Des morts pour rien au Mali

En janvier 2013, unanimisme pour l’intervention militaire française au Mali ! Même le Front national  par la bouche de Marine Le Pen l’affirmait : «  L’intervention française au Mali décidée par le président de la République est légitime. » Le communiqué de presse (13.01.2013) d’Europe Ecologie-Les Verts, bien que nuancé, allait dans le même sens : « Les autorités légitimes du Mali ont fait appel à la communauté internationale… EELV souhaite que l’opération engagée par la France soit strictement limitée dans le temps. » Nos politiques et nos militaires n’ont rien appris de l’histoire, une guerre asymétrique avec d’un côté des soldats en uniforme et de l’autre un ennemi qui sait se rendre invisible est une guerre perdue d’avance. France-Indochine, une guerre pour rien. Algérie française, une guerre pour rien. Afghanistan, une guerre pour rien. Libye, une guerre sarkozyste pour rien sauf que des armes et des miliciens circulent maintenant partout. Guerre Hollandiste au Mali… une guerre pour rien !

On sait pertinemment que toute guerre est destructrice nette de ressources. Quelles guerres l’écologie peut-elle donc accepter ? Y a-t-il des guerres justes ? Laissons à l’Eglise sa doctrine de la guerre juste ; massacrer pour la « bonne cause » est devenue une maladie récurrente de l’histoire humaine. De façon plus précise, la menace multipolaire du terrorisme est-elle soluble dans un engagement militaire  classique ? L’éditorial du MONDE ce jour ne va pas jusqu’au bout de son titre, « Présence française au Sahel : sortir de l’impasse. » Nous sommes dans l’impasse, nous n’en sortirons pas, et nous aurons encore des morts pour rien. Adoptons l’attitude selon laquelle les guerres sont intrinsèquement mauvaises pour être jamais justes ou efficaces. Erasme, au début du XVIe siècle : « Une fois que la guerre est déclarée, les affaires de l’Etat se retrouvent à la merci des appétits d’une poignée d’individus. » Albert Einstein : « Il ne faut pas banaliser la guerre en y fixant des règles. La guerre ne peut pas être humanisée, elle ne peut qu’être abolie. » « La fin est dans les moyens comme l’arbre dans la semence » (Gandhi) est à l’origine du choix de la non violence par l’écologie politique. L’adage « la fin justifie les moyens » devrait être définitivement exclu.

Que faudrait-il faire en pratique ? D’abord considérer que la société civile d’un pays est la première responsable de ce qui lui arrive. Il y a conjonction entre une explosion démographique, des jeunes sans perspectives d’emplois, une prolifération des trafics, la marginalisation des populations rurales, les crises alimentaires. Dans un tel contexte, la population ne peut qu’être séduite par des idéologies extrémistes et prosélytes. La rébellion au Mali n’est pas forcément impopulaire ; les islamistes comptent aussi des soutiens parmi la population. Ce n’est pas la France, aidée ou non par d’autres pays, qui peut reconstruire de l’extérieur par les armes un territoire unifié et sécurisé alors que la période de paix précédente a abouti à la faillite de l’État malien. Arrêtons de courir après la realpolitik pour laisser aux peuples le soin de régler leurs problèmes par leurs propres moyens. Le terreau de la guerre ne disparaît que quand  un peuple se trouve en harmonie avec son écosystème. C’est là la voie de l’écologie politique, non inféodée au jeu des grandes puissances militaro-industrielles et basée sur la prise de responsabilité locale. A force d’enfourcher des combats qui ne sont pas les siens et d’ignorer ce qui compte structurellement, selon moi l’écologie politique se déconsidère.

