élevé dans des conditions matérielles et morales suffisantes peut devenir un homme libre et responsable. Paul Robin introduit aussi la notion de plaisir féminin, la sexualité ne devant plus demeurer une jouissance uniquement masculine.

En 1902, sa rencontre avec Eugène et Jeanne Humbert, qui prennent en main l’organisation matérielle de la Ligue, apporte une impulsion nouvelle à son militantisme : une équipe d’orateurs brillants et populaires multiplie les conférences publiques. En définitive, plus portés par des individus que par des forces sociales, les néo-malthusiens ont été peu entendus. L’absence d’unité du mouvement le rend fragile face à une opposition des milieux conservateurs et cléricaux plus solides et moins divisés. L’arrivée de la première guerre mondiale met le mouvement en veilleuse. La propagande antinataliste est alors considérée comme une trahison. La loi répressive de 1920 mettra un terme aux mouvements néo-malthusiens. Elle assimile la contraception à l’avortement. Toute propagande anticonceptionnelle est interdite. Le crime d’avortement est passible de la cour d’Assises. Il faudra attendre les années 1970 pour que contraception et avortement aient droit de cité. Le néo-malthusianisme a préparé l’émergence du féminisme. Le Planning familial, le Mouvement de libération des femmes  (MLF) et le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) doivent beaucoup à un homme, Paul Robin.

4/5) La controverse sexe/genre

Les anthropologues ont renouvelé l’approche du rapport homme/femme en montrant l’importance, dans le processus même de l’hominisation, de la perte de l’œstrus. La relation entre les sexes est soumise chez les mammifères, y compris les grands singes, à une horloge biologique et hormonale qui détermine les périodes de rut ; pour les humains au contraire, l’absence de cette détermination naturelle met la sexualité sous le signe de la disponibilité permanente sous des formes différentes. Mais contrairement au discours courant, il ne faut pas confondre exercice de la sexualité et « théorie du genre ». Il ne s’agit pas de parler de bacchanales, mais de la division sociale des rôles entre hommes et femmes.

Le genre est un concept utilisé dans les sciences sociales. Il désigne tout ce qui, dans la construction de l’identité dite sexuelle et dans la formation de la division entre les sexes, relève de mécanismes d’ordre social et culturel. Ainsi les transsexuels peuvent-ils affirmer que leur identité de genre ne correspond pas à leur sexe. La notion de genre sert à dénaturaliser la division des rôles dans la société, au travail et au sein de la sphère domestique. Elle permet de montrer qu’elle n’est pas un fait de nature mais de culture. Faire le ménage ou élever des enfants sont des tâches sociales, qu’aucune programmation biologique n’assigne en propre aux femmes… La notion de genre permet de se démarquer d’un certain féminisme « essentialiste » qui croit encore à un déterminisme génétique. Tout ce qui est socialement construit rend possible la déconstruction.

L’objectif de programmes comme l’ABCD de l’égalité était de remettre en question les normes qui font que chaque sexe adopte, dès le plus jeune âge, un certain comportement. Il ne s’agit pas pour autant de nier la différence des sexes. Ce serait confondre la déconstruction des inégalités avec celle des différences. L’objectif est d’ouvrir le champ des possibles aux deux sexes afin de leur donner les mêmes chances ultérieurement. Pas de les encourager à changer de sexe ou à « choisir » une orientation sexuelle. 

5/5) Le féminisme et l’anti-spécisme

Et l’écologie dans tout ça ? Le féminisme est un préalable nécessaire mais pas suffisant à une meilleure considération des relations entre tous les êtres vivants. Notre goût trop humain de la domination ne devrait conduire ni à des pratiques inappropriées dans les relations hommes/femmes ni à la mise en esclavage de tout ce qui n’est pas humain. Il faut penser plus loin qu’un féminisme de l’égalité, passer de l’anti-machisme à l’anti-spécisme. Ce mot vient de l’anglais speciesism, introduit en 1970 par Ryder par analogie avec racisme et sexisme : le spécisme est aussi une discrimination. Il consiste à assigner différents droits à des êtres sur la seule base de leur appartenance à une espèce.

Tous les êtres vivants ont des droits égaux à l’existence dans le cadre des équilibres biologiques. Le respect des non-humains par les humains est inséparable du respect des humains entre eux, du respect des hommes envers les femmes, du respect des différentes minorités visibles. L’espèce humaine n’est qu’un maillon de la chaîne du vivant, nous n’avons pas à dominer les femmes ou la nature, nous devons respecter tout ce qui n’est pas « nous ».

