COP26, le piège du développement (durable)

Audrey Garric : Si le principal émetteur mondial, la Chine, est devenu le premier producteur d’éoliennes et de panneaux solaires, il est dans le même temps toujours « accro » au charbon : sa consommation croît, et le pays continue de construire de nouvelles centrales. Son voisin indien, quatrième émetteur de gaz à effet de serre (après l’Union européenne et les Etats-Unis), suit la même trajectoire au nom du droit au développement.

Commentaire : La société mondialisée fonctionne par des catéchismes que tout le monde se doit de suivre. Aors que nous éloignons ici et là des vulgates religieuses, le monde occidental a inventé un nouveau slogan, le « développement ». C’était un piège ! Le « droit au développement », imposé au niveau international, va permettre aux pays industrialisés de multiplier leurs émissions de gaz à effet de serre. Les pays « émergents » vont être soumis à cet impératif de croissance économique au nom du rattrapage. Toute la planète va imiter un modèle civilisationnel basé sur la combustion des énergies fossiles. Voici un historique fait par Gilbert Rist  de cette invention conceptuelle qui explique pourquoi la COP26 ne peut aboutir qu’à l’échec. Il faudrait accepter la sobriété partagée, ce n’est pas dans l’air du temps.

« Le « développement » est un leurre agité par les puissances occidentales pour mondialiser leur propre système.Cela commence avec l’article 22 du pacte de la Société des nations (1919) : « Les principes suivants s’appliquent aux colonies et territoires qui sont habités par des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le développement de ces peuples forment une mission sacrée de la civilisation. La meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle des ces peuples aux nations développées. » Ce texte utilise pour la première fois dans la littérature internationale la notion de « degré de développement » pour justifier un classement des nations, tout en affirmant qu’il existe, au sommet de l’échelle, des nations « développées ». La colonisation acquiert ses lettres de noblesse ! Cela se poursuit en 1949 avec le point IV du discours d’investiture de Truman. Pour la première fois l’adjectif « sous-développé » apparaît dans un texte destiné à une pareille diffusion. Cette innovation terminologique introduit un rapport inédit entre « développement » et « sous-développement ». A l’ancienne relation hiérarchique des colonies soumises à leur métropole se substitue un monde dans lequel tous les États sont  égaux en droit même s’ils ne le sont pas encore en fait. Dans ces conditions, une accélération de la croissance apparaît comme la seule manière logique de combler l’écart. Non seulement on évacue les effets de la colonisation, du démantèlement de l’artisanat, de la  déstructuration des sociétés, etc., mais encore on fait comme si l’existence des pays industriels ne transformait pas radicalement le contexte dans lequel évoluent les candidats à l’industrialisation. Ainsi, à partir de 1949, plus de deux milliards d’habitants de la planète ne seront plus Aymaras, Bambaras, Berbères, Mongols ou Quechuas, mais simplement « sous-développés ». L’esprit est conditionné au sous-développement lorsqu’on parvint à faire admettre aux masses que leurs besoins se définissent comme un appel aux solutions occidentales, ces solutions qui ne leur sont pas accessibles. Car en cessant d’être un processus endogène et autocentré d’évolution spécifique à chaque société, le développement ne pouvait plus être une dimension de l’histoire humaine, seulement une imposture. »

lisez Rajid Rahnema et devenez pauvres

Nous avons apprécié les deux livres de Majid Rahnema es Quand la misère chasse la pauvreté  et La Puissance des pauvres. Grâce à lui, nous savons qu’il y a une pauvreté désirable et une misère à proscrire. Redéfinissions la pauvreté. Dans l’Afrique traditionnelle, on considère comme pauvre non pas celui qui manque de moyens matériels, mais celui qui n’a personne vers qui se tourner, devenant ainsi un orphelin social, un pauvre en relations. Cela n’exonère pas les riches de devenir eux-mêmes beaucoup moins riches en pratiquant la sobriété énergétique et la simplicité du mode de vie.

En savoir plus grâce à notre blog biosphere :

27 juillet 2016, L’austérité qui libère contre l’austérité-gabegie

20 juillet 2013, La décroissance pour s’affranchir de l’impérialisme éco

29 octobre 2007, de la pauvreté à la misère

6 réflexions sur “COP26, le piège du développement (durable)”

  1. – « Redéfinissions la pauvreté. Dans l’Afrique traditionnelle, on considère comme pauvre non pas celui qui manque de moyens matériels, mais celui qui n’a personne vers qui se tourner, devenant ainsi un orphelin social, un pauvre en relations. »

    La pauvreté comme la richesse sont des notions subjectives, qui varient selon les endroits et les époques. Pas besoin d’aller en Afrique pour voir toutes sortes de pauvres et de misérables. Entre les pauvres diables, les pauvres bougres, les pauvres types, les pauvres garçons et les pauvres filles, sans oublier les pauvres cons, les pauvres misérables et Jean Passe, rien que «chez nous» nous sommes super équipés. Misère misère !

