Compensation carbone, l’hypocrisie de l’aviation civile

Si elle est responsable de seulement 2 % du total mondial des émissions aujourd’hui, il faut rappeler que l’aviation est le seul secteur à les libérer directement en haute altitude dans l’atmosphère. De plus on prévoit doublement du nombre de passagers dans le monde d’ici à 2030. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) instaure un mécanisme mondial de compensation des émissions de gaz à effet de serre*. Victoire ? Que nenni ! C’est un leurre, du greenwashing (écoblanchiment). Il s’agit d’achat de crédits carbone par les compagnies aériennes auprès d’autres secteurs via une Bourse d’échanges. D’abord cette démarche est tellement graduelle que le climat aura le temps de chauffer : limiter d’ici à 2027 les émissions carbone sur les niveaux observés en 202 sur une base « volontaire », c’est ignorer le fait que tout accord sans mécanisme contraignant est inopérant. De plus, l’accord de l’OACI ne concerne que l’aviation internationale, alors que 40 % des émissions du secteur du transport aérien émanent des vols intérieurs. Surtout cet accord repose sur une simple « compensation carbone » au lieu d’un objectif réel de réduction d’émissions.

Toute activité humaine devrait « éviter, réduire et compenser » ses impacts sur les milieux naturels. La priorité est bien sûr d’éviter, « réduire » est de toute façon une nécessité, « compenser » n’est qu’un gadget inventé par les marchands. Le fait d’avoir commis un acte répréhensible se traduit par l’obligation de se rattraper dans un autre domaine. Cela permet de jouir plus longtemps de ce qui est contestable. Le monsieur qui offre un cadeau à sa femme après l’avoir trompée, c’est vieux comme l’adultère.

Avec la « compensation carbone », il n’est pas cohérent de contrebalancer ses propres émissions de gaz à effet de serre par le financement de projets destinés à en réduire d’autres ? Prenons l’exemple d’une personne en partance pour un long voyage, en plein dilemme, seule face à sa conscience d’écocitoyen. Cet européen doit partir en Asie : prend-t-il ou ne prend-t-il pas l’avion ? Mais oui, bien sûr, il suffit de s’acheter une indulgence : compenser son émission excessive de gaz à effet de serre en payant quelques arbres, en contribuant à la reforestation de pays dévastés. Ce genre de « compensation carbone » est un luxe que seuls les très riches peuvent se permettre. Il est donc logique d’en conclure qu’éviter l’hypocrisie de la compensation passe par l’appauvrissement drastique des riches.Le trafic des indulgences était une rémission totale ou partielle devant Dieu de la peine temporelle encourue en raison d’un péché pardonné, ce qui se faisait généralement contre espèces sonnantes et trébuchantes. L’économie se passe de la religion, mais utilise quand même ses artifices…

* LE MONDE du 7 octobre 2016, Climat : l’aviation civile adopte le gel des émissions de carbone