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De l’ère de la compétition à la loi de la réciprocité

Jean-Marie Pelt : Parvenus au point où nous en sommes, nous voici sommés de choisir entre une évolution fondée sur des associations positives où l’emporteraient l’amitié, la solidarité, la coopération, la fraternité, la convivialité, les forces de l’esprit et, pour tout dire, l’amour, et une société d’intense compétition aboutissant à une catastrophe nucléaire ou à un cataclysme écologique sans précédent.*

Raoul Anvélaut : Eh oui, c’est cruel la nature ! Il faut vraiment avoir grandi dans un cocon pour penser que la loi de la coopération y prévaut sur la loi de la compétition naturelle. Les espèces ne s’ajoutent pas pacifiquement comme dans les illustration pieuses des témoins de Jéhovah où le loup boit au ruisseau aux côtés de l’agneau, elle entre en concurrence en éliminant les plus faibles.**

Alain Caillé : Rien n’est solitaire, tout est solidaire. Dans l’ordre du vivant, des sociétés bactériennes aux société humaine, la coopération est hiérarchiquement supérieur à la compétition. Quelle avancée que de découvrir que la loi de la réciprocité ne concerne pas seulement le monde humain, mais l’ensemble du vivant !***

Servigne et Chapelle : Un milieu hostile soude progressivement les groupes (faute de quoi ceux-ci disparaissent). Un milieu d’abondance provoque la tendance inverse. Avec l’équivalent de 400 esclaves énergétiques par habitant dans un pays industrialisés, il est aisé de dire à ses voisins : je n’ai pas besoin de vous, je fais ce que je veux. Les riches deviennent pathologiquement égoïstes. Les étudiants qui passent par les écoles de business sont égoïstes à l’entrée, mais le deviennent encore plus à la sortie. Les élites sont devenues cyniques car elles vivent en vase clos dans une arène impitoyable qu’elles se sont elles-mêmes crées. Un immense bac à sable. Depuis le siècle dernier, la culture occidentale utilitariste est effectivement devenue hypertrophiée en compétition, délaissant sa partie généreuse, altruiste et bienveillante, passablement atrophiée. Cela contribue à créer une planète qui compte 99 % de perdants ! C’est pourquoi certains se démènent pour remettre sur le devant de la scène des notions aussi démodées et ringardes que l’altruisme, la bonté, la gentillesse, association, l’égalité, les communs, l’empathie ou la solidarité. En effet la compétition a de sérieux inconvénients. La plupart des animaux et des plantes l’ont bien compris : ils la minimisent et évitent au maximum les comportements d’agression, car ils ont trop à y perdre. C’est risqué, trop fatigant.

* Le principe d’associativité ou la coopération dans la nature in « Le monde a-t-il un sens » (Fayard 2014)

** mensuel La décroissance, octobre 2017, Loup et patou

*** préface au livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle

**** L’entraide, l’autre loi de la jungle de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle (les liens qui libèrent 2017)

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Nous sommes à la fois le nombril et la poussière

J’estime que la société n’est qu’un agrégat d’individus, qu’elle ne peut rien faire sans la bonne volonté de ces individus. Si ma propre influence est petite, mesquine, éphémère, d’autres « moi » peuvent agir dans le même sens chacun à leur petite échelle. Ce sont tous ces petits riens qui forment finalement la conscience de tout un peuple en mouvement ; nous sommes personnellement à la fois le nombril et la poussière. Si la société va mal, nous en sommes à la fois responsables et coupables. J’élabore mes propres dix Commandements :

  1. Chacun de nous est Dieu qui nous tire de l’inconscience ;

  2. Notre conscience ne peut accepter d’autre conscience que la sienne ;

  3. Vous n’érigerez pas en pierre ou en image rigide votre propre conscience ;

  4. Le septième jour au culte de votre conscience sera consacré ;

  5. Tuez votre père et mère afin de libérer votre conscience ;

  6. Conscience d’autrui ne prendra ni ne retiendra injustement ;

  7. Vous ne tuerez point d’autres consciences ;

  8. le reste est encore moins bon…

En février 1971, je participe à un WE sur violence/non-violence. Pas grand chose à retenir. Je préfère me polariser sur le statut de l’enfant, à l’insatiable curiosité. Pour moi, c’est évident, la révolution ne peut éclore qu’à la maternelle, c’est la révolution du jardin d’enfant de Vera Schmidt juste après la « révolution » bolchevique. L’enfant est ouvert au monde, malheureusement les influences sont bonnes au mauvaises. Là est le drame, car en même temps que l’épanouissement possible, il y a tout ce que les adultes montrent : frustration, ignorance, possessivité, racisme, violence, passivité… Moi j’ai passé l’âge de l’enfance. Je n’ai plus de spontanéité, j’analyse tous les mécanismes répressifs qui bloquent mon libre arbitre, la société de consommation comme je l’apprendrai plus tard. Je n’aime pas aller au cinéma pour voir un spectacle-qui-fait-passer-un-bon-moment, m’amuser pour m’amuser. Je n’aime pas bouffer en cœur pour boire en peu plus. Je réfléchis trop. J’ai déjà conscience de ne pouvoir appartenir à aucune chapelle. Il n’y a pas plus grand châtiment que d’habiter tout seul le paradis des idées ! (à suivre)

NB : pour lire la version complète de cette autobiographie, ICI

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Fragments de vie, fragment de Terre (histoire à suivre)