  2. Esprit critique

    Quand on a compris ce qu’est le «Développement» (aujourd’hui devenu «durable») on voit bien que le «droit au développement» n’est en fait que le droit, pour certains, à accumuler toujours plus de capital (Pognon). On peut donc dire que ces catéchismes, que tout le monde se doit de suivre… afin que la société mondialisée fonctionne comme elle fonctionne… ne sont finalement que le Catéchisme du Capitalisme. Et quand on a compris ça, alors on peut dire que les G7, G20, COP etc. ne sont que des grandes messes à la gloire de cette religion.

    Un catéchisme est lié à une religion. La religion renvoie au sacré et tout ce qui va avec.
    Comme toute religion, qui se respecte… le Capitalisme en possède tous les attributs, il ne lui en manque aucun. Le Capitalisme a son dieu, il s’appelle Pognon, il a ses dogmes, son catéchisme et son sacré. (à suivre)

    1. Eprit critique

      Déjà ses textes sacrés. L’article 22 du pacte de la Société des nations (1919) dit que «Le développement de ces peuples [dits «sous-développés»] forment une mission sacrée de la civilisation.» Dans le sacré nous avons donc ces «missions sacrées». Avec leurs missionnaires et autres évangélistes. Au nom du Bien, les croisades et autres guerres «saintes» n’ont pour but que de porter (et d’imposer) la Bonne Parole.

      1. Le Capitalisme a aussi ses saint(e)s. Tous et toutes évidemment sacré(e)s !
        Le sacro-saint Développement (aujourd’hui devenu «durable»), la sacro-sainte Croissance (aujourd’hui devenue «verte»), le sacro-Business (as usual !), la sacro-sainte Bagnole (aujourd’hui électrique), la sacro-sainte Innovation, fille du sacro-saint Progrès, celui qui progresse pour des siècles et des siècles amen.
        Et il a bien sûr ses églises et ses chapelles, ses cathédrales (les grandes places boursières mondiales), ses petites et grandes messes (G7, COP etc.), ses évêques et ses curés (banquiers, économistes, profs d’économie, de marketing et j’en passe), ses marchands du Temple (marchands de tout et de n’importe quoi).
        Et bien sûr ses bedeaux et ses fidèles sans qui cette satanée religion n’existerait pas.

  3. Plutôt que suivre au jour le jour l’«avancée» des «négociations climatiques» à Glasgow, mieux vaut en effet se pencher sur Histoire.
    Hier soir (3 novembre) FR2 a rediffusé «L’épopée des gueules noires» (visible en streaming).
    Ce documentaire raconte un pan de l’histoire de France, l’histoire de ces centaines de milliers de mineurs qui pendant deux siècles ont bravé le danger, la peur, le noir, les coups de grisou, pour extraire le charbon. Même ceux pour qui ce mot n’est que le titre d’un film, tout le monde a entendu parler de Germinal. Ça c’était à la fin du 19ème siècle. Au lendemain la Première guerre mondiale il faut à tout prix relancer et faire tourner la Machine, sauf que pour extraire ce précieux charbon on manque de bras. Alors on fait venir des polonais, et plus tard vers la fin, des marocains. On pense encore à Zola.

    1. (suite) Le charbon français n’étant plus assez rentable, la fin de cette histoire fut donc programmée. Et jusqu’à la fin on aura pressé le citron, un seul mot d’ordre, toujours plus !
      Le 25 février 1985 un coup de grisou fait 22 morts à Forbach. Le 5 décembre 1997 c’est la fermeture du dernier puits de Forbach. L’histoire du charbon en France se termine à Creutzwald en 2004. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’aura pas de suite.

      L’histoire du charbon, celle du pétrole, celle du nucléaire, celle de l’automobile etc. etc. font parties intégrantes de l’histoire du «Développement». Et cette histoire là, dont Gilbert Rist nous raconte ici un volet, rentre dans une autre histoire bien plus vaste.
      L’histoire du «Développement», celle de l’Évangélisation (des «sauvages»), celle du commerce triangulaire, celle des colonies etc. toutes ces histoires là constituent la grande histoire du Capitalisme.

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