Des économistes aveugles face à l’urgence écologique

Pendant longtemps, la science économique a ignoré la crise du climat et de la biodiversité malgré les alertes répétées des écologues. En épluchant le répertoire des articles des économistes du monde entier (RePec), on constate que les spécialistes de l’environnement ne représentent que 4 % des chercheurs. Autre constat alarmant, dans l’ensemble des articles publiés par les cinq plus prestigieuses revues de la profession entre 1975 et 2023, seuls 25 ont porté sur le changement climatique sur plus de 18 000 articles. Les climatologues et biologistes ont beau avoir alerté la planète, pendant des décennies, qu’une catastrophe est en cours, et avoir répété qu’elle est forcément dévastatrice pour l’activité humaine, la science économique a continué à caresser ses modèles de croissance comme si de rien n’était. La liste des 93 Prix Nobel d’économie révèle l’ampleur d’un profond décalage avec les enjeux écologiques, elle est vide de tout spécialiste de l’environnement.

Et les « économistes écologiques », les hétérodoxes qui remettent en cause le système capitaliste, sont persona non grata dans la plupart des facultés d’économie.

Pascal Riché : Le grand paradoxe, c’est qu’à l’origine la nature était au cœur de l’analyse économique. Au XVIIIe siècle, les premiers économistes étaient appelés les « physiocrates », des mots grecs physis (« nature ») et kratos (« gouvernement »). Pour eux, toute richesse venait de la terre, qu’exploitaient les agriculteurs. Puis est venue l’école classique. Jean-Baptiste Say (1767-1832) présentait la nature comme un « magasin » dans lequel l’homme pouvait librement piocher, car ses produits étaient « inépuisables ». Pour les classiques, la valeur ne vient pas de la nature, mais du travail (le capital étant du « travail accumulé », dira Marx qui s’inscrit dans le même sillage). Après 1870, on a commencé à mettre l’économie en équation. Et pour y parvenir, les « néoclassiques » ont tout simplifié. Ils ont bâti une fonction de production reposant sur seulement deux facteurs, le capital et le travail. La nature avait disparu du paysage. Elle est devenue une forme de capital substituable aux autres. Or, la nature n’est pas substituable au capital. Si vous abattez une forêt millénaire, vous pouvez certes vendre le bois mais, avec cette somme, vous ne pouvez pas faire réapparaître la forêt. La question de la dégradation de l’environnement est abordée comme une fâcheuse défaillance du système que l’on peut résoudre. On parle d’« externalités négatives ». Si une usine rejette des déchets dans une rivière, cela a un contrecoup sur l’activité des pêcheurs. Pigou suggère d’instaurer des taxes. Nicholas Stern est chargé par le gouvernement du Royaume-Uni en 2005 d’un travail sur l’économie du changement climatique. Il défend l’idée d’attribuer un prix au carbone et de le faire payer à travers des taxes et des réglementations.

Le rapport Stern sur le climat, aussitôt publié qu’oublié

Aujourd’hui, la plupart des études situent le coût social du carbone entre 100 et 200 euros la tonne. Mais patatras, on serait plutôt autour de 850 euros selon Adrien Bilal et Diego Känzig !

Pourtant depuis quelques années, le vent semble tourner, illustration des trois étapes d’une mutation de l’imaginaire social : après le déni, la sortie de l’irénisme, puis la réinvention. Mais du côté de l’effondrement de la biodiversité, impossible de l’encapsuler dans un seul indicateur comme la taxe carbone. Multiforme, cette crise-là est d’une effroyable complexité. L’« économie de la biodiversité » requiert une connaissance technique de l’écologie. Il devient urgent de travailler de façon pluridisciplinaire. Un économiste qui ne propose qu’un seul outil comme la taxe carbone, c’est comme un garagiste qui n’aurait qu’un tournevis. Pour ré-encastrer l’économie dans la nature, elle doit renouer avec la façon de penser très riche et très libre des premiers économistes, qui, au XVIIIe siècle, mêlaient logique, mathématiques, physique, sciences naturelles, philosophie morale et science politique. On ne parlait pas de « sciences économiques », mais d’économie politique

Le point de vue des écologistes transdisciplinaires

– Toute la pensée théorique de l’économie orthodoxe est basée sur l’observation et la modélisation des civilisations industrielles du 19 au 20ème siècle. Autant dire une microseconde de notre existence d’humains dans les pays européens.