Combien de manifestations de rue pour une société meilleure les paroles d’un pape ont-elles entraînées ? Combien de prêtres se sont-ils couchés sur les terrains militaires pour empêcher des avions d’aller lâcher leurs bombes ? Combien de patrons très chrétiens favorisent-ils l’autogestion et la coopération ? Je sais maintenant qu’en priant un Dieu absent, on ne peut trouver que de fausses solutions à la détresse humaine. Dieu n’agit pas, dieu n’est pas en moi, il n’est qu’un mot, un concept métaphysique, une chimère. Puisque Dieu est mort, tout devient possible. Je peux accéder à l’autonomie. Depuis j’en ai fait plein usage. Le prosélytisme religieux devient pour moi une abomination. Le blasphème une nécessité. Nous avons inventé la démocratie pour qu’il y ait débat. Puisque la religion n’est qu’une idéologie comme les autres, elle doit pouvoir être critiquée. Michel Houellebecq a le droit d’écrire : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré. »

En 2005, j’ai composé le texte suivant, centré sur le concret : « C’est la Biosphère qui constitue notre origine et notre avenir, c’est la Biosphère qui accompagne notre présent et qui conditionne notre futur, la Biosphère est le père et la mère de toutes choses vivantes. En conséquence, le culte des dieux à l’image des seuls humains est vide de sens, seul compte la compréhension de la Biosphère, l’harmonie avec la Biosphère. Telle est donc ma prière :

Oh Dieu, écoute mon appel

Entends ma désespérance

Vois la maison Terre en train de sombrer

Et l’humanité se déchirer

Anéantir la biodiversité

Epuiser l’énergie du passé

Le charbon, le pétrole, le gaz.

Oh Dieu, tu n’écoutes rien

Parce que tu n’entends ni ne vois

Tu es aveugle, sourd et muet

Car seuls des humains te font parler.

L’humanité tourne autour de ses petits dieux

Les dieux uniques du monothéisme

Les dieux du marché et de l’argent,

Les dieux de la science et de la technique

Chacun son dieu du moment qu’il nous aveugle.

L’humanité n’a plus de racines

Quand elle s’invente des dieux

Qui sont à son image.

Alors célébrons la Nature,

Revenons à la Terre

Telle est ma prière :

Je crois en la matière,

le père et la mère du ciel et de la terre,

Je crois en la Biosphère,

partie infime de l’univers visible et invisible,

Je crois en la Biosphère car je fais partie d’elle.

C’est pourquoi

Je m’engage à promouvoir l’équilibre entre tous les être humains aujourd’hui,

Je m’engage à préserver l’avenir de leurs générations futures,

Je m’engage à respecter tout le reste de la Biosphère. »

(à suivre)

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Fragments de vie, fragment de Terre (histoire à suivre)

Dans une allocution prononcée au tribunal de la Rote, le pape Paul VI a voulu donner un coup d’arrêt aux tendances qui affirment que l’autorité de l’Eglise ne dérive que du consensus de l’ensemble des fidèles (Sud-Ouest du 29 janvier 1971). Les fidèles étaient donc pour le pape l’objet et non pas l’origine de l’autorité. Les croyants restent assujettis. Leur Eglise repose uniquement sur un argument d’autorité ! Aucune démocratie dans ce système bloqué, un pur totalitarisme. Comme on ne peut déterminer l’assise matérielle du divin, les dialogues entre croyants et incroyants sont voués à l’impasse, sans synthèse possible : le raisonnement contre l’acte de foi. Aucun débat sincère et ouvert n’est donc possible avec un véritable croyant. Avec mon père, je n’ai même pas essayé. A 91 ans, il regarde toujours la messe… à la télé vu son âge. Mais cela n’a pas empêché une entente cordiale en famille ; nous savions séparer les croyances individuelles et notre vivre ensemble.

Pour la psychanalyse, la religion serait une névrose obsessionnelle de l’humanité qui dérive des rapports de l’enfant au père ; le père est chargé de la mission répressive, qui impose entre autres un renoncement à la liberté sexuelle, à la liberté tout court. C’était tout à fait mon cas ! L’ennemi était à l’intérieur de ma tête, j’avais intériorisé normes et tabous. Me libérer de la religion, c’était prendre ma liberté d’agir vis-à-vis de l’autorité paternelle. L’image du père occultait ma pensée personnelle, l’image de Dieu sert de mystification à la pensée humaine ; c’est complémentaire. Une fois cette prise de conscience, je pouvais dorénavant cultiver mon athéisme, chercher la raison et le raisonnable, changer ma pensée pour changer la société. L’individu est construit socialement, il est donc obligé pour partie de se conformer à la croyance du moment. Mais les croyances sont fragiles, elles évoluent avec le contexte. Nos normes culturelles bougent parce que certains, au départ en marge et souvent pourchassés, ont posé de nouvelles règles à notre pensée qui s’imposent avec le temps. Après tout, le christianisme n’est que le fait d’une secte qui a réussi… temporairement. Il me fallait abandonner l’idée de dieu pour faire ma révolution copernicienne.

