simplicité volontaire

l’enfer américain : télé, pub, voiture et misère intellectuelle

– Vous ne pouvez pas imaginer – n’essayez même pas ! – la médiocrité crasse, la profonde misère intellectuelle de la télévision américaine. J’ai vu Barbara Walters interviewer des gens morts il y a douze ans et qui n’étaient même pas intéressants de leur vivant.

– Comme me l’a expliqué un ami, ici on ne regarde pas la télé pour voir ce qu’on diffuse sur une chaîne mais pour aller voir sur d’autres chaînes s’il n’y aurait pas par hasard autre chose… Et le seul avantage de la télé américaine c’est qu’il y a toujours autre chose.

– Avec des chaînes aussi nombreuses et si également dépourvues d’intérêt, on ne regarde rien, en fait. Et c’est bien là le plus déprimant.

– Le problème avec les publicités américaines, c’est qu’elles sont omniprésentes et envahissantes. La plupart des chaînes en passent toutes les cinq ou six minutes. CNN, d’après moi, se compose exclusivement de pauses publicitaires.

– Je viens de consacrer une demi-heure (je ne vous compterai pas de supplément) à suivre attentivement un programme typique de CNN. En 30 minutes, la chaîne a interrompu l’émission cinq fois pour diffuser vingt spots publicitaires.

– On n’échappe pas à la publicité – et pas seulement chez soi. Des milliers d’écoles américaines dépendent en partie de matériaux éducatifs fournis par de grandes entreprises, si bien que les enfants suivent des cours de nutrition financés par McDonald’s et découvrent la protection de la nature grâce à Exxon.

– La journée était superbe. Pourtant toutes les voitures roulaient vitres fermées. Dans leur habitacle hermétiquement clos, tous les automobilistes avaient réglé la température pour reproduire un microclimat identique à celui du monde extérieur.

– Promenez-vous dans n’importe quelle banlieue américaine en été, et vous aurez peu de chances d’y voir des enfants jouer au ballon ou faire du vélo : ils sont tous à l’intérieur. Et le seul bruit qu’on entend, c’est le bourdonnement des climatiseurs à l’unisson.

– Pourquoi les Américains n’éteignent pas leurs ordinateurs ? Pour la même raison qui pousse tant de gens à laisser tourner leur moteur pendant leurs emplettes, à laisser toutes les pièces de leur maison éclairées et à mettre le thermostat de leur chauffage central à un niveau que ne supporterait pas un sauna finlandais. Parce que l’électricité, l’essence et toutes les autres formes d’énergie ont toujours été tellement bon marché que personne dans ce pays n’aurait l’idée d’adopter un autre comportement.

– Les Américains sont entourés d’appareils qui font tant de choses à leur place que ça en devient ridicule. Distributeurs automatiques de croquettes pour chat, brosses à dent déjà garnies de pâte dentifrice, tourniquet automatique à cravates avec éclairage : les gens sont devenus des accros du confort au point de s’être laissé entraîné dans un cercle vicieux. Plus ils accumulent ces gadgets destinés à économiser le temps, plus ils ont besoin de travailler ; plus ils travaillent, plus ils ont besoin d’acquérir de nouveaux gadgets pour gagner du temps.

– Je me rappelle être allé au supermarché et avoir découvert que les rayons n proposaient pas moins de 18 variétés de couches pour incontinents. Dix-huit ! Seigneur, c’est Byzance ! Plus il y a de choix, plus les gens en veulent. Et plus ils en veulent, plus ils en veulent, euh… encore.

– J’ai enfin compris pourquoi rien ne va. On en a trop. Je veux dire qu’on a trop de tout ce qu’on peut vouloir, nécessaire et superflu. Mais on n’a pas assez de bons plombiers, et pas assez de gens polis qui disent merci quand on leur tient la porte.

– Je suis certain – sérieusement persuadé, en fait – qu’il y a quelque chose dans la vie américaine moderne qui tend à supprimer tout effort de réflexion, même parmi les gens plus ou moins normaux.

Bill Bryson in American rigolos (Petite bibliothèque Payot, 2003)

marcher, c’est penser et vivre

Marcher, c’est penser à nouveau et revivre. Quelques aphorismes* :

– Dans les Cévennes Stevenson rencontre des bergers, des paysans, des colporteurs, des vagabonds. Le paysan marche avec des sabots qui alourdissent ses pas, il chemine près de l’animal bâté, accompagne son troupeau, va chercher l’eau avec un broc. Les routes sont emplies de saisonniers, de rempailleurs, de rétameurs, d’acheteurs de peaux de lapins, de ramoneurs, de chiffonniers allant à pied de hameaux en villages. Mais voyager à pied est devenu improbable dans les années 1950-1960, quand les voitures ou la mobylette se banalisent. Les itinérants circulent désormais en voiture.

– Anachronique dans le monde contemporain privilégiant la vitesse, l’utilité, le rendement, l’efficacité, la marche est un acte de résistance célébrant la lenteur, la disponibilité, la conversation, le silence, la curiosité, l’amitié, l’inutile, autant de valeurs résolument opposées aux sensibilités néolibérales qui conditionnent désormais nos vies.

– Si on redécouvre aujourd’hui les bienfaits de la marche, c’est que l’on commence à ressentir que la vitesse, l’immédiateté, la réactivité peuvent devenir des aliénations. On finit, dans nos vies ultramodernes, par n’être plus présent à rien, par n’avoir plus qu’un écran comme interlocuteur. Nous sommes des connectés permanents. Ce qui fait l’actualité critique de la marche, c’est qu’elle nous fait ressentir la déconnexion comme une délivrance.

– De manière plus générale, un espace que vous appréhendez par la marche, vous ne le dominez pas simplement par le regard en sortant de la voiture car vous l’avez inscrit progressivement dans votre corps.

