Culture de la peur et extrémismes, Rachel Carson ?

Cinquante ans, 1962-2012, que Rachel Carson a publié son livre « Le printemps silencieux » : en résumé, l’usage du DDT tue les oiseaux, le silence règne sur les champs. Un site Internet commente : « La rhétorique extrémiste de Rachel Carson a généré une culture de la peur*. » En France des personnes mal-intentionnées comme Christian Gerondeau, dans son brûlot « Ecologie, la fin », reprennent la même thématique. Gerondeau est en fait un marchand de doute, si bien décrit par Naomi Oreskes et Erik Conway dans leur livre Les marchands de doute. La démarche des marchands et de leurs suppôts est toujours la même, que ce soit pour le tabac, pour les pesticides ou pour le réchauffement climatique, faire douter de la science pour mieux assurer le pouvoir des intérêts financiers.

En 1962, lorsque des extraits du livre de Rachel ont été publiés dans le New Yorker, un chœur bien orchestré a accusé Rachel d’être hystérique et extrémiste. Comme Rachel était une femme, l’essentiel de la critique qui lui fut adressée jouait sur les stéréotypes de son sexe. Même l’Association médicale américaine avait pris fait et cause pour les industries chimiques. Alors le Président Kennedy avait constitué un comité pour examiner les conclusions du livre : Rachel avait scientifiquement raison. Le système des pesticides est un pari faustien, nous sommes gagnants à court terme, au prix d’une tragédie à long terme : les « nuisibles » s’adaptent par mutation, et les produits chimiques deviennent impuissants.

Rachel Carson avait une piètre opinion de ses attaquants : « Le tir de barrage chimique, arme aussi primitive que le gourdin de l’homme des cavernes, s’abat sur la trame de la vie, sur ce tissu si fragile et si délicat en un sens, mais aussi d’une élasticité et d’une résistance si admirables, capables même de renvoyer la balle de la manière la plus inattendue » … « Vouloir contrôler la nature est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal. » Oui, Rachel a raison, les hystériques et les extrémistes qui nient les nuisances d’une partie de nos techniques sont des hommes des cavernes qui en restent à l’âge de Neandertal. Ils en restent au gourdin de pierre de la chimie pour tenter en vain de résoudre le problème de notre coexistence avec les autres créatures peuplant la biosphère. En 1962, lorsque son livre Printemps silencieux est paru, le mot « environnement » n’existait pas dans le vocabulaire des politiques publiques. C’est Rachel Carson qui a initié véritablement le mouvement de l’écologie politique qui structurera tout le XXIe siècle si on veut échapper aux extrémistes qui nient les avancées de l’écologie scientifique. Rachel était une biologiste…. et un prophète.

* LE MONDE du 30 août 2012, Une pionnière de l’écologie, Rachel Carson