Réponse à des questions posées par Bruno Clémentin, rédacteur de La Décroissance, à biosphere : « Comment envisager d’assurer la décroissance rapide de la population humaine ? »
Biosphere : Je précise d’abord que je n’ai jamais envisagé une décroissance « rapide » de la population parce que c’est impossible. Par exemple, certains sociologues analysent que les guerres servent d’infanticide différé et les pertes humaines peuvent malheureusement être très nombreuses. Mais ces événements conjoncturels sont suivis le plus souvent par un boom démographique, il n’y a donc pas décroissance. Pour moi personnellement la « rapidité » n’est pas un enjeu car je ne vis pas dans l’attente de résultats ; il me suffit de vivre de façon intègre et en harmonie avec ce que je crois.
Q : mais aucun des débatteurs ou « théoricien » de la dénatalité ne répond à deux questions fondamentales :
1 – par qui on commence ?
2 – comment on fait ?
biosphere :
1) par qui on commence apporte beaucoup trop de réponses possibles. En effet les humains ont tellement de façon de s’entretuer après s’être trouvé un ennemi que l’humain à abattre n’est pas désigné par avance. En tant qu’objecteur de conscience, je ne me sens pas concerné par ce type de solution militarisée (la guerre comme infanticide différé). Il faudrait donc commencer par soi, devenir objecteur de croissance : notre sens des limites devrait porter aussi bien sur nos consommations personnelles (simplicité volontaire) que sur notre fécondité.
2) comment on fait la dénatalité ? Par la limitation volontaire des naissances, on a tellement de moyens techniques pour cela. Ainsi les malthusiens se sont exprimés en France et ailleurs de façon indirecte, par la création du planning familial, du MLAC et du MLF. Aujourd’hui le préservatif n’est pas d’abord un moyen de lutte contre le SIDA, mais un moyen de limiter sa fécondité naturelle.
Voyons ensuite le point de vue d’Albert Jacquart, à méditer dans son aspect « limitation des libertés » : « Devant les dangers d’une Terre saturée d’hommes, la tentation est grande de renoncer peu à peu à ce luxe inutile qu’est la liberté. Dans quelques siècles, la fécondité leur sera peut-être imposée, la gestion de leur effectif résultera des calculs de quelques ordinateurs. Le seul espoir est que les pays riches mettent une part de leurs ressources surabondantes à la disposition des systèmes éducatifs des pays pauvres ».
L’éducation est donc une autre réponse possible pour une gouvernance démographique, à commencer par l’éducation des femmes : par exemple le taux de scolarisation entre garçons et fille est encore trop inégal dans les pays moins développés. Le statut de « mère » est encore trop valorisé dans les pays riches malgré les discours de Simone de Beauvoir. Or les études montrent que des femmes mieux éduquées limitent le pouvoir des hommes et contrôlent mieux leur fécondité.
Le point de vue d’Yves Cochet d’allocations familiales inversées se comprend aussi face à un Etat français ouvertement repopulateur. Mais si l’Etat était vraiment neutre en matière démographique comme je le voudrais, il ne verserait aux couples voulant des enfants aucune bonification ou sanctions.
Q : une « politique » ne peut se satisfaire du « on commence d’abord par soi », elle est la somme des actions en vue d’un but appliqué, avec ou sans leur consentement, à des collectifs : pour ceux qui veulent faire de la démographie une politique, il faut exprimer clairement le but : quelle quantité d’être humains, à quelle échéance, le reste est vraiment une perte de temps.
biosphere : La politique ne consiste pas seulement à faire du chiffre. Le gouvernement chinois ne dit pas qu’il désire atteindre 1 milliard ou 600 millions de Chinois dans 5 ans ou dans trois générations. Il se contente de dire que la population chinoise est devenue trop importante en application de l’article 25 de leur constitution. Il a donc mis en place une politique de l’enfant unique, assorti de règles et de sanctions si on n’applique pas la norme.
Si j’avais à présenter un programme politique en France, je dirais que l’empreinte écologique des français est telle que nous ne pouvons pas généraliser notre mode de vie. Il faudrait donc construire à la fois une décroissance économique par la limitation des besoins et une décroissance démographique grâce à la neutralité de l’Etat en matière d’allocations familiales et de quotient familial (qui seraient donc supprimés). Dans l’éducation nationale, il serait mis en place une éducation des enfants à être futurs parents avec présentation de l’égalité homme-femme, ce qui refroidirait déjà les ardeurs procréatrices de certains. L’éducation sexuelle ne serait pas limitée à la présentation des moyens de contraception, mais à la responsabilité des couples par rapport aux limites de la planète. Il nous faut une éducation systémique face à une crise systémique.
