contre l’anthropocentrisme de l’art et des élections

L’Américaine Carolyn Christov-Bakargiev dénonce l’anthropocentrisme et plaide pour « l’émancipation » – et non la protection – des animaux et des plantes. « il n’y a aucune différence fondamentale entre les femmes et les chiens, ni entre les hommes et les chiens. Il n’y en a pas non plus entre les chiens et les atomes qui constituent mon bracelet.  » (…) « La question n’est pas de savoir si nous devons accorder le droit de vote aux chiens ou aux fraises mais comment une fraise peut faire part de son intention politique ». Selon Carolyn, dans une vraie démocratie, tous doivent pouvoir s’exprimer*.

S’exprimant ainsi, Carolyn aborde la question des acteurs absents, ceux qui ne participent pas à la prise de décision, mais qui sont pourtant concernés par cette prise de décision : non seulement les non-humains, mais bien sûr aussi les générations futures. Tout le problème est de savoir comment accorder un droit de vote à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. Tout simplement en s’en faisant leur représentant. Un décisionnaire qui ne représente pas dans ses choix une bonne analyse dans l’espace (considération de tous les éléments de la planète) et dans le temps (considération du futur) n’est pas un bon démocrate.

Carolyn Christov-Bakargiev va encore plus loin, elle remet en cause les fondements anthropocentriques de l’art. Il n’y a « absolument aucune différence » entre l’art humain et des produits créés par les animaux. « Construire une ruche a aussi un sens supérieur », remarque-t-elle. N’y aurait-il donc rien de particulier qui caractériserait l’art ? « Rien. Rien ou tout. Vous dites qu’il y a un lien entre une peinture rupestre et un Mondrian parce que vous venez de l’histoire de l’art et non de la physique quantique. Mais quand vous regardez pourquoi les hommes des cavernes peignaient, cela ne se différencie pas fondamentalement de la raison pour laquelle l’araignée tisse sa toile. C’est une question de survie, de nourriture et de plaisir. »

                L’art n’est qu’une technique à laquelle on attribue une valeur esthétique. Au début la diversité des pratiques musicales et gestuelles dans les sociétés premières, c’était l’art de communier dans un groupe. Puis l’art dans les sociétés complexes a été relié à une religion, puis au soutien d’un ordre politique. Maintenant c’est l’art marchand dont le contenu devient l’absence de contenu, autrement dit la licence de faire n’importe quoi pourvu que ça se vende. L’idée de communication sociale s’est fourvoyée dans une liberté dévoyée. Il y a plus d’art dans la contemplation d’un nuage que dans un tableau de la Joconde. Car le nuage nous unit à l’eau et à la vie, Leonard de Vinci croupit dans un musée.

* LE MONDE du 7 juin 2012, Les femmes, les chiens, les tomates : tout est culture