Contre-violence par destruction de biens

Je suis personnellement depuis le début des années 1970 fidèle adepte de la non-violence, engagé à l’époque dans un groupe de soutien aux objecteurs de conscience et objecteur moi-même. Gandhi est évidemment une de mes figures de référence. Pourtant je m’interroge aujourd’hui face aux déréglementations écologiques qui frappent presque tous les domaines de la vie sur Terre. Ce n’est plus seulement nos guerres imbéciles qui m’interpellent, mais l’extinction des espèces, les chocs pétroliers, les émissions de gaz à effet de serre, la raréfaction halieutique, etc. Comment lutter sur une planète qui brûle ? Comment lutter contre un système techno-industriel qui soutient le capital fossile ? Comment faire réfléchir une population cernée par des moteurs thermiques ? Les manifestations pour le climat se sont essoufflées aussi vite que commencées, Greta Thunberg se contente de dire aux politiques qu’ils feraient bien d’agir, les Conférences internationales sur le climat depuis plus de 25 ans n’ont absolument rien changé aux émissions de gaz à effet de serre ! Pire, des irresponsables au pouvoir dans plusieurs pays font l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Je me demande maintenant si une action contre les biens qui causent notre perte ne serait pas une obligation pour qui le sort des générations futures importe. L’arrêt brutal de nombre d’activités à cause de la Covid-19 a parfaitement montré qu’il fallait beaucoup déconstruire pour rendre l’air respirable et que c’était possible. Mais on ne parle maintenant que de relance économique et de soutien aux activités même les plus polluantes comme l’automobile ou l’aviation. Il est beaucoup trop rare de rencontrer des personnes qui prônent une action radicale contre la violence anti-écologique des biens consommés et des infrastructures actuelles, une contre-violence qui irait au-delà d’une non-violence jugée trop paisible. Ce genre d’analyse est restée ultra-minoritaires chez les activistes écologistes ; Greenpeace Sea Shepherd ou Extinction Rebellion par exemple ne détruisent aucun biens.

Il faut donc se rappeler les propos de Françoise d’Eaubonne au début des années 1970, le jour où elle fut scandalisée d’entendre un ami lui dire : « Le problème de la révolution passe au second plan devant l’urgence écologique. Le prochain acte réellement révolutionnaire sera l’attentat contre une centrale nucléaire en construction. Le Capital en est au stade du suicide, mais il tuera tout le monde avec lui ». Il lui aura fallu plus d’un an pour assimiler la profondeur de cette vérité. Au nom de la « contre-violence », Françoise d’Eaubonne participera à la lutte contre l’énergie nucléaire en commettant avec d’autres un attentat à l’explosif le 3 mai 1975 contre la centrale de Fessenheim, retardant de quelques mois son lancement. Elle a assumé cette position radicale jusqu’au bout puisque dans ses derniers tomes de mémoires elle écrit  : « La contre-violence semble très indiquée comme retournement de l’arme de l’ennemi contre lui-même ; il va de soi que les attentats ne visent que des points de rupture précis du front ennemi, économisant au maximum les vies humaines, utilisant les moyens destructifs pour instruire le plus grand nombre possible d’abusés du sens de cette guérilla urbaine. »*

De même un livre** récent d’ Andreas Malm se pose la question de la nécessité de dégonfler les pneus des SUV et détruire pipelines et autres éléments de l’infrastructure basée sur l’énergie fossile. A son avis le mouvement pour le climat devrait s’attaquer directement aux biens les plus néfastes en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Il veut forcer le mouvement écologiste à se poser des questions radicales : « Le problème, bien sûr, c’est que faire sauter un pipeline dans un monde à six degrés de plus, ce serait agir un peu tard. Doit-on attendre un assentiment quasi général ? Celui de la majorité ? D’une importante minorité ? » L’usage de la violence contre les biens est certes mal accepté socialement, imaginez la réaction du propriétaire d’un SUV qui retrouve au petit matin sa chère voiture avec les pneus crevés ! Pourtant maintenir le statu quo et le business as usual nous condamne à aller vers une planète invivable. Détruire du matériel qui condamne notre avenir sur une planète surchauffée et à bout de souffle n’est qu’un acte d’autodéfense, un acte de dénonciation d’une société ultra-violente qui en arrive même à dérégler les mécanismes de régulation automatique de la biosphère. Détruire des biens néfastes n’est pas du terrorisme, c’est aimer le présent, c’est sauver bien des vies humaines dans l’avenir, c’est le contraire de la violence. Le plus étonnant, c’est de constater que l’usage de la contre-violence est aujourd’hui rarissime alors que les périls se révèlent apocalyptiques…

Michel Sourrouille

* Françoise d’Eaubonne, « Écologie et féminisme (révolution ou mutation ?) », première édition en 1978, réédition 2018 aux éditions Libre & Solidaire

** Andreas Malm, « Comment saboter un pipeline », La Fabrique éditions, 2020

10 réflexions sur “Contre-violence par destruction de biens”

  1. Gandhi un modèle ? Pour moi non ! Déjà il n’a rien fait pour lutter contre la surpopulation dans son propre pays, on peut même dire qu’il a cautionné ce système nataliste avec les résultats que l’on sait.