Q : Le « contrôle de la population » n’est PAS le contrôle des naissances.
biosphere : Revenons à la base, ce que disait Malthus. Il constatait une rupture inéluctable entre notre ponction sur les ressources agricoles, soumise à la loi des rendement décroissants, et un accroissement exponentiel de la population dans les conditions naturelles de notre fécondité. Loin de lui l’idée de « contrôler la population », depuis le contrôle aux frontières jusqu’aux fichage des autochtones ! Il suffirait de contrôler la natalité. Mais comme Malthus ressemblait aux papes actuels, il refusait les moyens de contraception pour ne retenir que la limitation de notre sexualité. Selon Malthus, si nous ne contrôlons pas notre natalité, alors il y aura contrôle de la population par augmentation de la mortalité (famine, épidémies et guerres).
Q : Le contrôle des naissances n’est pas réduit à l’éducation et la liberté des femmes mais autant par la liberté et l’éducation des hommes, c’est pour avoir méconnu (et méconnaître) cette évidence que les « malthusiens » tourne en rond.
biosphere : il s’agit bien sûr d’éduquer à la fois les hommes et les femmes. Pour Malthus, cela passait par l’intériorisation des couples du nécessaire retard à l’âge du mariage et à l’acceptation d’une abstinence prolongée. Tu ne peux pas reprocher au discours de Malthus, ponctuel et daté historiquement, d’être incomplet.
Q : L’éducation et la liberté des hommes et des femmes n’est pas « négociable »et ne doit pas être assujetti à des demandes annexes, sauf à se conduire comme les colons et les missionnaires religieux).
biosphere : je ne comprends pas à quoi tu fais implicitement référence dans cette phrase…
Q : pour illustrer mes propos montrant que se focaliser sur le contrôle des naissances est inopérant, lorsque René Dumont visite la Chine (en 1975), il sort cette énormité (vu d’aujourd’hui) et Dumont n’était pas un plaisantin et connaissait le sujet : « … cette baisse du taux de croissance [de la population, mais il ne parle que de la baisse contrôlée de la natalité…] va se poursuivre sans doute de plus en plus rapidement ; la Chine ne dépassera peut-être pas le chiffre fatidique d’un milliard d’habitants… » ; il ne s’est trompé que de 500 millions… sur moins de deux générations ; c’est là une démonstration s’il en fallait une de l’échec absolu du contrôle de la population par le contrôle des naissances »
biosphere : La Chine grâce à sa politique de l’enfant unique a économisé 400 millions de naissance. Cela ne veut pas dire que c’est un succès, cela ne veut pas dire non plus que c’est un échec. Une gouvernance démographique est très difficile à mettre en place, en Chine il y a la préférence pour les garçons, le travail de la terre, l’absence de régime retraite… et même la volonté des riches chinois de faire autant d’enfants qu’ils le veulent puisqu’ils peuvent assumer les amendes. En France, les résistances seraient aussi fortes pour d’autres raisons : il y a le lobby des démographes, le soutien d’une grande partie des intellectuels…
Q : Enfin il y a un préambule, si on parle de contrôle de la population dans un « cadre » écologique ou de soutenabilité ou de « capacité de charge », c’est la limite posée du nombre optimal d’être humains sur terre. Sauf à parler dans le vide, tu dois donc donner le nombre que tu juges optimal.
biosphere : en 1970, une étude des Nations unies répondait à la question suivante : « Etant donné la capacité agricole et industrielle mondiale, le développement technologique et l’exploitation des ressources, combien de personnes pourrait-on faire vivre sur Terre avec le niveau de vie actuel de l’Américain moyen ? La réponse était : 500 millions tout juste. » Actualisons.