Pour la science, les religions de type anthropocentrique sont depuis longtemps obsolètes. On croyait avec la bible que notre planète était au centre de l’univers, et l’être humain au centre de la Terre. Galilée (né en 1564) utilisa une lunette astronomique, récemment découverte, pour observer le relief de la lune et surtout les satellites de Jupiter, démontrant par la même occasion un héliocentrisme beaucoup plus pertinent que le message biblique. Un tribunal de l’Inquisition, dont les membres ont refusé de regarder dans la lunette, l’obligea pourtant à se rétracter en 1633 : « Je jure que j’ai toujours cru, que je crois maintenant, et que, Dieu aidant, je croirai à l’avenir tout ce que tient, prêche et enseigne la sainte Eglise catholique et apostolique romaine… J’abjure les écrits et propos, erronés et hérétiques, par lesquels j’ai tenu et cru que le soleil était le centre du monde et immobile, et que la Terre n’était pas le centre et qu’elle se mouvait. »  L’Eglise catholique n’a réhabilité Galilée qu’en 1992 ! Pour les gardiens de la foi et des fausses croyances, il faut attendre plus de 350 années pour reconnaître une vérité scientifiquement prouvée… Aujourd’hui nos satellites confirment tous les jours la révolution copernicienne, cette découverte de la libre pensée. Mais la religion reste toujours un obstacle à l’émancipation de l’espèce humaine. (à suivre)

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Fragments de vie, fragment de Terre (histoire à suivre)

Nous recevions l’abbé Fontanilh, l’ancien aumônier de papa, le curé de Cadillac. « Bénissez-nous mon père, bénissez ce repas… et donnez du pain à ceux qui n’en ont pas » Un cérémonial à la maison, toujours le même. Désuet, irréel. Pendant le repas, j’attaque la religion. C’était pour moi un jeu de questions-réponses. Comme le quitte ou double que j’avais gagné au temps du catéchisme. Est-ce que l’enfer existe ? L’abbé commence à perdre patience. Je conteste l’infaillibilité papale. Il perd pied. Pourquoi le célibat des prêtres, cette absurde exigence ? Il se fâche, jusqu’à vouloir me faire mal physiquement. Il passe derrière moi, me prend aux épaules, et il serre, serre. Je ne pouvais croire en Dieu… ses représentants étaient bien trop fragiles.

Pour Karl Marx, toute critique commence par la critique de la religion : « Religion, opium du peuple » ! J’avais bien commencé, sans le savoir. Quand le doute s’instille, il se propage. Je commençais à être libre de mes pensées. Les révoltes verbales font le révolté. Je ne croyais plus que ce qu’on pouvait me démontrer. Or l’existence de Dieu, totale abstraction, repose uniquement sur un acte de foi. Au lycée Michel Montaigne de Bordeaux, sur l’ensemble des classes de première, nous n’étions plus que quatre devant l’aumônier. L’un était là parce qu’il était obligé par ses parents, l’autre s’ennuyait en internat, un troisième venait pour le spectacle. Car j’étais là uniquement pour contester le curé.

Le christianisme est devenu pour moi un vieux meuble qu’on conserve par charité. Plus tard dans les années 1970, je polémique avec un ami candidat prêtre, Christian Alexandre : « Vous les Chrétiens, vous êtes comme le capitalisme, fondé sur une hiérarchie, une préséance absurde et ridicule. Vous êtes contre le racisme, mais vous n’arrivez pas à vous entendre entre chrétiens. Vous faites le service militaire au lieu de trois ans de tôle pour insoumission. Classer le naturisme et la pilule comme un mal est abaisser la morale. Je connais l’Evangile, ce n’est qu’un vieux bouquin qui ne me suffit plus. Ce n’est plus l’Eglise qui prêche l’amour véritable, mais les hippies. Ils ne se référent plus aux textes chrétiens, mais à Confucius, Marcuse, mai 1968 ou aux communes libres. Ils ne s’attachent pas à une doctrine limitée et fermée. Ils préfèrent cultiver leur existence terrestre sans applaudir à l’automatisme de quelques gestes ancestraux symboliquement vides. Je regrette le temps que j’aie passé à la messe… » (à suivre)

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Fragments de vie, fragment de Terre (histoire à suivre)

J’arrive à la fin de ma vie, la retraite professionnelle ne m’empêche pas d’agir. Je passe plus d’heures au service de l’espèce humaine et de notre biosphère que si je travaillais à plein temps. Ce livre est l’aboutissement de mes pensées, de ma vocation d’éduquer. Je veux essayer de montrer que nous sommes déterminés par notre milieu social, mais que nous pouvons choisir notre propre chemin. Il n’y a de liberté véritable que dans la mesure où nous savons mesurer les contraintes. Je suis arrivé peu après mai 1968 aux années de mon éclosion, de ma renaissance. Elevé dans une société autoritaire, imbibée de religiosité et d’économisme, il me fallait penser autrement. Dans mon carnet de notules que je tenais depuis 1969, j’attribuais à Tchekhov cette phrase que je fais mienne : « Tout homme a en lui-même un esclave qu’il tente de libérer. » Je me suis libéré. Pour mieux réfléchir… Pour aider à améliorer le monde… J’ai soutenu et propagé tout ce qui à mon avis allait dans ce sens, la non-violence, l’objection de conscience, le féminisme, le naturisme, le biocentrisme, le sens de l’écologie, le sens des limites de la planète, l’objection de croissance, le malthusianisme, la simplicité volontaire…Voici donc un compte-rendu des fragments de mon existence au service des générations futures et des non-humains. En espérant que cela pourra vous aider à cheminer de votre côté…

Ma première révolte véritable ? Contre les religions. On ne devient pas athée de naissance, on le devient. Moi j’étais déjà baptisé avant même de pouvoir dire un mot. Dès la naissance ou presque. Comme cela se faisait ! Je suis devenu un bouffeur de curé. Rien n’est déterminé à l’avance à condition de pouvoir sortir du piège de la prédestination sociale !

