Décarboner, c’est rompre avec les libertés

Frédérique Laget : Le nœud du problème pour décarboner est triple : d’abord, il faudrait prendre des mesures extrêmement dures, voire liberticides ; ensuite, un pays ne peut agir seul, il faut nécessairement une coordination à l’échelle mondiale ; enfin, il faut lutter contre l’atomisation croissante des sociétés, où les intérêts particuliers tendent à empiéter sur l’intérêt commun. Les mesures à prendre concerneraient la vie quotidienne : interdiction de construction de nouvelles maisons individuelles (toute construction neuve étant réservée à l’habitat collectif), mise en place d’un couvre-feu thermique dès 2025, interdiction des voitures thermiques dans les centres urbains dès 2024 (les villes devenant dédiées au vélo et aux transports en commun), limitation généralisée des températures dans les logements et les bureaux, obligation pour toute parcelle de jardin de devenir productive, fin de l’artificialisation des sols, interdiction de tout vol aérien non justifié, division par trois du flux vidéo consommé (moins de vidéos et de éseaux sociaux), limitation à 1 kg par an le nombre de vêtements neufs par personne (contre 40 kg en 2017), limitation drastique de la consommation de viande, instauration de quotas sur les produits importés (chocolat, café, thé…). Il faudrait que des mesures similaires soient prises partout sinon l’impact de la France sur le climat serait quasi nul, et les sacrifices engagés par la population ne pourraient se justifier. Le changement de mode de vie serait piloté par l’État, assorti de contrôle et de surveillance des populations. Car, sans cela, comment s’assurer que les jardins particuliers ont bien tous un potager, et que personne n’a pu se procurer plus de vêtements ou de café qu’autorisé ? Entre la liberté individuelle et le besoin d’un Etat fort, qu’allons-nous choisir ? Je n’ai pas la réponse.

Pas moins de 150 contributions en 13 heures seulement sur lemonde.fr, extraits :

Pol50 : MERCI, Madame Laget. Enfin, nous sommes mis au pied de l’Everest. Je n’évoquerais que le sujet que je connais le mieux, la politique énergétique : le défi sera de vivre avec une énergie au moins 3 fois plus chère (j’écris 3 car je n’ose pas écrire 10), alors que notre progrès économique a été bâti sur une énergie bon marché.

Doudoudodudor : Exposé de Fédérique concis et clair des enjeux. Mais en l’état actuel, c’est infaisable sans rééduquer la population pour qu’elle « accepte » routes ces restrictions de liberté à côté desquelles le passe sanitaire est une douce plaisanterie. L’augmentation de quelques centimes des taxes sur le gasoil ont mis des milliers de personnes sur les ronds-points. On imagine que le programme de décarbonisation nécessaire pourrait faire en France surtout si les autres pays ne suivent pas.

LionHeart : Le ton et la conclusion de cet tribune sont très gênants : ils laissent le sentiment que l’auteure partage le point de vue des « Kmers verts » mais n’ose pas l’assumer. Privons les individus de liberté la plus basique ( se vêtir, se nourrir..), au nom de « la Cause ».

Gabbagabbahey @ LionHeart : Le problème, c’est que le point de vue opposé ( la croissance verte je suppose? ) n’existe pas. Dans le sens où son scénario (continuer à augmenter notre consommation d’énergie (sans énergie, aucun de nos conforts n’existeraient) en diminuant nos émissions de g.e.s est une impossibilité physique.

Dilemme de À à Z : Les citoyens acceptent ( plus ou moins … et en tous cas en majorité …) les contraintes et les privations de liberté si il y a des contreparties immédiates et tangibles … l’impôt est accepté car il y a les écoles , le système de santé , les routes , etc… les contrôles et vigipirate et les fichages pour gérer la menace terroriste… la ceinture de sécurité pour éviter de mourir en voiture … la vaccination pour éviter le covid … Mais les contreparties à la nécessaire transformation de nos habitudes n’existeront qu’en 2100 … d’ici là nous aurons… tempêtes ouragans et canicules …alors je doute de l’acceptation par la population des mesures permettant de décarboner nos vies … donc l’auteure a raison et moi aussi je n’ai pas la solution …

SEM : L’auteure exprime avec clarté ce que je pense. Si on se risque à une prospective, je dirais que nos démocraties vont être prises en tenaille. D’un coté les écologistes revendiqueront le bien être a long terme du peuple, contre les libertés individuelles. D’un autre les nationalistes voudront nous protéger des réfugiés que le dérèglement climatique fera migrer vers les pays, riches, qui ont les moyens de s’adapter.

