Pour recevoir gratuitement Biosphere-Info, il suffit d’envoyer un mail à biosphere@ouvaton.com
L’écologie, étude de la complexité des interrelations multiples, ne peut être caricaturée par des phrases du type « l’écologie, c’est le retour à la bougie ». Entre la technophobie et la religion du progrès technique, il y a des techniques appropriées au contexte biophysique. Ce qui est certain, c’est que le blocage par la limitation des ressources naturelles et le coût de la complexité vont faire disparaître une grande partie de la mécanisation de notre existence ; le robot n’est pas l’avenir de l’homme. Démonstration :
1)
Un classement synthétique des techniques
11)
tableau comparatif du Nouvel Observateur de juin-juillet 1972,
« spécial
écologie – La dernière chance de la Terre »
Société à technologies dures
|
Communautés à technologies douces
|
Grands apports d’énergie Matériaux et énergie non recyclés production industrielle priorité à la ville limites techniques imposées par l’argent… | Petits apports d’énergie matériaux recyclés et énergie renouvelable production artisanale priorité au village limites techniques imposées par la nature… |
L’évolution
historique a fait passer la société de la colonne de droite à la
colonne de gauche, le futur probable sera constitué du mouvement
inverse.
12)
tableau comparatif des auteurs
auteur
de référence : Jacques Ellul, La
technique ou l’enjeu du siècle (1960)
Analyses convergentes
|
Techniques douces
|
Technoscience
|
Lewis
Mumford (1956).
|
démocratique
|
autoritaire
|
Ivan
Illich (1973)
|
outil convivial, techniques manuelles
|
Outil complexe, énergie exosomatique
|
Ted
Kaczynski (2008)
|
technologie cloisonnée
|
technologie systémique (exemple du
réfigérateur)
|
Philippe
Bihouix (2014)
|
« low tech »
|
High Tech
|
Notre société cultive un sentiment de besoins illimités grâce à
la profusion actuelle d’énergies fossiles qui met à notre
disposition des esclaves mécaniques. Sans pétrole, la majorité du
PIB disparaîtra, l’évolution vers la simplification des techniques
est donc inéluctable.
2)
Techniques et ressources naturelles
21)
l’exemple du déplacement
Chaque
technique correspond à un besoin, une création sociale toujours
relative. Ainsi par exemple du besoin de déplacement. Au Moyen Age,
90 % des biens que consommait un paysan étaient produits dans un
cercle de cinq kilomètres autour de son habitation ; le paysan
restait près de chez lui. Aujourd’hui certains rêvent de
populariser le tourisme
spatial.
Mais
baser le besoin de déplacement sur le slogan « plus loin,
plus souvent plus vite et moins cher » se heurte aux
limites de la biosphère. Toute mobilité autre que la marche ou le
cheval nécessite de l’énergie et aussi des métaux. Or les
métaux, toujours moins concentrés sous terre, requièrent plus
d’énergie, tandis que la production d’énergie, toujours moins
accessible, requiert plus de pétrole. Le peak oil sera donc
vraisemblablement accompagné d’un peak everything (pic de
tout) et réciproquement.
Nous
pouvons donc classer les méthodes de déplacement de celle qui rend
la personne le plus autonome possible à celles qui dépendent d’une
organisation industrielle. Nous sommes passés de l’utilisation de
notre énergie endosomatique, propre à notre corps, puis nous avons
ajouté l’énergie exosomatique, énergie animale, et l’énergie
du feu (bois, énergie fossile, nucléaire…) pour finir par se
déplacer avec des machines de plus en plus monstrueuses.
marche
|
cheval
|
vélo
|
train
|
Voiture
|
Voiture électrique
|
Avion
|
Fusée
|
Le
soi-disant progrès technique nous a fait passer de la gauche du
tableau à la droite en épuisant les ressources non renouvelables et
en créant une pollution dont le réchauffement climatique n’est
qu’un des aspects. Le paradigme actuel du déplacement motorisé va
s’inverser, le mot d’ordre deviendra « moins loin, moins
souvent, moins vite… et beaucoup plus cher ». Les
mouvements anti-aéroport, anti-autoroutes ou anti-LGV (ligne à
grande vitesse) préfigurent cette évolution. Comme disait le
Sheikh
Rashid ben Saïd al-Maktoum, émir de Dubaï :
« Mon grand-père se déplaçait en chameau. Mon père
conduisait une voiture. Je vole en jet privé. Mes fils conduiront
des voitures. Mes petits-fils se déplaceront en chameau. »
Bien
entendu cela ne dit rien du niveau des inégalités acceptables. La
marche était ignorée autrefois par l’aristocratie avec la chaise
à porteur et le privilège d’aller à cheval. Être écologiste,
c’est être aussi partisan de la sobriété partagée et d’une
tcehnique au service de tous et non de quelques-uns.
22)
Généralisation du raisonnement
Voici
d’autres domaines de réflexion, avec classement de l’approprié
à l’inacceptable :
–
Energie humaine > solaire passif > éolien > hydroélectrique
> bois > biomasse > photovoltaïque > agrocarburants >
Gaz > pétrole > charbon > nucléaire
–
Maison non chauffée > bois > Géothermique > gaz >
électricité > fuel > charbon
–
Bouche à oreille > téléphone fixe collectif > téléphone
fixe au foyer > téléphone mobile > mobile 3G >
nouvelle génération…
–
Radio > cinéma (collectif) > télévision noir et blanc
(individualisée) > télévision couleur analogique > passage
au numérique
Le
problème, c’est de déterminer où se trouve le seuil de
l’inacceptable et quelles procédures démocratiques permettrait d’y
arriver.
