spiritualités

Faut-il débrancher les personnes sans conscience ?

La légalisation de l’avortement donne entièrement aux parents, et particulièrement à la femme, droit de vie et de mort sur une personne potentielle. Mais pour arrêter un acharnement thérapeutique sur un enfant se joue un subtil équilibre entre la volonté des parents, celle des médecins et la décision des juges.

Marwa, une petite fille de 15 mois, était atteinte de lésions neurologiques graves et irréversibles après avoir été victime d’un entérovirus foudroyant. Les médecins voulaient débrancher l’assistance respiratoire en place depuis le 25 septembre 2016. L’expertise médicale conclut le 1er décembre à une « atteinte neurologique sévère et définitive » de Marwa et prévoit à terme un « handicap majeur (…) avec une impossibilité de communication verbale ou non verbale ».* Le père refuse la réalité: « Marwa a fait beaucoup de progrès depuis quatre mois, on voit qu’elle veut vivre, il faut lui donner une chance ». A partir de là, il y a acharnement judiciaire. Cassant la décision prise, le 4 novembre, par l’équipe médicale, le tribunal administratif de Marseille ordonne, le 8 février, la poursuite des soins. L’AP-HM (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille) saisit dès le lendemain le Conseil d’Etat. Appelé à trancher un « dilemme éthique », le Conseil d’Etat a tranché le 8 mars 2017. Il considère qu’il n’y avait pas d’« obstination déraisonnable », les médecins auraient dû attendre plus longtemps, et l’avis des parents doit prendre une « importance particulière »**. La loi ne prévoit pas en effet « l’accord » des parents, mais seulement « leur avis », afin de ne pas faire peser sur eux le poids d’un tel choix. Le conseil d’Etat considère que le terme « avis » est plus fort que le terme « accord » ! Nous soupçonnons cette justice-là de mettre le « respect de le vie » avant le respect de la dignité humaine, c’est-à-dire le fait d’avoir la possibilité d’une conscience consciente d’elle-même des autres. L’affectif serait plus fort que la profondeur des lésions cérébrales. Les parents de Marwa envisageraient d’hospitaliser leur fille chez eux. Ce serait juste d’ajouter « à leur frais » !

Rappelons-nous le cas d’Ariel Sharon, dans un coma irréversible. Les enfants refusaient le débranchement contre l’avis médical. Sharon a été maintenu en vie par les médecins pendant 8 ou 9 ans jusqu’à ce que l’hôpital demande à la famille de payer les soins … il a fini par être débranché. A l’heure où l’espèce humaine dépasse les 7 milliards de représentants sur une planète qu’elle a dévastée, l’arrêt des machines qui maintiennent artificiellement en vie des personnes aux frais des contribuables ne serait-elle pas une bonne chose ?

* LE MONDE du 2 mars 2017, Le Conseil d’Etat saisi d’un « dilemme éthique »

** LE MONDE du 10 mars 2017, Fin de vie : le Conseil d’Etat désavoue les médecins

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Non, tout ne se vaut pas, le doute ne doit pas exister

99 % de nos échanges se basent sur le postulat que tout se vaut et que, finalement, l’option que je retiens est celle qui m’arrange. Même si elle est fausse. Même si elle nous mène à la fin de la civilisation occidentale, accompagnée d’un cataclysme à côté duquel le nombre de victimes des guerre mondiale paraîtra infime. Toutes les informations ne se valent pas. Une (dés)information qui rassure dans l’immédiat (le réchauffement climatique n’existe pas, la technologie nous sortira d’une mauvaise passe climatique, on trouvera toujours de l’énergie gratuite…) n’empêchera pas l’effondrement qui arrive, il l’accélère. La désinformation flatte trop souvent mon ego et ne dit presque rien sur le véritable état de la planète. Le monde se casse la gueule, la sixième extinction frappe à notre porte, on ne peut plus parler de « progrès », la croissance économique ne nous sauve pas, elle nous fait couler !

Que faut-il penser du principe de précaution à un moment où en France un présidentiable (François Fillon) veut qu’on n’en parle plus ? « Penser que la catastrophe est déjà présente peut au contraire nous faire agir afin que, précisément, elle ne se produise jamais (formule empruntée à Hans Jonas, philosophe allemand, Le principe responsabilité, 1979).» À l’inverse, l’absence de ce principe revient à accorder la même valeur au fait de rester dans l’expectative, «je ne suis pas assez informée, je ne sais pas trop qui a raison, tous les points de vue se valent, etc.» alors que tout peut s’effondrer. On fait l’autruche et on se satisfait de faire l’autruche en disant : «qui es-tu pour me dire que j’ai tort ?». Dans l’autre cas on se remonte les manches pour éviter la catastrophe. Dans le premier cas on se satisfait d’avoir pu dire « ce n’est pas la fin du monde, tu pourrais m’apporter une multitude d’arguments et je pourrais aussi t’apporter une multitude d’arguments. Tout dépend de notre vision, de notre point de vue. » C’est d’ailleurs ce que font généralement les médias en présentant tous les points de vue, à commencer par ceux qui ne remettent pas en question la civilisation thermo-industrielle. Dans le second cas on sauve (peut-être) ce qu’il reste à sauver.

D’un côté c’est finalement une histoire d’ego, entre adeptes de la post-vérité (mentir pour exister, comme l’a montré Trump), de l’autre côté c’est juste la fin d’une civilisation à laquelle se préparer activement ! Fin d’un monde à laquelle tu ne crois pas trop, je sais, faute de visibilité à l’heure actuelle si ce n’est la fonte médiatisée des glaciers et quelques centimes d’augmentation à la pompe. Mais toi, tu peux aussi voir à plus long terme, et constater que ces deux visions ne se valent pas. Que l’une nous mène automatiquement à la dégradation collective, l’autre essaye d’échapper à la dégradation que nous faisons subir à la planète ? Que l’argument « tu as peut-être tort » ne tient pas face au fait que, à l’inverse, les conséquences de notre inaction sont DRAMATIQUES ? C’est le paradoxe des climato-sceptiques, ils ont toujours tort. Si le réchauffement climatique n’existe pas comme ils le font croire, mais que nous économisons les énergies fossiles en ne les écoutant pas, c’est autant de gagner pour les générations futures . S’ils ont tort en nous ayant fait douter du réchauffement climatique, ce sera un désastre pour les générations futures… dont ils seront responsables. L’arrivée au pouvoir de Trump aux USA montre que nous sommes peut-être rentrés dans un jeu perdant-perdant à cause des propagandistes du doute… A nous de réagir !

(variation libre autour d’un texte de Robin Branchu)

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Faut-il attendre du pape François un Noël écolo ?

Benoît 16 n’était pas un pape « vert ». Il dénonçait en décembre 2007 dans son message de Noël l’exploitation de la planète : « paix et écologie dans le message de Noël du pape ». En fait, juste une petite phrase du pape pouvait appuyer cette assertion : « Dans le monde, le nombre des migrants, des réfugiés, des déplacés, va toujours croissant, à cause aussi des catastrophes naturelles, qui sont souvent la conséquence de préoccupants désastres écologiques. » Pas de quoi changer la face du monde et dénoncer les innombrables dommages environnementaux causés par l’homme. Il est vrai que la religion catholique, comme d’ailleurs bien d’autres religions, ne voit dans la planète qu’une propriété que les humains « à l’image de Dieu » peuvent exploiter et saccager.

