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On peut sans doute considérer Nicolas Hulot comme un chercheur de sagesse. Pour lui, la nature « exprime le langage de notre âme ». Ce sentiment transparaît constamment tout au cours de son livre de 1995, « Questions de nature », aux éditions Plon. C’est pourquoi aujourd’hui, ministre de l’écologie, il lui a sans doute fallu beaucoup d’abnégation pour passer de l’immersion dans la nature à l’enfermement dans des cabinets ministériels. Fascinant contraste. Voici un récapitulatif de toutes les fortes pensées qu’il énonce entre deux contacts féeriques avec orques, peuples premiers, oiseaux…
Aliénation : Je passe en revue le spectacle politique, médiatique, judiciaire qui souvent nous égare. Ces règles qu’on nous impose, ces opinions que l’on nous dicte, ces notions de réussite dont on nous gave, ces pouvoirs dispersés, chacun rêve d’en abuser. Je me méfie comme de la peste de ces influences sournoises qui diffusent et s’immiscent sans éveiller la conscience. Religieuses, éducatives, idéologiques, elles façonnent le creuset de nos pensées en évitant trop souvent le chemin de la réflexion. Je me méfie des grands courants impétueux comme de la peste. Il faut savoir se rebeller contre toutes ces dépendances et conserver son libre arbitre : être rebelle pour choisir ensuite.
Animal : L’animal, qu’il soit sauvage ou domestique, n’a plus le temps de s’adapter aux modifications de son environnement. Son univers a trop vite évolué en moins d’un siècle pour que ses gènes conditionnent de nouveaux réflexes. S’échapper, pour les animaux, c’est s’exposer à ces projectiles monstrueux lancés sur toutes les routes. De toute façon, l’homme, dans son développement, ne les prend pas en compte. Il faut reconnaître que l’homme sait aussi vous donner la nausée tant parfois il excelle dans l’indifférence, l’ignorance, la cupidité, la vanité, la lâcheté, la cruauté. Sans être un antidote, la compagnie animale est alors un doux réconfort.
Autoroute : Ce n’est pas l’autoroute en soi qui pose problème. C’est l’abus d’autoroutes qui pose problème, cette folie de bientôt vouloir réunir chaque bourg à ces imposantes quatre-voies. Comme si, une fois lancées, les techniques et les procédés ne pouvaient plus s’arrêter.
Biodiversité : A chaque extinction d’espèces, sous l’effet de l’activité humaine, la mémoire de l’humanité se charge d’un fardeau de honte. L’homme s’octroie le droit de décider du sort des animaux ou des végétaux, de modifier le processus évolutif, persuadé que la seule chose précieuse dans la création est sa propre existence. Dans nos sociétés où partout suintent le racisme et la xénophobie, demander la considération pour un pachyderme ou un insecte est mission désespérée. Comment convaincre les hommes que le salut est aussi dans le respect sans faille de la bio-diversité, que l’unicité de la nature ne vaut que par la pluralité de ce qui la compose ?
Chasse : La chasse dans son ensemble me répugne ; la vie observée me comble trop pour que me vienne l’idée de la supprimer. Trop de regards animaux se sont reflétés dans mes propres yeux pour que je reste étranger à leur sort. Un principe intangible guide ma réflexion, engendre mon dégoût de tuer : le fait d’ôter la vie ne doit jamais être source de plaisir ni de spectacle. Je suis toujours consterné de voir avec quel sang-froid le chasseur détruit l’existence. Je suis inquiet de son accoutumance à la vie qui s’en va. Rien de commun entre le paysan qui, pour améliorer son ordinaire, ira lever quelques perdrix ou faisan, et le chasseur déguisé en Rambo qui confond forêt et fête foraine. Rien de commun entre le trappeur indien rencontré sous les arbres de la taïga canadienne, et l’homme des villes, qui quitte son pays pour venir, en avion de ligne, décrocher son trophée dans les plaines africaines. Rien de commun encore entre le marin-pêcheur courageux qui traîne ses courts filets derrière sa petite unité et l’armada destructrice d’usines flottantes qui dépeuplent nos océans. Ma plus grande aversion va à la chasse à courre, ridicule mascarade d’une époque révolue où le gibier traqué par un cortège grotesque n’a d’autre choix que de s’empaler sur les clôtures qui partout entrave sa fuite, ou, ayant échappé à bien des périls, ne peut qu’attendre, tremblant, écumant de bave sous la terreur, le coup fatal du piqueux porté dans une mise en scène odieuse.