– Le rapport du corps à l’espace est aussi très impressionnant : par exemple la beauté des paysages est plus intense quand on a fait des heures de marche pour franchir un col. C’est comme si le fait d’avoir fait preuve de persévérance et de courage physique pour parvenir à tel ou tel panorama était récompensé.

– Il y a, dans la contemplation des paysages par le marcheur, une dimension de gratitude.

– L’espace naturel des penseurs et des intellectuels reste majoritairement la bibliothèque ou la salle de conférences. Mais si vous prenez les penseurs comme Rousseau, Nietzsche ou Thoreau, ils insistent pour dire ce que leur oeuvre doit à cet exercice régulier, solitaire. C’est en marchant qu’ils ont composé leur oeuvre, reçu et combiné leurs pensées, ouvert de nouvelles perspectives.

* LeMonde du 25 juin 2011, Marcher, c’est penser loin des sentiers battus (dossier de deux pages)

faire confiance à son corps

« Si on les utilise à tort, ils deviendront moins forts. » De quoi s’agit-il ? Le slogan de la campagne 2002 avait été plus explicite : « Les antibiotiques, c’est pas automatique ». Mais en 2011, le rapport de l’Afssaps* montre que la consommation d’antibiotiques repart à la hausse depuis 2005 en France. Pas moins de 175 millions de boîtes ont été vendues en 2009. Or, plus on utilise les antibiotiques, plus les bactéries s’y habituent et moins les antibiotiques sont efficaces. Selon l’OMS, nous allons vers une ère post-antibiotique dans laquelle de nombreuses infections courantes ne pourront plus être soignées et recommenceront à tuer.

Si beaucoup de médecins croient que le patient attend des médicaments, c’est parce qu’ils ont été formés au curatif au détriment du préventif, parce qu’ils ont été formatés par l’industrie pharmaceutique à prescrire le remède miracle. Une enquête de l’UFC-Que Choisir en janvier indiquait qu’un faux patient se plaignant d’un mal de gorge fictif s’était vu prescrire des antibiotiques par un médecin sur deux.  Si beaucoup de patients se précipitent à la pharmacie, c’est qu’ils sont victimes de ce contexte. Achetons moins de médicaments !

Selon Serge Mongeau**, « L’approche biomécanique de la médecine officielle fractionne l’être humain, le psychisme et le corps, puis chaque fonction du corps, chaque organe et même chaque cellule. Comme toute maladie ne résulterait alors que d’un trouble biomécanique, il n’y aurait aucune raison que nous ne parvenions pas à réparer le trouble. Si le médicament ne fait pas effet, c’est qu’on n’a pas encore su trouver la bonne substance ! Les soins aux malades devraient au contraire être essentiellement destinés à renforcer les mécanismes internes d’auto-réparation. Il serait nécessaire d’apprendre :

– à faire confiance à la capacité prodigieuse d’auto-réparation de son organisme ;

– à savoir comment mobiliser ses forces pour hâter sa guérison (par l’alimentation, le repos, des contacts humains chaleureux, etc.) ;

– quand on décide de consulter un professionnel, il faudrait pouvoir le considérer comme un instrument possible qu’on n’emploiera pas forcément. »

* LeMonde du 24 juin 2011, Les antibiotiques sont encore trop systématiquement prescrits.

** La simplicité volontaire, plus que jamais (1998)

comptine des jeunes écolos

Les jeunots sont écolos car

–          sans auto, c’est rigolo

–          sans portable, c’est faisable

–          sans télé, c’est le pied

–          sans facebook, c’est le look

–          sans écrans c’est chébran

–          sans confort, c’est trop fort

–          l’écologie, c’est logique

comptine à compléter par vos soins en commentaires…

 

tout est écolo, même l’incontinence

Selon FNE, un enfant qui porte des couches jetables jusqu’à ses 2 ans et demi génère, environ, 20m3 de déchets (l’équivalent d’une piscine de maison), soit 800 kg. Selon LeMonde*, c’est au total 3 milliards de couches, soit 600 000 tonnes de déchets et 3 % de l’ensemble des ordures ménagères de l’Hexagone. Le gros titre  « le recyclage des couches usagées est en phase d’expérimentation ». dénature le cœur de l’article car la journaliste Nathanaël Vittrant y avoue l’impuissance du système Pampers : le processus technique de recyclage est trop difficile étant donné l’objet composite (plastique, produits absorbants, matières organiques…) que constitue une couche. Il s’agit de toute façon d’un simple transfert de pollution à cause du coût environnemental de la collecte (camions, etc.). Puisque par ailleurs l’impact des couches lavables n’est pas nul, puisque les parents préfèrent les couches jetables, continuons à incinérer. Pourtant le problème devrait avoir des solutions, on ne peut plus se contenter de générer des déchets ultimes.

FNE a soutenu la semaine internationale de la couche lavable, un moindre mal. Mais il existe aussi une autre solution pour diminuer la quantité de couches jetables : faire moins de bébés. Enfin une solution radicale est possible, ne pas mettre de couches. C’est ce que préconise le mouvement pour une hygiène naturelle infantile. Par exemple Sandrine Montrocher-Zaffarano dans « La vie sans couches » (réédition Jouvence, 2010). Pendant toute l’histoire de l’humanité, la plupart des bébés n’ont jamais porté de couches. Leur mère était à l’écoute de leurs moindres signaux et les mettait en position d’élimination de leurs besoins sitôt que, par une mimique ou un gaz, ils manifestaient l’envie de se soulager. Le contact étroit d’un membre de la famille avec bébé permet la richesse d’un échange qui débouche très tôt sur la maîtrise par l’enfant de ses voies naturelles. Qu’un bébé puisse produire des déchets alors que pipi-caca ne demanderait qu’à nourrir la terre est une offense à la raison ! Vivre les fesses à l’air est un véritable plaisir, dépenser entre 760 et 1760 euros de couches jetables est un affront autant à la nature qu’à la culture.