Dans mon jeune temps, la religion était omniprésente. Mes parents se sont mariés civilement. Ils ont attendu le mariage religieux pour ensuite pouvoir faire l’amour. Il me fallait raconter mes péchés lors de la confession, à genoux dans une petite boîte noire, avec une lucarne qui s’ouvre et une voix doucereuse qui chuchote à voix basse : « Mon fils, dis-moi tout. » Le problème, c’est que je ne me sentais pas pécheur le moins du monde. Je récitais un « Notre père qui êtes aux cieux » et deux « Je vous salue Marie » en guise de pénitence pour le péché que j’avais inventé. D’où vient alors ma rébellion ? D’un amoncellement de petits éléments qui progressivement m’ont fait douter. Un jour je me suis enhardi pour demander à un prêtre s’il croyait personnellement à l’enfer. A sa réponse évasive et son air emprunté je savais dorénavant ce qu’il fallait savoir : on me racontait des histoires. J’étais devenu plus méfiant. Depuis ce jour j’ai multiplié les questions et confronté les réponses ; on ne se pose jamais assez de questions, on ne nous fournit jamais suffisamment d’éléments de réponses. (à suivre)

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Inclure le genre humain tout entier, ainsi que la nature

Une citation attribuée à Albert Einstein à méditer pendant vos vacances (et au travail). Elle a été trouvée sur les murs du refuge de Bastan à 2255 mètres (Hautes Pyrénées) lors d’une randonnée : « L’être humain est une partie d’un tout, communément appelé l’univers, une partie limitée dans le temps et l’espace. Il se perçoit lui-même, avec ses pensées et ses émotions, comme une unité séparée, une sorte d’illusion d’optique créée par sa conscience et qui le maintien dans une sorte de prison, une prison qui le limite à ses propres désirs et qui fait qu’il n’accorde son affection qu’à ceux qui lui sont proches. La tâche de l’être humain est de se libérer de cette prison en élargissant le cercle de ceux qui méritent son affection jusqu’à inclure le genre humain tout entier, ainsi que la nature toute entière dans toute sa beauté. »

De façon complémentaire, René Passet a popularisé une représentation de l’économie, de la société et de la nature en trois cercles concentriques. Alors que l’économie actuellement (le cercle le plus large) a tendance à englober et à dominer les activités sociales (cercle médian), et à ne pas se soucier de la nature (cercle le plus petit), il faut inverser cette hiérarchie. L’économie devient le cercle le plus petit, elle est mise au service de la société qui reste le cercle médian, elle-même contenue dans les limites de la nature (cercle englobant).

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BIOSPHERE-INFO, tout savoir sur l’Écologie profonde

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numéro de juin 2017

Nous, qui sommes responsables de la crise des conditions de vie sur Terre, nous avons aussi la capacité intellectuelle de déterminer comment vivre dans un équilibre durable et dynamique avec les autres formes de vie. Pour nous éclairer, Arne Naess avec George Sessions avait formulé à la fin des années 1970 une offre de « plate-forme de l’écologie profonde » en huit points.

I) Plate-forme de l’écologie profonde en huit points

1/8) Le bien-être et l’épanouissement des formes de vie humaines et non-humaines sur Terre ont une valeur en elle-même (intrinsèque). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité du monde non-humain pour les besoins humains.

2/8) La richesse et la diversité des formes de vie ont une valeur en elles-mêmes et contribuent à l’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre.

3/8) Les humains n’ont pas le droit de réduire la richesse et la diversité biologique, sauf pour satisfaire des besoins vitaux.

4/8) L’épanouissement de la vie et des cultures humaines n’est compatible qu’avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement des formes de vie non-humaine requiert une telle diminution.

5/8) L’interférence humaine actuelle avec le monde non humain est excessive et nuisible, et la situation s’aggrave rapidement.

6/8) Les politiques doivent donc changer. Ces changements politiques affecteront les structures économiques, techniques, et idéologiques de la société à un niveau fondamental. La société changera en profondeur et rendra possible une expérience plus joyeuse de l’interdépendance de toutes choses.

7/8) Les changements idéologiques passent par l’appréciation d’une bonne qualité de vie plutôt que l’adhésion à des standards de vie toujours plus élevés. Il y aura une profonde conscience de la différence entre quantité et qualité.

8/8) Ceux qui souscrivent aux points précédents s’engagent à essayer de mettre en application directement ou indirectement les changements nécessaires.

II) Commentaires de la plate-forme par Arne Naess

1/8) Le bien-être et l’épanouissement des formes de vie humaines et non-humaines sur Terre ont une valeur en elle-même (intrinsèque). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité du monde non-humain pour les besoins humains.