Condition animale : Partout dans le monde, en modifiant le paysage, l’humanité dans son expansion fait fi de la condition animale. Elle transforme les éléments du monde naturel en objets quasi décoratifs, modèle l’environnement aux fins de son seul intérêt. Au risque de choquer, je déteste les cirques. J’ai de l’estime pour les gens du cirque, mais je sais combien les prouesses des animaux sont le fruit de privations et parfois de sévices. Rien de plus désolant, l’été, que ces bêtes en cage étroite, agglutinés et exposés au regard de promeneurs distraits. J’ai en horreur ceux qui privent l’animal de liberté à des seules fins mercantiles. Les élevages intensifs d’animaux sous l’effet d’une mode, où les bêtes croupissent lorsque celle-ci est passée, sont inadmissibles. Combien de huskies ont grandi dans des vitrines minuscules. Les murs épais des laboratoires cosmétiques qui dissimulent le martyre d’animaux innocents me donne la nausée. Que pour satisfaire quelques coquetteries futiles on se fasse tortionnaire illustre le peu de cas que notre société fait de la condition animale.
Corrida : Tout m’écœure dans la pire expression de la vanité humaine envers le monde animal, la corrida. L’hystérie des aficionados, l’arène qui met en scène la mort, ces paillettes qui brillent sur un lit d’hémoglobines, l’agonie du taureau. La télévision amplifie ces comportements, relayée par quelques esprits cyniques qui, d’une plume indécente, justifient ce vice honteux d’un alibi culturel et traditionnel. Je dis qu’une société se grandit quand, au fil de son histoire, elle se débarrasse de ses comportements avilissants ; que son degré de civilisation se mesure à l’état de sa conscience.
Écologie : Étymologiquement, l’écologie est la « science de la maison ». A ce titre, elle est et elle doit être la capacité de l’homme à prendre soin de sa demeure : la terre. Elle ne peut être qu’une réflexion à long terme qui prend de la distance avec les sociétés qui progressent uniquement au rythme de l’écho de l’opinion. Elles en oublient que l’opinion est plus souvent une réaction qu’une réflexion. L’écologie est le plus précieux des équilibres : l’harmonie absolue entre l’homme et la nature. Et jamais le débat ne doit être de savoir lequel prime de l’un ou de l’autre, leur destin est lié.
Espace : J’aime ces grands espaces sauvages où la nature souveraine irradie ses ondes apaisantes. J’ai un besoin vital de ce contact physique, sensoriel et spirituel. Il a fallu sans doute ce coup, asséné par la beauté sans faille de l’Okavanga, pour que naisse en moi la vision du vrai. Aujourd’hui, une simple fleur dans mon jardin, l’évanescence d’un nuage, le son d’une cascade me suffisent à être heureux. La forêt, la mer, l’air, les déserts sont des réservoirs de sagesse, de lucidité, d’équilibre. Dans nos sociétés industrielles, les sens sans cesse agressés se ferment et s’atrophient. Quand tout agresse, on devient soi-même agressif. Aujourd’hui, en avion, en voiture et même en train, on ne voyage plus, on se déplace ; témoin inconscient d’un spectacle trop rapide que l’esprit ne peut fixer.
Ethnies : Je crains sans illusions que toutes ces petites sociétés, Yeyi, Tawana, Herero… miraculeusement oubliées du temps, ces tribus splendides de différence, succombent un jour aux métastases de l’homogénéisation de la planète, sécrétées par ces « civilisations » prétentieuses. Je suis toujours ému du savoir fantastique de ces hommes, nourris de l’intimité de la nature. Cet héritage est resté immuable jusqu’à ce que notre siècle le rende fragile. Qui, mieux que les Indiens d’Amérique qui considèrent la terre comme leur mère, ont vénéré dans leurs gestes autant que dans leurs mots ces liens qui nous unissent à elle : « Comment l’esprit de la terre pourrait-il aimer l’homme blanc ? Partout où il la touche, il laisse une plaie. »
Homme : L’homme fonde la conviction de sa supériorité sur l’animal, et a fortiori sur le végétal, par la distinction entre l’intelligence dont il se targue et l’instinct dont il affuble les bêtes et autres créatures. L’homme s’imagine au sommet d’une pyramide. L’homme est aussi détenteur exclusif du brevet de l’absurde et de la vanité, inventeur de comportements où la raison et le sens n’ont pas de prise. Il est le seul a écrire les mots génocide et torture. Et cela modère l’appréciation de son intelligence, affirmant plutôt sa différence avec les animaux incapables de tels raffinements.