On pouvait attendre mieux du pape François qui a publié une encyclique écolo « Laudato Si » en 2015. Mais son message Urbi et Orbi pour Noël 2015 restait ampoulé : « En ce jour, de la Vierge Marie, est né Jésus, le Sauveur. L’Église montre à tous le « signe » de Dieu : l’Enfant qu’elle a porté dans son sein et a enfanté, mais qui est le Fils du Très-Haut, parce que « il vient de l’Esprit Saint » (Mt 1, 20). Lui seul, Lui seul peut nous sauver. » Donc pour faire face au réchauffement climatique et à la déplétion pétrolière, pas besoins de s’inquiéter et d’agir ! Le pape fait ensuite la tournée des affrontements inter-humains, Palestine, Syrie, Libye, Irak, etc. L’intervention du Seigneur n’a rien changé à cet état de fait pendant toute l’année 2016. Et la conférence sur le climat à Paris en décembre 2015 n’avait pas fait mieux. En cette fin d’année 2016, faut-il s’attendre à autre chose ? Le programme déclaré du pape pour les célébrations de Noël 2016 reste insignifiant : récitation du rosaire, hymne à la Vierge de Guadalupe et comme d’habitude la messe de la nuit, samedi 24 décembre à 21 h 30 en la basilique Saint-Pierre.

Rappelons pourtant ce qu’écrivait le pape François dans son encyclique écolo : « Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature...L’humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce réchauffement climatique ou, tout au moins, les causes humaines qui la provoquent ou l’accentuent… Les prévisions catastrophistes ne peuvent plus être considérées avec mépris ni ironie. Nous pourrions laisser trop de décombres, de déserts et de saletés aux prochaines générations… Beaucoup de ceux qui détiennent plus de pouvoir économique ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer les problèmes ou à occulter les symptômes… Face à l’accroissement vorace et irresponsable produit durant de nombreuses décennies, il faudra penser à marquer une pause en mettant certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu’il ne soit trop tard. L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde… » Puisse ce discours avoir en 2017 plus d’impact qu’en 2016 !

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À lire, Tristes tropiques (Claude Lévi-Strauss, 1955)

Claude Lévi-Strauss (1908-2009) est à la fois un ethnologue de renom et un moraliste en prise directe avec l’urgence planétaire ; il a été écosophe, il a changé notre manière de voir le monde. Il nous permet de prendre de la distance avec notre propre culture. Relativiser ce qu’on croit être, aimer toutes les cultures et toutes les espèces, c’est un principe de vie qu’on devrait appliquer à tout âge et à tous les échelons du pouvoir.

« Il faudra admettre que, dans la gamme des possibilités ouvertes aux sociétés humaines, chacune a fait un certain choix et que ces choix sont incomparables entre eux : ils se valent. Des sociétés qui nous paraissent féroces à certains égards savent être humaines et bienveillantes quand on les envisage sous un autre aspect. L’enquête archéologique ou ethnographique montre que certaines civilisations ont su ou savent résoudre mieux que nous des problèmes. Il n’est pas certain que les progrès de l’hygiène aient fait plus que rejeter sur d’autres mécanismes, grandes famines et guerres d’extermination, la charge de maintenir une mesure démographique à quoi les épidémies contribuaient d’une façon qui n’était pas plus effroyable que les autres.

A mieux connaître les autres sociétés, nous gagnons un moyen de nous détacher de la nôtre, non point que celle-ci soit absolument ou seule mauvaise, mais parce que c’est la seule dont nous devions nous affranchir. Nous nous mettons ainsi en mesure d’utiliser toutes les sociétés pour dégager ces principes de la vie sociale qu’il nous sera possible d’appliquer à la réforme de nos propres mœurs. Les hommes ne se sont jamais attaqués qu’à une seule besogne, qui est de faire une société vivable. L’âge d’or qu’une aveugle superstition avait placé derrière ou devant nous est en nous. La fraternité humaine acquiert un sens concret en nous présentant, dans la plus pauvre tribu, notre image confirmée. Depuis des millénaires, l’homme n’est parvenu qu’à se répéter.

Lorsque l’arc-en ciel des cultures humaines aura fini de s’abîmer dans le vide creusé par notre fureur, la contemplation procure à l’homme l’unique faveur qu’il sache mériter : suspendre la marche, saisir l’essence de ce qu’il est  dans la contemplation d’un minéral plus beau que toutes nos œuvres, dans le parfum respiré au creux d’un lis  ou dans le clin d’œil qu’une entente involontaire permet d’échanger avec un chat. Que règne, enfin, l’idée que les hommes, les animaux et les plantes disposent d’un capital commun de vie, de sorte que tout abus commis aux dépens d’une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène, par une diminution de l’espérance de vie des hommes eux-mêmes. Ce sont là autant de témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces d’un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même mais fait à l’homme une place raisonnable dans la nature au lieu qu’il s’en institue le maître et la saccage sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui. » (édition Plon 1955)

extrait du livre« L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (Michel Sourrouille aux éditions Sang de la Terre) en librairie depuis le 11 juillet 2016

 

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À lire, Almanach d’un comté des sables (Aldo Leopold)

Publié pour la première fois en 1949 à titre posthume, l’Almanach d’un comté des sables d’Aldo Leopold (1887-1948) est devenu un classique des écrits consacrés à la nature. Il constitue l’un des textes fondateurs de l’écologie. Catherine Larrère cite ce passage : « J’ai lu de nombreuses définitions de ce qu’est un écologiste et j’en ai moi-même écrit quelques-unes, mais je soupçonne que la meilleure d’entre elles ne s’écrit pas au stylo, mais à la cognée. La question est : à quoi pense un homme au moment où il coupe un arbre, au moment où il décide de ce qu’il doit couper ? Un écologiste est quelqu’un qui a conscience, humblement, qu’à chaque coup de cognée il inscrit sa signature sur la face de sa terre (Les Notes de la Fondation de l’Ecologie Politique (n° 1, février 2014). » On peut, en lisant cette définition, se dire qu’il a été entendu. Qu’est-ce en effet que l’empreinte écologique, sinon la signature humaine sur cette terre ? A ce titre, si chacun de nous mesurait son empreinte écologique et s’efforçait de la diminuer, ne serions-nous pas tous des écologistes ?

« La relation à la terre est actuellement une relation de propriété comportant des droits, mais pas de devoirs. D’ailleurs pour l’homme des villes, il n’y a plus de relation vitale à la terre. Lâchez-le une journée dans la nature, si l’endroit n’est pas un terrain de golf ou un « site pittoresque », il s’ennuiera profondément. Vous imaginez alors que c’est l’industrie qui vous fait vivre en oubliant ce qui fait vivre l’industrie.

Les pratiques de protection de l’environnement ne sont en fait que des soulagements partiels apportés à la douleur de la communauté biotique. Il n’existe pas à ce jour d’éthique chargée de définir les relations de l’homme à la terre, ni aux animaux, ni aux plantes qui vivent dessus. Une éthique (écologiquement parlant) est une limite imposée à la liberté d’agir dans la lutte pour l’existence. Il faut valoriser une éthique de la terre et montrer sa conviction quant à la responsabilité individuelle face à la santé de la terre, c’est-à-dire sa capacité à se renouveler elle-même. L’écologie, c’est cet effort pour comprendre et respecter cette capacité. Le progrès n’est pas de faire éclore des routes et des paysages merveilleux, mais de faire éclore le sens de l’observation dans des cerveaux humains. Par exemple le chasseur ne devrait pas être cette fourmi motorisée qui envahit les continents avant d’avoir appris à « voir » le jardin à côté de chez lui. La nature intacte qu’on ne peut voir de ses propres yeux prendra alors plus de valeur. » (1ère édition 1946, Flammarion 2000)

extrait du livre« L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (Michel Sourrouille aux éditions Sang de la Terre) en librairie depuis le 11 juillet 2016

 

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À lire, Autobiographie de Gandhi (1925-1929)

Gandhi (1869-1948) a lui-même rédigé son autobiographie. On l’a comparé à juste titre à Diogène, avec son mode de vie le plus simple possible : un pagne autour des reins, l’écuelle du prisonnier, la hutte de torchis, et aussi ce silence hebdomadaire du lundi que même un roi ne pouvait troubler. Mais, contrairement à Diogène, Gandhi était aussi un politique, agissant pour le bien de la cité. L’écologie politique pourrait aussi voir en lui un précurseur. Gandhi pratiquait un modèle de simplicité volontaire, moyen de lutte contre la surconsommation. De même la formation de communauté (l’âshram comme précurseur des communautés de résilience), la recherche de la Vérité (l’écologie scientifique aujourd’hui) et la pratique de la non-violence devraient constituer les fondamentaux de l’écologie.