Le terme écosphère est préférable au terme de biosphère, pour bien insister sur le fait que nous ne prenons pas seulement en compte les formes de vie au sens étroit du terme. Nous n’utilisons pas le terme de « vie » au sens technique, et nous l’employons aussi pour désigner des éléments que les biologistes considèrent comme non vivants : les rivières, les paysages, les champs, les écosystèmes, la terre vivante. Des slogans tels que « laissez vivre la rivière » illustrent bien cet usage du mot « vie », si répandu dans différentes cultures. Il n’y a que dans nos écoles occidentales que le terme « vivant « est exclusivement associé à la science de la biologie.

2/8) La richesse et la diversité des formes de vie ont une valeur en elles-mêmes et contribuent à l’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre.

Les espèces de plantes et d’animaux prétendument simples, inférieures ou primitives contribuent de façon décisive à la richesse et à la diversité de la vie. Elles ont une valeur en elles-mêmes et ne sont pas simplement des étapes dans l’avènement de formes de vie prétendument supérieures et rationnelles. Complexité et complication sont deux choses différentes. La vie urbaine peut être plus compliquée que la vie d’un écosystème sans pour autant être plus complexe. Pourquoi parler de diversité et de richesse ? Supposez que les hommes interfèrent dans un écosystème à un degré tel que mille espèces de vertébrés en soient réduites à un état de survie. Ce serait à l’évidence une situation inacceptable. Nous exigeons une abondance d’habitats interconnectés par des « corridors » écologiques. Il faut comprendre que notre impact sur la vie sur Terre peut être excessif quand bien même nous en respectons la diversité.

3/8) Les humains n’ont pas le droit de réduire la richesse et la diversité biologique, sauf pour satisfaire des besoins vitaux.

Cette formule est peut-être excessive. Mais étant donné le nombre incroyable de droits que les êtres humains s’octroient, il peut être salutaire de formuler une norme sur ce que les humains n’ont pas le droit de faire. Il nous faut prendre en compte des situations dans lesquelles nous ne pouvons revendiquer aucun droit. Nous avons délibérément choisi de laisser le terme « besoin vital » dans le flou pour que chacun soit libre de l’interpréter comme il l’entend. Il faut prendre en compte les différences de climat ainsi que les différences d’organisation dans les sociétés telles qu’elles existent aujourd’hui. Il faut également prendre en considération la différence entre un moyen pour satisfaire un besoin et le moyen lui-même. Pour le baleinier, la chasse à la baleine est une moyen important d’éviter le chômage. Mais il faut pourtant de toute urgence contrôler le pêcheur et son bateau, pour éviter la surpêche et l’usage de méthodes barbares.

4/8) L’épanouissement de la vie et des cultures humaines n’est compatible qu’avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement des formes de vie non-humaine requiert une telle diminution.

La stabilisation et la réduction de la population humaine prendre du temps. Il faut donc mettre en place des stratégies provisoires. Mais cela n’excuse en rien la complaisance dont nous faisons preuve actuellement ; nous devons prendre conscience de l’extrême gravité de la situation présente. Plus nous attendons, plus nous serons obligés de prendre des mesures drastiques. Tant que des changements profonds n’auront pas été réalisés, nous courons le risque d’assister à une diminution substantielle de la richesse et de la diversité de la vie ; le rythme d’extinction des espèces sera dix à cent fois supérieur qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire humaine. Mais si les milliards d’êtres humains qui vivent aujourd’hui sur Terre adoptaient un comportement écologiquement responsable, la vie non humaine pourrait elle-aussi s’épanouir.

5/8) L’interférence humaine actuelle avec le monde non humain est excessive et nuisible, et la situation s’aggrave rapidement.

Dans les pays les plus riches, on ne peut pas s’attendre à ce que les gens réduisent leur impact sur le monde non humain du jour au lendemain. Réduire notre impact ne veut pas dire que nous ne pourrons plus modifier certains écosystèmes comme le font d’autres espèces. Les homme ont toujours transformé la terre et continueront probablement à le faire. Il s’agit de connaître la nature exacte et l’étendue de ces transformations. La biosphère a besoin d’immenses territoires sauvages pour que l’évolution et le spéciation des plantes et des animaux puissent s’y poursuivre. Les réserves de nature sauvage sont actuellement trop petites et trop peu nombreuses.

6/8) Les politiques doivent donc changer. Ces changements politiques affecteront les structures économiques, techniques, et idéologiques de la société à un niveau fondamental. La société changera en profondeur et rendra possible une expérience plus joyeuse de l’interdépendance de toutes choses.

La croissance économique telle qu’elle est aujourd’hui conçue et mise en application par les États industriels, est incompatible avec les 6 premiers points de la plate-forme de l’écologie profonde. Autonomie, décentralisation, bio-régionalisme, un slogan comme « penser globalement, agir localement » ; tous ces termes continueront à jouer un rôle important dans l’écologie des sociétés humaines. Mais si nous voulons mettre en place des changements profonds, nous devons nous engager dans une action globale qui dépasse les frontières. Lorsque des communautés locales soutiennent le prétendu développement de façon inconditionnelle, il est nécessaire qu’une autorité centrale les contraigne à adopter une politique écologique plus responsable. Il y a donc des limites à la décentralisation des décisions écologiques les plus importantes. Il devient aussi primordial de s’engager dans une action globale à travers des organisations non-gouvernementale. La plupart de ces organisations sont capables d’agir globalement tout en s’appuyant sur des contextes locaux, évitant ainsi des interventions gouvernementales malvenues. Aujourd’hui la diversité culturelle a besoin d’une technologie de pointe, c’est-à-dire des techniques qui permettent à chaque culture d’atteindre ses objectifs fondamentaux. Les technologies dites douces ou alternatives sont des étapes dans cette direction. Mais ce que l’on appelle actuellement « technologies de pointe » correspond rarement à ce nom.