– La capacité des économistes à justifier l’ordre établi ne connaît pas de limites. Et ça fonctionne dans les deux sens, l’ordre établi ayant besoin d’économistes qui justifient son inaction écologique.

– Les programmes d’économie au bac général (SES) reflètent ce qui est dit dans l’article : les problèmes climatiques sont un peu évoqués, pas ceux de la biodiversité. Et tout de suite on évoque les solutions : innovations, marchés… et croissance !

– La réforme du lycée en 2019 a certes créé une une spécialité écologie… mais celle-ci est réservée à l’enseignement agricole qui dépend du ministère de l’agriculture et non de l’éducation nationale.

– En 2015 la notion de développement durable est sortie en France des programmes du collège car jugée trop critique et trop injonctive au profit de la « transition écologique »qui permet la mise en place macronienne d’une « écologie à la française ».

– Les économistes aveuglés par des modèles obsolètes depuis le rapport de 1972 sur les limites de la croissance portent une très lourde part de responsabilité dans le retard criminel que nous avons pris pour espérer rendre le monde vivable à nos jeunes.

– Aux élections européennes de 2024, les listes proposant une écologie active ont récolté des formules du type : »la fin du mois avant la fin du monde, écologie punitive, khmers verts, populisme vert »…

Nicholas Georgescu-Roegen a montré que l’énergie et les minéraux utilisés dans le processus de production se dégradent nécessairement dans un processus irréversible, qu’il désigne comme l’« entropie », une notion empruntée à la thermodynamique.

– Je vous renvoie au rapport de l’Institute and Faculty of Actuaries : en l’absence de réponse politique rapide, l’économie mondiale subirait une perte de 50 % du PIB d’ici 2090 et la mort de la moitié de l’H- Le Titanic est maintenant lancé a pleine vitesse avec l’orchestre au grand complet.umanité (4 milliards d’habitants).

Vous êtes à Gaza et vous devez former des spécialistes pour les habitants d’un pays complètement détruit. Vous avez 5 profils mais vous ne pouvez en choisir que 4 parmi : infirmier, maçon instituteur, fermier et économiste. Lequel reste à quai ?

17 réflexions sur “Des économistes aveugles face à l’urgence écologique”

  1. Daniel Lacaille

    René PASSET a écrit « L’économique et le vivant » en 1979. C’était mon prof à Paris 1. Tout était déjà écrit sur la problématique systémique, la sphère du vivant englobant les sphères du social et de l’économie et le livre n’a pas pris une ride :
    Ce que l’économie considère comme une « production » (l’exploitation des forêts primaires par exemple) est souvent considéré par l’écologie comme une « destruction ».
    C’est déprimant de voir encore les humains regarder ailleurs en 2025 !

  2. Didier BARTHES

    « Et les « économistes écologiques », les hétérodoxes qui remettent en cause le système capitaliste, sont persona non grata dans la plupart des facultés d’économie. »

    je ne peux pas partager tout à fait cette phrase, s’il est vrai que le monde naturel a été exclut de l’économie (mais après tout un domaine d’étude fixe lui-même les limites qu’ils souhaite et même si à mon avis cette exclusion est une grave erreur), dire que les hétérodoxes qui remettent en cause le système capitaliste sont persona non grata dans la plupart des facultés d’économie est faux.
    J’ai fait des études d’économie et je peux vous promettre que tous les enseignants étaient de gauche et nous disaient pis que pendre du système capitaliste. C’était l’écologie qui était absente pas la pensée anticapitaliste

    1. Esprit critique

      Si ON écoute certains… nos facultés seraient envahies de wokistes. Beurk !
      Et comme ON sait… wokisme et gauchisme c’est bonnet blanc et blanc bonnet.
      Plus sérieusement, quoique, combien y a t-il d’écoles ou de facultés qui enseignent l’économie, en France ? Je suppose que vous les avez toutes «faites» … Ou alors que vous avez au moins une étude, sérieuse évidemment, pas faite par des gens de gauche 🙂 , qui confirme ce que vous affirmez là. Sinon encore une fois vous ne faites qu’exprimer un ressenti, une impression…
      Et à ce moment là il vous faut dépasser ça. Autrement dit… aller au delà des apparences. 😉
      Ceci dit, qu’à votre époque l’écologie soit absente de votre enseignement de l’économie, ça je veux bien le croire.