Pour en savoir plus, lire Howard Zinn, Désobéissance civile et démocratie

5 réflexions sur “Des morts pour rien au Mali”

  1. rappelons quelques réalités, car les faits sont têtus. La France n’a pas et n’aura jamais les moyens de sa politique militaire en Afrique.
    L’opération française a été intégrée au G5 sahélien.  Le budget de cette nouvelle entité soutenue par l’UE est estimée à 400 millions d’euros. Les donateurs n’ont réussi à réunir qu’à peine 200 millions. Pour financer cette opération la France s’est tournée vers l’Arabie Saoudite et led Émirats arabes unis pour y contribuer. Depuis L’Arabie saoudite a injecté 100 millions. Cette somme a été utilisé pour acheter des armes françaises à l’industrie d’armement pour équiper les forces d’intervention.  Je m’arrête là je pourrai continuer à égrèner la liste longue de l’enfumage politique pour faire tourner le groupe militaro-industriel français.
    Ce système des vases communicants est classique et d’une telle banalité dans la plupart des interventions militaires. Se sont les usines à gaz des politiques dites de développement, mais cette fois-ci militaire. Quand on finance un G5 par de l’argent d’un espèce de califat-l’Arabie saoudite, régime wahhabite, pour combattre un autre djihadisme et empêcher qu’il se crée un califat. Il y a peut-être à se poser des questions de cohérence, sinon de crédibilité.

  2. paix et désarmement

    EELV peut bien sûr soutenir toutes ces célébrations, s’y associer, sans que cela nous interdise (tout au contraire), de demander l’ouverture d’un débat public, parlementaire (normalement tout OPEX doit être débattue à l’issue de 3 mois au PE), sur l’engagement de nos forces militaires au Mali, aujourd’hui (encore en Syrie, au Yemen sous-traitées via des sociétés privées style mercenaires).
    La sécurité commune entre les nations repose sur la Charte des Nations Unies (voir le Chapitre VII qui peut être utilisé lors d’une agression par un tiers Etat ou autres formes).
    A ce jour, les États préfèrent trop souvent, le rapport de force, décider ce qui leur semble légitime comme intervention, plutôt que s’en remettre à la prévention et résolution non violente et négociée des conflits. En ce qui concerne le conflit/guerre au Sahel, une lecture géostratégique oblige à considérer qu’une sortie de crise, pourrait reposer sur plusieurs actions (à débattre):
    – un (nouveau) plan de développement UE/Union Africaine, en lien avec tous les composantes politiques, syndicales propres à chacun des ces États (ONGs comprises), avec un engagement renforcé de l’ONU, FMI, etc…
    – un plan de sécurité commune (G5 élargi aux casques bleus ONU), intégrant les adversaires d’hier, mixte militaire/police axé sur la prévention la formation à la résolution non violente des conflits;
    Gérard Lévy (co-responsable de la commission paix et désarmement EELV)

    1. Quelle armée pour un gouvernement écolo ? En conséquence du principe de non-violence, un présidentiable écolo pourrait avoir un conception très avancée en matière militaire qui ferait de la France un modèle à imiter. Idée générale, mettre les forces militaires de la France au service de l’ONU.
      Les Casques bleus de l’ONU, c’est un budget de 8 milliards de dollars en 2015, une somme trop faible pour intervenir sur tous les points chauds de la planète. Début 2016, c’est seulement 120 000 hommes et femmes qui sont déployés dans le cadre de seize opérations de maintien de la paix. Avec les troupes que veulent bien lui fournir les États membres, autrement dit pas grand-chose du côté des pays riches. Donc des soldats sous-équipés, souvent mal formés, et venus des pays les plus pauvres. Le chef des opérations de maintien de la paix avait invité les pays du Nord lors de l’assemblée générale de septembre 2015 à augmenter leur contribution en troupes, en vain. Pourtant les missions de l’ONU deviennent encore plus complexes. De maintien de la paix (peacekeeping), on s’oriente vers une forme d’engagement « multidimensionnel » pour la construction de la paix (peacebuilding) : désarmer les combattants, reconstruire les institutions, promouvoir les réformes, réconcilier les peuples.
      Il existe une solution pour améliorer l’efficacité des troupes de l’ONU. C’est la création de forces permanentes de l’ONU, nombreuses et bien équipées, issues des pays riches. À ce moment-là, l’humanité posséderait une sorte de police supranationale qui marquerait l’avènement d’une société pacifiée. Un président d’envergure internationale mettrait les forces armées françaises à disposition de l’ONU. La France ne chercherait plus à préserver une défense armée nationale, elle serait directement partie prenante d’une instance internationale ayant pour objectif premier le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Notre pays pourrait ainsi assurer d’une façon indirecte sa propre sécurité : pourquoi attaquer un pays qui se veut le garant de la paix universelle ?
      (Texte tiré du livre de Michel Sourrouille« L’écologie à l’épreuve du pouvoir »)