* FNE, France Nature Environnement

** LeMonde du 17 juin, le recyclage des couches usagées est en phase d’expérimentation

Montebourg, de la démondialisation à la décroissance

Arnaud Montebourg vient de s’exprimer devant des salariés de General Motors : la démondialisation sera l’axe fort de son programme économique. Mais, si on ne s’abuse, la fin des excès du libre-échange ne peut que mettre au chômage les salariés de General Motors ! Donc Arnaud ne va pas assez loin dans ses raisonnements. Comme l’exprime Bernard Perret*, l’utopie socialiste d’une promesse de prospérité partagée est derrière nous car il existe une contradiction fondamentale entre l’écologie et l’économie. Dans un contexte de pénurie globale des ressources naturelles, l’avenir n’est plus dans l’expansion, mais dans son inverse. La démesure de l’économie occidentalisée n’entraîne que surconsommation, surproduction, surgaspillage, surpollution, surpopulation, etc. A la mondialisation doit donc succéder la démondialisation, à la voiture pour tous le dévoiturage, à la repopulation la dépopulation, à l’urbanisation la désurbanisation, à l’effet rebond l’effet débond, à la croissance économique la décroissance conviviale.

Le discours de la classe politique est comme à son habitude en complet décalage avec ce qu’il faudrait vraiment, combattre âprement les inégalités intra et internationales tout en prêchant ardemment la sobriété et le rationnement, particulièrement dans les sociétés riches. Arnaud semble montrer la voie, maintenant il  nous faut tous marcher le long de ce chemin. Dans une société écologique, les salariés de la machinerie automobile doivent prendre conscience de leur obsolescence programmée : un jour il n’y aura plus de voiture individuelle, donc plus de General Motors,  ni de Renault, de Toyota ou de Peugeot… Le plus tôt sera le mieux, encore faudrait-il nous y préparer. Mais il semble que les politiques ne se rendront compte des réalités que quand l’industrie automobile s’effondrera, et tout le reste avec. Ne votons pas pour des imbéciles…

LeMonde du 3 mai 2011, le livre de Bernard Perret, « Pour une raison écologique »

sobriété volontaire ET forcée !

Si la conscience environnementale progresse, la pression financière reste pour l’instant un facteur déterminant*. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a approuvé la hausse des tarifs du gaz naturel de 5,2 % en moyenne au 1er avril, ce qui porte l’augmentation des prix à 21 % sur un an**. Parfait ! Puisque les politiques et les citoyens ont refusé la  taxe carbone, autant que les prix des ressources fossiles en voie de disparition puissent augmenter. Faisons payer toutes les ressources rares, « la consommation d’eau diminuant d’environ 20 % lorsque la facture dépend du volume consommé »*. Vive la sobriété forcée !

Mais ce n’est qu’une petite partie de l’enjeu socio-économique, encore faut-il une acceptation sociale de la sobriété : « 44 % des clients dans un hôtel acceptent de garder leur serviette de toilette pendant plusieurs jours quand l’incitation précisait que 75 % des personnes ayant déjà occupé la chambre avaient adopté ce comportement »*. L’information mentionnant le comportement d’autrui est une norme sociale bien plus efficace que les appels traditionnels à la préservation de l’environnement. Il s’agit de faire jouer l’interaction spéculaire, tu fais parce que je fais ainsi parce que nous devrions tous faire de même. Cette explication sociologique nous permet d’enterrer le vieux débat épistémologique sur l’antériorité de l’individu ou de la société. L’un et l’autre se renforcent mutuellement car je me représente la manière dont les autres se représentent les choses et moi-même. « Je donne le bon exemple » est un message positif. Encore faut-il qu’il y ait égalisation des revenus car les plus riches qui n’ont pas à se priver donnent un détestable exemple.

                Pour faire passer la purge des économies d’énergie, non seulement les politiques devraient-ils imposer un revenu maximum admissible (3 fois le salaire minimum par exemple), mais ils devraient rendre obligatoire la lecture à l’école de livres comme No Impact man.  On ne peut mesurer influence chacun de nous est susceptible d’exercer sur les autres. On ne sait jamais quand s’amorce une réaction en chaîne. Mais n’oublions pas que notre société n’est que la somme de toutes nos actions individuelles de producteurs, de clients, d’amis, de parents. Cessons d’attendre que le système change. L’action qui déclenche l’effet domino a besoin que chacun de nous commence à pratique la sobriété volontaire pour que la réaction en chaîne se produise.

* LeMonde du 30 mars 2011, Environnement : changer les comportements a un prix (Rémi Barroux)

** LEMONDE.FR avec AFP | 28.03.11 | Nouvelle hausse du prix du gaz

lundi végétarien, mardi…?

La confusion des esprits découle du manque d’analyse des médias et des politiques. D’un coté LeMonde* vient au secours de la distribution grande et moyenne alors que le prix aux éleveurs est de 1,70 euros le kilos pour devenir 15 euros à la vente au consommateur. La journaliste du Monde, Laetitia Van Eeckhou, ne s’interroge nullement sur la longueur anormales des circuits de distribution. Le ministre de l’agriculture le Maire renchérit en voulant aider les éleveurs à « se développer à l’exportation », ce qui va encore accroître la distance du producteur à l’assiette. Notre société marche sur la tête, pourtant journalistes et gouvernants applaudissent. L’élevage acceptable est un élevage bio. Et un élevage de proximité. Et un petit élevage.