3)
Techniques et complexité
Plus
une technique de déplacement est sophistiquée, plus elle
s’accompagne d’une complexité croissante. Il y a allongement du
détour
de production, c’est-à-dire utilisation d’un
capital technique de plus en plus imposant, et division extrême du
travail social avec intervention de spécialistes, ingénieurs,
réseau commercial… Or plus une structure est complexe, plus elle
est fragile. Avec le blocage énergétique vu dans la partie
précédente, le risque d’un effondrement
systémique s’amplifie.
Joseph
Tainter a bien analysé le mécanisme dans son livre de 1988
l’effondrement
des sociétés complexes (traduction
française en 2013) : « Les organisations
socio-politiques nécessitent un investissement accru, simplement
pour préserver le statu quo. Cet investissement se présente sous
des formes telles que l’inflation bureaucratique, l’accroissement
de la spécialisation, l’augmentation des coûts du contrôle
intérieur et de la défense extérieure. Toutes ces augmentations
doivent être supportées en prélevant des sommes plus élevées sur
la population sans lui conférer d’avantages supplémentaires. Le
rendement marginal dans la complexité se dégrade
proportionnellement, d’abord progressivement, puis avec une force
accélérée. Divers segments de la population accroissent une
résistance active ou passive, ou tente ouvertement de faire
sécession. A ce stade, une société complexe atteint la phase où
elle devient de plus en plus vulnérable à l’effondrement. »
Bien
des auteurs depuis le rapport au Club de Rome en 1972 prédisent
l’effondrement de la civilisation thermo-industrielle. Ils
s’appuient sur les réalités biophysiques et des considérations
socio-économiques systémiques. De nos jours, les mots
« effondrement » et « collapsologie » sont
médiatisés, l’inquiétude devient palpable dans la population.
Face
à cela d’autres auteurs parient sur la découverte technique qui
sauve, et on se retrouve en présence de fantasmes comme « le
moteur à eau » ou la fusion nucléaire. Cette technophilie est
encore généralisée, que ce soit au niveau des politiques, des
entreprises ou du citoyen moyen. Elle s’apparente à une religion,
dans le futur ce sera mieux car on trouvera bien quelques chose !
Il y a un culte de l’innovation dont Elon
Musk est un symbole, voyage sur Mars, hyperloop,
etc. Même le principe
de précaution est contesté par l’obligation
d’innovation. Penser que les OGM résoudront la faim
dans le monde, que les nanotechnologies sont la clé des énergies
renouvelables, qu’ITER est la solution pour les énergies du futur,
que la biomédecine résoudra les problèmes de santé, que la
géoingénierie luttera contre le réchauffement climatique… toutes
ces promesses technologiques permettent de se détourner des
problèmes sociopolitiques graves et de reporter à plus tard les
indispensables mesures pour faire face au réchauffement climatique
et à la descente énergétique.
Conclusion :
L’écologie n’
est pas
technophobe
Dans
un contexte d’urgence écologique on doit changer de
comportement pour aller vers plus de sobriété : refus d’utiliser
des techniques énergivores et des matériaux non recyclables, refus
de l’objet à la mode, refus des incitations publicitaires, etc. Avec
ces critères d’intensité énergétique et de complexité, on peut
aborder tous les domaines où l’emprise technologique se fait
sentir, y compris s’aventurer dans le domaine de la bioéthique :
une procréation hétérosexuelle directe, c’est mieux que le verre
(pour le sperme) et la paille (pour la fécondation), c’est
largement préférable à une procréation médicalement assistée,
c’est infiniment plus acceptable qu’une DPI (diagnostic
préimplantatoire, pratiqué sur les embryons fécondés in vitro),
le plus détestable étant la futuriste ectogénèse avec
utérus artificiel, même si c’est désiré au nom de
« l’émancipation de la femme » (Henri Atlan). La
médicalisation totale de notre existence, depuis la fécondation
jusqu’à l’acharnement thérapeutique en fin de vie en passant
par la technicisation des mécanismes naturels de l’accouchement
nous a habitué à une existence d’assistés par machine
interposée. Le passage à une autre forme de société, à
techniques simples et douces, ne sera pas une mince affaire.
Mais il est nécessaire de faire mentir la loi de Gabor : « Tout ce qui est techniquement possible sera nécessairement réalisé ». Le complément de cette loi, « Tout ce qui est techniquement faisable se fera, que sa réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable » devrait nous inciter à redonner de la morale à notre comportement d’utilisateur de techniques. A l’hubris technologique, il faut opposer le sentiment de modération, vivre la convivialité directe les uns avec les autres plutôt qu’utiliser des substituts techniques à nos capacités relationnelles.
Face à la domination techno-industrielle, il est nécessaire de changer de comportement individuel, mais aussi s’engager dans une association environnementale (de type formel ou informel) et/ou adhérer à un parti écolo, sachant que ces trois actions sont complémentaires. On peut par exemple refuser le smartphone et les voyages en avion, adhérer à Technologos, ou devenir acteur de l’écologie dans un parti…
Références
bibliographiques
1954,
Jacques
Ellul, démesure de la société technicienne
1956,
Mumford,
l’embrigadement technologique
1973,
Ivan
Illich et l’outil convivial
1988,
Ellul
et le bluff technologique
2008,
Kaczynski
contre la technologie cloisonnée
2014,
Bihouix,
Low tech contre High tech
2015,
Mumford
contre les techniques autoritaires