  3. Pourquoi ne pas rendre hommage à tous ces morts d’un système qui n’avaient même pas conscience, lorsqu’ils  qu’ils s’y sont engagés, qu’ils y risquaient leur vie, qu’ils étaient juste de la « chair à travail, de la chair à produire, de la chair à farcir les fortunes prédatrices  » … ne serait-ce que l’agriculture où ils sont plus nombreux, ruinés et épuisés, à se suicider, plus nombreux à tomber sur le front économique, que les militaires sur les fronts des théâtres d’opérations militaires extérieurs. 
    Et pourquoi pas,  ce serait plus utile et collerait mieux au paradigme écologique, pourquoi ne pas rendre hommage solennellement, à tous les morts et estropiés à vie dus aux effets collatéraux de la fuite en avant de nos systèmes économiques, productivistes, techno-adictives, et consuméristes ! … et là il y en a des masses.

  4. Témoignage d’un Malien
    J’ai rencontrée en 2012 le Malien Ibrahima Coulibaly lors d’un colloque* et lié amitié avec lui. Ibrahima est ingénieur agronome, il pourrait pantoufler dans un ministère malien, mais il a choisi la terre. Il est devenu paysan, vivant avec les 16 personnes de son groupe familial sur 20 hectares. Pourquoi ? Âgé de dix ans, il a connu la famine de 1973 causée par la grande sécheresse. Il a compris ce qu’il fallait faire. Il a décidé de rechercher la sécurité alimentaire pour tous, ce qui passe nécessairement par la souveraineté agricole. Alors non seulement il cultive sa terre, mais il fait de la politique, ou plutôt du syndicalisme. Ibrahima Coulibaly est président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali, la CNOP. A ce titre, il participe fréquemment à des réunions au sommet avec l’Etat malien ; sans grand succès jusqu’à présent. Les politiques ne se penchent pas sur la réalité paysanne. La terre appartient à l’Etat qui en fait ce qu’il veut. Dans les zones irriguées, l’office du Niger reprend des terres ancestrales au paysan qui n’a pas pu payer la redevance pour l’eau. Le gouvernement loue des terrains à des pays comme la Chine qui les reloue à des Maliens pour en tirer bénéfice. Les commerçants maliens font en sorte que les paysans qui cultivent le riz soient endettés et en même temps importent du riz asiatique de mauvaise qualité.
    Ibrahima sait qu’il faut soulever des montagnes pour changer la donne. Il n’a pas d’illusion, mais grâce à lui les agriculteurs commencent à se parler, à se coordonner. La CNOP qu’il anime regroupe déjà 2 500 000 agriculteurs maliens. La CNOP adhère à via Campesina, le syndicat international des paysans. Ibrahima est en contact étroit avec José Bové, à ses côtés il était aussi au Larzac. Il connaît le livre de René Dumont, « L’Afrique noire est mal partie » (Seuil, 1962). Le constat reste valable cinquante ans après. Ibrahima s’inquiète de l’urbanisation de l’Afrique, sans structures d’accueil des migrants intérieurs. Les jeunes veulent des diplômes et devenir fonctionnaires, ils seront chômeurs. Même les diplômés en agriculture ne se voient par retourner à la terre. A ces blocages internes au pays, Ibrahima ajoute les contraintes externes : les règles absurdes du libre échange imposées par l’OMC alors qu’il faudrait instaurer un certain protectionnisme agricole ; le poids des intermédiaires dans le commerce alimentaire international ; les subventions à l’exportation agricole dans les pays riches ; la main-mise par certains pays ou des gens bien placés sur les terres du Mali… Changer cette situation fait penser à Sisyphe. Ibrahima ne se décourage pas, à chacun de nous de prendre la Terre en partage à l’image d’Ibrahima.
    Michel Sourrouille (sur le site des JNE)
    * colloque « La Terre en partage » du 28 au 30 septembre 2012 à l’Hôtellerie des frères franciscains à Brive. Intervenants : Ibrahima Coulibaly, Dany Dietmann, Alain Gras, Michel Griffon, Claude et Lydia Bourguignon, Geneviève Azam, Xavier Hauchart et Therry Gaudin. Débats animés par Ruth Stégassy.

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