C’était mieux avant ? Oui, car ce sera pire après !

« C’était mieux avant ? », une nouvelle série en six épisodes du MONDE qui commence par un entretien avec Michel Serres*, un vieux monsieur plein de bon sens, donc conscient des contradictions de notre présent. Quelques extraits :

+ Nombreux sont ceux qui pensent que c’était mieux avant, avec l’alimentation traditionnelle, le biologique pur… Or, c’est entièrement faux ! Je suis né en 1930, je suis donc assez vieux pour me souvenir exactement du gradient qui a été parcouru en matière de santé, d’éducation, d’alimentation.

+ Entre 1990 et aujourd’hui, le nombre de pauvres a diminué de plus d’un milliard, alors que dans le même temps, la population mondiale augmentait de 3 milliards ; dans la même période, la mortalité infantile a chuté de moitié ; les humains vivent désormais 70 ans en moyenne (contre 47 ans en 1950)…

+ L’évangile des médias, c’est : « On ne dit pas que les avions arrivent à l’heure, on en parle quand ils se crashent. » Sauf qu’ils oublient parfois de rappeler que la circulation aérienne est la plus sûre du monde.

+ Avant la seconde guerre mondiale, quand un médecin recevait 10 malades, il y avait 4 tuberculeux, 4 syphilitiques et deux autres. A partir des années 1960, il ne reste que les deux autres grâce à l’arrivée des antibiotiques. Du coup, l’espérance de vie a bondi, on a gagné entre trente et quarante ans en un siècle.

Aujourd’hui, on commence à comprendre que la situation est tragique. C’est précisément parce que tout va mieux qu’on ne s’aperçoit pas que tout peut aller beaucoup plus mal. On a un système tellement productif qu’on a du mal à imaginer qu’il peut se détruire demain.

Le plus difficile consisterait à changer nos manières de nous déplacer, de manger, de boire… Mais bouleverser les facteurs économiques et financiers, c’est un vrai défi. Tout va de mieux en mieux pour nous, mais cette courbe ne sera pas éternellement croissante. Donc, ce n’était pas mieux avant, mais ça pourrait être pire après.

Plusieurs choses ont choqué avec mon livre « Le Contrat naturel ». Tout d’abord, le fait qu’il n’y avait personne pour signer le contrat naturel, en face de nous. Ce à quoi j’ai répondu que c’était la même chose pour le contrat social de Rousseau. Aujourd’hui, dans les législations de quelques pays, on commence à faire entrer la nature dans des sujets de droit.

Compléments de réflexion tirés du livre de Michel Serres, Le contrat naturel (1990)

– Afin que l’eau des océans se mélange, il faut que s’achève un cycle estimé à cinq millénaires. Or nous ne proposons que des réponses et des solutions de terme court, parce que nous vivons à échéances immédiates. Comment réussir dans une entreprise de long terme avec des moyens de court terme ?

– Il nous faut payer un tel projet par une révision déchirante de notre culture dominante. Il nous faut laisser le cap imposé par la philosophie de Descartes de l’homme maître et possesseur de la nature. Voici la bifurcation de l’histoire : ou la mort, ou la symbiose. Cela signifie : au contrat exclusivement social, ajouter la passation d’un contrat naturel de symbiose et de réciprocité où l’écoute admirative, la contemplation et le respect laisse de côté maîtrise et possessions.

– Le symbiote admet le droit de l’hôte, alors que le parasite – notre statut actuel – condamne à mort celui qu’il pille et qu’il habite sans prendre conscience qu’à terme il se condamne lui-même à disparaître. Le droit de symbiose se définit par la réciprocité : autant la nature donne à l’homme, autant celui-ci doit rendre à celle-là, devenue sujet de droit.

– Dans quel langage parlent les choses du monde pour que nous puissions nous entendre avec elles, par contrat ? En fait la Terre nous parle en termes de forces, de liens et d’interactions, et cela suffit à faire un contrat. Mais tout cela resterait lettre morte si on n’inventait un nouvel homme politique.

* LE MONDE du 12-13 août 2018, C’était mieux avant ? (1/6)), Michel Serres

1 réflexion sur “C’était mieux avant ? Oui, car ce sera pire après !”

  1. Pour combien cette amélioration de nos conditions de vie est-elle due à l’exploitation des ressources naturelles, y compris en ce qui concerne la fréquence des guerres par exemple, et pendant combien de temps pourrons-nous donc assurer cette amélioration?
    En effet, si on en tient compte, ça pourrait être pire après, et durablement.

Les commentaires sont fermés.