droits de la Nature contre droits de l’Homme ?

« Pour construire un cosmos harmonieux, tout l’enjeu aujourd’hui est de rajouter les droits de la nature aux droits de l’homme » s’exclame Fabrice Flipo*. Projet judicieux, mais difficile de mettre en musique. Les droit de l’homme, définis à partir de 1789, ont été constamment confrontés à la loi du plus fort ; l’individu reste soumis à ses seigneurs et maîtres, et cela reste encore vrai dans la plupart des entreprises et des administrations actuelles. De plus cette instauration de la toute puissance de l’Homme s’est accompagné du saccage de la planète. C’est pourquoi dans les dernières décennies la notion de droits de l’Homme évolue. La déclaration de Stockholm rédigée en 1972 à l’issue du Sommet sur l’environnement renvoyait encore au Droit de l’homme «  à un environnement sain ». Ce n’était qu’un compromis qui n’a d’ailleurs abouti à aucune amélioration du milieu naturel. C’est pourquoi très récemment on se radicalise. L’Equateur évoque « la reconnaissance d’un droit de la nature au plein respect de son existence, au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux et processus évolutionnaires ».

Mais comment accorder des droits à une nature qui ne peut s’exprimer explicitement ? Ce type de questionnement est absurde. D’abord, si la nature ne parle pas en langue humaine, il nous faut l’écouter quand même. Car si la planète ne nous indique pas clairement qu’elles sont ses limites à ne pas dépasser, quand celles-ci seront atteintes, nous serons vraiment très très mal en point ! De plus notre société a l’habitude de la démocratie représentative ; l’intérêt commun est porté par des parlementaires. On peut se faire aussi le porte-parole des droits de l’enfant devant la justice… En fait les droits de l’enfant ou de la nature sont des devoirs qui devraient s’imposer à tous les membres d’une société qui se veut respectueuse de l’harmonie générale. Ce passage des droits aux devoirs est explicite dans la Charte française de l’environnement : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. (Art. 2) » Peut-on aller plus loin ? Peut-on parler de droits intrinsèques de la nature ?

A ce moment, il ne s’agit plus de droits à une nature préservée, mais véritablement de droits de la nature. C’est l’écologie profonde qui fait ce saut conceptuel : « Le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains. (Arne Naess, 1973) » C’est un choix philosophique, la détermination d’une valeur fondamentale qui oblige celui-là même qui la formule. Reconnaître les droits de la nature à son propre épanouissement, c’est faire preuve d’un humanisme élargi qui englobe les humains et toutes les autres formes de vie. C’est renoncer à la puissance destructrice de l’humanité, qu’elle soit constituée des armements militaires ou des bulldozers qui éventrent les civils et la terre. C’est lutter à la fois contre les routes, les centres commerciaux et autres infrastructures qui sacrifient des espaces agricoles. C’est aussi lutter contre la détérioration des habitats naturels des autres espèces. C’est faire preuve d’humilité. C’est devenir objecteur de croissance.

* le petit philosophe selon Fabrice Flipo, mensuel La Décroissance (mars 2012)