« Presque toujours, l’auteur d’un livre ne présente qu’un seul aspect de la question, alors que n’importe quelle question peut être examinée de sept points de vue au moins, tous exacts en soi, mais non dans le même temps ni dans les mêmes circonstances. Le lecteur devra donc se garder de prendre mon ouvrage pour parole sacrée…

Celui qui s’est voué à la vérité ne peut faire autrement, souvent, que de tâtonner dans le noir. Il peut arriver, à qui s’est voué à la Vérité, de ne pas conformer tous ses actes au respect des conventions. Mais toujours, il doit être prêt à corriger ses fautes. Si je me suis trouvé entièrement absorbé par le service de la communauté, la raison profonde en a été mon désir d’accomplissement de l’être. Servir est une religion. L’expérience m’a montré que le moyen le plus rapide d’obtenir justice, c’est de rendre justice à l’adversaire. S’opposer à un système, l’attaquer, c’est bien ; mais s’opposer à son auteur, et l’attaquer, cela revient à s’opposer à soi-même, à devenir son propre assaillant.

Je n’ai jamais fait de distinction entre parents et inconnus, compatriotes et étrangers, blancs et hommes de couleur, Hindous et Indiens, Musulmans ou Juifs. Je me rendais de plus en plus compte des possibilités de l’amour universel. Mais l’amour pour toute créature vivante n’apparaît pas dans la vie de Jésus. » (1ères éditions dans son journal Navjivan de 1925 à 1929, Puf 1950)

extrait du livre« L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (Michel Sourrouille aux éditions Sang de la Terre) en librairie depuis le 11 juillet 2016

 

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Un programme politique d’écologie profonde… en 1976

La crise des conditions de vie sur Terre peut nous aider à choisir une nouvelle voie avec de nouveaux critères de progrès, d’efficacité et d’action rationnelle. Nous, qui somme responsables et participons à cette culture, nous avons la capacité intellectuelle de réduire notre nombre consciemment et de vivre dans un équilibre durable et dynamique avec les autres formes de vie. Nous, êtres humains, pouvons saisir la diversité de notre environnement et en prendre soin. A la fin des années 1970, George Sessions et moi-même avons formulé huit points, à l’aide de 179 mots (en anglais) pas plus, pour en faire une offre de « plate-forme de l’écologie profonde » :

1) L’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre a une valeur intrinsèque. La valeur des formes de vie non humaines est indépendante de l’utilité qu’elles peuvent avoir pour des fins humaines limitées.

2) La richesse et la diversité des formes de vie sont des valeurs en elles-mêmes et contribuent à l’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre.

3) Les humains n’ont pas le droit de réduire cette richesse et cette diversité sauf pour satisfaire des besoins vitaux.

4) Actuellement, les interventions humaines dans le monde non-humain sont excessives et détériorent rapidement la situation.

5) L’épanouissement de la vie humaine et des cultures est compatible avec une baisse substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine nécessite une telle baisse.

6) Une amélioration significative des conditions de vie requiert une réorientation de nos lignes de conduite. Cela concerne les structures économiques, technologiques et idéologiques fondamentales.

7) Le changement idéologique consiste surtout à apprécier la qualité de vie (en restant dans un état de valeur intrinsèque) plutôt que de s’en tenir à un haut niveau de vie. Il faut se concentrer sérieusement sur la différence entre ce qui est abondant et ce qui est magnifique.

8) Ceux qui adhèrent aux principes ci-dessus ont l’obligation morale de tenter d’essayer, directement ou non, de mettre en œuvre les changements nécessaires ».

Arne Naess

Ecologie, communauté et style de vie (1ère édition 1976,  traduction française aux éditions MF en 2008)

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Noël, que va dire le pape François ?

Benoît XVI n’était pas un pape « vert ». Benoît 16 dénonçait en décembre 2007 dans son message de Noël l’exploitation de la planète : « paix et écologie dans le message de Noël du pape ». En fait, juste une petite phrase du pape peut appuyer cette assertion : « Dans le monde, le nombre des migrants, des réfugiés, des déplacés, va toujours croissant, à cause aussi des catastrophes naturelles, qui sont souvent la conséquence de préoccupants désastres écologiques. » Pas de quoi changer la face du monde et dénoncer les innombrables dommages environnementaux causés par l’homme. Il est vrai que la religion catholique, comme d’ailleurs bien d’autres religions, ne voit dans la planète qu’une propriété que les humains « à l’image de Dieu » peuvent exploiter et saccager.

Dans son message Urbi et Orbi du 25 décembre 2009, le Pape n’était toujours pas écolo : « Autour de la crèche de Bethléem, tout se passe dans la simplicité et dans la discrétion, selon le style par lequel Dieu opère. » Mais le pape n’en dit pas plus, à chacun de choisir sans le pape la simplicité volontaire dans sa vie quotidienne. Benoît 16 fait le tour des problèmes de l’humanité : « Le « nous » des croyants opère au Sri Lanka comme levain de réconciliation et de paix… Le « nous » de l’Église incite à dépasser la mentalité égoïste et techniciste… » Y’a pas beaucoup plus d’écologie dans le message du pape que dans le Noël des marchands.

Avec Benoît 16 la papauté est sur le déclin, encore imprégnée d’une théologie d’un autre âge, pape dont rien ne laisse supposer une capacité d’ouverture aux problèmes contemporains, à commencer par ceux de la Biosphère. D’ailleurs pour lui, nul besoin d’électricité et de pétrole, la parole est toujours éthérée : « La lumière qui émane de la grotte de Bethléem resplendit sur nous. Toutefois la Bible et la Liturgie ne nous parlent pas de la lumière naturelle, mais d’une autre lumière, spéciale… » Les servants du nucléaire et les marchands du Temple peuvent continuer à sévir le jour de Noël et tout le reste du temps, ce n’est pas le problème du pape. Il nous faut chercher une spiritualité ailleurs, par exemple dans la contemplation de la nature.

Aujourd’hui le pape François vient d’écrire une encyclique sur l’écologie, une grande première dans l’Eglise : Laudato Si. Que va dire le pape dans son message de Noël ? Nous espérons un peu plus d’écologie…

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Noël : la Terre est un don, un don n’est pas à vendre

De la part d’un correspondant : « Noël est un don, la Terre est un don. Dieu nous la confie, afin que nous la cultivions, en prenions soin et qu’elle permette à tous les hommes d’y vivre de manière digne. Un don n’est pas à vendre ! Quel est notre rapport au don et notre rapport à la Terre qui nous est confiée ? N’avons-nous pas perdu le sens et la valeur d’un certain nombre de biens, à commencer par les produits de la Terre ? Donnons-nous du prix à ce qui est gratuit ?

On assiste à une marchandisation de ce qui est offert, c’est la loi du toujours plus. Certains revendent leurs cadeaux, sur Internet ou ailleurs. Et il en va de même pour la Création : des terres agricoles sont accaparées, des brevets sur les plantes sont déposés… Des millions d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable ou vivent dans un environnement pollué. Les dons de la Terre sont dilapidés, gaspillés, abîmés. Comme l’amour, l’amitié, le vivre ensemble, le respect de l’autre, les dons de la Terre sont des dons de Dieu dont nous avons à prendre soin et que nous sommes appelés à partager. »

Sur ce blog, notre seule divinité est constituée par les merveilles de la nature. Mais si spiritualité chrétienne et sensibilité écologique font cause commune, pourquoi pas ?

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L’écologie profonde, philosophie appréciée des chrétiens

Après une période d’ostracisme envers l’écologie profonde faute d’une connaissance précise de cette philosophie initiée par Arne Naess, il est heureux que des chrétiens aujourd’hui en fassent une présentation objective. Voici leurs paroles* :

– L’écologie profonde a été définie en 1973 par Arne Naess par opposition à l’écologie superficielle. L’écologie superficielle se réduit à la santé et à l’opulence des individus dans les pays développés alors que l’écologie profonde rejette la vision de l’homme dans l’environnement au profit d’une vision relationnelle, une vision du champ total (p.11).