LeMonde est divers ! La confusion des esprits découle aussi du manque d’analyse des consommateurs. Selon le supplément du monde**, on devrait s’interroger sur notre droit à manger de la viande. Il y a des chiffres effarants : « Le secteur de l’élevage industriel participe au réchauffement climatique pour 40 % de plus que l’ensemble des transports dans le monde ». De quoi déjà se mettre au lundi sans viande. Et puis il y a la manière industrielle de traiter les animaux comme des marchandises, empilés dans des espaces ridicules, empêchés de voir la lumière du jour, rabaissés à de la chair torturée. De quoi se mettre au lundi végétarien. Le prix de la viande n’est donc pas l’élément essentiel. Manger trop de viande, c’est accroître l’effet de serre et la souffrance animale, sans compter les effet sur la santé humaine. Il ne faut plus effectuer de coupure entre le système de production de viande et le choix des consommateurs.  Il ne suffit pas de s’alimenter « un peu différemment », il s’agit de bousculer nos habitudes. Tu peux adhérer à la campagne « Nous sommes d’accord avec les lundis végétariens » :

http://www.unjoursansviande.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=6

* LeMonde du 7 janvier, prix de la viande : industriels et distributeurs ne profitent pas indûment des hausses

** LeMonde Des Livres du 7 janvier,  On achève bien les animaux (commentaire du livre de Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ?)

le jour où Gandhi a pleuré

Le Mahatma Gandhi était en visite à Allahabad avec M.Nehru, qui devint plus tard le chef du premier gouvernement indépendant de l’Inde. Il n’y avait pas d’eau courante à l’époque. Au réveil, Nehru se chargea d’apporter à Gandhi la cruche d’eau dont il avait besoin pour ses ablutions matinales. Tandis que Nehru vidait la  cruche, ils se lancèrent dans une grande discussion sur la situation politique du pays. Tout en parlant, Gandhi se lavait les mains et le visage, mais il était si absorbé dans leur conversation que l’eau vint à manquer avant qu’il n’ait terminé sa toilette. « Ne bouge pas, dit Nehru. Je vais chercher une autre cruche. »

                Gandhi se figea, stupéfait. « Quoi, s’exclama-t-il. J’ai déjà vidé une cruche entière et je n’ai pas fini de me laver ? Quel gâchis ! D’habitude, une seule cruche me suffit ! » Nehru le regardait sans comprendre : pourquoi Gandhi faisait-il  une telle histoire pour un peu d’eau ? Il s’apprêtait à l’interroger quand il vit des larmes perler à ses paupières.

« Pourquoi pleures-tu ? s’écria-t-il.

– Je m’en veux d’avoir été si distrait. Quelle honte d’avoir utilisé tant d’eau !

– Tu sais bien que l’eau abonde ici, à Allahabad. La ville est traversée par le Gange et la Yamunâ. Ce n’est pas comme chez toi, dans le Gujarat, où tout est sec et désert !

– C’est vrai. C’est une grande chance pour cette ville d’être baignée par ces deux grands fleuves. Mais cela ne change rien à la quantité que je m’autorise à utiliser chaque matin ! »

                Cet extrait du livre de Satih Kumar, Je suis donc tu es, montre que le gaspillage est une forme de violence qui a mené à la surexploitation des ressources naturelles et à l’échec de monde moderne. Mais Nehru n’a pas compris la leçon… l’Inde a voulu imiter le modèle occidental.

pour un Noël écolo (6/6)

Fin 2005, dix mouvements catholiques avaient lancé un appel « vivre Noël autrement ». L’association Pax Christi avait été rejointe par le Secours catholique et le Comité catholique contre la faim. Ils avaient diffusé une affichette avec le slogan : « Noël, bonne nouvelle pour la Terre » puisque « Jésus nous offre un monde nouveau, sans caddies pleins de cadeaux qui comblent les armoires et les décharges. » Les tracts invitaient à consommer moins et à se rapprocher de ses voisins avec lesquels la fête sera plus belle encore sans faire des kilomètres inutiles avec sa voiture, en offrant un peu de temps, un sourire, une oreille attentive, en inventant des gestes qui contribuent à sauver l’air, la terre, la mer, les forêts. Les associations mentionnent un texte de Jean Paul II publié en 1990 et consacré à la protection de l’environnement : « La société actuelle ne trouvera pas de solution au problème écologique si elle ne révise pas sérieusement son style de vie. » Quelques rares familles ont donc essayé de montrer l’exemple.

En 2010, c’est donc la sixième campagne du collectif chrétien Vivre Autrement : « Terre eau, air, paix, santé, éducation, justice, autant de biens communs indispensables à tous et pourtant menacés : pollution, gaspillage, réformes des services publics, brevetage du vivant, conflits… En ce temps de Noël, le collectif propose de réfléchir aux conditions de la préservation de ces biens communs et de leur partage entre tous. Car préserver ces biens communs passe par des gestes relevant de la responsabilité individuelle, mais aussi par une régulation qui est du ressort de tous, responsables politiques et citoyens. » L’idée de fond est parfaite : « Arrêtons l’hyper-Noël, faisons la paix avec la terre. » Mais ce mouvement reste marginal, sans le soutien officiel de son Eglise qui préfère lutter contre les préservatifs.

Le dieu de la Bible est trop anthropocentrique pour que les fidèles échappent aux gaspillages des fêtes de Noël. Leurs enfants ne savent pas le Christ est né dans la plus pauvre des conditions, ils attendent eux-aussi avec impatience d’ouvrir le suremballage de leurs cadeaux. Pour un Noël écolo, il nous faut supprimer le père Noël et rechercher une spiritualité plus proche de la Nature.

Noël sans ses skis (4/6)

La Biosphère espère que vous allez passer un bon Noël sans skis. On ne peut en effet maintenir la montagne « propre » quand on y multiplie les immeubles et les remonte-pentes. Ce n’est pas un loisir qui préserve la Biosphère que de déplacer des citadins en mal d’air pur vers de lointaines destinations où on va recréer la ville et poursuivre des activités sans intérêt.