7/8) Les changements idéologiques passent par l’appréciation d’une bonne qualité de vie plutôt que l’adhésion à des standards de vie toujours plus élevés. Il y aura une profonde conscience de la différence entre quantité et qualité.

Certains économistes critiquent l’expression « qualité de vie » et considèrent qu’elle est floue. Mais à l’examen, ce qu’ils tiennent pour flou est la nature non quantitative du terme. On ne peut quantifier correctement ce qui est important pour la qualité de la vie, et il n’est pas nécessaire de le faire.

8/8) Ceux qui souscrivent aux points précédents s’engagent à essayer de mettre en application directement ou indirectement les changements nécessaires.

Nous sommes libres de nous faire des opinions différentes des priorités de notre vie : que devons-nous faire en premier, et après ? Qu’est-ce qui est le plus urgent ? Qu’est-ce qui est nécessaire ? Qu’est-ce qui est souhaitable ? Les différences d’opinions n’excluent pas une coopération énergique. Formuler des principes fondamentaux qui soient partagés par la plupart des partisans de l’écologie profonde peut nous permettre de déterminer, parmi nos désaccords, lesquels nous aurions intérêt à atténuer, et lesquels à accentuer.

in Arne Naess, la réalisation de soi (éditions wildproject 2017, 314 pages pour 22 euros)

III) présentation du philosophe et écologiste Arne Naess

En 1973, le philosophe norvégien Arne Naess lança le mouvement de l’écologie profonde, la philosophie préférée des militants écologistes radicaux. Il est mort à l’âge de 96 ans le 12 janvier 2009. En Norvège, sa disparition a donné lieu à un hommage national.

Arne Naess est un philosophe atypique. Considéré par les positivistes logiques comme un des éléments les plus prometteurs du Cercle de Vienne, Arne Naess ne se ralliera jamais à leur thèse d’une réduction de la philosophie à l’analyse logique du langage, ni à l’idée que l’on puisse congédier l’ensemble des énoncés de la métaphysique au rang de non-sens. En 1938, Naess est nommé professeur de philosophie à l’université d’Oslo. Débute alors pour lui à 27 ans une carrière universitaire des plus brillantes. Arne Naess y met fin en 1969, lorsqu’il abandonne prématurément l’université : il préfère « vivre plutôt que fonctionner ».

Il s’engage dans la cause écologiste et, dès 1970, élabore son concept d’écologie profonde, en opposition à l’écologie dite « superficielle » qui se focalise uniquement sur la réduction de la pollution et la sauvegarde des ressources matérielles en vue de garantir le niveau de vie actuel des sociétés riches. A l’inverse, l’écologie profonde s’inscrit dans le long terme et place la réflexion écologique au niveau métaphysique (elle est « écosophie ») afin de transformer durablement la conception moderne du rapport de l’homme à la nature. Naess propose ainsi de substituer à l’image de l’homme-dans-son-environnement une vision relationnelle du monde qui rejette l’anthropocentrisme, et défend la thèse de l’ « égalité biosphèrique », à savoir le droit égal pour tous les êtres vivants de vivre et de s’épanouir en raison de la valeur intrinsèque de chacun.

En sus de l’élaboration de ces grandes thèses philosophiques qui ont donné lieu à un très grand nombre de discussions relativement scolastiques dans le cadre du développement de l’éthique environnementale sur les campus américains, Naess aura toujours prôné la nécessité d’une action militante comme une donnée essentielle de l’écologie profonde. Il se distingue notamment lors des manifestations anti-barrage de Mardöla en 1970, et d’Alta en 1980. On pourra regretter que l’écologie profonde nous soit parvenue en France sous l’effet de la caricature absurde, réduisant l’égalitarisme biosphèrique à une forme d’antihumanisme fascisant*. Il n’en a pas fallu beaucoup pour que la position, certes radicale, des écologistes profonds en faveur d’une réduction de la population humaine comme vecteur important de l’amélioration de la condition humaine et de la planète ne réveille chez certains les peurs génocidaires.

Espérons que la (re)découverte d’Arne Naess nous donne l’occasion de relire une œuvre jamais marquée par les certitudes, profondément ouverte et tolérante, humaine et pacifiste, fortement imprégnée de la pensée de Spinoza et de Gandhi – à l’heure ou l’écologie politique, engloutit dans les pratiques politiciennes, plonge de plus en plus dans l’impensé.

* Le Nouvel Ordre écologique de Luc Ferry est l’exemple le plus emblématique de cette interprétation.