– Etre en harmonie avec la nature, c’est aussi être en harmonie avec soi-même, se réaliser : Arne Naess insiste beaucoup sur les styles de vie. Il affirme que toutes les espèces ont le droit de vivre et de s’épanouir, et, en dernier ressort, reconnaître la spécificité de l’espèce humaine. Cette pensée est donc très différente de l’écologie radicale qui considère que l’homme n’est qu’une espèce parmi les autres (p.30).

– L’écologie radicale pose de vraies questions, mais de façon que l’on pourrait qualifier d’arithmétique, sans prendre en compte le caractère spécifique de l’homme. Le contrôle de la démographie par exemple est une vraie question mais qui ne peut être abordée sans la participation des populations elles-mêmes. Il faut donc bien distinguer l’écologie radicale et l’écologie profonde (p.39).

– Si certains aspects de l’écologie profonde peuvent être mise en cause, comme l’égalitarisme biosphèrique ou ses inspirations philosophiques (Kant et Spinoza), d’autres convergent avec une réelle recherche spirituelle (p.41).

– La recherche du bonheur consiste pour l’hindouisme à réduire le dualisme par le rapprochement du soi (le corps) et du Soi (Le Soi intérieur, l’âme). La proposition de l’hindouisme et de mener un mode de vie simple, de respecter toutes les formes de vie. La tendance de l’écologie profonde met également en valeur la recherche du Soi (p.45).

– Nous devons avancer à tous les niveaux dans la recherche du bien public, local, national, international, dans le cadre d’une « écosophie » ou écologie profonde (Arne Naess), et non pas radicale et antihumaniste (p.178).

– Arne Naess (1912-2009) propose une éthique écologique qui dépasse à la fois une vision romantique de la nature, et une vision technicienne d’une écologie cherchant à réparer les dégâts des interventions humaines. Il réintègre l’homme dans la totalité de la biosphère. Il propose une plate-forme de l’écologie profonde en huit propositions (détaillée p.31) concernant une ontologie de la vie, une éthique. Il n’y a dans cett démarche aucune haine de l’homme, ni totélitarsme écologique (contrairement à une vision réductrice et manichéenne de certains). Il propose une humanisation écologique par la pleine réalisation de soi, qui devient « Soi » en s’ouvrant à l’ensemble de l’écosphère, à tous les êtres humains et aux espèces animales. C’est un véritable changement anthropologique dont il propose la mise en pratique, conduisant à apprécier la qualité de la vie plutôt qu’un haut niveau de vie. Cela va jusqu’à dire que seul l’homme est capable de s’identifier par l’imagination à l’autre et même à l’animal (p.182).

* Pour un engagement écologique : simplicité et justice (Diocèse de Nantes)

édition Parole et silence 2014, 308 pages, 12 euros

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Une lecture de Laudato si’ par un mécréant

Pour la première fois de ma vie, j’ai lu une encyclique. J’ai voulu le passer au crible des trois racines de l’écologisme. Le texte de Laudato si’ a pratiquement réussi le test, en remplissant les trois critères.

Sur le premier, qui est la prise en compte de la finitude de la planète et des ressources :
106 De là, on en vient facilement à l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la “ presser ” jusqu’aux limites et même au-delà des limites.
Bon, la critique de la croissance ne va pas jusqu’à prôner la contraception pour réguler la croissance démographique :
50 S’il est vrai que la répartition inégale de la population et des ressources disponibles crée des obstacles au développement et à l’utilisation durable de l’environnement, il faut reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire.

Sur le deuxième critère de la pensée écologiste, qui est la beauté et la nécessaire complexité de la nature, Jorge Bergoglio rappelle qu’il avait choisi le nom papal de François en référence au saint patron des animaux.
11 Chaque fois qu’il (St François d’Assise) regardait le soleil, la lune ou les animaux même les plus petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans sa louange les autres créatures. Il entrait en communication avec toute la création, et il prêchait même aux fleurs « en les invitant à louer le Seigneur, comme si elles étaient dotées de raison »…Si nous nous approchons de la nature et de l’environnement sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément.
42 Toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres. Chaque territoire a une responsabilité dans la sauvegarde de cette famille et devrait donc faire un inventaire détaillé des espèces qu’il héberge, afin de développer des programmes et des stratégies de protection, en préservant avec un soin particulier les espèces en voie d’extinction.
La beauté de la nature est vraiment le domaine où l’on peut se réconcilier, au moins dans la forme, avec l’aile conservatrice de l’Église, il suffit d’exalter le créateur dans son oeuvre:

Le troisième et dernier critère porte sur la convivialité de l’outil (au sens d’Ivan Illich), qui amène une dénonciation de la technocratie. Sur ce point l’encyclique est particulièrement novatrice et explicite :
101 Dans cette réflexion, je propose que nous nous concentrions sur le paradigme technocratique dominant …
107 l faut reconnaître que les objets produits par la technique ne sont pas neutres, parce qu’ils créent un cadre qui finit par conditionner les styles de vie, et orientent les possibilités sociales dans la ligne des intérêts de groupes de pouvoir déterminés. Certains choix qui paraissent purement instrumentaux sont, en réalité, des choix sur le type de vie sociale que l’on veut développer.
Small is beautiful !
179 En certains lieux, se développent des coopératives pour l’exploitation d’énergies renouvelables, qui permettent l’auto suffisance locale, et même la vente des excédents. Ce simple exemple montre que l’instance locale peut faire la différence alors que l’ordre mondial existant se révèle incapable de prendre ses responsabilités.
Qu’ajouter à cette performance de bon écologiste ? Le texte n’élude pas la difficulté qui résulte de l’anthropocentrisme des Écritures, même si l’argumentation peut paraître embarrassée :
67. « Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée. Cela permet de répondre à une accusation lancée contre la pensée judéo-chrétienne : il a été dit que, à partir du récit de la Genèse qui invite à «dominer» la terre (cf. Gn 1, 28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l’être humain comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une interprétation correcte de la Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination absolue sur les autres créatures. »
Plus radical, la remise en cause de la propriété privée des moyens de production :
67 …Dieu dénie toute prétention de propriété absolue : « La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m’appartient, et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes » (Lv 25, 23). 71…le don de la terre, avec ses fruits, appartient à tout le peuple…Ceux qui cultivaient et gardaient le territoire devaient en partager les fruits, spécialement avec les pauvres, les veuves, les orphelins et les étrangers.

Texte condensé de Ghislain Nicaise (8 juillet 2015)
Pour lire le texte en entier :
http://www.lesauvage.org/2015/07/lecture-de-laudato-si-par-un-mecreant/

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Le pape François, l’encyclique et la démographie

Nombreux sont ceux, même parmi les non croyants, qui se réjouissent de la prise de position du pape en faveur de protection la nature à l’occasion de la publication de l’encyclique Laudato si. Il était temps en effet qu’une autorité morale du plus haut niveau rappelle aux hommes la gravité des menaces qui pèsent sur notre monde et la responsabilité qui est la leur. Quelques mois avant la tenue des négociations sur le climat (COP 21) cela ne pouvait mieux tomber.

Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’un pape s’exprime sur le temporel et un tel message est bienvenu tant ce temporel-là renvoie à une question morale. Comment nous comportons-nous avec la nature, avec le monde, avec la « maison commune »  pour reprendre les mots mêmes du pape (1) ? On ne peut donc qu’applaudir une telle initiative, même si parfois il ressort des propos de François un certain anthropocentrisme qui appuierait la nécessaire protection  de  la nature sur les besoins des hommes et non sur un respect intrinsèque dû à l’ensemble du vivant, démarche plus utilitariste que morale, hélas partagée par nombre d’écologistes.