Mais le greenwashing règne dans tous les  domaines. On veut dorénavant vendre la destination neige en l’inscrivant sur le registre du développement durable ! L’office de tourisme d’Avoriaz avait installé un « corner environnemental » qui invite à calculer son empreinte écologique ; Sainte-Foy en Tarentaise mettait en évidence l’habillage bois de ses bâtisses ; Val-d’Isère mettait l’environnement au cœur de l’organisation des championnats du monde de ski alpin prévu en 2009. Poudre de neige et de perlimpinpin ! Infinitésimales sont les sociétés de remontées mécaniques qui obtiennent la certification Iso 14001 avec la mise en place de tri sélectif, l’utilisation de produits biodégradables et une recherche d’économie d’énergie. Une seule station en France détient la certification QSE (qualité, sécurité, environnement).

L’association Moutain Wilderness rappelle que la consommation d’eau pour produire de la neige atteint 15 millions de mètres cubes pour 188 stations, un chiffre presque comparable aux 25 milliards de m3 qui servent au remplissage des piscines privées. Il faut aussi 108 millions de kWh pour les canons à neige, soit 0,023 % de la consommation française d’électricité, mais presque autant de proportion dans les déchets nucléaires. Signalons en passant qu’on peut agréablement passer un Noël sans ses skis, même si c’est sous la neige.

le père Noël sans cadeaux (3/6)

Le Père Noël est un des pires flics de la terre et de l’au-delà, le Père Noël est le camelot immonde des marchands les plus fétides de ce monde. Tous ces marchands de rêve et d’illusion, véritables pirates des aspirations enfantines, colporteurs mercantiles de l’idéologie du flic, du fric, du flingue… Face à la grisaille géométrique des cités-clapiers, bidonvilles de la croissance, face aux arbres rachitiques, aux peuples lessivés, essorés, contraints, s’étale la merde plaquée or-synthétique, la chimie vicieuse des monceaux de jouets, un dégueulis de panoplies criardes, avec, derrière la porte capitonnée le ricanement malin des marchands.

Noël est une chiotte ignoble et on va plonger nos gosses là-dedans ? Mais faut bien faire plaisir au gamin ! Rubrique « Filles » du catalogue des Nouvelles Galeries : 28 pages sur 30 exclusivement consacrées aux poupées, aux dînettes, avec trousses de toilette et fers à repasser miniatures. Les deux pages restantes sont consacrés au tissage, à la couture, à des panoplies de danseuse…et de majorette ! Si avec ça votre fifille n’a pas pigé quel est son rôle futur. Côté « les Garçons » : sur 40 pages, 32 seulement consacrées aux bagnoles, avions, panoplies de cow-boys et carabines à plomb ! Doivent retarder, aux Nouvelles Galeries, j’ai pas trouvé de panoplies de CRS ou de para. Par ailleurs ces jeux sollicitent de plus en plus de consommation électrique. Allez, tenez, on va fantasmer un peu : bientôt pour construire des centrales nucléaires, l’EDF s’adressera à nos gosses et leur proclamera la nécessité de l’atome pour fournir de l’électricité à leurs jouets !

Mais quelles sont les tendances d’enfants élevés dans un milieu naturel et n’ayant pas à souffrir du poids des divers modes d’intoxication ? Ils courent, ils jouent dans les flaques, se roulent dans la boue, ou tentent de percer les mystères de « papa-maman ». Ils vivent, pensent, créent. Refouler ces pulsions naturelles est donc le but criminel de notre société. Sauter à la corde ou jouer au ballon devient un exploit quasi contestataire sur des abords d’immeubles transformés en parking. Le système des marchands au pouvoir a dit : J’achète le Père Noël. 

(in la Gueule ouverte de janvier 1973… Un texte qui reste toujours d’actualité en 2010 !)

le père Noël sans sapins (2/6)

En 1900, il suffisait d’une orange donnée à un enfant pour avoir l’impression d’un immense cadeau. En l’an 2010 les consoles de jeux vidéos du père Noël finissent par intoxiquer les jeunes esprits autour d’un arbre à cadeaux. Car le père Noël  a besoin d’un sapin à l’arrivée de son traîneau. Alors quel sapin « vert » pour Noël, artificiel ou naturel ?

C’est en Alsace-Lorraine qu’est né au XIIe siècle le sapin de Noël, ce sont les protestants qui développent la tradition à partir de l’an 1560 et cela totalise maintenant en France 5 millions d’arbres de 6 à 8 ans d’âge pour moins d’un million de reproductions en plastique. En 2009, le sapin artificiel représente 16 % en France, 58 % aux Etats-Unis et 67 % en Grande-Bretagne. L’association du sapin de Noël naturel, qui regroupe 70 professionnels, ironise : « Contrairement aux sapins artificiels, les sapins naturels ne sont pas dérivés du pétrole et sont parfaitement biodégradables ». Il n’empêche que les sapins naturels issus d’une monoculture mobilisent des terres qu’on devrait laisser à la biodiversité. On les coupe pour les jeter dans des semi-remorques qui contribuent à l’effet de serre. On les habillera de boules et de guirlandes qui ne représentent rien si ce n’est le culte du toc et de la superficialité qui caractérise la société marchande. En définitive, l’arbre artificiel contribue trois fois plus que l’arbre naturel au réchauffement climatique et à l’épuisement des ressources naturelles, ce qui ne fait pas du sapin naturel un innocent !