Selon Yves Cochet, « Il existe une corrélation historique entre la quantité totale d’énergie dans le monde et, d’un autre, le niveau démographique et le niveau de vie. Cette corrélation est si forte qu’on peut émettre l’hypothèse d’une causalité : moins il y aura d’énergie disponible, moins la planète pourra accueillir d’individus à un certain niveau de vie. Si cette hypothèse est vraie, comme je le crois, le nombre maximal d’humains sur terre, au niveau de vie moyen actuel, déclinera d’environ 7 milliards vers 2025 à environ 5 milliards en 2050, puis 2 à 3 milliards en 2100. En résumant dans l’expression « niveau de vie moyen » de la Terre le rapport entre la consommation d’énergie par personne et le nombre de la population, on pourrait énoncer que plus le niveau de vie est élevé, moins la planète peut accueillir de personnes. »
A part le blocage énergétique, il y a bien d’autres signes qui montrent que la capacité de charge de notre planète ne peut suffire à notre population actuelle. De toute façon, je n’ai pas à donner un nombre optimal car la meilleure chose qui soit possible est la résultante de déterminants innombrables. Pour résumer, il faut à la fois parler du nombre d’habitants à un moment donné sur un territoire donné, de leur taux de croissance démographique, des échanges durables ou non avec les autres territoires, de leur volonté de puiser plus ou moins fortement dans les ressources de la planète (niveau de vie), c’est-à-dire de l’évolution des besoins économiques qui dépendent aussi de considérations sociologiques, etc.
Le problème avec les humains, c’est qu’il adaptent le milieu et qu’ils savent s’adapter. Des rats dans une cage, même bien nourris, ne supportent pas une densité trop forte ; on peut entasser des humains dans des trains à cause de l’idéologie du lebensraum allemand, ils ne diront rien ou presque. Car le problème essentiel, c’est que nous avons restreint dans de fortes proportions notre espace vital et que nous subissons tous les désagréments d’une surpopulation absolue. Cela est d’autant plus dangereux que la méthode ancestrale de migration à cause de la surpopulation relative d’un territoire ne peut plus servir de soupape de sécurité.
Q : « quand tu confronteras ces deux données physiques (le nombre actuel et celui à obtenir), il te faudra alors choisir par qui tu commences »
biosphere : comme je me situe dans une perspective de contrôle de la natalité librement choisi par les individus et les communautés, je t’ai déjà expliqué par quoi on commence : on agit d’abord sur soi-même et sur sa propre fécondité, on fait aussi de l’éducation (empreinte écologique, réchauffement climatique, pic énergétique, capacité de charge, problème migratoire…). Si les humains préfèrent la famine, la guerre ou les épidémies pour contrôler leur population de façon non choisie (par la mortalité), moi cela ne me concerne plus.
Je veux ajouter cependant une réflexion importante pour qui veut défendre les intérêts de la Biosphère. Jusqu’à présent nous n’avons envisagé que la taille de la population humaine face aux ressources limitées de la planète. Il ne faudrait pas oublier que l’expansionnisme humain (démographique et économique) réduit l’espace vital de toutes les autres espèces, d’où la dramatique perte de biodiversité que nous connaissons à l’heure actuelle. C’est aussi pour cela que la philosophie de l’écologie profonde est pour moi incontournable…
La décroissance démographique me paraît être une évidence et non une réflexion simpliste. Elle serait d’ailleurs tout sauf simple à mettre en oeuvre.
Il ne s’agit en rien de faire culpabiliser les pays du Sud, ne serait-ce pas qu’ils affichent bien souvent des densités inférieures à celles des Pays européens. Les pays du Nord sont les premiers responsables de l’état des ressources de notre planète. N’arrivant pas à s’auto-suffire, ils sont obligés de puiser ailleurs. Mais on ne peut non plus exonérer les pays du Sud des conséquences sociales et environnementales que cause une croissance démographique non maîtrisée. S’il n’est pas souhaitable d’avoir un indice de fécondité inférieur à 1,7, un indice de fécondité supérieur à 3 dans des pays aux ressources fragiles, est une vraie catastrophe.