      1. Didier BARTHES

        Mais je ne comprendrai jamais pourquoi, au nom d’un présupposé idéologique, vous nier les évidences.
        Oui, l’enseignement est globalement dominé par des courants de gauche et ce n’est pas normal. Ces gens nous disent ce que l’on doit penser.
        Heureusement parfois…. ça ne marche pas.

        1. Esprit critique

          Jamais dites-vous… et pourquoi ? Allons Monsieur Barthès, essayez au moins… de comprendre. Comme je suis serviable je vais tenter de vous aider, gentiment, méthodiquement. Hélas je ne peux rien vous garantir. C’est pourtant facile, à comprendre, il vous suffit de répondre aux questions. Mais d’abord lisez ceci :

          – « Comme le montre un article de Laura Raim dans le Monde Diplomatique, dans la grande majorité des facultés d’économie, les professeurs hétérodoxes ne sont plus qu’une extrême minorité. » (À la découverte de quelques courants hétérodoxes – Tome 3 : L’économie féministe – heconomist.ch/2021/03/27)
          (à suivre)

        2. Et pour finir... les questions

          – Dans notre «affaire» («débat») qui est le nieur qui attaque À 18:42 ?
          – Dans notre «affaire» … qui est l’aveugle ou le menteur ?
          – Serait-ce celui qui dit que les hétérodoxes qui remettent en cause le système capitaliste sont persona non grata dans la plupart des facultés d’économie (sic)… ou bien celui qui ose dire que c’est faux ?

          – Qui nie quoi… et quelles évidences ?
          – Présupposé idéologique dites-vous… ?

  3. Lire article intitulé : « Ils votent à gauche mais se font livrer la bouffe par 40° par un gars sous-payé ! » de Charles Sannat sur le site Insolientae. En plus sur l’article il y a des vidéos de témoignage de livreurs de pizzas et livreurs d’autres articles. ET, le constat est clair, ce sont les gauchos qui se font livrer le plus souvent, vraiment très souvent. Tous ces livreurs sous-payés livrent là où il y a les plus grandes concentrations électorales de gauchos !

    1. esprit critique

      C’est tout ce que t’as trouvé ? Mais ça ON le sait que les gôchos sont des salauds.
      La Preuve, ils bouffent de la junk-food. En plus ils font pédaler les livreurs, pour sauver la planète. Blagues à part, en quoi cette «impertinence» de Charles Sannat vient-elle enrichir la réflexion sur le sujet ? À savoir l’aveuglement des économistes, orthodoxes évidemment.

      1. Euh non ce n’est pas tout ce que j’ai trouvé ! Il est largement prouvable en regardant 50 ans en arrière pour constater que les gauchos sont les premiers à réclamer et à voter des plans de relance pour augmenter la consommation et la croissance, et ça en plus à crédit sur le dos des générations suivantes ! Alors oui en terme de pollutions vous n’avez rien à redire car vous n’avez aucune crédibilité !

        1. parti d'en rire

          Ce qui est facilement prouvable, c’est que t’es complètement à l’ouest.
          Paumé, déboussolé, déconnecté, à côté de la plaque, et de tes pompes, à la ramasse et j’en passe ! Tiens la Preuve, tu ne sais même pas où est la gauche.
          Oh ben si que je suis bête… ça tu le sais. Tu nous l’as dit des milliers de fois, la gauche c’est tout ce qui est à gauche du RN. L’Umps et patati et patata !
          Sauf que même là t’as tout faux. La Preuve, selon certains, misérables, même ta chère et tendre Marine est à gauche. Une sale gôchiste !

  4. pour décrasser les imaginaires...

    – « Marxisme classique et écologisme, chacun peut à bon droit se dire anticapitaliste, pour des raisons différentes, tout en accusant l’autre de collusion avec son adversaire, pour de bonnes raisons. Pour le mouvement ouvrier, l’écologisme est petit-bourgeois ; pour l’écologiste, le mouvement ouvrier est productiviste. Dans les deux cas, c’est une demi-erreur, car la position d’un mouvement doit aussi se comprendre à partir d’une situation qui le contraint. […]
    Ce n’est qu’en reconnaissant les possibles et les limites de chacun des mouvements sociaux, sans négliger les ponts possibles, que l’on pourra avancer vers des sociétés émancipées. »
    (Marxisme, lutte des classes et écologisme – Par Fabrice Flipo – 2014 – shs.cairn.info)

    1. un petit coup de plus...

