Deep Green Resistance, ne nous trompons pas d’ennemi

Le périodique « La décroissance » tire à boulets rouges sur tous ce qui bouge… surtout malheureusement sur ses alliés les activistes et presque pas sur les mécanismes qui livrent la Terre au pillage. Ainsi dans l’article L’écologie va-t-en guerre* : « La civilisation détruit la nature ? Il suffit de la démanteler en engageant une guerre qui hâtera son effondrement. C’est ce que prône Deep Green Resistance (DGR) qui s’organise sur les réseaux clandestins de Facebook et Youtube. Objecteurs de croissance influencés par des Tolstoï et des Gandhi et partisans d’une action politique non-violence, vous êtes considérés comme inefficaces voire complices de l’ennemi… » Vincent Cheynet nous livre alors en pâture Peter Gelderloos** en se contentant de dire qu’il donne dans le terrorisme intellectuel. C’est là une vision fausse des déterminants de DGR.

En fait Deep Green Resistance est un mouvement écologiste fondé par Derrick Jensen, Aric McBay et Lierre Keith, lors de la conférence Earth at Risk du 13 novembre 2011. Leurs présupposés sont repris dans deux livres qui viennent de paraître, « Écologie en résistance, stratégies pour une Terre en péril » aux éditions Libre. Loin d’ostraciser la non-violence, les auteurs estiment complémentaires les mouvements à visage découvert et les mouvement clandestins. Comme l’exprime Armand Farrachi dans sa préface du tome 2, aucun des auteurs ne propose de résoudre une « crise » (passagère) ou de passer la persillère derrière les ennemis de la terre, tous réfléchissent au moyen d’arrêter le massacre, le plus tôt, le plus radicalement possible, ce que personne ne fait ni dans la presse ni dans les diverses chambres du pouvoir : « La première réaction de tout habitant responsable de la Terre, même inactif, est de se dire : la dévastation générale ne trouvera en moi ni un complice, ni un déserteur. C’est déjà le début d’une résistance. Évidement on la voudrait plus efficace, mais chacun fait ce qu’il peut, personne ne détient le secret d’une solution miraculeuses. Mais tous les auteurs de cet ouvrage ont un dramatique, parfois tragique sentiment d’urgence. Tous ont le parti pris de la radicalité par rapport à la modération et au compromis, cette plus lente défaite. »

Le mouvement Deep Green Resistance par la voix de Lierre Keith dans le tome 1 est en effet bien plus subtile que les raccourcis de Vincent Cheynet. Il décrit un état de guerre contre la planète avec invasion humaine, donc fait appel à la notion de résistance comme il en était de même dans la France occupée : « Il est difficile de désigner un coupable, pourtant les occupants ont bel et bien des noms à l’adresse des (fragiles) infrastructures de cette civilisation industrielle… Quand je dis combattants, je ne parle pas forcément de violence. La distinction ne se fait pas en matière de violence et de non-violence. Elle se situe plutôt entre l’action et l’inaction, entre combattre le pouvoir et s’y soumettre… La vaste majorité des gens ne va pas se casser le cul à résister. C’était vrai pour l’IRA : seuls 2 % ont pris les armes, mais 98 % ont fourni le soutien. Nous avons besoin de guerriers qui s’interposeront entre ce qui reste de cette planète et les énergies fossiles. Ce pourrait être fait de manière non violente. Si nous étions assez nombreux, nous pourrions abattre ce système en utilisant des barricades humaines. Les mouvements à visage découvert peuvent par exemple considérer les mouvement de grève de novembre 2010 en France. Les manifestants ont utilisé des camions et créé des barrages humains pour bloquer les dépôts de carburant. En quelques semaines, toute l’économie s’est arrêté par manque de carburant… Mais nous ne sommes pas assez nombreux. Je préférerais, et de loin, mener une lutte non violente, mais le compte n’y est pas. La seule stratégie viable que je vois est d’attaquer directement les infrastructures… Maintenant je veux m’adresser à ceux d’entre vous qui feront partie des 2 %. En ce qui concerne l’activité clandestine, le MEND (mouvement pour l’émancipation du delta du Niger) reste votre espoir. Ils attaquent directement des infrastructures, ponts, entrepôts, pipelines. Ils ont réduit les exportations de pétrole du Nigeria d’un tiers… »

Les écoguerriers de la DGR ne veulent pas s’attaquer directement à des personnes, mais seulement à du matériel. Ils font preuve de contre-violence par rapport à un système extrêmement violent, la société thermo-industrielle, qui non seulement viole brutalement les richesses de la Terre mais aussi persuade le citoyen moyen que c’est pour son plus grand bien. Le débat violence/non-violence est une fausse querelle de mots quand il s’agit seulement de s’attaquer aux infrastructures qui nous mènent à notre perte.

* La Décroissance, numéro d’été juillet-août 2018, page 4

** Peter Gelderloos est notamment l’auteur en 2005 de How Nonviolence Protects the State, publié en français en 2018 sous le titre Comment la non-violence protège l’État : Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux. (wikipedia)