Gaston : Pour une adhésion a une « dictature » verte il faut un minimum de soutiens dans la population. Sur quel paradigme la fonder ? Sainte Gaïa ? quels intérêts aurons-nous à moins consommer?

Marc B @ Gaston : Et bien si ça permet a mes enfants de vivre dans un monde « décent », pour ma part ces sacrifices je les ferais sans hésitations. On touche la un point faible de la démocratie, les voix des futures générations n’ont aucun poids et il faut attendre de se prendre le mur avant que l’on commence à agir, souvent beaucoup trop tard.

Robertpointu : Mes droits sont infiniment supérieurs à tous genres de prévalence naturelle. L’humanité s’adaptera ou elle périra. Dans l’un ou l’autre cas, où est le problème ?

Michel SOURROUILLE : Je croyais à la pédagogie de la catastrophe dès le début des années 2000 avec le pic pétrolier qui avait provoqué la crise de 2008. Désabusé par l’inertie sociale, j’ai alors pensé, grâce aux conséquences du réchauffement climatique, que la catastrophe servirait de pédagogie. Aujourd’hui je suis désespéré, la sensibilité écologique a progressé mais les politiques économiques restent suicidaires. Les avertissements multiples des différentes branches de la science sur l’imminence des catastrophes écologiques et démographiques n’ont entraîné que quelques brèves dans quelques médias sans rien changer au modèle croissanciste soutenu par les politiciens de tous bords. Merci à Frédérique Laget de montrer qu’il nous faut entrer dans une économie de guerre. Merci au MONDE de publier cette tribune. Merci à la pandémie de nous avoir montré que des mesures « liberticides » pour nous indiquer le chemin de la sobriété, c’est possible même en régime démocratique.

7 réflexions sur “Décarboner, c’est rompre avec les libertés”

  1. Esprit critique

    – Dans sa réponse @ LionHeart, Gabbagabbahey suppose d’une façon non seulement binaire mais simpliste. S’inquiéter de cette dictature des Khmers Verts ne veut pas dire qu’on défende la Croissance Verte.
    – Dans sa réponse @ Gaston, Marc B semble disposé à accepter (avec ou sans guillemets) cette dictature, à condition… que ça permette à ses enfants de vivre dans un monde «décent» (sic). Reste à voir ce que veut dire «décent». Un monde peuplé d’esclaves ou de zombies peut-il être décent ? Mis à part pour les ours et les baleines évidemment.
    – Robertpointu, attaché à sa liberté, se demande où est finalement le problème. Et en effet, se dire que s’il n’y a pas de solution c’est qu’il n’y a pas de problème, est une façon comme une autre de régler ce problème.

  2. Le tabou semble se déchirer, on ose enfin parler sérieusement des Khmers Verts.
    Cette sélection de commentaires montre que les gens sont conscients de l’impasse et que la seule issue qui se profile ressemble désormais de plus en plus à 1984 ou au Meilleur de Mondes.
    Nous nous plaisons à con damner nos responsables (avec ou sans guillemets), nous leur reprochons de ne pas en faire assez, de ne pas être cohérents etc. et de notre côté nous ne valons guère mieux. Or tout ça, en haut ils le savent très bien. Macron sait très bien comment mener la piétaille, il sait très bien que le scooter des mers est incompatible avec le bon état des océans et du Climat, pareil pour les J.O, le Glyphosate etc. Et en même temps ça ne l’empêche pas de faire de belles déclarations. Nos pétitions, nos marches et nos «combats» pour «sauver» la Planète et le Climat ne servent donc à rien. L’urgence aujourd’hui est à tenter de sauver ce qui peut encore l’être.