      – « On aurait pu écrire «environnement et communisme», mais il est «à la mode» de mettre «éco» partout : écotourisme, écoindustrie, écodéveloppement, écocondition, etc. On continue de parler «environnement, cadre de vie, nature». La terminologie est le reflet de questions de fond et de bataille d’idées. » (Communisme et écologie, une longue histoire (par Luc Foulquier*)
      13 mars 2011 blogs.mediapart.fr)

  5. – « L’économie orthodoxe est davantage une religion qu’une science. Elle se compose pour l’essentiel d’un ensemble de propositions dogmatiques, voire « absurdes », qui n’ont rien de scientifiques. Les prémisses et les conclusions de l’orthodoxie néo-classique sont fausses, irréalistes et idéologiquement situées. Elle n’est que la traduction en termes faussement savants, de l’idéologie libérale [etc.] »
    (Orthodoxie et hétérodoxie en économie – labo.nonmarchand.org – 2005)

    Comme quoi ce n’est pas nouveau. Et qu’il y a un déjà un bon moment que certains le disent, et l’écrivent. Je pense entre autres à John Kenneth Galbraith (Les mensonges de l’économie, 2002), aux Éconoclastes (Petit bréviaire des idées reçues en économie, 2003), et bien sûr à Bernard Maris (Antimanuel d’économie, 2003-2006). Mais d’autres ont écrit bien avant, comme Paul Sweezy (Pour une critique de l’économie politique, 1970).
    (à suivre)

    1. (suite) Une religion bien plus qu’une science, donc. Pour moi c’est évident. Je pense d’ailleurs que sur ce point personne ne viendra me démontrer (avec ou sans « ») le contraire.
      Une religion, donc, avec ses curés, ses apôtres, ses saints, ses bedeaux, ses ouailles, ses livres sacrés, ses temples et tout le bazar qui va avec. Une religion qui communie, et se fond, se confond, avec d’autres tout aussi orthodoxes, comme celle du Progrès, qui progresse, pour des siècles et des siècles amen. Bref, vive le communisme !
      Ou l’écologisme si vous préférez… du moment qu’ON s’entende sur le sens du mot.

      En attendant, quand je les entends, à longueur de temps… parler de Croissance, de Productivité, de Compétitivité, d’Innovations, de Dette, et autres conneries du genre… je me dis qu’il y a du boulot pour décoloniser les imaginaires. Misère misère !

      1. parti d'en rire

        Le journal La Décroissance nous livre régulièrement quelques unes de ces conneries (nommées poliment «pépites») sortis de la bouche de nos personnalités politiques et merdiatiques. Ainsi dans le dernier numéro vous pouvez rigoler, entre autres, (p.5) de Bruno Retailleau, d’un certain Général Parisot, de Thomas Cazenave, (p.6 et 32) de Jordan Bardella, (p.7) de Gérard Darmanin et Jean Passe. Celle que je préfère se trouve en p.18 … en illustration de l’article avec Alain Gras… décidément !
        – « Il faut sortir du tout plastique […] on doit produire moins de plastique. »
        C’est fantastique !!! Et notre guignol de rajouter :
        – « Le recyclage c’est peut-être un peu trop tard […] Il faut ralentir dans tous les sens du terme [etc.] »
        Plus décroissant que lui tu meurs ! C’est incroyable !!! Mais vrai. Rien ne les étouffe.

        Ceux qui ne comprennent pas, et donc ne peuvent pas trouver ça marrant, savent ce qu’il leur reste à faire. Aller vite s’acheter le journal de la joie de vivre.

      2. Bravo,
        Entièrement d’accord. Depuis quand l’économie s’est-elle auto intitulée Science à l’instar des autres pseudo sciences ? Cf. sciences-po, sciences-sociales, sciences-paranormales (pourquoi pas)…

        1. autrefois au niveau universitaire on disait « économie politique » et non « sciences économiques ». C’est la mathématisation par l’école marginaliste qui a voulu nous faire croire que l’économie devenait une « science ».

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