développement ou rupture ?

L’UE s’engage péniblement  vers un accord sur le paquet énergie-climat. De toute façon la facture sera jugée toujours trop lourde par les industriels. Et le consommateur européen ne s’est pas encore rendu compte qu’il va lui falloir changer toutes ses habitudes. Il n’y a que le WWF chinois qui commence à réfléchir : « Les pays riches ont pu se développer dans le passé, émettant ainsi beaucoup de gaz à effet de serre. Mais pouvons-nous consommer autant d’énergie que vous l’avez fait ? Non, parce qu’il n’y a plus assez de place pour davantage de carbone. » Le gouvernement chinois en tire la conclusion que « les pays développés doivent soutenir les pays en développement par des ressources financières et du transfert de technologie » (Le Monde du 13 décembre). La Chine n’a pas encore compris que le développement est un concept nocif et que la technologie est le problème, pas la solution.

Ce qui se commet au nom du développement n’a rien de libérateur. Ce n’est qu’une forme larvée, encore plus perverse que l’ancienne, de colonialisme. Les premiers combattants anticolonialistes brandissaient comme un étendard de libération la bannière du développement pour justifier tous les dispositifs créés par le colonialisme en vue de la déculturation en profondeur des peuples dominés. Pour eux, il était clair qu’un bon développement devait continuer d’étendre ces infrastructures héritées de l’époque coloniale afin de permettre à leur pays de « rattraper », le plus vite possible, leur « retard économique ». Il est important de dire aux Européens  comme le fait un professeur à l’université de Dakar: « Arrêtez de nous développer parce que vous ne pouvez nous développer qu’en pensant que nous sommes sous-développés. Or, nous, nous pensons que vous êtes en voie de sous-développement, avec vos pollutions, vos grandes villes, vos personnes âgées dont personne ne s’occupe, etc. » La chine imite le modèle de développement occidental, il n’a fait qu’importer les maux de la société thermo-industrielle, urbanisation non contrôlée, travail forcé, épuisement des ressources non renouvelables, empoisonnements, effet de serre… (cf. Majid Rahnema, la puissance des pauvres)

La variable déterminante du développement humain après 1800 fut la libération de la vitesse technologique. La révolution industrielle constitue, selon Davis Gregory Clark, la première rupture de l’économie humaine avec l’économie naturelle. Stanley Jevons a analysé la dépendance de l’économie britannique à l’égard d’un charbon bon marché, mais épuisable dans The Coal Question (1865). Il trouve ailleurs que dans la  terre un facteur limitatif de la production. Toutefois ce facteur n’est plus un fonds renouvelable, mais un stock (les ressources minières) dont la perspective de l’épuisement annonce un avenir autrement plus sombre que l’état stationnaire : le déclin ! Jevons formule aussi un paradoxe qui a gardé son nom : l’accroissement de l’efficacité technologique dans l’utilisation d’une ressource naturelle comme le charbon ne réduit pas la demande pour cette ressource, mais l’accroît au contraire. La consommation est déchaînée par l’accélération technologique du fait de la baisse des coûts que celle-ci entraîne : « Le système économique accroît indéfiniment notre richesse et nos moyens de subsistance, et conduit à une extension de notre population, de nos productions, de nos échanges, qui est appréciable dans le présent, mais nous mène nécessairement vers une fin prématurée ». La croyance dans la technologie comme solution ultime à tous nos problèmes peut détourner notre attention du problème réellement fondamental – celui de la croissance dans le cadre d’un système fini – et même nous empêcher de prendre les mesures adéquates pour y porter remède. La loi d’entropie nous rappelle qu’il existe une flèche du temps et que nous laisserons aux générations futures un patrimoine naturel moindre et sans doute moins adapté à leurs besoins que celui que nous avons trouvé à notre naissance (cf. Jean-Paul Fitoussi, la nouvelle écologie politique).