Loups : Un loup magnifique est apparu soudainement dans les Vosges. Livré en pâture à la scène médiatique, ce pauvre loup, plutôt que de soulever l’enthousiasme collectif, a généré une réaction hystérique comme si « le monstre » risquait de dévorer toute une population. Battues démesurées, traques impitoyables ; une horde de « viandards » a été missionnée pour abattre la bête, responsable seulement d’avoir tué quelques brebis, simples victimes du processus alimentaire. Jusqu’à ce jour, l’animal a déjoué cet acharnement. Le plus cynique est que, lorsque l’animal se trouve en surnombre, il fournit l’alibi de la régulation. L’animal agit et s’adapte en fonction d’un sentiment constant : la peur. La peur de l’homme. Sous l’effrayante activité humaine, l’animal reste tapi. La condition animale dans les pays industrialisés et à forte densité démographique se résume à un état de stress permanent. La nature se cache quand elle ne disparaît pas. Il y a des jours où j’ai mal à ma condition d’homme.
Nature : Je déteste l’arrogance de l’homme face à la nature, cette certitude d’être supérieur au lieu de se contenter d’être magnifiquement différent. La nature resplendit de sa pluralité d’expression. L’homme n’en est qu’une facette, dépendante et tributaire de la multitude des autres. L’homme aime homogénéiser. Cette fausse unité le rassure. Dictateur vaniteux, il ignore l’unité des choses, oubliant qu’il n’y a pas d’un côté d’homme et de l’autre la nature, mais la nature qui accueille l’homme en son sein. A mes yeux, seul le spectacle de la nature a de l’importance. C’est le plus précieux des livres et chaque ligne y est un fragment de vérité. La nature ne me nourrit d’aucune certitude mais m’inonde de sentiments.
Oiseaux : Observer les oiseaux, c’est l’art de la discrétion Je pourrais noircir des centaines de pages à décrire les formes et les couleurs de ces oiseaux dont la seule présence me rassure, mésanges bleues ou charbonnières, geai des chênes, faucon crécerelle… ils représentent les derniers animaux véritablement libres qui s’affranchissent en vol des obstacles et remparts dressés par l’homme et qui, chaque jour davantage, entravent un peu plus la liberté des autres animaux.
Pêche : Botswana, des femmes splendides aux seins dénudés déposent des nasses de roseau où les poisson-tigres iront se piéger ; et ces enfants qui regardent pour apprendre. Comment à cet instant ne pas penser aux monstrueux filets dérivants qui anéantissent nos océans ? Ces barrières impitoyables capturent sans discernement, pour le compte d’une pêche indigne où se perdent de tristes pêcheurs endettés par leurs navires trop onéreux. La pêche au gros en Australie, que je préfère appeler la pêche des gros, tant souvent la silhouette bedonnante de bière de ces pêcheurs pitoyables, vautrés dans des fauteuils luxueux et moulinant d’un geste frénétique leur proie agonisante, est une caricature du sport.
Planète : Quand je traverse les fuseaux de notre planète au rythme des avions de ligne, à la cadence parfois accélérée de mes voyages professionnels, je prends conscience que notre terre se résume à quelques îlots d’opulence entourés d’océans de misère et de détresse. J’ai le pénible sentiment que la terre elle-même souffre. Des coups de griffes, des injections toxiques partout l’étouffent et l’enlaidissent. Sa peau porte des stigmates affreux. Ce soir, je m’endors, craignant qu’un jour le monde ne soit qu’un gigantesque regret. Je me vois raconter à mes enfants ce qu’ils ne verront pas. Je hais déjà le jour où je ne pourrai voyager que dans mes rêves. L’homme est un glouton insatiable ; et seul la désignation formelle des réserves de l’environnement pourrait limiter son avidité. Mais l’humanité tarde à désigner ces zones inaliénables où ce qui reste de nature intacte aurait une chance de survie.
Progrès : Quand je promène mes pas dans ces lieux de plus en plus rares où la nature est encore épargnée des sévices de l’homme, je frémis de la précarité de ce privilège. Je sais qu’inexorablement, un jour ou l’autre, ici comme ailleurs, la beauté originelle sera profanée. Rien ne semble pouvoir arrêter l’appétit gargantuesque de cette gigantesque machine broyeuse et dévoreuse, le progrès. Mot redoutable, sous l’alibi duquel on commet, parfois, l’irréparable et l’inacceptable. Ce terme où tous nos espoirs convergent n’est souvent qu’une extension aveugle, une colonisation sans pitié de la nature par l’homme et pour l’homme seul. L’écologie a trop souffert de paraître incompatible avec le progrès. L’écologie est pourtant une vigilance qui accompagne le progrès, une intelligence qui le raisonne, une générosité qui intègre tous les êtres vivants. Le progrès ne vaut que s’il se fixe des bornes. Quand ce qui entoure l’homme n’est plus à son échelle, alors l’homme n’a plus sa juste dimension.
