Critiquer la PMA pour respecter les cycles naturels

Dès 1954, Jacques Ellul s’indignait contre cette pensée naïve qui renaît sans cesse de ses cendres : ce n’est pas la technique qui est mauvaise, c’est l’usage qu’on en fait

« Il faut méconnaître la technique pour penser ainsi. Elle s’engendre elle-même. Les caractéristiques à un stade donné de son développement font apparaître la possibilité et la nécessité d’un autre stade. Aucune fin morale ne l’infléchit. Nulle part, personne ne déclare : Nous technicisons l’homme, nous soumettons l’homme à la technique. Pourquoi ? Parce que dans aucune des techniques appliquées à l’homme on ne retrouve l’homme entier. On s’en lave les mains et on déclare que l’homme reste intègre dans cette aventure. »*

Mais Ellul n’avait apparemment aucune grille d’analyse qui permette de condamner précisément telle ou telle technique. Par exemple, pour la procréation médicalement assistée, il se contentait de dire que l’État n’avait pas s’immiscer dans la morale (et donc ne pouvait légiférer sur la PMA). Seule l’Église avait son mot à dire, mais il ajoutait aussitôt que l’Église s’était tellement déconsidérée dans ses prises de position qu’on ne pouvait plus lui faire confiance**. La société se retrouverait-elle donc sans voix face à la PMA ? Jacques Ellul ajoute cependant une piste de réflexion qu’il nous est possible de développer : « Il y a quand même un certain nombre d’éléments de la vie qu’il faut accepter. La nature, on doit l’écouter très souvent. » La nature, l’écologie, aurait-elle son mot à dire.

Le texte de Pierre-Jean Dessertine que nous avions repris dans le billet précédent peut être commenté en ce sens. La PMA, comme les OGM, c’est d’abord une marchandisation du vivant : « grosse somme d’argent qu’il faut débourser pour le médecin technobiologiste qui choisit sperme et ovule pour la fécondation in vitro. » Une femme se refuse à admettre sa stérilité naturelle pour faire confiance à des spécialistes bien rémunérés, c’est symptomatique d’une société de riches qui a oublié le sens des limites données par la nature à nos capacités de reproduction. Dessertine condamne ensuite une dérive transhumaniste : « La mise en place d’une pratique eugénique socialement acceptée est une pièce maîtresse du projet transhumaniste… On pourra choisir, on ne pourra manquer de choisir, entre les gènes disponibles à la main du technobiogénéticien… On remet en cause la procréation selon les hasards de l’amour qui assure un réassortiment constant des gènes. » Avec la PMA, il s’agirait de refuser la sélection naturelle pour « améliorer », par une technique de pointe, sa propre progéniture… qui en fait, paradoxe suprême, ne résulterait même pas le plus souvent des propres gènes du couple (transfert d’embryons, insémination par le sperme d’un donneur, etc.). Il y a là quelque chose d’absurde !

Notre société a tellement développée la division du travail que même des fonctions aussi naturelles que la reproduction humaine est devenue la tâche de spécialistes utilisant des techniques de plus en plus complexes. C’est une application de la pensée de Jacques Ellul montrant l’autonomie de la technique, une technique se superposant à la technique précédente puisque nous recherchons toujours l’efficacité la plus grande (le profit maximum). Faisant cela, nous avons oublié le sens des limites, à commencer par la limite naturelle que représente la stérilité (ou même la ménopause). Or l’expérience internationale et l’évolution de la législation française nous montrent que la morale religieuse ou l’éthique de la Terre ne peuvent résister à l’impérialisme des applications techno-scientifiques.

Mais restons optimiste. Seule une société riche et spécialisée peut suivre ce cycle infernal du « progrès » technique. Comme notre richesse provient principalement de l’utilisation d’énergie fossile, la raréfaction du pétrole et autres ressources va provoquer l’effondrement de cette société thermo-industrielle. Par effet de domino, nous serons obligés de réduire à néant toutes les utilisations marginales de la technique. La société redeviendra plus respectueuse des cycles naturels non par volonté propre, mais par obligation imposée par les limites de la biosphère. Exit la PMA !

* Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Paris, A. Colin, 1954, p. 90

** chapitre XV des Entretiens d’Ellul avec Patrick Chastenet (La table-Ronde)

1 réflexion sur “Critiquer la PMA pour respecter les cycles naturels”

  1. Carlos da Silva, député PS :
    Je suis contre l’introduction d’un amendement autorisant la PMA dans le projet de loi sur le mariage pour tous… La PMA (procréation médicalement assistée) n’est autorisée aujourd’hui qu’à partir du moment où il y a un problème d’ordre médical. Si elle est autorisée pour des femmes mariées homosexuelles, nous sommes en rupture d’égalité flagrante car cela serait permis aux femmes mariées homosexuelles ou hétérosexuelles, mais on exclurait les célibataires… Ces couples auraient de surcroît accès à un droit auquel les couples d’hommes n’auraient, eux, pas accès. Cela entraînerait inévitablement un débat sur la GPA (gestation pour autrui) à laquelle je suis opposé. Il n’est pas impossible que le conseil constitutionnel rejette un tel article car il y a une rupture manifeste d’égalité des droits…
    Je ne me sens pas tenu uniquement par des fidélités politiques, mais aussi par ma conscience. Nous devons prendre le temps de réfléchir à ce qu’est le corps humain, la vie, son déroulement, sa fin…
    http://www.lavie.fr/actualite/france/carlos-da-silva-depute-socialiste-s-oppose-a-l-amendement-pma-21-12-2012-34481_4.php

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