Un livre récemment paru (avril 2017) fait une bonne présentation d’Arne Naess et recense certains de ses articles : Une écosophie pour la vie (introduction à l’écologie profonde) aux éditions anthropocène/Seuil

Références biographiques sur notre réseau de documentation des écologistes :

Ecologie, communauté et style de vie de Arne NAESS

Vers l’écologie profonde (Arne NAESS avec David ROTHENBERG)

BIOSPHERE-INFO, tout savoir sur l’Écologie profonde Lire la suite »

Pour comprendre l’écopsychologie en quelques mots

Par moments, je suis comme répandu dans le paysage et je vis moi-même dans chaque arbre, dans le clapotis des vagues, dans les nuages, dans les animaux qui vont et viennent. Carl Gustav Jung

Quand les gens sont capables de dire la vérité sur ce qu’ils savent, voient et ressentent par rapport à ce qui arrive à la terre, une transformation se produit. On observe une détermination accrue à agir et un appétit de vivre renouvelé. Joanna Macy

L’écopsychologie réunit la sensibilité des thérapeutes, l’expertise des écologistes et l’énergie éthique des activistes de l’environnement. Lester R.Brown

L’écopsychologue estime qu’il existe une interaction synergique entre le bien-être de la planète et celui de la personne. La traduction contemporaine de ce concept pourrait être : les besoins de la planète sont ceux de la personne, les droits de la personne sont ceux de la planète. Theodore Roszak

La psychologie, qui se consacre tant à l’éveil de la conscience humaine, doit s’éveiller elle-même à l’une des plus anciennes vérités humaines : nous ne pouvons être analysés ou soignés indépendamment de la planète.

A l’instar des enfants autistes que ne semblent pas entendre, voir ou sentir la présence de leur mère, nous sommes devenus aveugles à la présence psychique de la planète vivante, sourds à ses voix qui ont nourri nos ancêtres dans les sociétés préindustrielles. Ralph Metzner

Que signifie « aller bien » dans un système que l’on peut considérer comme globalement dysfonctionnant ? N’est-ce pas être « malade » que d’être bien adapté à un monde qui détruit la nature et épuise l’être humain ? A l’inverse, n’est-ce pas un signe de « santé » que de souffrir des maux qui affectent la planète et ses semblables ? James Hillman

C’est dans les cœurs et les esprits des êtres humains que se trouvent les causes et les remèdes à l’écocatastrophe. Ralph Metzner

En nous inscrivant dans le temps profond de l’Histoire et le flux de la vie de la Terre, nous découvrons que nous ne sommes pas seuls. Des myriades initiatives et d’alternatives pour un autre monde sont déjà en marche. Apprendre à les connaître non seulement donne du courage, mais fournit les pistes dont nous avons besoin. Michel Maxime Egger

* Ecopsychologie, retrouver notre lien avec la terre de Michel Maxime Egger (éditions Jouvence, 146 pages pour 6,90 euros)

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Oubliant Ivan Illich, nous sommes partis du mauvais côté

L’honnêteté oblige chacun de nous à reconnaître la nécessité d’une limitation de la procréation, de la consommation et du gaspillage ; mais il importe davantage d’abandonner l’illusion que les machines peuvent travailler pour nous ou les thérapeutes nous rendre capables de nous servir d’eux. La seule solution à la crise écologique est que les gens saisissent qu’ils seraient plus heureux s’ils pouvaient travailler ensemble et prendre soin les uns des autres. Une telle inversion des vues courantes réclame de qui l’opère du courage intellectuel. En effet, il s’expose à une critique qui, pour n’être guère éclairée, n’en est pas moins douloureuse à recevoir : il ne sera pas seulement traité d’anti-pauvre, mais aussi d’obscurantisme opposé à l’école, au savoir et au progrès. Je montrerai que le surpeuplement est le résultat d’un déséquilibre de l’éducation, que la surabondance provient de la monopolisation industrielle des valeurs personnelles, que la perversion de l’outil est l’implacable effet d’une inversion des moyens en fins.

Le débat unidimensionnel mené par les tenants de divers remèdes miracles, qui conjuguent la croissance industrielle et la techno-science, ne peut qu’alimenter l’illusoire l’espoir qu’en quelque façon l’action humaine convenable outillée répondra aux exigences de la survie. Une survie garantie bureaucratiquement signifierait l’expansion de industrialisation du tertiaire jusqu’au point où le guidage de l’évolution planétaire serait identifié à un système centralement planifié de production. Selon les partisans d’une telle solution, esprits portés à l’outillage, la conservation du milieu physique pourrait devenir le principal souci du Léviathan bureaucratique. Une telle réponse technocratique à la croissance démographique, à la pollution et à la surabondance, ne peut être fondée que sur un développement accru de l’industrialisation des valeurs.

Le rétablissement d’un équilibre écologique dépend de la capacité du corps social à réagir contre la progressive matérialisation des valeurs, leur transformation en tâches techniques. Faute de quoi l’homme se trouvera encerclé par les produits de son outillage, enfermé à huis-clos. Enveloppé par un milieu physique, social et psychique qu’il se sera forgé, il sera prisonnier de sa coquille-outil, incapable de retrouver l’antique milieu avec lequel il s’était formé.

Ivan Illich, La Convivialité (Seuil 1973)

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