Profitez plutôt de cette fête de Noël pour marcher au milieu d’une forêt vivante et réfléchir au système qui nous aliène. Considérez que dans un monde fini nous devons apprendre à limiter nos envies matérialistes. Il nous faut retrouver cet objectif qui devrait nous mobiliser à toutes les époques : moins de biens, plus de liens. Cette année 2010, Michelle Obama a demandé qu’on réutilise les ornements des années précédentes. Pour la Green Room, elle a choisi des sapins recyclés : ils sont faits de papier journal passé à la peinture dorée. Il ne reste plus qu’à refuser les cadeaux.

se raser, c’est rasoir

Il ne faut pas se raser. Pour les garçons la transformation du duvet en barbe révèle la fin de l’adolescence et l’identité masculine, un véritable ancrage dans une spécificité corporelle. Le fait de se raser n’indique pas une convergence des sexes ou l’éloignement de l’homme  de son origine animale. Il s’agit uniquement d’une instrumentalisation des hommes, le poil est devenu le cœur d’une nouvelle cible à des fins mercantiles. On a inventé les rasoirs mécaniques ou électriques, les jetables et les super-performants à trois lames, bravo les ingénieurs au service du profit ! C’est la civilisation thermo-industrielle, son rasoir et ses lames jetables, qui a transformé le monde occidental en cohortes de mâles bien propres sur eux.

                Il ne faut pas se raser. Comme l’exprime Georgescu-Roegen* : « Il faut nous guérir du circumdrome du rasoir électrique, qui consiste à se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore, et ainsi de suite à l’infini… Il est important que les consommateurs se rééduquent eux-mêmes dans le mépris de la mode. » Les innovations représentent le plus souvent un gaspillage de base entropie. Autour de nous, toute chose  s’oxyde, se casse se disperse, etc. Il n’y a pas de structures matérielles immuables, parce que la matière tout comme l’énergie se dissipe continuellement et irrévocablement. Toujours plus de rasoirs et toujours plus de lames signifie forcément une pollution et un épuisement des ressources naturelles plus important.

Dans LeMonde**, c’est un tout autre discours. Il paraît que la mode est à la barbe, ou plutôt au rasage irrégulier… L’homme non rasé serait jugé séduisant puisque le regard de la femme aurait changé… La barbe témoignerait d’une sorte de paresse… Mais l’heure est à la reconquête, raser n’est plus une corvée c’est un plaisir, affirment les marques de rasoir… En France, 419 millions d’euros de rasoirs manuels et de lames en 2009, ce n’est pas rien. En définitive, on ressent fortement l’emprise des fabricants de rasoir sur les journalistes du Monde : « Le rasage est un véritable rituel… L’enjeu pour les ingénieurs est d’être capable de développer un produit qui réponde à des pratiques… Il faut tenter de persuader ce consommateur casanier de tester le produit dernier cri… » On ressort de cet article sans savoir combien de fois il faut se raser par semaine, 3,6 fois comme les Ibères ou 5 fois comme les Allemands. Mais les journalistes du Monde ne répondent pas la question de fond : Faut-il se raser ?

* La décroissance (entropie, écologie, économie) de Nicholas Georgescu-Roegen (Sang de la terre, 1995)

** LeMonde du 1er décembre, La barbe, nouvel attribut de séduction

L’humanitaire est-il écolo ?

Les « bons » sentiments se monnayent en oboles de toutes sortes. Cela nourrit des Organisations de Solidarité Internationale dont le nombre se compte par milliers. Les sommes investies dans ces placements aux retours incertains par milliards. Face à un moribond, disent les apôtres de l’ingérence humanitaire, on ne se pose pas de question, on soigne. Mais comment est-il possible de ne pas se poser de questions ? Car ce qu’on fait n’est jamais innocent. Karl Blanchet* travaille dans l’humanitaire et se pose des questions : « Sauver des vies aujourd’hui c’est tuer des vies demain. Que penser de tous ces avions humanitaires qui portent une assistance humanitaire en Haïti ? Les humanitaires essayant de porter assistance immédiatement même si l’empreinte écologique produite par les avions porte atteinte à la vie des générations futures. Les écologistes ne se focalisant que sur les années à venir et tentant de trouver des solutions appliquées aujourd’hui pour améliorer le futur. En un sens, humanitaires et écologistes auraient deux approches contradictoires  (…) Mais il devient évident que ces deux mondes vont se côtoyer de plus en plus afin de répondre aux tensions de plus en plus croissantes entre populations, tensions créées par les pressions mises sur nos ressources naturelles et nos conditions de vie. (lemonde.fr du 26.11) »

                Certains estiment de leur côté que l’humanitaire est une manière de ne pas résoudre le fond des problèmes :

          Croire aider les pauvres du Sud par avion et en 4×4, c’est croire au père Noël, c’est croire qu’on est le père Noël.

          Des centaines de millions de vie misérables, qui mettent en valeur l’admirable dévouement d’une mère Teresa, valent-elles mieux qu’un contrôle rationnel de la fécondité permettant de faire accéder au véritable statut d’homme et de femmes des êtres moins nombreux mais plus heureux ? (Georges Minois)

          Le néo-colonialisme, avec l’assistance technique et le don humanitaire, a fait sans doute beaucoup plus pour la déculturation que la colonisation brutale. (in Défaire le développement, Refaire le monde)

          Pour le volet social, on fait largement appel à un « samu mondial » dont les ONG humanitaires sont l’outil capital. Toutefois, si les « formes » changent considérablement, tout un imaginaire du développement reste bien en place. (Serge Latouche)

          La main qui reçoit l’aide est toujours en dessous de celle qui la donne.

          La décroissance des besoins au Nord est la meilleure des aides possibles pour le Sud.