    Ensuite sa phrase mythique “Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’homme, mais pas assez pour assouvir son avidité.”

    Désolé mais lorsqu’il a dit ça, c’était au plus tard en 1948 l’année où il est mort, mais il aurait prononcé cette phrase bien avant. En sachant qu’il est né en 1869 et décédé à 78 ans en 1948. Or en 1869, il n’y avait que 1,5 milliards d’habitants sur la Terre et 2,5 milliards l’année où il est mort. Alors peut-être que sa citation aurait pu être valable lorsqu’on était autour de 2 milliards d’habitants; et pourtant ce ne fut pas le cas ! Car 2 guerres mondiales !

    1. Or il s’est avéré dans les faits que 2 guerres mondiales ont pu se déclencher et se succéder avec seulement 2 milliards d’habitants. OR, aujourd’hui en 2020 on est le quadruple d’hbts (8 milliards) de ce que l’on était durant la vie de Gandhi.

      Alors oui, désolé, mais pour qu’une citation soit valable encore faut il qu’elle soit applicable et vérifiable dans les faits, et çà n’a pas été le cas à 2 milliards d’hbts, et encore en période de croissance de ressources naturelles. En l’occurrence je ne vois aucune raison pour que sa citation puisse se valider avec 8 milliards d’habitants en période de décroissance et déplétion de ressources naturelles. Comme le résume si bien Jancovici, on va devoir affronter de plus en plus de problèmes (citation à laquelle j’ajoute « tant par leur gravité que leur nombre ») avec de moins en moins de moyens

      Donc ça ne sert à rien de sorti Gandhi du placard car ses propos sont de l’ordre de l’utopie de Pangloss.

    2. Un modèle ou une référence ? On parle ici de non-violence. Sur ce sujet il est évident que Ghandi est une référence, si ce n’est un modèle pour certains. Une référence ou un modèle comme le sont bien d’autres, le pasteur Martin Luther King par exemple. J’ai cité Jésus, bien sûr on peut toujours dire que celui-là n’a rien écrit, qu’il n’est même pas certain qu’il ait existé, qu’il n’est qu’une légende etc. On peut également citer Bouddha, la non-violence est d’ailleurs au coeur du bouddhisme. Ou encore Socrate qui disait «qu’on ne peut ni condamner ni approuver la violence sans quelque grain de sagesse». La non-violence reste un principe que l’on retrouve dans bon nombre de religions et de philosophies, seulement faut voir comment ce principe a été appliqué. On peut aussi citer Proudhon, la question de la non violence a été également traitée chez les anarchistes. Proudhon qui toutefois n’éliminait pas absolument toute violence.

      1. Désolé, mais pour le coup, même si je ne partage pas tous les points de vue, bien que j’en partage aussi beaucoup de Yves Cochet, son affirmation est valide et vérifiable dans les faits historiques « Entre la civilisation et la barbarie, il n’y a que 5 repas d’écart »

        Tu sais, beaucoup de gens savent que c’est mal le meurtre, la pédophilie, le vol, la violence et le viol, et pourtant ils s’y adonnent sans scrupule, et sont même prêts à récidiver une fois de sortie de prison. Avoir la connaissance du bien et du mal ne suffit pas, d’ailleurs tout le monde connaît les concepts de bien et de mal, il faut quand même admettre que les concepts du bien et du mal sont entièrement diffusés à l’échelle globale. Pour autant, tous les individus n’adhèrent pas aux valeurs du bien dans son intégrité, dans les mêmes proportions, voir pas du tour.

