« Darmanin au service du vieux monde »

Reporterre —  Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin parle du « terrorisme intellectuel » qui soutiendrait Les Soulèvements de la Terre. Votre nom apparaît, vous sentez-vous personnellement visé ?

Philippe Descola — Oui, mais cela m’amuse plutôt. J’ai 73 ans et une longue vie de recherche derrière moi. Je ne m’imaginais pas, un jour, être un gibier pour les renseignements généraux et qu’on puisse ainsi me considérer comme une source de dangers. En tant qu’anthropologue, je me retrouve dans une situation paradoxale : je suis désormais un enquêteur enquêté. « Terrorisme intellectuel » ? Le ministre de l’Intérieur manie le vocabulaire de la langue française avec la délicatesse d’un hippopotame ! Cette expression est absurde. Le terrorisme exprime la volonté d’imposer un point de vue ou un régime politique par la terreur. Or, je ne vois pas très bien quels seraient nos instruments, à nous, intellectuels et chercheurs, pour faire régner la violence. Il veut faire diversion et éclipser la colère légitime qui s’exprime contre les grands projets d’aménagement polluants et destructeurs. Il pense qu’il existerait une vaste machinerie politique poussée par « l’ultragauche ». Alors que les gens qui se mobilisent, aujourd’hui, sont d’abord mus par un sentiment d’urgence vitale, une prise de conscience profonde des limites planétaires et de la dévastation écologique. La dévastation écologique est un véritable moteur pour la rébellion. C’est également ignorer le monde intellectuel. Les chercheurs mènent d’abord un travail scientifique, minutieux et rigoureux qui ensuite, progressivement, irrigue le débat public. Les idées circulent et conduisent à se mobiliser, mais cela n’a rien à voir avec de l’endoctrinement. Ce n’est pas prescriptif. Les intellectuels fournissent simplement des clés pour mieux comprendre le monde.

On a longtemps cru que les pensées écologiques étaient gentillettes, qu’elles se préoccupaient simplement de la construction de pistes cyclables ou du tri des déchets. Mais en réalité, elles vont beaucoup plus loin. Elles sont porteuses d’une transformation profonde de nos modes de vie et de gouvernance. Le fait qu’elles soient férocement combattues et que le mouvement écologique subisse la répression de l’appareil de l’État le prouve. Aujourd’hui, cette goinfrerie effrénée vis-à-vis des ressources limitées de la Terre n’est plus concevable et une grande partie de la jeunesse s’en rend compte. Il faut inventer d’autres formes de coexistence avec la Terre et les non-humains, on ne peut pas dissoudre des idées. C’est une profonde lame de fond qui touche notre société. S’y opposer est un combat d’arrière-garde. Il est illusoire de croire que l’on peut stopper un mouvement comme Les Soulèvements de la Terre. Il est trop diffus, trop collectif, trop multiple et insaisissable. Il relie autour de lui des associations, des naturalistes, des syndicats.

Permettez-moi même un parallèle. C’est comme en 1789, au moment de la révolution française. On ne pouvait pas dissoudre le Tiers État. C’était un mouvement de protestation trop vaste qui gagnait les villes et les campagnes et qui répondait à une situation intolérable. Aujourd’hui, il se joue quelque chose d’aussi profond, des milliers de personnes bifurquent et désertent. C’est faire beaucoup d’honneur à des intellectuels que leur imputer la responsabilité de ces mouvements, qui naissent de la lucidité de milliers de personnes ouvrant les yeux sur le monde qui les entoure.

Aujourd’hui, le gouvernement est fébrile. Il sait qu’il ne pourra pas résoudre les problèmes liés à la sécheresse et au réchauffement climatique uniquement par des grenades lacrymogènes et des tirs de LBD.

2 réflexions sur “« Darmanin au service du vieux monde »”

  1. – « Premier réflexe lorsqu’on veut entamer une réflexion sur le moindre concept: le définir de façon «brute», c’est-à-dire demander au dictionnaire ce qu’il désigne à la base. […]
    Chacun a les moyens intellectuels (en principe…) de faire la différence entre le sens propre et le sens figuré, de comprendre ce qu’est une image. […] Intellectuelle ou pas, toute forme de terrorisme est condamnable, au même titre que toutes les autres formes de violence. Mais les mots qui les désignent, eux, n’y sont pour rien. »
    ( Le «terrorisme intellectuel» doit-il lui aussi être condamné? – Par Bérengère Viennot
    – 13 avril 2023 – slate.fr )

    Chacun a les moyens intellectuels, en principe… Misère misère !
    – « Une nouvelle étude à ce sujet vient de sortir. Selon les répondants, ils n’en ont pas tant que ça. Qui l’eût cru? »
    ( Quatre Français sur dix admettent ne pas avoir d’esprit critique – Par Bérengère Viennot
    – 02 avril 2023 – slate.fr )

    1. Darmanin à une tête à tartes. Oh certes il n’est pas le seul. Pour n’en citer que quelques un(e)s je pense de suite à Manu, à son binôme Alexis Kohler, sa première marionnette Elisabeth Borne, et Jean Passe. Je vous jure il y a des tartes qui se perdent. Seulement attention, n’allez pas penser que je vous encourage là à leur foutre des baffes, si l’occasion se présentait.
      Non, là encore (voir commentaire précédemment) le premier réflexe lorsqu’on veut comprendre ce que raconte Pierre Paul ou Jacques, c’est de demander au dictionnaire ce que «tarte» désigne à la base.
      Reste à voir si Noël Godin, surnommé Georges Le Gloupier, alias l’Entarteur, est un terroriste ou pas. En deux clics je vois que oui. Étant donné qu’il revendique clairement ses «attentats pâtissiers», il s’est donc retrouvé qualifié de «terroriste pâtissier» et de «terroriste burlesque». Me voilà donc partisan du «terrorisme crémeux». Gloup gloup !

Les commentaires sont fermés.