Toutefois, si le courage et le modernisme du pape sont incontestables, sa position sur la démographie reste absolument conventionnelle et fait bon marché des contraintes écologiques au profit de la défense séculaire d’un natalisme militant. Alors qu’au cours du dernier siècle le monde a multiplié ses effectifs par quatre, alors qu’au cours des 45 dernières années ce sont 50 % des vertébrés qui ont disparu (2) du fait de notre envahissement de tous les territoires, alors que les océans se vident à grande vitesse, alors qu’un continent, l’Afrique, voit nombre de ses efforts de développement obérés par une croissance démographique encore non maîtrisée (au cours du 20ème siècle l’Afrique devrait passer de 1 à 4 milliards d’habitants), voici ce que dit le pape François de la question (chapitre 50 de son encyclique Laudato si)

« Au lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un monde différent, certains se contentent seulement de proposer une réduction de la natalité. Les pressions internationales sur les pays en développement ne manquent pas, conditionnant des aides économiques à certaines politiques de “ santé reproductive ”. Mais « s’il est vrai que la répartition inégale de la population et des ressources disponibles crée des obstacles au développement et à l’utilisation durable de l’environnement, il faut reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire ». Accuser l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes ».

Le pape offre là une douche froide à tous ceux chez qui était né l’espoir que l’Eglise Catholique s’oriente vers une position plus raisonnable en matière de contrôle de la fécondité. Espoir né en janvier dernier suite à ses déclarations lors d’un voyage aux Philippines. A cette occasion François avait en effet affirmé qu’il n’était pas nécessaire de se reproduire comme des lapins pour être de bons catholiques. Il avait également  réprimandé une femme enceinte déjà mère de nombreux enfants. Las, de toute évidence cette remarque visait à éviter les situations personnelles difficiles mais elle n’indiquait en aucun cas une prise de conscience des limites écologiques à l’explosion démographiques.

François signe là aussi une assez grande méconnaissance du problème. Une méconnaissance du problème écologique proprement dit (mais où le pape mettra-t-il toutes les autres créatures de Dieu si l’Homme augmente encore ses effectifs ? Jésus n’a pas multiplié les mètres carrés, même dans les écritures). Mais aussi méconnaissance des propos des antinatalistes. Dans leur grande majorité, ceux-ci sont profondément écologistes. Ils ne se contentent pas « seulement de proposer une réduction de la natalité », ils affirment que c’est une condition nécessaire bien que non suffisante. Ils regrettent qu’elle soit si souvent passée sous silence mais ils savent aussi qu’elle s’insère dans un ensemble de problèmes encore plus vaste qui est celui de notre rapport à la nature. Caricaturer ainsi leur propos n’est pas très juste et ne fait pas avancer la prise de conscience.

Rien au contraire  « n’indique que la croissance démographique soit pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire » Et surtout elle est clairement incompatible avec la protection de la nature qui est pourtant l’objet de cette encyclique.

Plusieurs personnalités ont répondu à cette prise de position du pape François (…) Pour connaître la suite, aller à la source de ce texte :

http://economiedurable.over-blog.com/2018/06/le-pape-l-encyclique-et-la-demographie.html

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L’Eglise à la traîne en matière d’écologie, Dieu aussi

Dieu ne dit rien par lui-même, ce sont toujours des humains qui disent que dieu leur a dit. Comme les religions monothéistes ont été inventées à une époque où on croyait la terre sans limites, il n’y avait donc aucune mention dans les interprétations des textes sacrés d’une quelconque préoccupation écologique. Ceux qui disent le contraire sont de mauvaise foi en faisant dire à des phrases isolées ce qui ne fait que correspondre à leur propre attente. Pire, le judaïsme et le christianisme ont été bâtis sur une contestation du paganisme et du culte de la nature pour célébrer un dieu abstrait et désincarné. L’écologie qui pourrait amener à déifier la Terre est vu comme un possible concurrent spirituel à éviter. Jean-Paul II ne s’y était pas trompé : « Au nom d’une conception inspirée par l’écocentrisme et le biocentrisme, on propose d’éliminer la différence ontologique et axiologique entre l’homme et les autres êtres vivants, considérant la biosphère comme une unité biotique de valeur indifférenciée. On en arrive ainsi à éliminer la responsabilité supérieure de l’homme au profit d’une considération égalitariste de la dignité de tous les êtres vivants. Mais l’équilibre de l’écosystème et la défense d’un environnement salubre ont justement besoin de la responsabilité de l’homme. (Discours de Jean-Paul II au Congrès Environnement et Santé, 24 mars 1997) ».

Il faut donc constater que l’encyclique Laudato si’ de juin 2015 est la première consacrée à l’écologie. Le pape François se veut moderne et dans l’air du temps. Mais il ne s’agit pas en matière de position environnementale d’un prolongement des textes sacrés, uniquement de la position d’un seul homme qui certes a beaucoup consulté mais qui ne représente que lui-même. Les textes des précédents papes ne lui ont pas été d’un réel secours. L’environnement a fait sa très discrète entrée, un seul paragraphe, dans une lettre apostolique : « Brusquement, l’homme en prend conscience : par une exploitation inconsidérée de la nature, il risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation (Octogesima adveniens – mai 1971). »* Il faudra attendre plusieurs années pour que le nVatican revienne sur le sujet. Jean Paul II donne un signal important, un an après son élection, le 29 novembre 1979, en proclamant « céleste patron » des écologistes l’ami de la nature François d’Assise. Mais François d’Assise n’était qu’un dissident de la pensée unique, anthropocentrique. Benoît XVI n’a pas fait grand chose de plus, et même beaucoup mois que Jean Paul II**.

C’est pourquoi on attendait beaucoup du dernier pape qui a pris comme patronyme la figure de François d’Assise. Mais LE MONDE, après avoir consacré sa Une au plaidoyer du pape François pour une écologie « intégrale » (et non pas seulement « humaine ») est déjà passé à autre chose le lendemain… Et ce pape reste encore profondément anti-malthusien !

* LE MONDE du 17 juin 2015, Pour l’Eglise, un demi-siècle d’apprentissage de l’écologie
** lire Dans les pas de Saint François d’Assise (l’appel de Jean-Paul II en faveur de l’écologie) de Marybeth Lorbiecki

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Le pape François va-t-en-guerre pour le climat

L’encyclique papale sur l’environnement, Laudato Si (loué sois-tu), va bientôt être officialisée. Cette encyclique est importante, même pour les non-croyants : « Aujourd’hui, croyants et non-croyants sont d’accord sur le fait que la Terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous. ». C’est d’ailleurs le premier texte de ce type exclusivement consacré par un pape à la crise écologique. Cette analyse du pape François a vocation à devenir un élément du magistère officiel de l’Eglise et aider à la prise en compte du réchauffement climatique. Selon le pape, réduire les émissions de gaz à effet de serre demande « de l’honnêteté et du courage, notamment de la part des pays les plus puissants et les plus polluants »… « Les négociations internationales ne peuvent pas progresser de manière significative à cause de la position de pays qui privilégient leurs intérêts nationaux plutôt que le bien commun »… « Ceux qui pâtiront des conséquences de ce que nous essayons de cacher se souviendront de ce manque de conscience et de responsabilité. »*

Le pape François en appelle à « toute la famille humaine », croyants ou non, catholiques ou autres, à joindre leurs efforts pour surmonter la crise et engager un changement radical « de style de vie, de production et de consommation »**. Il réfute l’idée que « l’économie actuelle et la technologie résoudront tous les problèmes environnementaux », tout comme celle qui voudrait que « les problèmes de la faim et de la misère dans le monde se résolvent simplement par la croissance du marché ». Mais, fidèle à la doctrine de l’Eglise, il assure que la croissance de la population mondiale n’est pas une cause des problèmes écologiques. Rappelons à tous les chrétiens et à bien d’autres que le nombre d’habitants sur notre petite planète est un multiplicateur de nuisances. On ne peut contredire l’équation de Kaya qui présente les causes du réchauffement climatique

CO2 = (CO2 : TEP) x (TEP : PIB) x (PIB : POP) x POP => CO2
(CO2 : TEP) : contenu carbone d’une unité d’énergie (qui peut s’exprimer en TEP, tonnes d’équivalent pétrole)
(TEP : PIB) : quantité d’énergie requise à la création d’une unité monétaire (qui peut correspondre au PIB)
(PIB : POP) : production par personne ou niveau de vie moyen
POP : nombre d’habitants.