    1. Plusieurs commentateurs évoquent l’acceptabilité et se demandent quelle pourrait être la contrepartie à tous nos sacrifices, dont la perte des libertés.
      Pour ça nul besoin du culte de Gaïa, une «bonne» propagande fera très bien l’affaire. Au stade où nous en sommes déjà, à forces de répétitions etc. le mensonge sera la vérité, l’esclavage la liberté, etc. Avec en plus un peu de pain et de jeux l’affaire sera réglée. Comme toujours, la peur du Bâton et de la Mort suffira à faire marcher le Troupeau au pas et dans les clous.
      Pour ça il nous faudra bien sûr garder et développer (toujours plus) la technologie nécessaire : Numérique, Internet, Smartphones, IA, télé à tout va etc. Sans oublier bien sûr les merdias. Tout ça pour «La Bonne Cause».
      De leur côté, comme toujours, les dirigeants du Parti, garants de cette nouvelle forme de l’Ordre Établi, ne se priveront de rien (scooters des mers, jets privés et Jean Passe).

    2. Michel Sourrouille dit merci à la pandémie. Moi aussi, mais d’un point de vue légèrement différent. Juste en déplaçant les guillemets, moi aussi je dis : Merci à la Pandémie de nous avoir montré que des mesures liberticides pour nous indiquer le chemin de la sobriété, c’est possible même en régime «démocratique». Je rejoins là le point de vue LionHeart .

  3. Notre négligence passée risque en effet de nous conduire à cet effroyable type de société. La science fiction l’a anticipé et la Chine, avec la politique de l’enfant unique, puis aujourd’hui, avec la reconnaissance faciale et la notation des citoyens l’expérimente à grande échelle.
    Il est donc bon de mettre en garde
    Ne croyons pas toutefois que ce genre de solution sera efficace. D’abord je pense (au moins j’espère) qu’une partie importante des citoyens les refusera (même si l’acceptation des mesures anti covid peut aujourd’hui laisser penser le contraire), ce serait d’ailleurs plein d’injustices et d’incohérences, comment tout mesurer ?
    Mais c’est inapplicable à toute une partie de la planète. Ce sont en outre les systèmes de surveillance et de contrôle qui s’écrouleront parmi les premiers aux prémisses d’un effondrement plus global.

    1. Bonjour Didier Barthès. Je sais que les atteintes à nos libertés vous inquiètent autant qu’à moi, de ce côté là nous sommes en phase. Je suis donc avec vous pour dire qu’il est bon de mettre en garde.
      Pour les raisons que j’ai développées précédemment, hélas je ne suis pas certain qu’une partie importante des citoyens refusera. En tous cas pas du côté de «chez nous», nous sommes bien trop frileux, fatigués et décadents pour faire une vraie révolution. Toutefois, moi aussi j’espère. Par contre c’est vrai que pour être efficace ce genre de solution devra être mondialisée. Et là, sans entrer dans une quelconque théorie du complot (Illuminati, Nouvel Ordre Mondial etc.) je pense plutôt que c’est la Force des Choses qui mettra Ça en place. Petit à petit et plus ou moins vite. Quoi qu’il en soit, je crains que ce ne soit Ça ou Mad Max. Ou les deux et en même temps ce qui ne sera pas mieux.

    2. Esprit critique

      – « Ce sont en outre les systèmes de surveillance et de contrôle qui s’écrouleront parmi les premiers aux prémisses d’un effondrement plus global. »
      Tout dépend du scénario d’effondrement. Fin mai dernier le MIT (Massachusetts institute of technology) a publié une nouvelle étude concluant que tous les voyants sont au rouge et qu’il nous resterait 10 ans pour sauver notre civilisation de l’effondrement. Plusieurs scénarios sont étudiés. Bien que jugé «un peu utopique»… le Stabilized World (SW) est celui qui pourrait permettre de créer «une société durable» à l’horizon 2100. Même si le résultat espéré n’est pas au rendez-vous, ne doutons pas un instant que tout sera fait pour aller dans ce sens. Et bien sûr dans ce monde là les technologies de gestion et de surveillance, comme l’armée et la police, sont incontournables. Tout sera fait pour assurer leur durabilité aussi longtemps qu’il le faudra.

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