Désinfluenceur, pour dire déconsommation ?

Les critiques se durcissent à l’encontre des « influvoleurs » qui pratiquent notamment le dropshipping (comprendre : la vente à des prix élevés de produits de piètre qualité). La désinfluence (#deinfluencing) émerge au moment même où les escroqueries virales se multiplient. Le hashtag #deinfluencing comptabilise plus de 500 millions de vues sur TikTok, le hashtag #ootd [outfit of the day, soit “look du jour”, en français] représente à lui seul 100 milliards de vues.

Il devrait être évident pour tous les citoyens que n’importe quelle publicité est faite pour provoquer la surconsommation, donc l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Du point de vue des écologistes, la publicité, qui n’est qu’une forme sournoise de propagande, devrait être interdite. Comment continuer à accepter qu’il soit autorisé de faire le vide dans les cerveaux pour inciter à boire du Coca Cola ou à rouler en SUV ?

Sophie Abriat : La tiktokeuse Michelle Skidelsky (147 000 abonnés), acheteuse compulsive repentie, liste dans ses vidéos des produits à la mode « dont vous n’avez pas besoin ». Les désinfluenceurs s’inscrivent à contre-courant de la tendance populaire du haul (« butin »), qui, sur TikTok, consiste à déballer face caméra des montagnes de produits achetés lors de virées shopping. Mais la plupart du temps, ces créateurs de contenu suggèrent à leurs followers des produits alternatifs ! Beaucoup d’observateurs dénon­cent une forme de « greenwashing de l’influence », une posture écolo qui surferait sur la tendance à la déconsommation.

Lire, dévoiturage, dépublicité, détwitter

Le point de vue des écologistes casseurs de pub

La publicité a été inventée en 1899 aux Etats-Unis et les annonces insérées dans les journaux se contentaient de transcrire les arguments utilisés par les vendeurs dans les magasins. Mais les sociétés occidentales sont devenues si riches que les consommateurs n’avaient plus besoin d’acheter une grande partie de la production : pour éviter la dépression, on a généralisé la publicité. Les entreprises profitent de l’indéterminisme des désirs humains pour imposer leurs propres produits, les spécialistes du conditionnement ont instauré le règne du vieillissement psychologique des biens et des services. Ils utilisent principalement le dualisme psychologique imitation/différenciation pour lancer les nouveautés et agissent par le matraquage publicitaire qu’autorise leur puissance financière.

Michel SOURROUILLE : Le 8 juin 1970 j’écrivais ce qui me semble toujours d’actualité : « Qu’est-ce que la violence quand les affiches publicitaires agressent l’homme qui pense. La publicité, c’est un conditionnement absurde à acheter l’inutile, l’appel au sexe subi, à l’orgueil, à la puissance et à l’envie. C’est nuisible. » En mars 1971, j’étudie La persuasion clandestine de Vance Packard : « Il est impossible d’établir comme postulat que les gens savent ce qu’ils veulent. Il est même dangereux de croire les gens capables d’une conduite rationnelle… Par homme, femme ou enfant d’Amérique, 53 dollars furent dépensés en 1955 pour le ou la persuader d’acheter… Certaines sociétés de produits de beauté se mirent à dépenser en publicité ¼ de ce que rapportaient leurs ventes… La publicité vient de créer le vieillissement psychologique des choses, grâce entre autre au phénomène de mode. Plus est grande la similitude des produits, moins le rôle joué par la raison dans le choix de la marque est important… »

Tout peut se voir reconnaître une valeur par le cerveau bizarre des Homo sapiens, même des choses absurdes comme subir une influence pour se guérir de l’influence et déconsommer en achetant une marque plutôt que d’autres. Penser à dépenser ou de pas penser à dépenser, se faire dés-influencer par des influenceurs soi-disant repentis qui finalement nous influencent en nous dés-influençant. Que le monde actuel est beau ! Attendez, et si on évitait les réseaux d’influence, tiktok, etc. ?

Il y avait une époque où on contestait la publicité, la jugeant non seulement inutile mais nocive. Mais aujourd’hui les humains sont devenus des marchandises comme les autres, ils se vendent, il sont achetés, ils sont jetés. La consommation inutile est destructrice de ressources, refusez toute publicité, refusez la lobotomie, devenez casseurs de pub.

Pour en savoir plus sur la machine à décerveler

Publicité, désinformation et dévastation du monde (2013)

Action municipale contre la publicité, autres actions… (2014)

Ascèse ou désir, l’emprise de la publicité sur nos vies (2015)

Faire disparaître les riches, l’innovation… et la publicité (2016)

publicité pour Nutella = disparition des orang-outan (2018)

Tout savoir sur la publicité qui nous dévore (2020)

Publicité et lutte pour le climat, le fiasco (2021)

Publicité, une agression caractérisée (2022)

1 réflexion sur “Désinfluenceur, pour dire déconsommation ?”

  1. Ah les influenceurs ! Et les influenceuses, ah celles-là je les adooore ! Comme si nous ne l’étions pas assez, influencés, déformés, enfumés, paumés, abrutis etc. etc.
    Tiens, un exemple :
    – « Pensez à covoiturer », « prenez les transports en commun » : de nouveaux messages obligatoires sur les publicités automobiles ( Le MONDE – 29 décembre 2021 )

    Imaginez ce pauvre consommateur, en train de baver devant la nouvelle dernière de chez Pigeot ou de Béhèmeuh, à qui ON dit qu’elle est faite pour lui, parce qu’il le veau bien et patati et patata.
    Imaginez sa tronche quand il entend « prenez les transports en commun ». N’importe quoi !
    Faut qu’il soit solide, notre pauvre con-sot-mateur, pour gérer ce genre d’injonctions contradictoires; Surtout s’il ne sait même pas de quoi il s’agit.
    42 % des investissements en publicité pour les SUV ! C’est fou non ?

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