*PS : LeMonde du 27 novembre résume assez maladroitement la position de Karl Blanchet : « Certains écologistes utilisent à outrance le terme génocide pour parler de la dégradation de la biosphère. »

vivre comme l’indien moyen

Le réchauffement climatique dont raffolent les médias* pourrait nous faire oublier tout le reste. Il faut noter d’urgence que l’humanité engloutit déjà l’équivalent d’une planète et demie**. Ce qui veut dire que nous brûlons notre capital naturel, et quand notre maison (la biosphère) aura été dilapidée, il nous restera les guerres, les épidémies et les famines. Si rien ne change dans nos modes de consommation, l’humanité aura besoin de deux planètes en 2030. Il nous faut donc envisager de vivre comme des Indiens : si tout le monde vivait comme le citoyen indien moyen, l’humanité n’utiliserait même pas la moitié de la biocapacité de la planète…

Quelques réactions à cette information sur lemonde.fr*** :

– Max Lombard : Dans la mesure où la quasi-totalité de la population des pays émergents et même de ceux qui restent immergés souhaite vivre à l’occidentale, il est inutile que je me prive de mes vacances à la neige ou de mon steak.

– Remi : Si on diminuait le nombre d’habitants sur terre par deux… Cela ne poserait pas de soucis… Arrêtons de faire des gosses comme des lapins…

– André Wandoch : Le fond du problème est et restera le partage des richesses. De gré ou de force, on ne contournera pas cette unique solution. On va espérer que ce sera de gré.

                Sur ce blog, nous estimons depuis 2005 que la baisse du niveau de vie à l’occidental est absolument nécessaire. Un jour prochain la voiture individuelle sera même interdite car le pic pétrolier, c’est en ce moment-même. Quant au réchauffement climatique, il s’atténuera quand nous déciderons de ne plus brûler de ressources fossiles, événement qui ira de pair avec les conséquences fâcheuses du pic pétrolier. Quant à la démographie, malheureusement nous connaissons sa terrible inertie, ce qui ne veut pas dire que le modèle chinois d’un enfant par famille n’a pas pour vocation d’être généralisable. Qu’attendent les politiques pour mettre tout ça à leur programme ? Et éviter ainsi la catastrophe climatique !

* LeMonde du 12 octobre 2010, la perspective d’un accord sur le climat s’éloigne encore.

** le rapport « Planète vivante 2010 » de l’organisation écologiste WWF

*** planete/article/2010/10/13/l-humanite-engloutit-l-equivalent-d-une-planete-et-demie

l’Inde, entre Gandhi et l’absurde croissance

L’Inde est redevable à Gandhi des recettes qui auraient pu sauvegarder son autonomie. Le premier mouvement de résistance non violente conduit par Gandhi, de 1919 à 1922, avait pour thème la charkha (petit instrument ancestral de filage) et le khadi (toile artisanale), base d’une prospérité écrasée par la « machinerie de Manchester ». Gandhi voyait un grand danger dans toute innovation propre à élargir le fossé entre possédants et pauvres en induisant des besoins asservissants et impossibles à satisfaire. En 1930 en Inde, le mahatma avait entamé une campagne de désobéissance civile contre la taxe sur le sel imposée par la Couronne britannique. Ce modèle (philosophie du rouet) refusait techniques dures et intrusion des pays riches. Aujourd’hui, l’Inde bloque des projets miniers qui ne tiennent pas assez compte de l’environnement et des populations locales (LeMonde du 1er octobre). Gandhi, toujours ?

Malheureusement, il s’agit un blocage très partiel, l’Inde reste vouée à la croissance « durable ». Si les tendances se poursuivent, le nombre de voitures passera de 2 millions en 1971 à 537 millions en 2030. L’Inde fait de la surenchère par rapport à Renault (la Logan), le constructeur Tata commercialise une voiture à bas prix, la Tata Nano. L’Inde ne possède encore que 9 véhicules pour 1000 habitants. A quand le même taux d’équipement qu’en Allemagne, 450 pour 1000 habitants ? L’Inde deviendrait avant 2025 le troisième importateur net de brut, derrière les Etats-Unis et la Chine, et le troisième émetteur de CO2. Automobile et pétrole, produits de luxe et consommation de masse, l’Inde suit les traces des pays occidentaux et perd son âme.

Il n’y a qu’un domaine où l’Inde est vraiment à l’avant-garde de la souveraineté protégée. Elle n’a obtenu que trois médailles aux derniers Jeux Olympiques ; elle se fout complètement de la compétition dans le domaine sportif qui n’est pas le sien. Et puis, il n’est pas interdit d’espérer : Jairam Rasesh, ministre de l’environnement a interdit la culture commerciale de l’aubergine OGM. A quand le retour à Gandhi autour de l’idée du swadeshi (l’autosuffisance nationale) ?

mourir écolo

Nu je suis né, nu je mourrai. Nous voulons être enterrés à même la terre, sans habits ni cercueil, offrant nos restes à dame Nature. De toute façon, tu es poussière et tu retourneras poussière. Notre temps est un cycle, se décomposer lentement, revivre autrement ; la gestion de ton cadavre doit participer au recyclage global. Si nous étions un peu plus sophistiqués, nous ferions comme à Paris ; la commune fournit une sépulture gratuite aux personnes décédées sans ressources ni famille. Des caissons en béton étanche sont équipés d’un système d’introduction de l’air afin que les espèces qui aident au recyclage de l’organisme puissent accéder au festin. L’oxygène accélère le dessèchement du corps et l’évacuation des gaz de décomposition est assurée. Il n’y a aucune pollution et le caveau peut être récupéré à l’infini : tous les cinq ans, il est à nouveau disponible.

Voici un peu moins écolo. LeMonde du 30 septembre nous présente un cimetière « vert » made in Australia. A Kemps Creek, il faut un cercueil, des vêtements biodégradables et pas de pierre tombale ni plaque commémorative. Alors le GPS est recommandé pour suivre notre trace évanescente, c’est l’émetteur dans le cercueil qui guidera les survivants.

