Covid-19, le vertige des exponentielles

On ne se méfie jamais assez des exponentielles. Si tu es porteur du virus et que tu contamines deux personnes, ces deux personnes vont transmettre à leur tour le Covid-19 à quatre personnes, puis à 8, etc. Cela apparaît au début peu inquiétant, mais au bout de dix transmissions, une seule personne en a rendu malade 1 027 ; au bout de 20 transmissions il y a plus de un million (1 048 576) de personnes infectées. Ce schéma théorique est proche de la vitesse de diffusion du coronavirus. La courbe épidémique chinoise semble montrer un « R0 » de 2,2. Le R0 correspond au nombre moyen de personnes qu’un individu infecté peut contaminer en six jours. Cela peut paraître proche du 1,3 de la grippe, pourtant le nombre de contaminés s’envole beaucoup plus vite. D’où la période de confinement que les gouvernements généralisent dans la plupart des pays, il faut bloquer impérativement la chaîne de transmission le plus vite possible.

De façon imagée, la parabole du nénuphar nous indique qu’il ne faut pas tarder à prendre des décisions politiques. Imaginons un nénuphar planté dans un grand lac qui aurait la propriété de produire chaque jour son semblable tout en continuant à vivre et se reproduire. On estime qu’au bout de trente jours, la totalité du lac va être couverte, ce qui provoquerait l’extinction de la vie. On se décide à n’intervenir qu’au moment où les nénuphars auront occupé la moitié du lac. Quel jour donc ? Réponse : non pas 15 jours, comme on pourrait le penser un peu hâtivement, mais bien au 29ème jour, c’est-à-dire la veille, puisque le double de superficie est recouvert chaque jour. Au bout du 24ème jour, 97% de la surface du lac est encore disponible et on ne pouvait imaginer visuellement la catastrophe qui se préparait dans une semaine. Le cerveau humain semble difficilement saisir les propriétés d’une croissance exponentielle, une vitesse fulgurante, et il n’y a pas que le Covid-19 qui est en cause.

Notre consommation exponentielle des ressources naturelles épuisera beaucoup plus vite que nous l’imaginons le potentiel de la Terre. Malthus en 1798 avait déjà montré les méfaits de l’augmentation exponentielle de la population humaine : « Lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doubler tous les vingt-cinq ans, et croît de période en période selon une progression géométrique (autre expression pour dire évolution exponentielle) ». Le rapport au club de Rome de 1972 dénonçait aussi les exponentielles : « Chaque jour pendant lequel se poursuit la croissance exponentielle rapproche notre écosystème mondial des limites ultimes de sa croissance. Étant donné les temps de réponse du système, si l’on attend que ces limites deviennent évidentes, il sera trop tard. Décider de ne rien faire, c’est donc décider d’accroître le risque d’effondrement. Adopter un tel comportement, nous l’avons maintes fois démontré, c’est finalement courir au déclin incontrôlé de la population et des investissements par voie de catastrophes successives. Cette récession pourrait atteindre des proportions telles que le seuil de tolérance des écosystèmes soit franchi d’une manière irréversible. Il resterait alors bien peu de choses sur terre permettant un nouveau départ sous quelque forme envisageable que ce soit. »

Le problème de nos dirigeants, c’est qu’ils considèrent qu’ils sont comptables du nombre de nos morts seulement s’il s’agit d’un péril immédiat. Exemple avec ce coronavirus. Par contre le nombre de morts par le réchauffement climatique provoqué directement ou indirectement par les émissions exponentielles de nos gaz à effet de serre, cela paraît trop lointain pour qu’on y prête attention. Nos décideurs devraient connaître la parabole du nénuphar… (article de Michel Sourrouille paru antérieurement sur le site des JNE)

Nous écrivions le 2 septembre 2017 sur ce blog biosphere, « Croissance exponentielle, ennuis imminents à prévoir »

5 réflexions sur “Covid-19, le vertige des exponentielles”

  1. La grippe revient chaque année, donc au moins 30 à 40 % de la population a une certaine immunité. Et il existe un vaccin. Il est certes peu utilisé, mais les personnes âgées et une partie des soignants sont vaccinés. Pour les patients fragiles, avec des pathologies préexistantes, le virus est un tueur indirect : c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le Covid-19 est beaucoup plus violent, avec une dégradation rapide de l’état de santé des patients. Les durées d’hospitalisation en réanimation sont aussi beaucoup plus longues, en moyenne deux semaines… En l’absence de vaccin, nous estimons que le Covid-19 pourrait à terme faire plusieurs centaines de milliers de morts…
    Pascal Crépey est enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques

  2. La courbe de Gauss est d’une autre nature qu’une exponentielle dont l’axe des abscisses est le temps, La courbe de Gauss décrit une répartition symétrique d’une population par rapport à la moyenne de l’une de ces caractéristique., même si dans certains cas, les pentes d’un côté et de l’autre peuvent ressembler à des exponentielles. la courbe de Gauss présente une symétrie ce qui n’est pas forcément le cas d’une évolution temporelle
    les exponentielles dont nous parlons relèvent d’autre chose, elle décrivent une évolution (parce que le temps est en abscisse justement).
    Cela dit oui, il n’y a que dans le monde des mathématiques pures que les exponentielles se poursuivent. Dans le monde réel la finitude de la matérialité les interrompt inévitablement

    1. Vous avez raison Didier Barthès, les mathématiques ne se contentent pas d’approximations, alors soyons puristes 😉
      Dans mon exemple j’aurais dû en effet éviter de parler de Gauss, j’aurais dû en rester à la cloche. Tout le monde sait que le déroulement d’une épidémie se traduit généralement par une courbe en cloche. Olivier Véran lui-même nous l’a très bien expliqué récemment. L’axe des ordonnées représente le nombre des malades et l’axe des abscisses le temps, justement. Dans ce genre de représentation, la cloche n’a évidemment pas besoin d’être parfaitement symétrique. Ceci dit vous avez parfaitement raison de dire qu’il n’y a que dans le monde des mathématiques pures que les exponentielles se poursuivent … jusqu’à l’infini. Ah l’infini … il n’a pas fini de nous faire rêver celui-là ! 🙂

  3. Trois scénarios d’évolution de l’épidémie, avec des taux de transmission (R0) différents. Dans la version « optimiste », qui correspond au cas de figure où la population est confinée, chaque malade contamine une personne et demie. Dans le scénario « médian », ce nombre de transmissions passe à 2,25 et dans le scénario « pessimiste », il grimpe à trois. La France, avant que ne soient prises des mesures de « distanciation sociale », se situait certainement dans un entre-deux, avec 2,6, si l’on se base sur les études faites en Chine… En Ile-de-France, par exemple, nos calculs montrent que, dans le scénario « pessimiste », plus de 4 000 patients pourraient être hospitalisés simultanément en réanimation, pour une capacité d’un peu plus de 1 100 lits…

  4. – «On ne se méfie jamais assez des exponentielles.»
    Certes, et à tel point qu’on a peut-être tendance à les voir partout. Certes, les courbes exponentielles peuvent nous donner le vertige, seulement les courbes de Gauss (en cloches) nous ramènent toujours sur Terre. Pour ne prendre que ce coronavirus en exemple, si l’épidémie se propage actuellement en Europe selon une exponentielle, ce n’est heureusement plus le cas en Chine.

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