des esclaves énergétiques invisibles pour les citoyens

« La vie facile offerte par l’esclavage expliquait cette absence de conscience (envers les esclaves), tout comme la vie facile offerte par le pétrole peut expliquer l’insouciance des Nord-américains. Les bruyantes souffleuses à feuilles, les dispendieux VUS et les rutilants téléphones intelligents dominent la vie moderne aussi complètement que le faisaient au XIXe siècle les domestiques des casas grandes brésiliennes. La plupart des consommateurs nord-américains et européens considèrent ces serviteurs inanimés comme des acquis et oublient facilement leur existence. Nous sommes encore moins conscients des services rendus par nos combustibles fossiles que nos ancêtres l’étaient de ceux de leurs esclaves. L’esclavage, après tout, était sous leurs yeux. Aujourd’hui, on ne fait que remplir un réservoir. Pas d’entretien constant du feu de bois, de fumée épaisse d’un bois trop humide, de raclage de cendres dans le four à pain, de charriage de lourdes charges sur les épaules, d’âne récalcitrant. Rien qu’à appuyer sur un interrupteur, tourner une clé, taper un chiffre sur le thermostat. Dans les quartiers riches aux Etats-Unis, on voit des femmes de 50 kilos conduire des voitures de près de 5 tonnes pour aller acheter une boîte de 500 grammes d’une préparation amaigrissante.

En 2009, une famille britannique fit l’objet d’une expérience énergétique subversive. Un dimanche, tandis que le quatuor innocent tripotait ses gadgets, une armée de bénévoles pédalait furieusement sur une centaine de vélos dans un local voisin afin de générer l’énergie nécessaire à la famille. A la fin de la journée, ces esclavagistes modernes furent pétrifiés de stupéfaction lorsqu’une équipe de télévision de la BBC leur présenta les esclaves épuisés qui avaient fait bouillir l’eau de leur thé. Il avait fallu 24 cyclistes pour chauffer leur four et 11 cyclistes pour faire griller deux tranches de pain. Plusieurs cyclistes s’étaient effondrés de fatigue. D’autres furent incapables de marcher plusieurs jours.

L’expérience visait à illustrer l’ignorance généralisée dans laquelle les consommateurs dépensent l’énergie. L’un des concepteurs de l’expérience, Tim Siddall, pense que l’esclavage reviendra lorsque les ressources énergétiques de la planète se raréfieront. »

Source : L’énergie des esclaves (le pétrole et la nouvelle servitude) d’Andrew Nikiforuk

Editions Ecosociété 2015, 282 pages, 20 euros

Edition originale 2012 (The Energy of Slaves : Oil and the New Servitude)