Même le temps de notre sépulture est récupéré par le greenwashing, c’est lamentable et anti-écolo. Le souvenir des morts est dans notre tête, pas au chevet d’un corps en décomposition.

taxer les riches à 100 %

Pourquoi y-a-t-il des riches ? Parce que nous valorisons les riches. Ainsi LeMonde du 28 septembre consacre une page entière sur la vie de riche à Sao-Paulo, mais 1/6ème de page seulement à la fièvre néfaste du luxe (dans le supplément économique). Sur pleine page, nous apprenons beaucoup de choses qui n’ont aucun intérêt, sauf de donner envie de taxer le revenu ostentatoire des riches à 100 %. Que la bouteille de champagne puisse atteindre au Brésil 10 000 euros et la Bentley 450 000 affriole le badaud dans un quotidien de référence mais déshonore ceux qui peuvent se permettre ces folies. Que Sao Paulo soit la première ville au monde pour le trafic civil d’hélicoptères montre simplement qu’il ne fait pas bon marcher dans ses rues. Que la consommation Vuitton, Hermès ou Chanel cultive le dernier cri pour promouvoir la distinction montre que la France entretient le vice au Brésil. Car rien n’étanche la soif de luxe alors que l’achat compulsif pour paraître n’apporte pas le bonheur.

Le livre de Robert Frank, Luxury Fever, traduit de façon insipide par « la course au luxe », est sous-titré efficacement : l’économie de la cupidité et la psychologie du bonheur. Le luxe est relatif, il n’est qu’affaire d’écart par rapport à autrui. De même le bonheur quand on ne pratique pas la simplicité volontaire. Quand Onassis se faisait construire un yacht de 100 mètres, Niarchos commandait un bateau de 114 mètres. Ce bonheur-là n’a pas de limites. Quand le luxe pour les uns est de prendre l’avion pour les plages à l’autre bout du monde, le luxe pour d’autres est l’achat d’une machine à laver et pour la majorité d’avoir accès à l’eau potable. Qu’est-ce qui est le plus utile ? Non seulement le luxe des riches est immoral, donc taxable à merci sans bouclier fiscal, mais le mécanisme sans fin que le luxe induit par la course ostentation/imitation met à mal les ressources de la biosphère et entraîne un appauvrissement durable de tous. Fixer un revenu maximal admissible n’est pas un luxe, c’est une nécessité.

l’impossible enrichissement de tous

LeMonde met en épingle des événements ponctuels comme les Roms de Sarko, quelques enlèvements au Niger ou un succès de la thérapie génique car les gens n’aiment pas lire les choses qui fâchent, le pic pétrolier, le réchauffement climatique, la 6e extinction des espèces… Aussi, quand il s’agit de sujets plus structurels comme la pauvreté dans le monde, on  rassure, on compte sur la croissance pour l’éradiquer (Robert Zoelick) ou sur l’enrichissement (Bjorn Lomborg). Aujourd’hui LeMonde* complète par une étude du groupe Allianz qui constate l’émergence d’une classe moyenne mondiale définie comme les personnes « disposant d’actifs financiers compris entre 5300 euros et 31600 euros ». Cette classe globale atteindrait 565 millions de personnes aujourd’hui contre 200 millions en l’an 2000.

                Le capitalisme libéral (Allianz) cherche ainsi à détourner l’attention du public de la montée des inégalités en laissant croire que tout le monde peut s’enrichir. Non seulement c’est une illusion, il n’y a pauvreté que parce qu’il y a des riches, mais c’est aussi un cercle vicieux. Hervé Kempf montre bien dans son livre « Comment les riches détruisent la planète » que la destruction de la planète est entraînée par l’existence d’une classe moyenne mondiale. Nous pouvons mieux désigner cette catégorie prédatrice par une expression symbolique, celle de classe globale. Non seulement cette classe globale dilapide les ressources de la planète, mais la tendance des catégories moins favorisée à vouloir imiter ce genre de vie entraîne un consumérisme généralisé. Comment faire en sorte que cette nouvelle Nomenklatura soit prête à changer de mode de vie et à ne plus accumuler des capitaux ? Difficile.

L’efficacité de l’analyse marxiste, c’était sa simplicité : il y avait deux classes en lutte, donc un adversaire bien délimité, une conscience de classe objectivée et un projet de transformation de d’appropriation du capital. A l’heure actuelle la classe globale n’a pas d’adversaire qui puisse lui imposer le changement et elle vit avec délice un sentiment d’abondance. Les peuples vernaculaires sont écrasés, ou ne veulent qu’une chose, accéder à leur tour à la classe globale ! Il faudrait  que cette classe globale (qui comprend aussi les ouvriers des pays les plus développés) prenne conscience des conséquences de son propre comportement sur la planète. Mais les gens n’aiment pas envisager les choses qui dérangent…

                Deux faits peuvent cependant faire bouger les mentalités. D’abord, l’usage de la pédagogie de la catastrophe, sachant que c’est plutôt la catastrophe qui nous servira de pédagogie. Les soubresauts de la biosphère rappellent de plus en plus fréquemment aux humains qu’ils sont dépendants de ses services. Il n’y a plus seulement le facteur travail et le facteur capital à considérer, il y a aussi le facteur Terre. Ensuite le quatrième pouvoir, celui des médias, sera essentiel. Il est symptomatique que chaque journal télévisé ou presque ait sa rubrique environnementale. Il est symptomatique que le journal LeMonde ait créé la rubrique « environnement et science » cantonnée dans les dernières pages. Maintenant il s’agit de la rubrique « Planète », mis en évidence page 4 et servant aussi de nomenclature pour les blogs.

*LeMonde du 18 septembre, La classe moyenne a triplé en dix ans (Une étude montre la dynamique de l’enrichissement à l’œuvre dans les pays les plus pauvres)

PS : un autre article du Monde est à mettre en contradiction avec l’idée d’enrichissement : « La pauvreté augmente aux Etats-Unis, notamment chez les Noirs et les Hispaniques ».