        1. Or Gandhi part du postulat que tout le monde peut devenir gentil à 100%. Si tout le monde est gentil alors toutes les ressources seront bien partagées. C’est bien beau de refaire le monde avec des « Si » mais dans les faits, la majeure partie de l’humanité adhère et veut une expansion matérielle et de plaisir. D’ailleurs Sarkozy ne s’y n’est pas trompé pour rafler l’élection « Travailler plus pour gagner » en rappelant que gagner de l’argent c’est gagner en liberté notamment d’acheter ce qu’on veut, et tout ça saupoudrer de slogan  »pour penser à nos enfants » (les enfants sont bien instrumentalisés pour manipuler les cœurs)

        2. Mais Macron ne s’y trompe pas non plus, actuellement et comme par hasard lorsque la campagne de la future élection présidentielle devient imminente, il prononce «Je suis pour une société écologique mais pas Amish» (Macron utilisait déjà cette expression en… 2016, oups comme par hasard 1 an avant la présidentielle de 2017) Et si on suit la réaction des français dans les commentaires, et ben énormément de français se réjouissent « Ah enfin, Macron va enfin de parler des choses sérieuses comme la croissance et la technologie 5G » et ils vont revoter pour lui, et il va fort probablement gagner en promettant la croissance face à des écolos qui préconisent la décroissance, n’en doutez pas !

        3. Bien sûr, tout ce que tu racontes là fait bien partie de la réalité. Nous en revenons à la question de Biosphère : «Comment faire réfléchir une population cernée par des moteurs thermiques ?»
          Pour ça il faudrait (yaca-faucon) que le goût de la réflexion, voire de la méditation, le développement de l’esprit critique, soient au coeur des apprentissages dès la maternelle. On en est très loin, c’est un euphémisme. Et comme pour le climat et le reste, si… par je ne sais quel miracle, il était décidé aujourd’hui d’un virage à 180 degrés… alors nous devrions encore faire avec l’inertie. Or nous n’avons pas le temps.
          Nous pouvons retourner le Problème dans tous les sens, il ne nous reste plus qu’à admettre que nous sommes bel et bien plantés. Ce qui j’en suis conscient, n’est pas des plus facile.
          En attendant, les gens de bonnes volontés ne peuvent que faire de leur mieux. Plus exactement, ce qu’ils jugent être le mieux.

  2. – « faut-il faire brûler les SUV ? […] comment réagir à la violence extrême de notre système […] Comment lutter sur une planète qui brûle ? Comment lutter contre un système techno-industriel qui soutient le capital fossile ? Comment faire réfléchir une population cernée par des moteurs thermiques ? »

    Ces questions parfaitement légitimes ne concernent pas seulement les écolos, elles nous amènent évidemment à réfléchir sur la violence, la non-violence, la «contre-violence». Du moins devrait, parce que la réflexion aujourd’hui semble aussi avoir du plomb dans l’aile. En tous cas cette réflexion est bien antérieure aux problèmes environnementaux d’aujourd’hui, elle remonte aussi loin qu’on trouve des écrits. Jésus prêchait la non-violence, il aurait dit «Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente-lui l’autre». Et en même temps c’est à grands coups de lattes qu’il aurait chassé les marchands du temple.

    1. Mais après tout Jésus n’était qu’un homme… avec ses contradictions, ses paradoxes, ses poussées de testostérone etc. L’homme est violent, la femme beaucoup moins, quoique…
      Une chose est certaine, le monde est violent et il l’a toujours été. Le paradis sur Terre n’est qu’une légende, comme le monde des Bisounours, une belle histoire qu’on aime se raconter pour se rassurer et se donner la force d’avancer, de vivre. Le Système est violent, il l’est par essence, il repose sur la l’exploitation, la compétition, autrement dit la domination. Ce système, qui n’a fait que se métamorphoser et s’adapter au fil du temps, nous a conduit là où nous en sommes aujourd’hui. Voilà pour le constat.

      1. Partant de là chacun de nous est obligé de se poser des tas de questions. Le Capitalisme n’est-il pas finalement le système le mieux adapté à la nature humaine ? Si oui… qu’est ce que la «nature humaine» ? Et ainsi de suite, la poule et l’oeuf, le sens de tout ça, etc. etc.
        La vie n’est finalement qu’une lutte, nous observons ça partout dans le monde du vivant, ce n’est finalement qu’une question de biologie. En attendant, notre propre mort, nous devons lutter en permanence pour conserver notre propre équilibre vital. Et ça sera toujours à chacun de trouver son «meilleur remède», «à chacun sa came». Certains auront alors besoin de FAIRE de la politique, ou la guerre, ou du sport (c’est pareil), d’autres de l’humanitaire, ou le colibri, ou d’écrire des bouquins, ou de brûler des SUV, couler des bateaux etc. etc. Pendant ce temps d’autres se contenteront de lutter contre leur propre bêtise.

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