Si on veut diviser par 3 les émissions de gaz à effet de serre, ce qui est un minimum au niveau mondial, il faudrait aussi que l’ensemble des autres éléments soit divisé par trois. Peu importe mathématiquement ce qui est réduit. Or la tendance moyenne d’augmentation démographique est de 30 % d’ici 2050. Il faudrait donc diviser les autres indicateurs par 4, ce qui veut dire par beaucoup plus que 4 pour les pays les plus émetteurs. On mesure les efforts d’économies d’énergie à demander à la population ou à la technique, gigantesque, sachant qu’on ne peut agir dans le court terme sur l’évolution démographique étant donné son inertie. Nous allons payer en termes climatiques le fait que l’Eglise catholique ait toujours œuvré contre le planning familial, la contraception « non naturelle » et l’avortement. Le pape François a encore du chemin à faire pour arriver à la vérité…écologique !

* Le Monde.fr | 16.06.2015, Environnement : le pape en appelle au « courage » et à l’action urgente
** LE MONDE du 17 juin 2015, Climat : le blâme du pape aux pays riches

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Les racines historiques de notre crise écologique (1967)

Professeur d’histoire médiévale, l’Américain Lynn Townsend White (1907-1987) publie en 1967 un article qui fera date : « The Historical Roots of Our Ecologic Crisis ». D’après lui, le rapport dual et hiérarchique entre l’homme et la Nature introduit par le judéo-christianisme constitue la racine de la crise écologique actuelle. Voici un résumé (après traduction) de notre correspondant, Mathias ZOMER :

1/3) La vision judéo-chrétienne de la Nature : un rapport dual et hiérarchique
Le judéo-christianisme a introduit une conception du temps linéaire et non-répétitif en opposition aux croyances gréco-romaines. Or la Nature suit un développement cyclique ; les éléments croissent puis décroissent. Il n’y a pas d’expansion continuelle, pas de croissance infinie.
Outre cette conception non-naturelle du temps, la Genèse a établi une séparation entre l’homme et la nature. Ainsi dans l’ordre de la création, l’homme est créé après les animaux, non en même temps. L’homme n’est pas un animal particulier (« un animal social » dirait Aristote) mais un être à part, un être qui se distingue du reste du monde naturel. De plus, l’homme est créé à l’image de Dieu. L’homme possède une âme et une raison. Ceci le sépare définitivement du reste du monde animal.
Outre cette différence entre l’homme et la faune, la Genèse introduit une hiérarchie entre eux puisque tous les animaux, et plus généralement la Nature, sont voués à satisfaire les besoins des hommes. Ainsi le judéo-christianisme, sans doute la religion la plus anthropocentrique qui puisse exister, n’a pas seulement établi un dualisme entre l’homme et la nature, mais a aussi placé celle-ci sous la domination de l’homme.

2/3) Le triomphe de la conception judéo-chrétienne de la Nature : « une révolution psychique et culturelle majeure »
Dans l’Antiquité, l’animisme païen agissait comme une sorte de barrière de protection pour la nature. En effet, les hommes pensaient que dans chaque arbre, fleuve ou animal, résidait un esprit. Par conséquent avant d’entreprendre une action affectant la Nature, par exemple avant de couper un arbre, les hommes s’employaient à apaiser ces esprits. En détruisant ce paganisme, le Christianisme a permis aux hommes d’exploiter la Nature avec une indifférence certaine.
Lynn White qualifie cette victoire du judéo-christianisme sur l’animisme païen de « révolution psychique et culturelle majeure dans l’histoire humaine ». Les conceptions judéo-chrétiennes et plus généralement celles de l’ensemble des religions abrahamiques sont si profondément enracinées en nous que même à une époque que certains qualifient de « post-religieuse », nous continuons à agir, dans la vie quotidienne, selon ces préceptes. Autrement dit, le christianisme connaît peut être un déclin dans le monde occidental, mais la relation duale et hiérarchique entre l’homme et la nature qu’il a instituée, demeure dans les esprits.

3/3) Le point de rupture : la rencontre entre le judéo-christianisme et la science moderne
Jusqu’à une époque récente, ce rapport à la Nature, dual et hiérarchique, introduit par le judéo-christianisme, n’entraînait pas de destruction majeure de l’environnement. L’exploitation de la nature et les dommages que les hommes lui causaient étaient sans commune mesure avec les impacts que nos civilisions modernes ont sur leur environnement. L’auteur cite l’exemple du smog qui menaçait Londres à la fin du XIIIe. Celui-ci résultait de la combustion non réglementée de charbon. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement un smog ou des smogs que les activités humaines créent, mais carrément un changement de température de l’atmosphère.
Le point de rupture réside dans le mariage entre les conceptions judéo-chrétiennes et la science moderne, telle qu’apparue au XVIIe et XVIIIe avec les révolutions industrielles. Lynn White souligne le fait que cette science moderne a été dès sa naissance fortement influencée par la pensée chrétienne. Ainsi, les premiers scientifiques de l’ère moderne ont tous entrepris leurs travaux dans le but d’expliquer la Création. L’auteur cite le cas de travaux de Francis Bacon sur les arcs-en-ciel ou ceux de Newton qui, d’ailleurs, se considérait plus comme un théologien que comme un scientifique.
Les conceptions judéo-chrétiennes alliées à la puissance que la science moderne a apportées à l’homme expliquent la crise écologique actuelle.

Conclusion
D’après Lynn White, nous ne résoudrons pas la crise écologique avec plus de science et plus de technologie. Ce sur quoi il convient de travailler, c’est avant tout notre relation avec la Nature. Notre manière d’agir sur elle est en effet étroitement corrélée aux idées que l’on se fait quant à la relation homme-Nature. Il faudrait abandonner ces conceptions héritées de la pensée judéo-chrétienne et revenir à certaines formes religieuses plus proches de la Nature, autrement dit, à un certain paganisme. L’auteur évoque aussi une autre vision du christianisme, telle que prêchée par St François d’Assise. Outre ses appels à faire preuve de compassion envers les déshérités, il milita aussi pour un autre rapport, fondé sur l’égalité devant Dieu, entre l’homme, les animaux et la Nature en général. L’article se termine d’ailleurs ainsi : « Je propose St François comme saint patron pour les écologistes » (ce qui fut réalisé en 1979).

Commentaire de Mathias ZOMER
Je ne peux que vous encourager à lire cet article relativement court et d’une clarté exemplaire. La démonstration, que se propose d’effectuer l’auteur, est rigoureuse et profonde. Il nous rappelle qu’un changement de perception à l’endroit de la Nature est crucial et indispensable, n’en déplaise aux partisans aveugles du progrès technique, qui arguent que seul le développement de la science et de la technologie nous sortira de la crise écologique actuelle. Encore une fois, la science et la technologie peuvent et doivent nous aider mais, s’en remettre uniquement à elles, témoigne d’une vision étriquée de la situation.
http://www.theologylived.com/ecology/white_historical_roots.pdf

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Une religion pour la terre-mère est-elle dangereuse ?

Les adjectifs pour stigmatiser les écologistes font actuellement florès dans le débat médiatique : « djihadisme vert » (le président de la FNSEA), « la tyrannie des écologistes verts » (Pascal Bruckner). « la terreur verte » (enquête de journalistes), etc. Faut-il craindre les ayatollahs de l’écologie, une religion qui serait pire que l’islam, un écolofascisme nouveau ? Une religion de la nature n’entraînerait-elle pas les mêmes dérives que les religions du livre, terrorisme idéologique, excommunications, fatwas, mise à mort ?

Il y a d’abord une grande différence entre la sacralisation de la terre-mère et les religions « révélées » du monothéisme. La Terre est concrète, on peut la toucher et la ressentir physiquement ; le lever du soleil, nous pouvons tous l’admirer sans l’intermédiaire de quiconque. Par contre les dieux là-haut dans les cieux sont une invention abstraite et arbitraire de la pensée humaine : on peut faire dire à Dieu ce qu’on veut puisqu’il n’existe nulle part d’endroit où on peut dialoguer directement avec lui. Il faut toujours l’intermédiaire de livres et de paroles d’humains pour accéder à la foi qui ne peut qu’être aveugle.