Relocalisation : Je préfère le village à la ville, la rivière au grand fleuve, la route à l’autoroute, l’échoppe à la boutique, la boutique aux grandes surfaces, la ruelle à l’avenue, je préfère ces dimensions qui sont à l’échelle de l’homme, là où il garde ses repères.
Réserves naturelles : Dieu sait que le mot « réserve » est pénible à mon oreille. Je l’exècre. Il sonne comme un aveu d’échec, celui de partager un même sol avec les animaux et les plantes. L’homme efface de sa mémoire qu’il est, comme le rappellent de nombreuses traditions africaines, « le dernier venu ». Obsédé par sa supériorité, il prospère dans un anthropocentrisme odieux. Se résoudre à l’existence de ces dérisoires sanctuaires, en regard de l’immense territoire que l’homme s’attribue sans vergogne, est une solution ultime face à notre impuissance. Cependant je voue un respect démesuré aux combattants de l’ombre qui se dressent un peu partout pour défendre des parcelles de nature.
TGV : C’est un fleuron de notre technologie dont le confort et l’efficacité ne sont pas à mettre en cause. Mais quand à un premier tracé de chemin de fer, on en ajoute un autre qui ira saccager un paysage supplémentaire pour gagner quelques minutes dérisoires, je dis que la connerie est proche. Et les fameuses études d’impact sont trop souvent des cache-misère minables. Que ne détruit-on pas au nom de cette satanée vitesse… Le monde s’épuise de trop courir. Pourquoi une telle débauche d’énergie et de moyens pour grignoter encore et toujours du temps au temps ?
Végétal : A mesure que l’homme découvre et comprend, sous l’œil de son microscope, l’éveil de notre conscience grandit ; en même temps les frontières où l’on cloisonne séparément le monde animal, végétal, minéral et humain se troublent et s’estompent pour peut-être n’en faire qu’un. Et si l’instinct n’était qu’une forme d’intelligence ? L’animal est peut-être un être accompli, vivant en harmonie avec son environnement. Il importe de reconnaître que l’animal et le végétal sont doués, qu’il est merveilleux de savoir si bien se débrouiller dans le parcours de l’existence. L’affirmation de la différence est plus belle que la quête d’une supériorité.
Ville : J’avoue une allergie excessive à la ville. Depuis longtemps, mon organisation de vie est vouée à y limiter ma présence. Plus encore, m’en éloigner définitivement est un objectif prioritaire. Lorsque j’étais plus jeune, lorsque la cité était encore mon univers social, je ne pouvais imaginer vivre ailleurs, convaincu que rien d’essentiel ne pouvait germer en d’autres endroits. La distance et l’ouverture conférées par tous les chemins de traverse empruntés depuis vingt ans ont rendu visible et flagrant ce que mes yeux éblouis par les néons du factice ne pouvaient discerner. La ville pèse sur le subconscient au point de développer une accoutumance. Nos pensées se précipitent sur tous les artifices modernes qui créent l’illusion de l’évasion et que certains ont appelé le goulag électronique. Nos villes modernes annihilent l’essence des relations humaine, la communication. Ce que sont devenus les villes et, pire, ceux qui y vivent, m’affole voire me terrorise. Les grands ensembles ont anéantis la notion d’équilibre et d’harmonie. Elle n’est plus à l’échelle de l’homme. Je crois que 60 % de la planète vit dans des gigantesques concentrations démographiques. La ville accable d’agression constantes, polarisant l’attention sur la compétition permanent que la multitude génère. L’homme se referme sur lui-même pour tenter de se soustraire aux agressions, le bruit, les odeurs, la pollution, la promiscuité. L’espace est indispensable à l’épanouissement. Et l’entassement ne le favorise pas, au contraire. Les villes périssent de leur démesure. Être en ville, c’est attendre sans cesse, le feu vert, le dégagement du trafic, une place libre, le métro ou le bus, la file d’attente à la caisse… Si chacun se livrait au calcul du temps perdu en déplacements, il serait affolé de constater qu’il impute sa vie d’un pourcentage loin d’être négligeable. En situation de rupture totale avec la nature, le citadin vit dans une obscurité qu’il ne soupçonne plus.
Zoo : Par éthique, puis par principe, je hais toutes les formes de captivité. Je déteste les zoos et les aquariums exotiques. Combien d’animaux sont sacrifiés pour que l’un d’entre eux puisse être exposé au yeux d’enfants insouciants déjà gavés d’images télévisées. Rien ne justifie, à l’apogée de la communication hertzienne, que l’on inflige aux animaux ces procédés d’une époque révolue. Ce spectacle lamentable inscrit l’état de soumission animale dans la normalité, et même dans la banalité. Et l’alibi de la reproduction d’espèces menacées ne vaut pas cette exhibition affligeante.