COP21 : interdire les manifs, c’est un abus de pouvoir

Pauvre humanité qui se crée ses propres problèmes. Face au délire médiatique et policier entraîné par les attentats du 13 novembre à Paris, peu d’esprits clairvoyants montrent qu’il faut savoir raison garder et donner aux événements la place qu’ils méritent dans la hiérarchie des informations. Finalement la conférence sur le climat va s’ouvrir le 30 novembre sur un bruit de bottes, et on ne gardera à l’esprit que ce bruit-là et pas l’urgence écologique. Face à ce déni, voici un aperçu de la clairvoyance de Naomi Klein :

« La décision du gouvernement français d’interdire les manifestations, marches et autres « activités en extérieur » pendant le sommet du Climat est perturbante à plusieurs niveaux. Ce qui m’inquiète le plus, c’est cette question centrale : qui sont les personnes dont la sécurité est considérée importante dans notre monde asymétrique ?

La première chose à comprendre, c’est que les personnes exposées aux pires effets du dérèglement climatique ne peuvent quasiment pas se faire entendre dans le débat public occidental. C’est pour cette raison que des habitants des îles du Pacifique, des chasseurs Inuits et des personnes de couleur pauvres vivant à la Nouvelle Orléans parcourent des milliers de kilomètres pour y participer. Participer à ce sommet c’est mettre des visages humains sur la catastrophe en train de se produire. Les voix des gens ordinaires s’expriment surtout dans les rassemblements de base qui se tiennent parallèlement au sommet. Or le gouvernement français a décidé de confisquer le plus puissant de ces porte-voix, en affirmant qu’assurer la sécurité des manifestations mettrait en péril sa capacité à garantir la sécurité du sommet officiel où les dirigeants politiques vont se rencontrer. Mais un sommet du climat des Nations-Unies n’est pas comme une réunion du G8 ou de l’Organisation Mondiale du Commerce, où les puissants se rencontrent et ceux qui n’ont pas de pouvoir tentent de gâcher leur fête. Les évènements concomitants de la « société civile » ne sont pas un ajout ou une distraction de l’évènement principal. Elles font intégralement partie du processus. C’est pourquoi le gouvernement français n’aurait jamais dû être autorisé à décider quelle partie du sommet il annule, et quelle partie il continue d’accueillir.

Le gouvernement de François Hollande a pris une série de décisions qui reflètent une échelle de valeurs et de priorités très particulières quant à qui obtient la pleine protection de sa sécurité par l’Etat. Oui aux dirigeants du monde, aux matchs de foot et aux marchés de Noël. Non aux manifestations pour le climat et aux rassemblements qui reprochent aux négociations, compte-tenu du niveau des objectifs de réduction des gaz à effet de serre, de mettre en danger la vie et les conditions de vie de millions, si ce n’est de milliards de personnes. C’est une violence. Quand les gouvernements et les grandes entreprises échouent en conscience à agir pour empêcher la catastrophe du réchauffement, c’est un acte de violence. C’est une violence si grande, infligée à tant de périodes temporelles à la fois (vies présentes, futur potentiel) qu’il n’existe pas encore de mot capable de décrire toute cette monstruosité. Faire preuve de violence pour réduire au silence ceux qui sont le plus vulnérables à la violence climatique est une violence de plus.

La décision d’interdire les espaces où les voix des personnes affectées par le climat auraient pu s’exprimer, est l’expression dramatique d’un abus de pouvoir. Encore une fois, un pays occidental riche place la sécurité des élites devant les intérêts de ceux qui se battent pour leur survie. Encore une fois, le message est : notre sécurité n’est pas négociable, la vôtre ne compte pas. Pour expliquer pourquoi les matchs de foot se tiendraient comme prévu, le ministre français des Sports a déclaré : « la vie doit continuer ». Oui, c’est vrai. C’est la raison pour laquelle j’ai rejoint le mouvement pour la justice climatique. Parce que quand les gouvernements et les grandes entreprises échouent à prendre en compte toutes les vies sur Terre, ils doivent être contestés »

Source : Les invités de Mediapart