Il y a un deuxième élément qui pousse vers une religion de la nature qui resterait non-violente et individualisée. Les objets de divinisation sont tellement nombreux sur notre planète que chacun peut être libre de croire ce qu’il veut et d’élaborer ou suivre des rites à sa mesure. Il n’y a pas besoin d’un clergé spécifique pour nous dire que tel endroit de la terre pollué ou en voie de destruction méritait notre respect et notre résistance. La multiplicité des associations environnementales, souvent axée sur un seul lieu, parfois un simple court d’eau ou un arbre vénérable, montre que la sacralisation d’un pan de la nature n’a pas besoin d’une Eglise. Le temple de la vie préexiste à l’imagination humaine, sa profanation est souvent directement visible ou bien révélée par notre appareillage scientifique. Chacun participe selon ses propres convictions et ses forces particulières à la protection de notre terre-mère, avec ou sans rituels.

Enfin l’élément pervers et néfaste des religions du livre a toujours été de vouloir imposer son pouvoir spirituel dans la sphère politique. Il en est aujourd’hui de l’islam qui peut même s’instituer en « républiques » comme cela a été le cas autrefois pour la religion catholique épaulée par des rois « de droit divin ». Une religion de la nature serait au contraire profondément laïque, séparant son amour de différentes formes du vivant et l’engagement politique. Réciproquement un parti qui porte un message écologique n’a pas besoin de s’appuyer sur une religion pour œuvrer au sauvetage de la planète. En fait une religion durable, une religion qui respecte à la fois les humains et la nature, pourrait aussi bien s’appeler éthique de la terre ou humanisme élargi ou réalisation de Soi.

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Biosphere-Info, je suis Charlie-Nature : abonnez-vous !

Difficile d’échapper en ce début d’année au mouvement international « Je suis Charlie »… ou « Je ne suis pas ! » Encore plus difficile de faire un lien entre massacres sous prétexte religieux et écologie. C’est pourtant ce que nous avons essayé de faire dans un Biosphere-info qui reprend trois articles de notre blog :

8 janvier 2015, Charlie c’est nous, pour la liberté de réfléchir partout

9 janvier 2015, Charlie : la religion assassine la liberté de réflexion

10 janvier 2015, Pour Charlie, la responsabilité de l’abstraction religieuse

En résumé : Quand nous adorons Dieu, là-haut dans les cieux, nous faisons le malheur des humains. Une abstraction divinisée, source de toutes les interprétations même les plus malveillantes, est en effet néfaste pour la réflexion humaine. Nous ferions  mieux de sacraliser la nature, une réalité fort mal en point par notre faute. La définition que donne Spinoza d’un dieu se manifestant au travers du monde naturel revient très largement à exclure l’existence d’un dieu religieux. Et s’il y a une divinité omniprésente et préexistante, il n’y a plus de place pour un dieu qui intervient dans les affaires humaines, et encore moins pour un dieu qui prend parti dans de haineuses violences.

Pour s’abonner au bimensuel Biosphere-Info, il suffit d’envoyer un mail à biosphere@ouvaton.org. C’est gratuit.

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Pour Charlie, la responsabilité de l’abstraction religieuse

Des fous de dieu assassinent des dessinateurs armés de leur seul crayon ainsi que des Juifs qui faisaient simplement leur courses. Pourquoi ? Parce que les religions du livre, la bible et le coran, ne sont qu’une abstraction coupée de la nature et anthropocentrée, source de toutes les interprétation même le plus malfaisantes. Ce qui fait que les croyants peuvent croire n’importe quoi, même le plus stupide. D’ailleurs, si les triangles avaient des dieux, ceux-ci auraient trois côtés. Voici quelques textes significatifs :

In Dieu n’est pas grand (comment la religion empoisonne tout) de Christopher Hitchens (2007 – Belfond, 2009)

Dieu n’a pas créé l’homme à sa propre image. C’est bien sûr l’inverse : explication évidente de la profusion des dieux et des cultes, et des luttes fratricides au sein de chaque religion et entre elles, et qui ont tant retardé le développement de la civilisation.

La définition que donne Spinoza d’un dieu se manifestant au travers du monde naturel revient très largement à exclure l’existence d’un dieu religieux. Et s’il y a une divinité omniprésente et préexistante, il n’y a plus de place pour un dieu qui intervient dans les affaires humaines, et encore moins pour un dieu qui prend parti dans de haineuses violences.

In Nous réconcilier avec la Terre par Hervé René Martin et Claire Cavazza (Flammarion, 2009)

Eveline Grieder : « Avec la fin de la glaciation, autour de treize mille ans avant J.-C., le monde change totalement de physionomie. Une véritable révolution des symboles s’opère alors à la faveur d’une plus grande facilité de vie due au changement climatique. Alors qu’au paléolithique les hommes se vivaient sur le même plan que les autres espèces, on perçoit désormais une volonté de se représenter au-dessus : on peut y voir une déclaration d’indépendance vis-à-vis de la nature.

Voilà qu’au fil de l’évolution, cet être pétri de croyances se met à labourer la terre du soc de la charrue. Cultiver signifie ouvrir le ventre de la terre. C’est une forme d’inceste à l’égard de la terre mère dont on déchire la chair pour la féconder. C’est insupportable. Donc, ou vous arrêtez, ou vous transformez votre regard sur le monde. La question du symbole est indissociable de l’histoire de l’humanité. Dans le Croissant fertile du Moyen Orient propice au développement de l’agriculture, on  a choisi de déchirer le ventre de la terre en la désacralisant ; pour ce faire, on a projeté  dans le ciel les divinités et on leur a demandé l’autorisation de poursuivre le labeur. Et le ciel a répondu : Fructifie, multiplie, emplie la terre, soumets-là…

A partir de là, fin de la Déesse mère et commencement de Dieu le père. Ce passage progressif d’une spiritualité immanente à une spiritualité transcendante va s’étaler sur une dizaine de millénaires. L’appropriation par les prêtres de ces mythes où s’expriment les valeurs d’une société sera une forme de prise de pouvoir. »

Jean-François Malherbe : « Une hypothèse n’a jamais été explorée par les trois religions du livre, celle que Dieu et la nature sont un seul et même être. Savez-vous que Spinoza a été banni de la synagogue d’Amsterdam et qu’il est également considéré comme hérétique par les chrétiens et les musulmans ! Qu’a-t-il bien pu dire qui fasse l’unanimité des trois religions du Livre contre lui ? Il a dit que la racine la plus profonde de la servitude humaine se trouve dans ce préjugé que la Création est une séparation, parce qu’alors toute réunification ne peut être que le fruit d’une médiation. Et l’intermédiaire, c’est toujours un clergé. Mais si Dieu est la Nature et si donc la Nature est Dieu, il n’y a pas de séparation et aucune raison d’instaurer une médiation. Par conséquent, toutes les hiérarchies ecclésiastiques sont des usurpations de pouvoir. On peut comprendre qu’il ne se soit pas fait que des amis parmi les hiérarques. Mais c’est à ce prix que l’on sort de la servitude.

Chaque individu est à la fois naturé et naturant, c’est-à-dire effet et cause, ou encore : nous ne sommes que les relais singuliers et éphémères du mouvement universel et permanent de la nature. »

In Tu es donc je suis (une déclaration de dépendance) de Satish Kumar (2002, parution française Belfond, 2010)

Krishnamurti en 1960 : « La vérité n’est pas dans les livres. Elle ne l’a jamais été. Si elle s’y trouvait, il n’y aurait pas de différence entre la Bible et le Coran, entre la Gîtâ et les sutras bouddhistes. Les religions ne s’opposeraient pas les unes aux autres. Il n’y a pas de vérité dans une guerre religieuse : chaque camp est dans l’erreur. Les religions ne sont que des vecteurs de propagande, et la propagande est le contraire de la vérité. 