Pour avoir vécu au Burkina Faso, il paraît aujourd’hui acquis que la famine, après les efforts pour la maîtriser, va faire son grand retour d’ici une décennie. Qui le dit? Pas moi mais les principaux responsables d’organismes diplomatiques qui réfléchissent sur la sécurité intérieure du pays. Les raisons sont nombreuses: une réforme agraire nécessaire que le gouvernement se refuse toujours à enclencher, une politique environnementale catastrophique qui entraîne la destruction de terres arables, le réchauffement climatique (et oui!) qui modifie le rythme des pluies et diminue les rendements. Mais s’il en est une qui joue un facteur déterminant, c’est la hausse de population: le pays n’arrivera plus à se nourrir, ni à approvisionner les milieux les plus reculés où les populations n’ont pas les moyens de s’acheter la nourriture. Si on ajoute à cela l’exode rural qui gonfle la capitale Ouagadougou, on se trouve sur une véritable bombe à retardement. Comment trouver un emploi aux 1 000 000 de jeunes supplémentaires qui arriveront sur le marché du travail d’ici quelques années alors qu’aujourd’hui on n’y arrive pas avec moins de 500 000? Aujourd’hui, les service de coopération appuie l’accès à l’éducation de base, sans arriver à hausser le taux d’alphabétisation (pour chaque école construit, il en faudrait deux de plus pour pallier l’augmentation du nombre d’enfants). On peine à subventionner également les collèges et lycées… De nombreux jeunes savent lire et écrire et refusent désormais de travailler le sol. Deux choix s’offrent à eux: tenter sa chance en ville (et gonfler la misère urbaine) ou devenir un bandit à la campagne. L’université de Ouagadougou n’arrive plus à assumer le surplus d’élèves. Résultat, on réévalue constamment le niveau du bac pour limiter l’accès mais cela n’est même pas suffisant. Résultat sans plus attendre: l’université de Ouagadougou a été la cible de révoltes estudiantines en juin 2008 durement réprimées. Au lieu d’augmenter le quota d’élèves, on a construit avant la rentrée 2008 un mur pour éviter de nouvelles rébellions. Quelle belle réponse. Et le problème va aller en s’aggravant. Ouaga, une ville si paisible risque de devenir une ville dangereuse: le nombre d’agressions augmente chaque année.
La limitation du nombre de naissance n’est pas la seule mesure à mettre en oeuvre et ne peut remplacer le réel besoin de revoir le système économique et la surconsommation dans les pays développés, mais elle est nécessaire pour éviter d’amplifier les problèmes environnementaux mais également les problèmes sociaux.
Juste une réflexion personnelle pour enrichir le débat, merci de ne pas m’insulter!^^
Et si M. Cochet avait raison sur le fond mais se trompait de cible ?
Limiter les naissances = fermer le futur
Par contre, quid d’une fin de vie programmée pour tous ?
Par exemple, pour caricaturer, on pourrait imaginer la piqûre le jour de son 70ième anniversaire.
Cette solution a de grands avantages :
Plus de problèmes de pensions
Moins de problèmes de sécurité sociale
Rééquilibrage de la pyramide démographique
Un éventuel gain sur l’emploi sous certaines conditions
Elle garanti une vie agréable et épanouie jusqu’où bout
une fois accpetée, elle permet de faire disparaître la peur de mourir de la tête des gens, ce qui les libère complètement
Et enfin, elle permet de partir en paix, entouré”s des siens, avec l’amour qui s’impose, en ayant réglé toutes ses petites affaires auparavant.
quand je vous disais que le contrôle de la population peut être positif
En quoi ne pas « renouveler sa population » est-il un handicap ?
L’équilibre démographique (une population stable) est le nouveau mythe qui succède à l’injonction biblique « croissez et multipliez » qu’a si bien su mettre en pratique la révolution industrielle à partir du XIXe siècle. L’« idéal » d’une population mondiale qui va plafonner à 9 milliards de personnes vers 2050 n’est pas un idéal, la capacité de charge de notre planète est depuis plusieurs années dépassée.
Le problème est d’autant plus grave que le mode de vie à l’occidentale tend à se généraliser et les ressources naturelles à s’épuiser. Ne pas contrôler sa fécondité, c’est mettre en place des lendemains qui déchantent.
La décroissance démographique a déjà commencé, du moins dans l’ensemble du monde développé et dans une bonne partie du monde arabo-musulman, de l’Amérique latine et de l’extrème orient. Seuls les pays d’Afrique sub-saharienne (et encore pas tous) conservent des taux de fécondité supérieurs à 5 voire 6 enfants par femme. Partout ailleurs on est entre 2 et 3 ( Inde, Indonésie, Mexique…) ou largement en dessous (Europe, Chine, Maghreb…). L’objectif ne peut être de faire plonger la fécondité de pays qui comme la France peinent déjà à renouveller leur population. L’équilibre démographique est la seule solution envisageable à moyen terme pour éviter un vieillissement trop rapide des populations. L’Afrique sub-saharienne doit être aidée pour développer la formation (écoles, université) et l’information (planning familial) des femmes. En 20 ans, la fécondité pourrait y être ramené sous les 3 enfants par femme. L’idéal serait à terme que la population humaine est une fécondité globale située entre 2 et 2,20, se stabilisant en dessous des 10 milliards de membres et limitant son impact sur les ressources de la planète