Nous appartenons tous à la grande tapisserie de la vie. Si nous en étions tous conscients, les conflits entre pays, entre religions et entre systèmes politiques n’auraient plus lieu d’être. Je ne crois pas faire preuve de romantisme en appelant à l’unité entre les hommes et la nature. Notre existence, l’essence même de ce que nous sommes est inextricablement liée à tout ce qui vit, bouge et respire sur la Terre. Ce fleuve, ces oiseaux, ces grenouilles sont tous en relation avec nous. Si nous comprenons que nous faisons partie intégrante de l’univers, nous cesserons de nous emballer pour un rien, de nous disputer, de nous faire la guerre. Nous vivrions enfin en parfaite intelligence avec la nature.

La certitude se déploie dans un cadre fixe, la réalité est en constant mouvement. Dès que nous adhérons à une croyance, nous devenons incapables de faire face à ces changements permanents. Il faut avoir l’esprit souple pour s’immerger dans une réalité aussi mouvante. »

In Du bon usage de la nature (pour une philosophie de l’environnement de Catherine et Raphaël Larrère (1997 – Flammarion, 2009)

Une des caractéristiques du cadre conceptuel de la modernité fut de poser l’extériorité de l’homme à la nature. De ce grand partage, on a décliné les dimensions ontologiques (sujet # objet), scientifiques (sciences de la nature # sciences humaines) et morales (humanisme antinaturaliste) Or, c’est cette partition que les développements contemporains de la science remettent en question. La parenté de l’humanité avec toutes les autres espèces, que le darwinisme avance, permet de surmonter la scission entre le sujet et l’objet.

La nature comme processus se déroulant nécessairement une fois qu’il est enclenché, n’a pas besoin de l’homme : la modernité s’est efforcée de surmonter cette découverte très embarrassante, qu’elle avait cependant rendu possible, en mettant l’homme à l’extérieur de la nature. Il s’agit alors de se réapproprier la nature en affirmant la puissance de l’homme et la dépendance de la nature à son égard : passer d’une natura naturans qui exclut l’homme, à une natura naturata qui est sa chose. Le vocabulaire de la domination assimile le rapport de l’homme à la nature aux rapports des hommes entre eux. On comprend que Spinoza puisse dénoncer là une conception anthropomorphique qui confond lois naturelles et décrets humains.

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Charlie : la religion assassine la liberté de réflexion

Le 7 janvier 2015 des hommes armés ont assassiné à l’arme lourde plusieurs caricaturistes célèbres (Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski) et des personnes présentes au siège de Charlie-Hebdo. Selon les propos des rescapés, ils ont crié « Allahou akbar » et « Vous allez payer, car vous avez insulté le Prophète »*. A Sigolène Vinson, ils ont dit, un canon sur la tempe : « Toi on te tuera pas, car on ne tue pas les femmes, mais tu liras le Coran. » Bilan, douze morts, onze blessés, dont quatre grièvement. Les tueurs  cherchaient les stars de Charlie, ceux qui avaient caricaturé Mahomet. Rappel historique : en février 2006, Charlie Hebdo déclenchait la colère de certains musulmans en publiant des caricatures de Mahomet qui avaient fait scandale plusieurs mois auparavant dans un journal danois, Jyllands-Posten, en septembre 2005. Le numéro spécial du 8 février était titré « Mahomet débordé par les intégristes » ; on voyait le Prophète, dessiné par Cabu, qui pleurait, la tête entre les mains, et déplorait : « C’est dur d’être aimé par des cons » Dans les différences caricatures sur Mahomet reprises par ce journal satirique, c’est la religion qui était visée, pas les musulmans. Pourtant des organisations musulmanes ont tenté d’obtenir juridiquement l’interdiction de la vente de l’hebdomadaire. François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste, interpellait les associations à l’origine de la plainte : « Je ne pense pas que cette affaire a fait progresser votre cause. On ne peut pas dénoncer le terrorisme en écartant le lien avec la religion alors que les terroristes eux-mêmes font le lien » ;

L’influence des religions du livre sur le comportement humain est trop importante. D’autant plus pesante que des Etats soutiennent le Coran contre la liberté d’opinion. Par exemple le royaume de Bahreïn face au récent massacre « tient à souligner l’importance du rôle de la presse qui respecte toutes les religions divines et les différences religieuses ». Mais c’est du DOUBLE LANGAGE. Avec ses caricatures contre Mahomet, Charlie ne peut passer pour un journal respectueux du porte-parole de Dieu, et donc ses rédacteurs peuvent être éliminés sans remords. De même l’Iran a critiqué le massacre d’« innocents » au nom de l’islam. Mais son ministère des affaires étrangères condamne dans le même temps « l’abus de la liberté d’expression », « le radicalisme dans la pensée », et « l’atteinte et l’insulte aux personnalités sacrées et aux valeurs des religions divines et des peuples ». C’est la porte ouverte à toutes les fatwa, avis religieux qui peut donner lieu à condamnation à mort.

En définitive, quand nous adorons Dieu, là-haut dans les cieux, nous faisons le malheur des humains. Une abstraction divinisée, source de toutes les interprétations même les plus malveillantes, est néfaste pour la réflexion humaine. Nous ferions  mieux de sacraliser la nature, une réalité fort mal en point par notre faute. Ecoutons l’enseignement du Lama Denys Rinpoché** : « Le dénominateur commun entre écologie et spiritualité, c’est l’harmonie. Mais ce qui me semble essentiel dans la pratique spirituelle, c’est la notion d’incorporation. L’esprit surnaturel, c’est ça qui a tout foutu en l’air, le théisme qui a envoyé notre esprit, notre nature humaine, dans l’abstraction céleste d’un dieu surnaturel, créateur ou cause première du monde. L’illusion, c’est l’esprit tel qu’il est perçu en Occident : une abstraction coupée de la nature. »

* LE MONDE du 9 janvier 2015, Attentat à Charlie Hebdo : « Vous allez payer car vous avez insulté le Prophète »

** In Nous réconcilier avec la Terre par Hervé René Martin et Claire Cavazza (Flammarion, 2009)

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Le pape François, grand coup de pied dans la fourmilière

Célébrons Noël dans l’humilité avec le pape François. Dans son discours annuel de vœux au Vatican, le pape a convié les membres de la curie (le gouvernement de l’Eglise) à « un vrai examen de conscience ». Notons que son diagnostic sur les « 15 maladies » de la curie pourrait être aussi bien fait à propos de n’importe quel groupe dirigeant de n’importe quelle société, industrielle ou non. Que les servants d’un Evangile qui a prôné l’humilité et la coopération ne soient pas à l’abri de ces maux trop humains n’est certes pas un réconfort. Et les écologistes, qui devraient pourtant oeuvrer pour le salut de tous par la réconcilation avec la planète, ne sont pas non plus au dessus de tout soupçon !

Les 15 maladies de la curie selon le pape François :

  1. Se croire immortel, immunisé ou indispensable.
  2. Trop travailler.
  3. S’endurcir spirituellement ou mentalement.
  4. Trop planifier.
  5. Travailler dans la confusion, sans coordination.
  6. « L’Alzheimer spirituel ».
  7. Céder à la rivalité ou à la vantardise.
  8. La « schizophrénie existentielle » (recourir à une double vie pour combler sa vacuité spirituelle).
  9. Le « terrorisme des ragots ».
  10. Le carriérisme et l’opportunisme.
  11. L’indifférence aux autres (par ruse ou jalousie).
  12. Avoir un « visage funéraire » (pessimisme, sévérité dans les traits).
  13. Vouloir toujours plus de biens matériels.
  14. La formation de « cercles fermés » qui se veulent plus forts que l’ensemble.
  15. La recherche du prestige (par la calomnie et la discréditation des autres).

Source : Le Monde.fr avec AFP, AP et Reuters | 22 décembre 2014 ,

Le pape François critique sévèrement « l’Alzheimer spirituel » de la curie

 

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